Chapitre 12
Volterra, Italie, 1965
« Ton bouclier t'empêche peut-être de reconnaitre ton âme-sœur. » me suggéra Aro, en m'accompagnant dans les couloirs vers la sortie secrète du château.
« Cela m'étonnerait. » répliquai-je pour me rassurer, car cette idée ne m'avait jamais effleuré et elle me faisait déjà paniquer.
« Tu transmettras à Alice et Jasper mon invitation, j'ai hâte de les rencontrer. »
« Je transmettrai. »
Et leur dirais de ne pas accepter, pensai-je.
« N'est-ce pas un coup du sort incroyable, Isabella ? »
« Quoi donc ? »
« Toi, ici. Tu es née à quelques rues du château. » m'expliqua-t-il en souriant.
« Aro, je voulais te demander… Mon père savait pour vous, tu as dû le voir dans les souvenirs de Carlisle. »
« En effet. »
« Comment a-t-il pu découvrir votre secret ? »
« Je ne l'ai pas rencontré moi-même. Il me semble qu'il avait escaladé un mur d'enceinte du château aidé par d'autres enfants. Il a surpris un Immortel briller sous le soleil et se nourrir. Les autres enfants n'ont rien vu et l'Immortel a été puni pour son imprudence. Se nourrir en plein air, en pleine journée, quel idiot ! »
« Mais je croyais que vous tuiez tous ceux qui découvraient notre secret. »
« C'est vrai… Mais je n'en ai été informé que bien plus tard, et tout ce temps, ton père n'en avait parlé à personne. Il n'avait qu'une dizaine d'années quand il a vu cet Immortel, il ne représentait pas une menace car qui l'aurait cru ? »
« Merci de l'avoir épargné. »
« Oui, j'ai bien fait puisque tu es là. » commenta-t-il joyeusement.
Je le connaissais désormais un peu mieux, Aro était toujours ainsi, aucune émotion réellement ressentie ne se reflétait sur ses traits. Il était un maître de l'hypocrisie, comme Caius, mais Aro avait choisi d'afficher une sorte de frivolité et son frère de l'arrogance.
« Ma chère Isabella, j'espère que tu trouveras ton âme-sœur rapidement. Cette vie est bien plus supportable quand on a quelqu'un avec qui la partager. » me souhaita-t-il.
« Tu sembles pourtant… »
« Parle, n'aies pas peur. »
« Tu sembles uniquement préoccupé par le pouvoir. »
« J'ai toujours été ainsi, se justifia Aro. J'ai été créé il y a quelques millénaires, et j'étais déjà un roi en mon temps. »
« Oui, j'ai lu tes mémoires à la bibliothèque. »
« Je sais que tu nous as observés durant ces deux années, nous vivons ici une existence bien différente de celle de ton clan. Notre dynamique même n'est pas celle d'un clan comme le vôtre, n'est-ce pas ? Mais nous sommes les rois de ce monde, nous ne pouvons pas être comme les autres. Et ça n'est pas quelque chose que j'ai découvert en devenant Aro Volturi. Je l'ai compris quand j'étais humain et que j'ai tué mon oncle pour devenir roi. Être aimé par ses sujets n'est pas éternel, c'est même très fluctuant. Leur amour s'estompe avec le temps. La peur ? Cela durera aussi longtemps que nous trois vivrons. J'ai essayé d'être un héros, un bon roi, humain et Immortel. Mais je n'étais toujours pas à la hauteur. Les humains pensent ainsi également, l'histoire nous le démontre encore aujourd'hui et continuera de le faire. C'est dans la nature humaine de vouloir dominer ses semblables. Et ça n'est pas si difficile dans notre monde. Nous autres, immortels, avons si peu de lois à respecter. Nous sommes libres de faire tant de choses. »
« Je suppose. »
« Pense à ce que je t'ai dit, Isabella. Tu te protèges peut-être trop pour ton propre bien. Et si un jour, tu rencontres un humain dont le sang chantera pour toi, crois-moi, ton bouclier ne suffira pas, tu le tueras. Il te faut accepter qui tu es. Tes yeux devraient être rouges. »
Je décidai de ne pas le croire, après tout, j'avais renforcé mon bouclier seulement ces deux dernières années, mon âme-sœur ne pouvait pas être à Volterra. En voyant disparaitre Volterra de l'horizon, pour la première fois de mon existence, j'ôtai mon bouclier et me laissai submerger par le monde autour de moi.
