Chapitre 6
Gatlinburg, Tennessee, 1935
« Elle n'était pas comme ça quand elle était humaine, je t'assure. » tenta de me défendre Carlisle.
« Tu l'as connue longtemps avant de la transformer ? » demanda Carmen à mon créateur.
« Les Swan étaient à Port Angeles avant moi, le shérif et sa famille étaient appréciés, ils étaient discrets, honnêtes, travailleurs. Le seul hic peut-être était qu'ils étaient catholiques et ne fréquentaient donc pas l'église protestante. Isabella était très studieuse, elle lisait beaucoup. Elle était une jeune fille timide, bien élevée et avec une bonne réputation. Et tellement maladroite. Je ne l'ai pas soignée personnellement, mais je l'ai souvent croisée à l'hôpital. » raconta Carlisle.
« Mais elle est irascible ! Rien ne trouve grâce à ses yeux ! » protesta Irina après ce tableau flatteur.
« Elle n'est pas si- »
« Esmé, je t'en prie, ne sois pas si hypocrite, la coupa Tanya. Elle a été une rabat-joie tout le temps qu'elle a vécu chez nous, elle a fait fuir nos conquêtes, je suis persuadée qu'elle s'habille comme ça pour ressembler à un fantôme. »
« Tu exagères. »
Tanya quitta le salon et me rejoignit sur le porche, elle me tira la langue et partit en courant. A l'intérieur, la discussion continuait, mais je n'écoutais que d'une oreille, je ne cessais de repenser à ce nomade couvert de cicatrices que j'avais croisé avec Rosalie quand nous nous étions rendues chez nos amis.
« Je suis désolée, intervint Carmen. Tanya peut être très… susceptible quand il s'agit de ses passe-temps. Rosalie et Bella ont été adorables, elles ne nous ont pas du tout dérangés. »
« Elles s'engueulaient tous les jours ! Bella a cassé trois fenêtres, elle a mis le feu à la petite maison et Rosalie a englouti notre auto. » ironisa Irina.
« Rosalie l'a aussitôt réparée, et l'auto roule plus vite depuis. » nuança Éléazar.
Esmé soupira, elle qui avait espéré confier ses « filles » chaque année pendant qu'elle célèbrerait son anniversaire de mariage avec Carlisle, elle devrait se résoudre à les laisser seules ou à renoncer à son escapade amoureuse. Le clan repartit sans promesse d'une prochaine visite, je me sentirais coupable si par ma faute, Carlisle perdait l'amitié de ses plus anciens alliés, les seuls autres végétariens à sa connaissance dans le monde vampirique.
Rosalie et moi n'étions restées dans la maison de la forêt qu'un an et demi, la princesse avait exigé de quitter ce coin perdu pour rejoindre Carlisle et Esmé dès qu'Éphraïm avait estimé qu'elle était prête. Je ne pouvais pas en vouloir à Rosalie, si j'avais connu les Quileute avant ma transformation et appris à respecter leur culture, il n'en était rien pour ma créature, comme j'aimais à l'appeler. Elle ne supportait pas leur odeur, se méfiait d'eux, plus que mon père des Irlandais, et elle détestait devoir restée cachée en forêt. Elle avait besoin d'être admirée pour supporter cette nouvelle vie, elle affirmait le contraire, bien entendu.
Après avoir assassiné chacun de ses agresseurs en étant vêtue de sa robe de mariée, elle avait accepté de rester avec nous pour maitriser sa soif et tout comme Esmé avant elle, elle avait réussi à se calmer bien plus vite que moi. Carlisle avait émis l'hypothèse que j'avais été trop faible des semaines durant avant ma transformation, alors qu'Esmé et Rosalie avaient été en bonne santé avant d'avoir été aux portes de la mort d'une manière très soudaine.
