Chapitre 5

Rochester, New York, 1933

« Bienvenue, Bella. » me dit à son tour Carlisle, crispé.

« Merci. Alors, quoi de neuf ? »

« Rien de spécial, la vie s'écoule paisiblement ici. »

« Bien. »

Esmé réapparut, les bris de verre déjà ramassés. Elle me désigna la table et je m'assis autour avec eux. Elle me tendit plusieurs feuilles en souriant, moins que lors de mon arrivée. Je l'avais vraiment énervée, je devais fournir encore un effort. Vivre si longtemps seule m'avait habituée à suivre mon humeur, personne n'avait eu à en souffrir. Bien sûr, parfois en travaillant, j'entendais les guerriers parler dans leur langue natale en me lançant des regards tantôt exaspérés, tantôt amusés, ils se moquaient de moi et ou en avaient assez de se sentir inférieurs à moi à cause de ma force physique supérieure à la leur. Pour autant, ils ne me voyaient toujours pas comme une femme, mais bien comme une anomalie de la nature, un monstre ayant des traits humains. Au milieu de mes semblables, je devais me souvenir à redevenir plus sociable.

« Les dessins de la maison sont incroyables, mais regarde, j'ai une tonne d'idées pour la rénover. » s'enthousiasma Esmé.

« Je viens de passer deux ans à le faire, je te rappelle. » me vexai-je, oubliant déjà mes résolutions.

« Tu es isolée dans ta forêt, tu ne sais pas qu'il y a tout un tas d'innovations merveilleuses pour- »

« Et je n'en vois aucune ici. Rien n'a changé chez vous » relevai-je narquoise

« C'est différent, nous ne sommes que de passage, voulut la défendre Carlisle. Les Quileute ont donné à ton père la maison d'Olympia et tu en as hérité en toute légalité. Esmé et moi sommes ravis que tu te sois autant investie pour cette maison. C'est comme un sanctuaire pour toi, un port d'attache. Je me trompe ? »

« Disons que le climat que je détestais tant avant me convient parfaitement désormais. »

« Je le savais, enchaîna sa fausse sœur aînée. Tu devrais ajouter deux étages, et- »

« Esmé, la maison est très bien comme ça, je t'assure. » la coupai-je.

« Mais… »

« Tu devrais venir la voir par toi-même puisque tu ne me crois pas. Carlisle a raison, cette maison est devenir quelque chose de très important pour moi. » m'énervai-je pour de bon.

« Cela se traduit parfaitement dans tes lettres. » acquiesça mon créateur.

« J'ai décidé d'y rester. »

Le couple se rembrunit, ils espéraient à chaque visite que je ne repartirais pas.

« Tu continues la pêche ? » tenta-t-il pour changer de sujet.

« Oui, mais le plus souvent seule maintenant. Ils me font plus ou moins confiance pour ne pas empoisonner mes prises. » plaisantai-je.

Je tendis à Carlisle une enveloppe, contenant trois cents dollars, une petite fortune.

« Pourquoi ? »

« Je gagne de l'argent, je tenais à partager, tu t'es occupé de moi depuis le début. »

« C'est très généreux mais ne te sens pas obligée. »

« Tu ne vas pas me dire toi aussi qu'une femme ne devrait pas travailler, au moins ? » le mis-je au défi.

« Bien sûr que non, tu es différente quoiqu'il en soit. »

« Que fais-tu, Bella ? » me questionna Esmé.

« Bucheron. »

Ils me regardèrent comme si j'avais eu un troisième œil sur le front. Je n'avais pas voulu leur en parler avant, je savais qu'ils auraient été inquiets pour moi et pour les humains qui s'approchaient de moi de temps en temps. Ils ne réalisaient pas à quel point j'avais progressé sur mon contrôle. Je chassais tous les trois jours pour ne jamais être en manque, et garder mes prunelles de la même couleur jour après jour.

