Chapitre 8

Washington DC, 1941

Carlisle avait été plus que clair, nous ne devions pas nous impliquer. Emmett n'avait pas été capable de cacher sa déception, Rosalie avait mis du temps à le calmer, j'avais même craint de les voir partir de la maison pour un certain temps, voire pour toujours. Quand ils étaient revenus le lendemain, notre créateur nous avait raconté ce dont il avait été témoin lors de la première guerre mondiale et les dégâts causés par les vampires. Lui-même avait été cerné de sang, en permanence, dans les hôpitaux à l'arrière du front, il avait manqué de céder plus d'une fois. J'avais du mal à le croire mais je ne pouvais pas imaginer ce qu'il avait vécu. Emmett avait accepté la consigne et renoncé à s'enrôler, car oui, il était persuadé être capable d'être un super soldat sans dévoiler sa nature.

J'avais fait valoir mon statut de deuxième membre du clan pour appuyer les revendications d'Emmett. La situation était plus grave que vingt ans plus tôt, le patriotisme avait saisi tout le pays après deux ans de neutralité isolationniste. Mais plus que cela, je n'avais pas apprécié le double discours de mon créateur. Il voulait toujours aider, soigner, faire don d'argent, de nos récoltes, il n'était évidemment pas question de prendre part à une bataille, mais d'aider discrètement à l'effort de guerre. Emmett avait raison, nous ne pouvions pas prétendre vouloir protéger les humains et les regarder s'entretuer.

Nous avions prévu notre escapade, Emmett m'avait provoquée, mise au défi sans éveiller les soupçons de Carlisle et d'Esmé. Ils pensaient que nous étions en train de pêcher, je m'étais assez vantée de ma technique apprise des Quileute pour me vexer après les critiques d'Emmett.

Nous avions couru jusqu'à Washington DC et tandis que j'avais acheté des dizaines de jouets et peluches, ainsi qu'un costume de Père Noël pour Emmett et d'elfe pour moi, celui qui se faisait passer depuis un an et demi pour mon frère jumeau avait suivi le général Eisenhower.

Depuis, nous faisions la distribution tout en attendant le début d'une réunion top secrète qui devait se tenir à cent mètres de là, menée par ce même général.

« J'en peux plus de rester ici. » murmura Emmett en continuant à sourire aux enfants.

« Emmett, ça nous dépasse tous. »

« Tu y crois vraiment, toi, aux Volturi ? »

Je le dévisageai, attendant un rire, il devait sûrement blaguer. Mais non, il restait sérieux, ce qui était plus inquiétant selon moi.

« Tu sais bien que oui. Carlisle ne nous aurait pas menti sur ça. » lui assurai-je.

« Pourquoi pas ? »

« Et Éléazar, tu ne le crois pas non plus ? Il t'a raconté son temps à Volterra. Je suis née là-bas et d'après Carlisle et Éphraïm, mon père connaissait l'existence des vampires. »

« C'est quand même bizarre, on n'a aucune preuve. »

« Tu es impossible. »

« Bella, on peut arrêter cette guerre, à nous cinq peut-être ! »

« Je sais. » ne pus-je m'empêcher d'acquiescer.

« Alors ? »

« On aidera au mieux, mais pour l'instant, on reste ici. »

« Si on va à Hawaï - »

« Il ne s'y passera plus rien, les Japonais ont attaqué une fois et ça en restera là, ils nous ont déclaré la guerre ainsi. Ils ne projettent surement pas de nouvelle attaque sur notre territoire. Ils ont voulu nous faire entrer dans le conflit et nous éparpiller en espérant que nous allons perdre pour ensuite nous conquérir. »

« J'aimerais bien voir ça ! » s'offusqua Emmett à voix haute, faisant sursauter quelques passants.

« Je ne dis pas qu'ils vont y arriver, mais leur premier objectif est atteint, on est officiellement en guerre et aller à Hawaï n'y changera rien. Et puis sincèrement, tu n'en as pas assez de te cacher au moindre rayon de soleil. La dernière fois on a dû rester dans ce cinéma et regarder trois fois de suite Pinocchio jusqu'à la tombée de la nuit. »

« Ouais… c'est sûr, vu comme ça, mais je pourrais aider à- »

« Ça commence ! » me prévins-je.