_oOo_
Forks, Washington, 1965
J'avais atterri à Portland en pleine nuit et avait donc dû traverser l'Oregon avant d'arriver dans l'état de Washington. J'avais volé une voiture sur le parking d'un loueur à l'aéroport, je leur enverrai un chèque en rentrant chez moi. La radio m'annonçait en boucle les mêmes informations depuis le matin, je découvrais aussi les nouvelles chansons du moment. Dans l'avion j'avais appris que le président des États-Unis n'était plus John Kennedy mais Lyndon Johnson. J'avais retrouvé mon accent italien pour demander en anglais à l'hôtesse ce qui était arrivé à Kennedy. Le couple assis à côté de moi m'avait ignoré tout le temps du vol, j'aurais d'ailleurs bien voulu changer de place tant ils avaient fait démonstration de leur passion. Le passager de l'autre côté de la rangée avait eu pitié de moi et m'avait longuement raconté ce qu'il s'était passé durant mon exil forcé en Italie. Le monde avait encore changé, il ne m'avait pas attendu.
Ma belle maison m'avait beaucoup manqué, réalisai-je en y entrant. Retourner à Volterra avait été une vraie chance, mais j'y avais enterré Isabella, l'humaine, à jamais. Je ne me sentais plus italienne, pas vraiment américaine. Au fond de moi, j'avais déjà choisi, contre toute attente, j'appartenais à cette maison, et non l'inverse, comme si elle était un pays à elle seule.
Je téléphonai tout d'abord à ma famille pour les prévenir de mon détour et promis de reprendre la route dès le lendemain. Je reviendrais bientôt à Forks, j'avais juste eu besoin de m'assurer que ma maison était toujours là, y passer plusieurs heures pour me régénérer.
Mais quelques heures plus tard, tandis que j'avais enfin trouvé où accrocher mon tableau, je sentis Levi approcher de chez moi. J'ouvris la porte, sur mes gardes, il émergea des arbres en short et me fit signe de le rejoindre en silence.
« Que se passe-t-il ? » le questionnai-je.
« Il y a quelqu'un d'autre ici ? »
« Non. »
« Tu es venue seule ? » persista-t-il.
« Oui, je repars demain. »
« Où étais-tu ? Carlisle nous a dit que tu avais dû te rendre en Europe. »
« En effet, c'est une longue histoire. »
« Je repasse quand il fera nuit. Reste prudente, je sens quelque chose d'étrange ici. »
Et quand il revint, il était sous sa forme lupine, accompagné de Quil. Dans leur gueule, les membres d'un vampire. Ils ne reprirent pas forme humaine, ils contournèrent ma maison et déposèrent leur butin au milieu de ma terrasse.
« C'est une blague ? »
Ils me firent non de la tête. Je reconnus le vampire mais je ne comprenais pas pourquoi il gisait désormais en morceaux chez moi à Forks. William arriva à son tour en voiture et nous rejoignit.
« Pourquoi l'ont-ils amené chez moi ? » lui demandai-je en tentant de ne pas leur montrer que j'avais peur.
« Cette sangsue ne doit pas toucher le sol de notre réserve. Je sais qu'il faut brûler les restes au plus tôt. Quil et Levi restent sans doute en loups au cas ce monstre revienne à la vie. »
« Mais qu'avait-il fait ? »
« Il nous faut une raison pour tuer un vampire ? » s'énerva William.
Je m'approchai du cadavre d'Edward, je ne pus m'empêcher de penser qu'il m'avait suivie. Je l'avais aperçu le jour de mon départ, il était resté en retrait au château. S'il avait entendu ma discussion avec Aro au sujet de mon don, il avait pu vouloir tenter sa chance pour déclencher une réaction entre nous en dehors de Volterra. Mais si les Volturi apprenaient que les Quileute avaient tué un vampire, ils enverraient une expédition punitive et j'expliquai ceci au chef de la tribu et aux deux anciens, qui se hâtèrent d'aller retrouver forme humaine.