« Éphraïm a soi-disant monté une petite compagnie de bucherons, personne ne sait que c'est moi et non les Quileute qui abats les arbres, j'ai le meilleur rendement évidemment. Je vends le bois à un bon prix et j'en ai gardé pour reconstruire la maison. J'ai même aidé les Quileute à construire des bâtiments dans leur réserve. »

« Ils t'ont laissé pénétrer leur réserve ? »

« Les Anciens emmènent deux fois par an tout le petit monde rendre visite à cette autre tribu plus au Nord, les Makah, une sorte de grande célébration commune. En une semaine, j'avais fait tout le gros œuvre. Ils sont sortis de la préhistoire. Enfin, non pas qu'ils n'étaient pas heureux dans leurs tentes, mais Éphraïm voulait vraiment des constructions plus solides, pour les protéger des intempéries. Près de la moitié de la tribu est partie à la ville, ils ne sont plus qu'une cinquantaine, Éphraïm a peur que leur tribu ne disparaisse, en amenant un peu de modernité dans la réserve, il a voulu s'assurer que plus personne ne partirait. Je n'ai fait que l'aider. »

« Incroyable ! Bravo, Bella ! »

« Donc tu passes ton temps à pêcher, couper des arbres et construire des maisons. Et personne ne t'a vue faire, tu en es certaine ? » me pressa Carlisle.

« Oui, j'en aurais entendu parler, sinon. Mais sache que je me grime en homme pour travailler, quoiqu'il en soit. »

« Bien. Je vois que tu es très prudente. »

« Acceptes-tu de nous accompagner à un dîner ce soir ? » me demanda Esmé en me prenant les mains dans les siennes.

« Non, merci, j'ai mangé en chemin. »

« Tu vois ce que je veux dire. » s'impatienta-t-elle.

« Je ne vous croyais pas devenus des mondains. »

« Carlisle est très apprécié à l'hôpital, nous sommes souvent invités. C'est un bon exercice pour moi. À bien y réfléchir, Carlisle, tu penses que c'est une bonne idée ? » murmura-t-elle se croyant discrète.

« Je ne sais pas. »

« Je vous entends ! »

« C'est que tu vis trop isolée, Bella, tu penses avoir assez de contrôle pour te retrouver au milieu d'une centaine d'humains ? »

« Je vois clair dans votre jeu. »

« Et ? J'ai juste acheté pour toi une robe magnifique. »

« Je vous préviens, ce sera la seule sortie de tout mon séjour à Rochester. » cédai-je.

« Si tu y tiens. »

Deux heures plus tard, je descendis de leur auto, vêtus d'une robe rouge brodée de fils d'or, Esmé était tout aussi élégante et Carlisle portait un smoking.

« Nous ne sommes pas trop habillés pour juste un buffet ? »

« C'est une occasion spéciale, tous les notables de la ville sont conviés. » s'excitait déjà Esmé.

J'étais très impressionnée par son contrôle, elle entra la première dans une magnifique maison, fit même la bise à plusieurs femmes et serra la main à de nombreux hommes, jusqu'à soudain prononcer un nom qui me fit recracher le champagne que j'avais eu de toute façon l'intention de recracher, mais plus discrètement.

« Rosalie ! »

« Esmé, Dr Cullen, merci d'être venus. »

« Félicitations, ma chère. Royce m'a tout l'air d'un jeune homme solide et il te regarde avec tant d'amour. »

Rosalie sourit de plus belle, puis elle me remarqua enfin et son visage ne cacha pas l'aversion ressentie à mon égard. Sa mère nous rejoignit alors, la jeune fiancée plaqua un sourire hypocrite sur ses lèvres.

« Marie, quelle joie de te revoir parmi nous. Ta sœur nous a dit que tu avais décidé de retourner auprès de tes parents. La vie n'est pas trop monotone là-bas ? » s'enquit-elle.

« Non, bien au contraire, j'ai hâte d'y retourner, lui répondis-je platement, mimant aussitôt un bâillement. Belle fête. »

Elle prit le bras de sa mère et se dirigea vers d'autres invités, le couple de vampires s'éloigna à son tour, je retins Esmé par la manche, furieuse. Ils me regardèrent, étonnés, faussement innocents.

« Vous vouliez me punir donc. Traditori !» (Traitres !)

« Marie, tu devrais vraiment faire un effort pour ne pas te faire remarquer. » me disputa Carlisle.

« Bonne soirée ! » me lança gaiement Esmé.

Je quittai immédiatement la fête et marchai le plus vite possible jusqu'aux High Falls, là où la rivière Genessee se déversait bruyamment en cascade au milieu de la ville. Je n'avais même pas envie de retourner chez eux. Esmé avait eu un sacré culot de me faire venir à la soirée de fiançailles de Rosalie. Certes, je n'avais confié à personne pourquoi je détestais Mlle Hale, et encore moins pourquoi je l'enviais tant, mais Esmé savait que je ne la supportais pas.

Carlisle me traqua quelques heures plus tard, sans difficultés, sous la structure métallique de la rue Platt qui surplombait la cascade.