Les cadeaux s'épuisaient et notre stand était si mal achalandé que peu de gens s'arrêtaient. Après le dernier présent remis, Emmett s'éclipsa et je tendis aux deux derniers parents des bonbons et de l'argent liquide en m'excusant de ne plus avoir de jouets pour leurs enfants. La réunion dura moins d'une heure, nous ne nous attardâmes pas ensuite.

Le cœur lourd, Emmett et moi retournâmes à notre ferme à deux kilomètres de Winchester, en Virginie. Les pertes de Pearl Harbor auraient pu être évitées, je n'avais retenu que cette information de cette réunion. L'état-major savait qu'une attaque était imminente mais n'avait pas relevé le niveau d'alerte. Je n'étais pas stratège, je n'étais peut-être pas capable de prendre du recul et de voir les choses à plus grande échelle. Je ne voyais que le gâchis et pour la première fois depuis ma transformation, je me sentis non-humaine. Si être humaine signifiait sacrifier les autres pour des objectifs de conquête, si être humaine c'était aller à la guerre sans considération pour chaque vie en jeu, alors je ne pouvais que me réjouir de plus être humaine.

« Vous n'avez toujours rien compris. » nous sermonna Carlisle quand nous avouâmes où nous étions allés.

« Nous devons faire quelque chose. » répliquai-je.

« Ils sont capables du meilleur comme du pire mais en temps de guerre, le pire est érigé en cause justifiée. Ne vous y trompez pas. »

« Je ne renoncerai pas. » décida Emmett avant de sortir de la maison.

Rosalie allait le suivre, Carlisle la retint.

« Il risque de tous nous mettre en danger. » lui dit-il.

« Il veut bien faire. Il reste attaché à son pays, malgré ce qu'il est devenu. »

« Et je le comprends, mais Rosalie, cela ne nous concerne pas. Notre existence doit rester secrète. Comment penses-tu qu'il gardera sa force et sa soif sous contrôle s'il devient soldat ? Il n'y arrivera. Il n'est pas le premier à vouloir éviter une guerre, à vouloir l'arrêter. »

Elle ne répondit rien et rejoignit son mari. Esmé et Carlisle partagèrent un énième regard inquiet, je sentais que quelque chose ne nous avait pas encore été dit.

« Comment as-tu pu le suivre ? » m'accusa mon créateur.

« Je partageai son opinion. » avouai-je.

« Ça n'est plus le cas. » comprit Carlisle.

« Je sais que des gens ont besoin d'aide, mais… Mais je sais que notre secret serait découvert si facilement si nous nous engagions directement dans ce conflit. »

« Et si c'était la solution ? » nous interrompit Emmett, plus calme, ce qui n'était pas forcément une bonne chose.

« Tu ne réfléchis pas clairement. » répliqua Carlisle.

« Au contraire. Nous sommes des gentils. Si nous- »

« Cesse immédiatement, Emmett. Tu mourras, n'en doute pas. Un seul mot et tu mourras de la main des Volturi, nous mourrons tous. »

« Si le monde sait, ces momies n'auront plus aucun moyen de nous atteindre, ça sera trop tard. »

« Tu es devenu fou. » murmura, effaré, notre créateur.

« Je vais devenir fou si je ne fais rien ! s'emporta Emmett. Je sais que je peux aider. Je me sens plus en contrôle que jamais. »

« Prouve-le. »

« Quoi ? »

« Prouve-moi que tu as un contrôle parfait sur ta soif. »

« Ok. Comment ? » le questionna Emmett, déjà certain de remporter un autre pari.

« Deviens lycéen. » le défia Carlisle.

« Pardon ? J'ai vingt-ans. »

« Tu peux passer pour seize ans, tu n'es pas aussi mature que tu le penses. La preuve, cette escapade à Washington ! »

Emmett fulminait, je ne l'avais jamais vu aussi remonté, et c'était contre son propre créateur. Esmé s'interposa entre les deux, elle ne supportait pas la moindre tension dans notre famille, mais c'était plus que ça désormais. Elle avait peur d'Emmett, peur pour Carlisle, son compagnon. C'était instinctif. Si nous ne faisions rien, notre famille risquait d'imploser, nous séparant à jamais.