Ce fut Carlisle qui était allé nettoyer après moi à Rochester, il avait réécrit l'article, je lui avais rapidement récité l'original. Esmé s'était enfuie après avoir voulu mordre Rosalie quand j'étais arrivée chez eux. Carlisle lui avait dit d'attendre au moins vingt-quatre heures, le temps nécessaire au le venin pour affecter suffisamment l'odeur du sang de Rosalie.
Ma créature n'avait pas bu une seule goutte de sang humain depuis sa renaissance, elle n'était pas chipoteuse sur le choix de ses proies, et j'avais donc pu souvent me réserver les plus belles prises. Humaine, elle surveillait en permanence sa ligne, cela lui était resté désormais qu'elle était vampire dans le sens où elle se contentait du minimum et se fichait du goût. Et puisqu'elle était capable de ne pas se nourrir de sang humain, à quoi bon rester vivre dans cette forêt ?
Et évidemment je n'avais pas pu lui refuser. Carlisle m'avait fait remarquer peu après nos retrouvailles que, tout comme Esmé, j'avais une tendance à materner les membres de notre clan, je faisais passer leur bien-être avant le mien. D'avoir créé moi-même un vampire m'avait définitivement réconciliée avec Carlisle et mon défunt père. Désormais je vivais avec ce sentiment de culpabilité dès que Rosalie s'en prenait à moi de l'avoir transformée en vampire, dès qu'elle souffrait de la soif, dès qu'elle devait se cacher des rayons du soleil. Je comprenais l'attachement de Carlisle envers moi, le poids de la responsabilité qui parfois me semblait bien trop lourd, mais je savais aussi que cela ne se passait pas ainsi pour tous les vampires. J'avais fait le choix de vivre loin de mon créateur, et je savais désormais qu'un jour, peut-être, je la perdrais.
« Nous sommes très civilisés, c'est pour cela que nous sommes plus qu'un clan, nous sommes une famille. » avait commenté mon créateur.
Rosalie m'en voulait de l'avoir transformée, comme je m'y étais attendue. De tous les vampires que je connaissais, seule Esmé ne regrettait pas. Lâchement, j'avais rappelé à Rosalie qu'elle m'avait suppliée de ne pas la laisser mourir. Elle m'avait poussée à bout des dizaines de fois depuis et j'avais déjà avoué que c'était bien moi qui lui avais coupé les cheveux quatre ans plus tôt chez la modiste, que j'avais tenté de saboter l'article de ses fiançailles aussi. Nous nous disputions chaque jour, mes cousines n'avaient pas exagéré, mais elles n'avaient pas compris que le lien entre Rosalie et moi était différent du leur, nous n'étions pas exactement comme des sœurs, Rosalie tentait chaque jour de s'affranchir de moi, sa créatrice, mais sans rapport de force, comme une apprentie. Et moi je la voyais comme ma plus belle réussite dans ce monde, elle était parfaite en étant elle-même, elle aurait dû être l'humaine la plus détestable, je ne l'oubliais pas. Mais elle n'avait certainement pas mérité ce que ces monstres lui avaient infligée.
Alors, même si j'avais subi bien des cris, des reproches, des sanglots secs, tout ce que j'avais fait subir à Carlisle, j'avais accepté et fais le dos rond. J'avais travaillé autant que possible avec Rosalie dans la forêt d'Olympia et l'avait laissée dépenser l'argent gagné comme elle le souhaitait. Je ne la détestais plus, bien sûr, je ne l'enviais plus non, même si elle était la plus belle de toutes les femmes, humaines ou vampires. J'étais là pour elle, aussi longtemps qu'elle le voudrait, comme une mère, mais ça, je ne le lui avouerais jamais. Je la voulais libre de vivre comme elle le souhaitait, avec ou sans moi, je ne voulais que son bonheur, car je devais justifier l'injustifiable décision que j'avais prise en la transformant en vampire.