« Esmé n'a pas voulu se moquer de toi. »

« Es-tu heureux, Carlisle ? » éludai-je sans chercher à cacher à quel point je me sentais vulnérable et sur le point de fuir à nouveau vers mon havre de paix au milieu de nulle part.

« Je le serais plus si tu revenais vivre avec nous. »

« Vraiment ? »

« Bien sûr. Je ne t'ai pas transformée pour ensuite t'abandonner, Bella. »

« Mais vous avez besoin de votre intimité. » relevai-je.

« Bella, ta place est auprès de nous, je t'assure. »

« Tu as été rassuré cette fois-ci encore en voyant mes yeux. J'arrive à décrypter tes pensées parfois, cher ami. »

« Je suis désolé. Cela ne veut pas dire que je ne te fais pas confiance. Mais je sais comme c'est difficile de résister. »

« Tu m'en veux d'être partie ? » voulus-je savoir.

« Non, je comprends pourquoi, tu voulais être seule, sans avoir à prétendre. J'aime jouer l'humain, je l'avoue volontiers, mais pas toi, je sais. »

« Si j'étais restée, Esmé n'aurait pas tué cet homme. » me fustigeai-je.

« Ça a été un concours de circonstances, elle n'avait pas chassé depuis deux semaines, cet homme a frappé ses enfants devant elle, sur ce chemin désert. Elle a tenté de le raisonner, elle a dit aux enfants de partir vite chez eux, pour les protéger, quand ils sont partis, il a voulu s'en prendre à elle. Je crois que ça lui a rappelé son mari. »

« Elle ne m'en a jamais parlé. »

« C'était un mari violent et cruel. Elle n'a pas eu de mal à le maitriser, il lui a paru être si dangereux, et mauvais, sa soif s'est servie de sa colère pour prendre le dessus et la faire craquer. »

« Comment as-tu fait ? »

Après l'incident, ils avaient été contraints de déménager de leur petite maison bourgeoise en centre-ville vers une vieille ferme de Pittsford, un village à l'est de Rochester, pas trop éloigné pour permettre à Carlisle de continuer à travailler à l'hôpital. Mais pour justifier leur déménagement et l'isolement de sa femme, mon créateur avait raconté qu'Esmé était tombée gravement malade et avait eu besoin de beaucoup de calme et d'air frais, loin de la pollution des industries florissantes de Rochester. Quand les yeux de sa compagne étaient redevenus dorés, elle n'avait pas voulu retourner vivre en ville, mais s'y rendait presque quotidiennement pour se prouver à elle-même et à son mari qu'elle était plus que capable de passer pour une humaine. Ce qu'elle ne m'avait pas écrit dans ses lettres c'était qu'elle s'était impliquée dans plusieurs comités de charité et avait ainsi été présentée aux Hale et à toute la bonne société de la ville, jusqu'à être invitée à tous les évènements mondains. J'ignorais comment Carlisle pouvait se permettre de financer le train de vie d'Esmé, je n'avais pas osé demander.

« Nous ne pouvions pas partir, sinon les soupçons se seraient portés sur nous, me confia-t-il. Ce jour-là, elle est parvenue à se calmer rapidement mais c'était trop tard, il était déjà mort. Alors elle a couru jusqu'à l'hôpital mais est restée dehors, elle m'a appelé, nous avons enterré le corps aussitôt. Puis nous avons donné de l'argent à la famille, anonymement, nous le faisons toujours, chaque mois. Personne ne sait. »

« Quand elle m'a écrit à demi-mots ce qu'elle avait fait, j'ai hésité à revenir. »

« Malgré cette erreur, Esmé est admirable, elle a fait beaucoup de progrès en un an. Ce qu'il s'est passé l'a même aidé à se surpasser. Elle voulait que tu viennes ce soir pour que tu le constates par toi-même elle était parfaitement en contrôle au milieu de tous ces gens. »

« Oui, on dirait bien qu'elle y est arrivée. Tu dois être fier d'elle. »

« Elle s'en veut, tu sais, et elle apprend à vivre avec la culpabilité. Ça n'est pas si simple. »

« Je paris que de vivre avec son âme-sœur rend tout de même les choses plus faciles et… agréables. » le taquinai-je pour alléger l'ambiance. »

S'il avait pu rougir, il serait tout rouge.

« Va la rejoindre, je reviendrai au matin, c'est promis. » lui dis-je.