« C'est d'accord, et je vais le faire aussi, décidai-je. Rosalie aussi. »

« Euh… Ça ne me tente pas du tout. » protesta tout bas ma créature.

« Chut. »

« Carlisle, nous avons quelque chose que tu n'as pas eu, ajoutai-je. Tu passes pour le plus civilisé, pour le vampire le plus extraordinaire parce que tu es médecin. Mais tu as été seul pendant trois cents ans. Nous sommes une famille désormais, nous nous soutenons les uns les autres. Notre contrôle ne prendra pas autant de temps pour être aussi parfait que le temps. »

Il nous observa tous les trois, Emmett aussi droit qu'un i, fier de sa force, certain de son contrôle, moi qui ne voulais que nous protéger tous et éviter une dispute irrémédiable, et Rosalie, soutenant son homme mais pleine de doutes. Je savais qu'elle ne voulait pas se mêler à cette guerre, qu'elle pensait, comme Carlisle, que nous devions nous protéger, même si cela signifier être spectateurs de tragédies humaines.

« Je dois aller travailler. » lâcha notre chef de famille avant de quitter la maison.

Esmé nous dévisagea, ne sachant quoi dire, quoi faire. Elle se sentait forcément prise entre deux feux. Elle était tout aussi attachée que moi à maintenir la paix dans notre clan.

« On le fait ? On va au lycée ? » me demanda Emmett.

« Comment ferons-nous si un rayon de soleil nous touche ? Nous ne pourrons pas agir avec précaution. » s'inquiéta Rosalie.

« Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. » intervint finalement Esmé.

« Le but est de tester notre contrôle, pas de nous transformer en boule de diamants. Et aller étudier au lycée de Winchester serait ridicule, les gens savent qu'Emmett et moi sommes mariés.» insista ma créature.

« Nous devrions peut-être partir dans un endroit où vraiment, vraiment, il ne fait pas beau, même en été. » proposa Emmett, résolu à relever le défi de son créateur.

« Vous savez que nous ne pouvons pas partir dès maintenant, il y a le travail de Carlisle. »

Le soir-même, nous tînmes notre premier conseil de famille. Nous votâmes pour le déménagement de la famille en aout, et chacun à notre tour, nous choisirions une ville où s'établir pour au moins trois ans, voire plus si nous y parvenions mais pas plus de six ans. Nous tirâmes au sort l'ordre pour ce choix, Esmé, Emmett, Carlisle, moi puis Rosalie. Nous décidâmes aussi de ne jamais vivre dans la ville où nous étions nés au moins pendant cinquante ans après notre mort. Nous convînmes tous ce soir-là aussi que le climat était un élément clé dans le choix de la ville. Si nous voulions tous nous mêler aux humains, comme Carlisle le faisait depuis des décennies, nous ne pouvions plus choisir que certaines régions du nord des Etats-Unis et du Canada. D'autres destinations pouvaient être choisies exceptionnellement, pour des voyages, du tourisme, en prenant toutes les précautions nécessaires.

Emmett continua à suivre les informations qui passaient à travers la censure, sans doute mise en place. Il guettait dans les rues les conversations, suivaient les rares hommes en uniforme croisés dans le comté de Frédérick où nous vivrions encore plusieurs mois.

Il était persuadé d'avoir raison, ne pas devoir se résoudre à regarder de loin le monde se déchirer. Rosalie tentait de lui expliquer son point de vue. Pour la première fois en six ans, ces deux-là étaient en désaccord total. Lui était motivé par son goût pour l'aventure et le danger, quand bien même il voulait le cacher derrière des préoccupations purement humanistes, elle mettait toujours en avant sa peur de le perdre.

Mais leur dispute se révéla futile, la décision avait déjà été prise pour nous. Carlisle ne parut pas étonné en voyant débarquer à notre ferme six personnages cachés sous de lourdes capes de velours noir. Cinq hommes et une très jeune fille se présentèrent à nous, ils semblaient sortir d'un livre d'histoire sur la Renaissance. Tout était différent chez ces vampires, leur attirail, leur façon de s'avancer, trois devant et trois derrière, je n'avais jamais rien vu de tel, puis je me souvins que je n'avais jamais rencontré d'autres vampires à part ceux de mon clan et de celui d'Éléazar, et ce nomade solitaire.