Esmé, qui ne s'était jamais lamentée de sa nouvelle condition, déjà folle amoureuse quand la soif l'avait laissée tranquille, était notre rayon de soleil. Toujours joyeuse, optimiste, pleine de projets pour l'avenir, elle ne s'ennuyait jamais. Inspirée par mes exploits de rénovation et construction, elle se passionnait désormais par l'architecture et la décoration intérieure, suivait de près toutes les avancées technologiques et se faisait accompagner par Carlisle pour visiter des chantiers. Elle était aussi devenue une agricultrice, notre nouvelle demeure était une vaste ferme avec plusieurs hectares de terres cultivables, et elle donnait ses récoltes aux plus démunis.
Elle ne pouvait s'empêcher de s'extasier quotidiennement sur son bonheur, sa chance d'avoir été sauvée par Carlisle et d'être sa femme, et de vivre une vie si paisible au sein de notre famille, certes atypique, mais si chère à son cœur. Leur mariage dans le bureau minuscule d'un juge, resterait le plus beau jour de sa nouvelle vie.
Dans ses lettres durant notre exil sur les terres Quileute, Esmé avait exhorté ma créature à ne pas baisser les bras, à garder ses yeux grands ouvert et reconnaître la beauté de cette vie et la chance de pouvoir, sans crainte la traverser en faisant le bien autour de nous. Elle l'avait encouragée, comme elle l'avait fait avec moi les premières années, à garder son cœur ouvert, humain ou vampire, son âme-sœur viendrait à elle, un jour ou l'autre, et qu'en attendant, elle devait lui rester d'ores et déjà fidèle. Elle craignait évidemment l'influence de que nos cousines slaves, les trois célibataires endurcies qui brisaient tous les tabous pour leur satisfaction sexuelle.
Rosalie avait donc décidé d'attendre son âme-sœur, et pour cela, il lui avait fallu retourner vivre auprès d'Esmé et Carlisle, les prendre pour exemple et se préparer à aimer pour la première fois. Malgré le traumatisme de l'attaque sauvage qui l'avait tuée, elle croyait en l'amour, parce qu'elle avait été témoin de l'amour sincère et respectueux seulement trois fois dans ses vies. D'abord son amie Véra, pauvre, moins belle, mais déjà mariée et maman à dix-huit ans, si heureuse qu'elle n'avait plus pris ombrage de l'arrogance de Rosalie. Puis Carlisle et Esmé, dévoués l'un à l'autre, l'image parfait du couple respectable qui avait tout réussi et qui, alors qu'ils auraient dû inspirer la peur aux humains, attiraient la sympathie et les louanges. Et enfin, un mois plus tôt, elle avait rencontré Éléazar et Carmen. Eux vivaient toujours leur passion loin des humains, ils n'étaient pas prêts à s'exposer autant que Carlisle même s'ils étaient végétariens depuis plus de cent ans.
Vivre auprès de cinq autres vampires avait été plus difficile que nous l'avions pensé, Rosalie et moi. Nous étions fatalement des créatures immuables, déjà pleines de petites rituels personnels et ridicules, et s'adapter à un autre clan n'était pas une mission facile. J'en voulais à Carlisle et Esmé de nous avoir fait croire que le clan de végétariens nous avait invitées pour faire plus ample connaissance avec Rosalie.
« Je n'ai pas besoin d'être gardée pendant votre absence. Si j'avais su, je n'y serais pas allée ! » m'emportai-je quand l'auto de nos amis fut assez loin de la maison.
« Nous ne voulions pas que vous restiez seules. » s'excusa Esmé.
« Tu voulais quelqu'un qui nous surveille. Mais je te signale que je suis un vampire depuis plus longtemps que toi, que Rosalie et moi n'avons jamais tué d'humains et que nous ne vous avons jamais demandé, ni à toi ni à Carlisle, d'être nos parents adoptifs. »
Le couple baissa la tête, j'espérais sincèrement qu'ils regrettaient leur manigance.