Une demi-heure plus tard, je retournai vers la maison des Hale. Je passai devant le Times Square Building, le plus prestigieux immeuble de la ville, treize étages inauguré un an plus tôt où siégeait déjà notamment la banque des King. Le père de Rosalie était le directeur général depuis la fondation de la banque seize ans plus tôt, et ainsi les deux aînés des deux familles s'étaient officiellement rencontrés et avaient eu un coup de foudre, selon la légende.

Je me demandais si Rosalie aimait vraiment son fiancé ou si elle aimait l'idée d'épouser un King. Voulait-elle être donc à ce point une reine ou bien ses parents avaient choisi pour elle ? Je n'étais restée qu'une poignée de minutes à cette fête, mais les murmures trop nombreux étaient partagés entre la jalousie de celles qui ne pourraient pas épouser Royce deuxième du nom, de ceux qui continueraient surement de fantasmer sur Rosalie, et de tous ceux, plus âgés, qui se demandaient comment intégrer la cour de la famille royale de Rochester.

Que pouvait-elle bien encore vouloir, cette pimbêche, elle avait tout pour elle et ce soir, elle avait brillé une dernière fois comme la jeune fille la plus ravissante de la ville. Dans une semaine, elle deviendrait la femme de l'homme le plus riche de la ville, elle devrait quitter ses airs de d'enfant capricieuse et adopter ceux d'une femme dévouée à son mari et à sa famille.

Chez les Hale, les invités étaient partis, j'entendais à l'intérieur Rosalie houspiller un domestique avant de retourner auprès d'une amie. Sa mère demandait à son mari si les hommes avaient eu assez d'alcool dans le petit salon, à l'abri des regards, quand bien même le chef de la police avait été aussi convié. Ces gens se croyaient au-dessus des lois, j'avais bien envie de les dénoncer. Évidemment, les journalistes avaient été conviés à la fête et avaient pris des photos mais aucun n'oserait écrire que les puissantes (à l'échelle de Rochester évidemment) familles Hale et King allaient unir leurs enfants après s'être unis dans le crime de consommation d'alcool malgré les lois de la prohibition.

« J'accompagne Véra jusqu'au bout de la rue, Mère. » entendis-je alors.

Je me tapis juste à temps pour ne pas être vue par la pimbêche. Son amie était un saisissant contraste avec elle, si lumineuse dans sa robe de bal. Véra portait une robe qui n'était plus à la mode depuis au moins dix ans, elle termina de passer un manteau usé sur épaules tandis que Rosalie continuait de chanter les louanges de son fiancé. Puis elle commenta la tenue d'une telle, critiqua la coiffure d'une autre, rigola de l'embonpoint d'une troisième.

« Voilà mon mari, je t'avais dit qu'il allait arriver. » la coupa enfin son amie.

« Oui, en effet. Merci d'être venue ce soir, Vera, je suis heureuse d'avoir pu partager ce moment avec toi. »

« Et ce n'est que le début, dans une semaine, tu seras la plus belle mariée qu'on n'aura jamais vue à Rochester. »

« Oh, Vera, tu es si gentille. Bonne nuit. »

« Bonne nuit. »

Rosalie se hâta de remonter la rue, en se frottant les bras, elle n'avait pas mis de manteau, sûrement pour ne pas cacher sa robe. J'allai me montrer à elle pour une dernière confrontation quand son visage soudainement triste me stoppa, elle essuya une larme puis une autre. C'était comme voir une tout autre personne. Son fiancé l'interpela alors et elle endossa en un battement de cils de nouveau son rôle de princesse parfaite, et courut dans ses bras.

« Je vais te faire descendre de ton pied d'estale, cagna. » (garce)

Je filai jusqu'au journal de la ville, deux journalistes étaient en train de discuter à l'étage tout en éteignant les lumières, je pus entrer sans être repérée. Une fois seule et enfermée dans les bureaux de la gazette de Rochester, je trouvai rapidement l'article consacrée à la soirée évènement. Il était déjà dans la pochette « prêt à la publication ». Dans quelques heures, la pochette serait emportée, copiée et le journal serait imprimé, avec un peu de chance, personne ne réaliserait à temps ce qui serait lu par tous les lecteurs.