« Les Volturi. Cessez ce que vous faites, et accueillons-les. » nous ordonna Carlisle tout bas sans pouvoir cacher la peur dans sa voix.

Il n'aurait pas été opportun de tenir cette rencontre à l'extérieur, le soleil était de sortie ce jour-là malgré la neige tombée la nuit précédente. Les six vampires furent invités à s'assoir dans notre salon, nous fûmes à l'étroit mais personne ne commenta. Notre chef de famille, comme il voulut se poser, nous présenta aux Volturi, mais eux ne se présentèrent pas. Ils pensaient sans doute que cela était inutile, pourtant Carlisle ne nous en avait dit que très peu sur eux, seulement qu'ils étaient plus anciens que les trois sœurs, qu'ils étaient les rois et qu'ils avaient établi des lois auxquelles nous étions tous soumis. Dans notre salon, Esmé apporta les chaises de la salle à manger, le canapé fut réservé pour les trois invités les plus prestigieux, si j'en croyais leur tenue et leur allure plus raffinée.

« Carlisle, cher ami, tu m'avais annoncé l'arrivée d'Esmé, d'Isabella et de Rosalie, mais je constate qu'il y a un nouveau membre dans ton clan. »

« En effet, j'allais t'envoyer de nos nouvelles bientôt, Aro. »

Nous parvînmes à cacher notre surprise et notre déception, Rose et moi. Carlisle ne nous avait jamais dit qu'il était resté en contact avec les monarques. Esmé, elle, savait, elle semblait très mal à l'aise, si elle n'avait pas été un vampire, elle se serait empressée de proposer un café à ses hôtes pour détourner la conversation.

« Il a dû être changé il y a quelques temps déjà, ses yeux sont aussi dorés que les vôtres. » nota avec agacement le vampire blond assis à la droite d'Aro.

« Le temps passe si vite. » tenta de se justifier mon créateur.

Emmett et l'un des deux autres vampires hommes se jaugeaient, tous deux étaient incroyablement musclés. L'autre vampire nous observait avec attention, la jeune fille semblait s'ennuyer ferme, je me demandais à quel âge elle avait été transformée, elle avait un visage rond et des traits enfantins.

« Nous sommes de passage, cher ami, continua celui nommé Aro. Nous sommes contraints de prendre les choses en main, pour éviter la débâcle de leur dernière guerre. En Europe, nous avons déjà dû intervenir des dizaines de fois, ces nomades, et il cracha ce mot, n'ont aucune éducation, aucun sens du devoir. Ils ne comprennent pourquoi notre existence doit rester secrète. Je t'avoue que parfois, nous avons dû les faire cesser… leur agissements, purement et simplement, ils n'étaient pas capables d'être raisonnés. »

Autrement dit, la chasse aux vampires avait commencé, et d'autres vampires étaient les chasseurs.

« Depuis que les États-Unis sont entrés en guerre, nous avons décidé de venir faire un petit rappel dans le nouveau monde auprès des nomades qui seraient tentés de se joindre aux humains. N'est-ce pas prodigieux tout ce qu'ils ont inventé ces cinquante dernières années ? »

Les deux autres monarques hochèrent la tête gravement, ils n'étaient pas aussi réjouis qu'Aro, mais je commençais à comprendre que personne ne pouvait l'être.

« Ces caméras, ces appareils photos, ces appareils pour enregistrer le moindre son sans être vus… Autant de dangers pour nous autres, nous en convenons tous, n'est-ce pas ? » nous sonda Aro.