« Tu as raison, Isabella, je suis tellement désolée. Je me sentais coupable de vouloir passer du temps seule à seul avec mon mari, je ne voulais pas vous faire penser que nous ne voulions plus vivre avec vous. »
« Esmé, c'est dans la nature des vampires que d'être solitaire et nomade. Nous sommes une anomalie. Tanya et ses sœurs ont été créés par une femme vampire en quête de pouvoir, pas d'amour filiale. Sacha a été tuée pour avoir créé un enfant immortel, parce qu'elle avait vécu dans l'illusion qu'elle avait une famille et un jour, elle a voulu un enfant très jeune. Les trois sœurs sont restées unies parce qu'elles ont peur des Volturi et qu'elles ne veulent pas devenir la proie d'autres vampires. Elles ont mille ans, tu penses qu'elles ne se disputent jamais ? Tu penses que l'harmonie règne chez eux ? Même Éléazar et Carmen ont besoin de s'éloigner d'elles régulièrement ! »
« Nous ne sommes pas obligés de vivre seuls. » persista Esmé.
Je n'avais croisé qu'un nomade, ce vampire au cheveux mi longs blonds, au regard aussi perdu que rouge. Je ne m'expliquais toujours pas pourquoi je pensais encore à lui. Rosalie avait eu peur de lui aussitôt, nous l'avions d'abord pris pour un fermier errant, quand il avait relevé la tête et croisé son regard de sang avec le nôtre, doré, il s'était stoppé, ahuri. Jamais il n'avait dû voir de vampires comme nous, il était resté à distance mais sans s'éloigner.
« Êtes-vous des vampires ? » avait-il articuler difficilement, comme s'il n'avait pas parlé depuis des années. »
« Nous ne nous nourrissons que de sang animal. » avais-je révélé en guettant sa réaction.
Il nous dévisagea, ses sourcils froncés, se demandant peut-être si je lui mentais.
« Pourquoi ? » avait-il voulu savoir.
« Nous ne considérons pas les humains comme nos proies, nous vivons auprès d'eux, en paix. »
« Pourquoi ? Désolée, mesdemoiselles, mais j'ai du mal à comprendre pourquoi vous choisissez de vous abstenir. »
J'avais hésité à lui dire que nous ne voulions tout simplement pas être des monstres, des prédateurs cruels. J'avais alors découvert dans son cou et sur ses avant-bras des marques qui couvraient sa peau presque complètement.
« Nous préférons vivre tels des humains, plutôt que comme des vagabonds. Nous gardons nos distances pour protéger notre secret. Le sang animal nous suffit largement. » avais-je affirmé.
Il avait porté sa main à son chapeau, nous avait saluées ainsi et avait disparu sans un mot.
Rosalie m'avait confié plus tard que les traces sur sa peau lui rappelaient la cicatrice que nous portions tous, la preuve de notre transformation et depuis je ne cessais de m'interroger sur la raison pour laquelle ce vampire était couvert de morsures de vampires.
« Les couples vivent d'amour et de sang frais, affirmai-je en chassant de mes pensées l'étrange nomade. Nous sommes un clan, il y en a peu, et s'ils existent c'est uniquement parce que ces vampires sont assez âgés pour s'être lassés de la chasse et pour vouloir une forme de protection commune contre les nomades qui eux recherchent le pouvoir, n'est-ce pas Carlisle ? »
« En effet, ton analyse est correcte, Bella, mais Esmé a aussi raison. Pourquoi ne pas être une anomalie dans notre monde si cela nous rend heureux ? Je ne peux pas vous dire comme je me sens coupable de vous avoir condamnées toutes les deux à cette vie, et que Rosalie ait dû être transformée aussi, mais comme je suis heureux de ne plus être seul. »
« Tu as refusé d'être un vampire dès le début Carlisle, comme nous tous, mais tu as plus de trois cents ans, tu ne peux pas exiger de moi que je veuille les mêmes choses que toi à ce stade de ma vie. » persistai-je, décidée à mettre les choses au point, une bonne fois pour toutes.