Je m'attelai aussitôt à la tâche, je devais respecter le nombre de mots pour ne pas changer toute la mise en page, je gardais le début du texte et y implantai au fur et à mesure des adjectifs piquants, des insinuations et des moqueries. Je perdis dix longues minutes à décider si je devais signer ou non de mes initiales. Rosalie comprendrait, mais devais-je pour autant mettre dans l'embarras Carlisle et Esmé ? Je ne pouvais pas laisser le nom du journaliste, ça n'aurait pas été juste non plus. Je relus l'article une dernière fois et tapai finalement I.S, pour Isabella Swan, personne ne pourrait comprendre. Puis je tapai un autre exemplaire de l'article, je décidai de le déposer chez les Hale, peut-être même dans la chambre de la princesse. Il était déjà deux heures du matin, elle devait déjà dormir et ne se réveillerait pas à temps pour empêcher la parution du journal. Je me frottai les mains fièrement et quittai les bureaux de la gazette en sautant d'une fenêtre.

Très vite, alors que la ville était endormie, mais pas silencieuse car les usines fonctionnaient à plein régime vingt-quatre heures sur vingt-quatre, j'entendis des cris, des injures, des gémissements. Je me précipitai vers les voix, c'était tout près de chez les Hale. Je refusai de comprendre et courus le plus vite possible.

« Je crois qu'on a trop joué avec elle. Elle ne va peut-être même pas pouvoir marcher le jour de son mariage ! » rigola alors un homme.

« En tout cas, elle a besoin d'une nouvelle robe, elle ne peut plus se marier en blanc. » ajouta un autre.

Je décidai de ne plus perdre de temps à suivre le dédale des rues, je sautai de toits et une poignée de secondes plus tard je découvris la terrible scène. L'article toujours en main, je me révélai aux criminels, prête à faire un carnage. Une main s'accrocha alors faiblement à ma cheville, Rosalie gisait à terre. Sa robe de bal en lambeaux, son visage en sang, elle me regardait en pleurant.

« Aidez-moi. » murmura-t-elle tout bas, à bout de force.

Son cœur ne battait plus à un rythme régulier, elle était transie de froid en plus d'être brisée. Ces agresseurs, plus ou moins ivres, me regardèrent comme si j'étais le prochain amusement de leur nuit.

« Mostri, vi ucciderò! » vociférai-je. (Monstres, je vais vous tuer !)

Ils reculèrent aussitôt, le fiancé fut le premier à prendre ses jambes à son cou. J'attrapai celui qui était le plus proche de moi et lui brisa les os du bras en un geste. Il hurla de douleur, les deux autres hommes s'enfuirent.

« Je vous retrouverai ! » leur jurai-je.

« Aidez-moi… Pitié… » murmura encore Rosalie.

« Je vais te ramener chez toi puis j'irai chercher- »

« Pas… pas chez moi, protesta-t-elle faiblement. Tuez-les. Ils reviendr- »

Elle toussa du sang, ses deux yeux tuméfiés ne lui permettaient sans doute pas de me reconnaitre.

« Carlisle ! » hurlai-je en espérant qu'il pourrait m'entendre à plus de dix kilomètres.

« Ils vont reve… »

« Je ne les laisserai plus te faire du mal, Rosalie. » lui jurai-je.

« Sauvez-moi… Je ne veux pas… »

« Reste calme, le médecin va venir. »

Son cœur battait si faiblement, son rythme dangereusement irrégulier. Carlisle pouvait-il seulement la sauver si je la lui amenais ?

Je m'agenouillais à terre et la pris dans mes bras, l'auscultant aussi délicatement que possible. Ses jambes étaient couvertes d'hématomes rouges, de coupures, de morsures. Les sauvages !

« Carlisle ! Fais vite ! Vite ! » hurlai-je.

Personne ne sortit des maisons, personne ne semblait m'entendre.

« Pas mourir. » articula Rosalie.

Je vis trois de ses dents cassées, une autre déchaussée, son épaule droite était déboitée, son poignet gauche enflé, ses joues rouges, en sang, coupées par les coups. Les restes de sa robe ne cachaient plus sa poitrine, elle aussi mordue, coupée, rougie et bleuie, et du sang coulait de son sexe. J'allais faire le signe de la croix, quand Rosalie leva la main vers mon visage.

« Pas mourir. » répéta-t-elle.

« Carlisle ! » m'époumonnai-je.

Si je me levai, Rosalie souffrirait encore plus, elle ne pouvait pas être déplacée, mais si personne ne venait m'aider, elle allait mourir. Pourquoi elle ? Pourquoi l'avaient-ils agressée ce soir ? Elle était au sommet du monde, la plus belle fille de Rochester, de tout l'état, elle avait tout et ils avaient tout détruit, les monstres. Son propre fiancé l'avait attirée dans ce guet-apens ! Qui aurait pu prédire ce qu'elle venait de subir ? Pourquoi elle ?