« Bien sûr, acquiesça Carlisle. Nous sommes, pour notre part, très prudents. J'ai vécu les précédentes guerres. Je n'ai pas oublié nos lois et les précautions à prendre. »

« Je n'en doute pas, mon cher. Caius était sceptique, seulement à cause des nouveaux membres de ton clan, eux n'ont pas vu les horreurs que ces humains ont commises il y a vingt-cinq ans. »

« Je les ai prévenus et informés de nos devoirs, affirma notre créateur. Créer mon clan a été un choix difficile pour moi, mais je ne regrette d'avoir suivi tes conseils. Et je me réjouis depuis d'avoir trouvé, comme tu le vois, ma merveilleuse compagne, Esmé. »

« Vous êtes un charmant couple. » lâcha le troisième roi, Marcus, déduis-je.

« Nous ne sommes pas venus les mains vides, mon ami, s'écria alors Aro, plus gaiement encore. Te souviens-tu de ce portrait de nous quatre ? Je l'avais commandé en 1732, maintenant que tu es établi, que tu as fondé ton clan, j'ai pensé que tu aimerais avoir ce tableau chez toi. Ça n'est plus comme si tu devais quitter un endroit du jour au lendemain en emportant ton sac… de docteur. »

Chaque phrase avait un double sens, chaque amabilité cachait une menace. Comment Carlisle avait pu supporter de vivre chez eux ?

« Merci, je suis très honoré par ce présent. »

Six paires d'yeux rouges se braquèrent alors sur moi, je le ressentis au plus profond de moi, un malaise, un danger, j'avais envie de fuir mais je savais qu'ils ne me laisseraient pas parcourir cent mètres. Aro se leva et se posta devant moi.

« Notre cher Éléazar m'a fait part de ton don, Isabella, même s'il n'a pas encore trouvé ce qu'il était réellement. Me permets-tu d'essayer à mon tour ? J'ai plus d'expérience qu'Éléazar. »

Il me tendit la main, je ne sus comment réagir. Carlisle me fit signe de me lever à mon tour et de prendre la main offerte. Le contact fut étrange, je touchais rarement quelqu'un, même les autres membres de ma famille. La peau d'Aro était douce et tiède mais sa couleur blanche était comme translucide, il en était de même pour Marcus et Caius et leurs yeux n'étaient pas du même rouge vif que les trois vampires qui les accompagnaient. Et tandis que je les observais tous, tous regardaient Aro, suspendus à son verdict. Cela me prit une autre minute avant d'être libérée de sa poigne.

« Je ne vois rien. Tu possèdes un bouclier mental. Mais je me demande s'il est efficace contre tous les dons. Jane ? »

Carlisle se leva d'un bond et se positionna devant moi en criant non. Les deux gardes le saisirent chacun par un bras, nous entendîmes un craquement sinistre. Allaient-ils le mettre en pièces ?

« Stop ! » hurlai-je.

« Carlisle, ne t'inquiète donc pas. Jane ne lui infligera pas la douleur maximale. Nous sommes venus ici en amis ! le gronda gentiment Aro. Tu connais ma curiosité. »

Jane me fixa, un sourire victorieux sur ses lèvres, celui s'effaça après cinq secondes, ses sourcils se froncèrent ensuite, et enfin elle s'approcha à un mètre de moi. Je ne savais pas ce que j'aurais dû subir mais la réaction de Carlisle n'augurait rien de bon. Qui était cette gamine ?

« Incroyable ! Elle nous défie tous ! » s'exclama finalement le roi excentrique en applaudissant.

Jane reprit sa place, défaite, derrière ses maitres. Voilà donc qui ils étaient : trois rois vampires, leurs gardes du corps, un qui était aussi fort qu'Emmett, peut-être plus, un autre qui semblait pouvoir sonder nos pensées et une horrible adolescente sadique. Ici, dans le petit salon de notre ferme, la cour royale venait de nous mettre en garde.

Jane me fixa une dernière fois, je me demandais si elle avait déjà rencontré un vampire ayant résisté à son pouvoir. Elle aurait pu en faire un caprice si elle n'avait pas été si docile. Ils repartirent après nous avoir invités à leur rendre visite à Volterra.

La minute d'après, Emmett était sur le perron, s'assurant qu'ils étaient bien partis.

« Tu nous as caché beaucoup de choses sur ces Volturi ! » attaqua Rosalie en rejoignant Carlisle.