« C'est évident mais puisque je suis passé par cette longue phase absurde et douloureuse, je peux garantir que faire partir d'un clan ou d'une famille, peu importe comment tu l'appelles, est bien mieux que d'être seul ou même en couple. »
« Je ne veux pas parler au nom de Rose, mais je revendique le droit d'expérimenter ce que ma condition de vampire exige de moi. J'ai expérimenté la douleur atroce de la transformation, la folie de la soif, l'ennui et le rejet, les regrets. Cela fait plus de vingt ans que je suis un vampire, et je commence seulement à me résoudre à accepter cette vie. Je ne veux pas qu'on me force à aimer, je ne veux pas qu'on me force à redevenir la fille de quelqu'un. Je ne veux pas qu'on décide pour moi où vivre et avec qui. »
« Je pense comme Bella. » annonça Rose calmement.
La tristesse effleura les traits d'Esmé, mais ça ne dura pas, comme toujours, elle restait optimiste et joyeuse. Carlisle, lui, se sentit sans doute plus fautif.
« Je vous comprends, vous avez raison. Je vous prie de m'excuser, toute cette situation est nouvelle pour moi aussi, malgré mon grand âge, tenta de plaisanter mon créateur. Mettons les choses au clair, je ne me considère pas comme votre père et Esmé, je pense que c'est dans sa nature de materner tout le monde, même moi, mais si vous acceptez de rester avec nous, nous garderons chacun notre place et nous pourrons toujours prétendre que Rosalie et moi sommes frère et sœur et que toi Bella, tu es la sœur d'Esmé, c'est le plus logique. »
« Et je veux vraiment que nous vivions ensemble, ajouta sa femme. Mais je promets que je ne tenterais plus de vous placer chez nos amis en notre absence. Vous êtes évidemment plus que capables de rester seules, ou ensemble dans notre maison. »
Rosalie la rejoignit, passa un bras sur ses épaules et lui fit une bise.
« Merci, Esmé. Je vous considère comme ma nouvelle famille, mais tu dois apprendre à nous laisser un peu d'indépendance, d'accord ? »
« Oui, c'est juré. »
Rosalie et moi avions vite compris que si Carmen et Éléazar avaient accepté de s'occuper de nous divertir, les trois sœurs, elles, avaient convié tous les vampires mâles qu'elles connaissaient et chaque jour, deux à deux, les célibataires avaient défilé. Aucun n'avait été végétarien mais Tanya nous avait promis qu'ils changeraient par amour. J'avais craint de voir Rosalie s'enticher du premier venu, tant elle voulait un mari. Ma créature avait, heureusement, mis la barre très haut, selon ses propres termes. Elle savait qu'une réaction purement chimique l'aiderait à reconnaitre son âme-sœur et que ce serait aussitôt réciproque, il n'y aurait aucune hésitation, aucun doute.
J'avais émis des doutes sur la théorie d'Éléazar. Transformé depuis près de deux cents ans, il était celui qui avait le plus de connaissances sur notre monde, ayant fait partie du clan des Volturi, évoluant dans un monde exclusivement vampirique. Pour autant, je n'aimais pas nous voir comme des êtres fantasmagoriques, régis par des lois d'une nature différente de celle des humains. De l'aveu de Carlisle, en rencontrant Esmé, il avait ressenti une très forte attraction, la première de son existence de vampire, mais il avait réussi à la laisser quitter l'hôpital où il l'avait soignée, à rester loin d'elle pour ne pas la mettre en danger et la laisser vivre une vie humaine. Esmé n'avait alors que seize ans, elle avait été éblouie par ce jeune docteur mais, trop timide et bien élevée, elle n'avait pas osé le moindre geste de séduction, la moindre parole équivoque. Elle ne l'avait pas oublié et avait chéri son souvenir comme s'il avait été un rêve. Ils avaient ressenti cette attraction mais n'avait rien alors fait pour être ensemble. Et pourtant, personne ne pouvait désormais nier que lui et Esmé étaient des âmes-sœurs.