« J'ai toujours des vêtements d'Emmett au premier étage. » leur criai-je depuis le jardin.
Quand ils nous retrouvèrent, je les pressai d'expliquer ce qu'il s'était passé.
« J'ai remarqué une odeur étrange, me raconta Levi. J'ai pensé que c'était toi, que tu ne t'étais pas nourrie depuis longtemps et que c'était pour cela que tu sentais différemment. »
« Quoi ? Vraiment ? »
« Oui… »
Il regrettait m'avoir révélé cette découverte, j'avais enfin l'explication de la réaction d'Éphraïm en 1931 lorsque j'étais revenue seule dans cette maison et étais restée des semaines sans me nourrir.
« Nous n'avons jamais remarqué cela. » me dis-je tout bas.
« Eh bien, nous, oui. Brûlons-le maintenant. »
« Pas ici, je ne peux pas être complice ! »
« Dépêchons-nous… » râla William.
« Nous devons le brûler ailleurs. » insistai-je.
Sur une plage au nord de la réserve, ils allumèrent un feu et jetèrent les morceaux du vampire en riant. J'observai le vampire qui m'avait paru si différent des autres lors du bal. Ses cheveux blonds m'avaient faits penser à Carlisle, il m'avait dit venir lui aussi d'Angleterre et nous avions discuté quelques temps mais l'étincelle n'avait pas eu lieu durant notre danse. La veille encore, nous étions lui et moi à Volterra. Pourquoi était-il venu ici ? Qui savait qu'il m'avait suivie ? Aro l'avait-il envoyé ?
William ne cessait de s'agiter autour du feu, remuant les restes du vampire, fasciné par la fumée violette qui s'en dégageait et par l'odeur que j'avais vite fait de bloquer. Pour la première fois, je les voyais tels des guerriers et non plus comme des alliés. J'avais pourtant connaissance de toutes leurs légendes et j'avais vu de mes yeux leur transformation, je m'étais mesurée à leur vitesse et leur force sans jamais avoir à me battre contre eux. Cet accord conclu avec Éphraïm me protégeait-il vraiment ?
« D'autres pourraient venir à sa recherche ! » m'écriai-je pour les faire cesser de rire.
« J'ai encore toute ma force. » se vanta Quil.
« Ils sont des centaines, leur révélai-je. S'ils le veulent, ils débarqueront tous ici. Ils savent déjà… »
« Qui ? »
« J'ai été retenue prisonnière ces deux dernières années, parce que je vous ai aidés, parce que je me suis exposée. J'ai eu la vie sauve une fois, mais si les chefs des vampires apprennent qu'un vampire a été tué chez moi et par vous, nous serons tous tués ! Vous ne comprenez pas ? Vous ne pouvez pas faire ça ! »
« Nous sommes chez nous. » répliqua William.
« Avait-il pénétré dans la réserve ? » demandai-je à Quil en désignant les restes du vampire.
« Non, mais nous ne pouvions pas prendre le risque. »
« Croyez-moi, je ne veux que vous protéger, il y a plus de vampires que de guerriers Quileute. Vous ne ferez jamais le poids. Vous ne devez pas apparaitre comme des ennemis de notre race. Nos chefs ne le permettront pas. Ils ont l'éternité devant eux, pourchasser leurs ennemis est un passe-temps. Ils ne feront qu'une bouchée de vous, et je ne pourrai pas vous aider, personne ne le pourra, vous serez tous - »
« Que suggères-tu, Bella ? » m'interrompit Quil.
« Ça n'est sans doute pas très juste mais le mieux est de vous contenter de protéger la réserve. Tout le reste, ça ne vous concerne pas. »
« Alors si un vampire veut faire un repas dans le coin, on doit le laisser faire ? » s'insurgea William.
« Je ne sais pas, je ne m'attendais pas à cette situation. Ce qui est certain c'est que si Levi m'avait expliqué clairement la situation plus tôt, nous aurions pu éviter de devenir des cibles ! »
« Nous ne sommes pas comme toi, nous nous préoccupons de tous les humains ! » m'accusa encore le fils d'Éphraïm.