« J'y étais contraint. Les Volturi n'apprécient pas que l'on dévoile leurs vies et leurs secrets. »

« Je n'en ai rien à faire, ils ne me font pas peur, se vanta Emmett. Ils ne sauront pas ce que je fais, ni où je vais ! »

Notre créateur parut bien défait, quelque chose de terrible venait de se passer devant nous et nous ne l'avions pas encore réalisé, mais lui savait. Cette visite n'avait pas été une visite de courtoisie, ni même juste un avertissement.

« Tu te trompes, nous sommes tous repérables désormais, déclara Carlisle. Ils nous ont trouvés facilement, je ne leur ai pas dit où nous nous trouvions. Je ne leur envoie une lettre que tous les dix ans environ, je ne dis jamais où je suis, juste où je me trouvais avant. Il est impossible de leur mentir. »

« Je ne comprends pas, Carlisle. Pourquoi sommes-nous tous dans leur radar ? » l'interrogeai-je.

« Demetri. C'est son pouvoir, s'il a déjà rencontré un vampire, ou quelqu'un qui connait ce vampire qu'il recherche, le fugitif n'a aucune chance. Il sera traqué comme une bête et sera trouvé, ça ne sera qu'une question de temps, et pas d'années, de semaines tout au plus. Félix est incroyablement fort, il aurait pu me restreindre à lui seul, mais pour vous impressionner, ils l'ont fait à deux, c'est leur technique. »

« Et Jane ? » voulus-je savoir.

« Elle aussi a un pouvoir. »

« Ils en ont tous ma parole ! » râla Emmett.

« Les Volturi s'entourent de vampires qui ont des capacités hors du commun, expliqua Carlisle. Jane peut infliger la pire des douleurs, aussi atroce que la transformation, simplement par sa volonté. Il n'est pas possible d'y résister, je l'ai vue faire de trop nombreuses fois. Mais toi, Bella, tu as résisté. Et je ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose. »

« J'aurais pu simuler la douleur si tu m'avais prévenue de ce dont ils étaient capables ! Si je comprends bien, je suis devenue leur prochaine acquisition ? » m'emportai-je, effarée.

« Je ne saurais dire, ils ont tellement de vampires doués de pouvoirs, et je pense avoir l'avantage d'être bien vu par eux. Mais Aro est imprévisible, je ne sais pas s'il irait jusqu'à prendre quelqu'un de mon clan. Je suis sincèrement désolé. Je voulais vous protéger tous, vous épargner la peur que les Volturi inspirent à tous les vampires qui ont eu affaire à eux. Mes chers, vous êtes ma famille, je ne peux pas vous perdre. »

« Nous ne sommes pas des enfants, s'il s'agit de notre survie, nous devons avoir pleine connaissance des risques que nous encourrons ! » rétorquai-je, plus furieuse encore.

« Carlisle fait de son mieux, il n'avait jamais prévu d'avoir sous sa responsabilité une famille. Ne soyez pas aussi durs avec lui, je vous en prie, le défendit Esmé. Nous devons nous soutenir, pas nous accabler les uns les autres. »

Il se releva, tenta de cacher sa tristesse et posa sa main sur l'épaule d'Emmett.

« Je sais que tu veux aider les humains, lui dit-il, que tu veux prouver que ton existence n'est pas inutile, nous partageons tous les cinq cette valeur inestimable de vouloir aider les humains. Mais tu comprends pourquoi je ne peux pas te laisser t'impliquer dans cette guerre. Les Volturi ne l'auraient jamais permis, je le savais dès le début. »

_oOo_

Hiroshima, Japon, 1950

« Ça recommence, on doit y aller ! » décréta Emmett, déterminé.

« Les Volturi- » commença Rose.

« J'y vais, même seul. Je ne laisserai personne m'en empêcher cette fois-ci. Ils commencent une nouvelle guerre en Corée. Ici, on a fait le maximum pour aider. S'ils veulent larguer une autre bombe atomique, je dois les en empêcher. »

« Nous ne devons pas intervenir dans aucun conflit ! » lui rappela Carlisle.

« Je sais, soupira Emmett, agacé. Je ferai ce que tu m'as appris ici, je resterai discret. »

« Nous devons bientôt partir d'ici de toute façon. Je suis d'accord. » nous étonna notre créateur.