Le concept était même selon moi désuet et naïf et je préférais penser, qu'à l'instar des humains, nous autres, vampires, pouvions tomber amoureux sans logique ni chimie. Du fait de notre nature immarcescible, nous restions amoureux pour le restant de nos jours, c'était aussi simple que cela. Je ne croyais pas au destin, dieu nous avait mis dans ce monde avec nos qualités et nos défauts, avec nos forces et nos faiblesses et il nous revenait de choisir notre chemin. Nous n'étions pas des âmes-sœurs à l'avance, nous le devenions après avoir rencontré une personne qui pouvait nous rendre heureux et que nous pouvions rendre heureux.
« Une dernière chose, Bella. » me retint Carlisle.
« Oui ? »
« C'est quoi cette histoire de bouclier ? »
« Kate a voulu me foudroyer. Sympathique, non ?! »
« Comment a-t-elle pu s'en prendre à toi ? » s'offusqua Esmé.
« Bella a fait fuir son amant et a mis le feu à son lit. » me dénonça Rosalie.
Esmé se calma et échangea un regard inquiet avec son mari. Elle semblait penser que j'avais bien mérité une punition. Je préférais ne pas m'étendre sur le sujet et les laissais présumer que j'avais été simplement exaspérée par la promiscuité déballée de Kate. Je n'osais pas leur dire que j'avais en fait réagi très sobrement après avoir invitée pour la treizième fois depuis mon arrivée chez elles à une orgie. Je n'avais pas une patience illimitée.
Elles avaient laissé Rosalie tranquille car ma créature avait expliqué dès notre arrivée qu'elle se réservait pour son grand amour, et qu'elle acceptait de rencontrer des vampires pour cela. J'avais hélas fait part de mon opinion sur le concept d'âme-sœur répandu dans notre race, sans expliquer que je tenais aussi à rester vierge jusqu'au mariage, ne souhaitant pas tant me confier. Kate avait cru que j'étais enfin débridée et que je n'avais besoin que d'un coup de pouce pour oser profiter des hommes.
Furieuse par mon numéro de folle et de pyromane devant son amant, elle m'avait saisie et avait ricané. J'avais compris que j'allais avoir le droit à une démonstration de ce pouvoir étrange qu'elle seule possédait. Manque de chance pour Kate, j'étais immunisée contre son pouvoir, et était devenue ainsi intouchable et put exiger de ne plus être sollicitée pour partager leurs ébats. Elle avait ensuite essayé de me foudroyer plusieurs fois, à différents moments du jour ou de la nuit et pendant que je chassais ou lisais, mais je n'avais rien ressenti.
« Tout ce que je veux, c'est un peu de monotonie, professai-je. On reste tranquille à la maison, on aide Esmé à cultiver les champs, on vous laisse vos nuits, une fois de temps, on ira à la ville pour que la princesse se pavane, mais c'est tout. Je veux du calme. »
_oOo_
Un mois plus tard
« Bella, je l'ai trouvé ! » s'exclama Rosalie à un kilomètre de la ferme.
« Le chapeau qui irait avec ta robe bleue ? » répondis-je, enjouée et sincère, car je n'en pouvais plus de son obsession à trouver le chapeau parfait pour sa robe préférée.
« Non ! Mieux ! »
Et alors qu'elle s'approchait de chez nous, arrivant derrière la grange, l'odeur de sang humain me parvint.
« Rose ! Non ! »
« Regarde ! Je l'ai trouvé ! » arriva-t-elle triomphante.
Elle déposa à mes pieds le corps à l'agonie d'un jeune homme.
« Mais de quoi tu parles ? Qu'est-ce que tu as… trouvé ? » m'alarmai-je en sentant mon corps réagir dangereusement à la vue du sang.
« Mon âme-sœur ! J'ai trouvé mon âme-sœur ! » rit-elle plus heureuse que je ne l'avais jamais vue.
« Mais… »
« Allez, transforme-le ! »
Voilà un nouveau venu!