« Carlisle ! » sanglotai-je, désemparée.

Il ne répondait toujours pas, la maison était trop loin, je le savais bien. Elle allait mourir, pauvre enfant, c'était trop tard, mais je la vengerais.

« Je vous en prie… » souffla-t-elle en grimaçant de douleur tandis que sa main blessée serrait la mienne.

« Tu veux vivre ? » la questionnai-je déjà écœurée par le cours de mes pensées.

« Oui. »

Elle voulait vivre, malgré ce qu'ils lui avaient fait, elle voulait vivre. Elle était si forte, mais cela suffirait-il ? Allait-elle survivre à son agression même en étant soignée par le meilleur médecin au monde ?

« Tu veux les tuer ? » compris-je.

« Oui. »

« Tu seras de nouveau la plus belle femme, Rosalie, je te le promets. »

Elle sourit à ces mots et s'évanouit. Le contact avec mon corps trop froid ne pouvait que la mettre davantage en danger de mort. Je pensais à mon père, à sa requête folle de me sauver et enfin, je compris. Je détestais Rosalie, lui m'aimait, et pourtant, je ne pouvais pas me résoudre à la regarder mourir telle une martyre. Elle aurait dû continuer d'être le soleil de Rochester, ces monstres l'avaient arrachée au firmament et l'avait désacralisée. Oui, si elle le voulait, je l'aiderais à elle les tuer un à un. Et si elle renonçait à sa vengeance, je les tuerais seule.

« Rosalie, je te promets de toujours être là pour toi. Sois courageuse. »

Je la mordis, comme j'avais vu faire Carlisle. Enfin je goutais au sang humain mais je ne pus qu'être répugnée de gouter à celui d'une mourante. J'aspirai seulement trois fois le flux trop faible pour couler dans la bouche, le venin avait coulé de mes canines, je recrachais autant de son sang que je le pus, mais je tremblais déjà malgré moi de plaisir. Je savais désormais pourquoi les autres ne voulaient pas devenir végétariens.

Rosalie grogna, son corps se mit à se raidir dans mes bras, mon venin serait-il assez puissant pour la sauver ? Et si elle devenait à son tour un vampire, combien de temps m'en voudrait-elle ? Car elle m'en voudrait, même si sa vie de rêve venait de lui être volée, mais pas par moi.

_oOo_

Forêt d'Olympia, Washington, 1933

« Éphraïm, je n'ai pas eu le choix. » plaidai-je.

« Quatre vampires c'est trop. Vous allez forcer d'autre membres de ma tribu à muter ! »

« Alors je reste avec elle, que toutes les deux, et vous nous aiderez, comme vous m'avez aidée. »

« Bella, je ne peux pas te laisser seule avec un nouveau-né. » protesta Carlisle.

Levi Uley pouffa de rire au terme nouveau-né, puis dévisagea Rosalie qui était restée dans l'auto avec Esmé.

« Carlisle, tu sais que tu dois retourner immédiatement avec Esmé à Rochester, lui dis-je avec fermeté. Tu dois t'assurer que tous la croient partie à jamais et que personne ne fasse le lien avec les… monstres qui sont morts. »

« Bien, céda-t-il. Appelle-moi à l'hôpital si tu as besoin de quoique ce soit. Tu me le jures ? »

« Oui. »

Rosalie sortit de l'auto, et après une dernière étreinte d'Esmé, elle me rejoignit face aux trois guerriers Quileute. Carlisle nous fit encore promettre de l'appeler et de lui donner chaque semaine de nos nouvelles. Une fois le couple parti, Éphraïm croisa ses bras musclés sur son torse et toisa la nouvelle venue.

« Voici les règles, mademoiselle… »


Un chapitre difficile, Rosalie fait partie du clan désormais. Les personnages vont évoluer différemment que dans la version originale du fait de la dynamique différente de la famille Cullen et aussi du fait de ma volonté ;-)

au tout début de la fic, vous avez remarqué que j'ai inscrit "premier tome", c'est pour faire la distinction dans la narration entre l'avant et de l'après, vous devinez de quoi je parle, n'est-ce pas? Edward n'arrive pas tout de suite mais il arrivera, après tout, le titre est éloquent, Bella va attendre longtemps.

Merci pour vos reviews!