« Après ce que j'ai fait pour vous et pour bien d'autres humains, ce que j'ai fait, et ce que mon clan a fait, tu n'as pas le droit de dire cela ! »
Levi retint William qui s'était approché de moi pour mieux me crier dessus. Quil m'avait saisi le bras et tremblait légèrement, prêt à se changer ne loup si besoin.
« Bella, ce qui est fait est fait, nous ignorions certaines choses, et nous serons plus prudents. » tempera Levi.
Je me dégageai de l'emprise de Quil sans difficultés et partis en courant vers ma maison. Je ne terminai pas le ménage et le tableau resterait posé sur le buffet du salon. Je repris la route à pieds, abandonnant ma voiture dans le garage, je devais retourner en urgence auprès des miens. Je plongeai dans tous les cours d'eau rencontrés sur ma route pour me débarrasser de l'odeur des loups et du vampire tué.
_oOo_
New Haven, Connecticut, 1965
« Elle arrive. » annonça Alice dans la maison et ils sortirent tous pour me voir arriver dans l'allée ombragée, suivie par Santiago, qui lui m'avait rejointe à deux kilomètres de la maison.
« Comment as-tu pu nous faire attendre ? » me sauta dessus Rosalie.
Je la pris dans mes bras, me retenant de sangloter. Alice et Esmé m'entourèrent bientôt et Carlisle nous entraîna à l'intérieur de la maison. J'eus un dernier regard pour Santiago qui repartait en marchant. Avait-il senti sur moi l'odeur du vampire tué par les Quileute ?
« Qu'est-ce que j'ai raté ? » leur demandai-je sans pouvoir en regarder un dans les yeux.
« Tellement de choses ! m'accapara alors Alice. Les Beatles, Kennedy- »
« Tu nous as manqué ! » me sauva Emmett, en m'entraînant dans les bras de ma créature.
« Vous m'avez tous manqué aussi. » répondis-je en la serrant plus fort que jamais.
« Tu as su leur résister, ils ne sont peut-être pas si terribles que ça. » remarqua Emmett en fixant exagérément mes prunelles dorées.
« Je leur ai tenu tête, je ne suis pas certaine que ça soit dans notre intérêt. »
Je désignai le chemin où Santiago avait disparu.
« Le garde des Volturi reste à distance, c'est la première fois que nous le revoyons aujourd'hui. » m'apprit Jasper.
« Il ne m'a rien dit, il m'a juste suivie jusqu'ici, précisai-je. Carlisle, qu'as-tu dit à Yale ? Pour expliquer mon départ. Tu crois que je peux reprendre à la rentrée ?
« J'ai dû expliquer que tu t'étais mariée et que tu avais eu un enfant. » m'apprit-il.
Tous les autres vampires pouffèrent de rire. Je n'en revenais pas, était-il fou ?
« C'est une blague ? » fulminai-je.
« Que voulais-tu que je dise ? Que tu as été enlevée et retenue captive durant deux ans en Italie par des vampires ? »
« Carlisle, comment veux-tu que je prétende être mariée et être mère de famille ?! »
_oOo_
New Haven, Connecticut, 1969
« Ces jeunes gens vont s'adonner à la drogue, il faut un médecin sur place, je vais pouvoir aider Carlisle. » m'enthousiasmai-je avant de réaliser que mon attitude n'était pas appropriée.
« Je suis sûr qu'elle veut aller au festival de Woodstock pour la musique. », se moqua Emmett.
« Et pour la drogue ! » ajouta Rosalie.
« Vous êtes tous les bienvenus, nous ne serons pas de trop pour aider, je pense. » insista Carlisle
« Non, merci » lâchèrent les deux autres couples
« Je vous préviens, si je reviens et qu'il y a ne serait-ce qu'un bibelot est cassé, une fenêtre remplacée sans me le dire, comme le mois dernier, ou une plante du jardin abimée, … » menaça Esmé sans terminer sa phrase.
« Oui, maman ! »
Vous avez eu peur pour Edward ? Non, il ne s'agissait pas de notre Edward, mais d'un vampire qui s'appelait aussi ainsi !
