Tract # 4 : Un jeu d'enfant.

Le lendemain au studio, Shuichi mâchait nerveusement les bâtonnés de bonbon rose, l'esprit égaré dans de sombres pensées, la tête soutenue au creux de ses mains. Lorsque Hiro entra dans la pièce, il compris immédiatement dans l'attitude de son ami que quelque chose le perturbait. Il ne pouvait continuer à affirmer que c'était son soit disant manque de confiance en lui. Non, Hiro savait que c'était bien plus profond et qu'une seule chose pouvait en être la cause comme à chaque fois qu'il l'avait surpris ainsi.

Que t'arrive-t-il encore ? Lui lança-t-il sans même prendre la peine de le saluer.

Shuichi lui décocha un regard vague, sans intérêt et continua de regarder par la fenêtre.

Shuichi ! Répond moi ! Insista son ami. C'est encore à cause de Yuki.

A l'énonciation du nom de son amant, le jeune homme porta d'avantage d'attention au guitariste. Il soupira et se calla dans le siége. Ils se connaissaient par cœur et ne se cachaient jamais rien. A quoi bon chercher à le lui dissimuler.

Yuki me cache quelque chose. Avoua le jeune homme. Il m'a menti à plusieurs reprises alors qu'il ne le fait jamais.

Ce n'est pas la première fois qu'il te dissimule une partie de sa vie. Rétorqua Hiro sans ironie ou méchanceté.

Non, c'est différent. Il ne m'avait rien dit sur son passé et ne rien dire n'est pas mentir, mais cette fois ci il me ment vraiment.

Raconte-moi. Insista son ami.

Alors Shuichi lui raconta le rendez-vous surpris au restaurant puis la visite quasi certaine chez eux.

C'est tout de même bien maigre. Remarqua Hiro. Il faudrait plus de preuve.

Pour moi c'est suffisant. Je crois…J'ai peur qu'il ne me trompe avec…elle. Annonça-t-il avec difficulté avant d'enfouir son visage au creux de ses coudes, les larmes aux yeux. Après tout Yuki a déjà eu des aventures avec des femmes bien avant que je ne sois avec lui. Rappela-t-il.

Tu doutes de ses sentiments ?

Je…Hésita Shuichi. Non, je pense qu'il est sincère mais peut-être s'ennui-t-il avec moi, peut-être a-t-il besoin d'autre chose. Il s'est sans doute lassé de moi. Je ne sais pas, c'est difficile, je me sens perdu, Hiro. Je ne sais pas quoi faire et je ne pourrais jamais lui en parler en face. J'aurais trop peur de le mettre en colère si toute fois ce n'est pas ça.

Donc il faut que tu en sois sûr avant tout. Annonça Hiro une pointe d'espièglerie dans la voix.

Intrigué, Shuichi releva la tête et le fixa. Hiro lui fit un clin d'œil et lui expliqua son idée.

Avec son aide, Shuichi parvint à convaincre K., bien que suspicieux, et Sakano de proposer sur leur nouvel album une piste uniquement instrumental. Fujisaki trouva l'idée excellente, enfin il pourrait s'en donner à cœur joie et appliquer sans limites son talent. Grâce à cela, Hiro espérait gagner un peu de répit pour permettre à Shuichi de se concentrer uniquement sur Yuki.

La deuxième partie de son plan consistait à observer Yuki dans ses moindres faits et gestes, quitte à le suivre dans ses déplacements. L'occasion leur en fut donné quand Shuichi découvrit, dans la corbeille à papier du bureau, un bout de papier à moitié brûlé où était griffonné une date, une heure et un lieu de rendez-vous. Lui et Hiro allaient l'espionner.

Ils se donnèrent un point de rencontre à quelques pas de l'endroit où Yuki devait se rendre. Lorsque Hiro arriva, il eu un sursaut et pris un air dépité en voyant l'accoutrement de son ami.

Tu n'as rien trouvé de plus discret !

Surpris par la remarque, Shuichi se mira dans la vitrine d'un magasin : pour l'occasion il avait ressorti son vieux costume de chien. Il se tourna vers Hiro et haussa les épaules, celui-ci lui toucha le nez de l'index.

Vas te changer, imbécile. Il te reconnaîtra sans peine avec ça !

Shuichi lui sourit en se frottant la tête.

J'ai pensé que c'était le bon moment pour le mettre. Avoua-t-il.

Il n'a décidément pas l'esprit pratique ! Pensa Hiro. Il l'entraîna dans une boutique de vêtement où il lui fit acheter un grand parqua beige accompagné d'un chapeau et de lunette noire.

Voila qui est plus pratique et plus avisé. Affirma Hiro fier et sûr de lui.

Le lieu de rendez-vous était un petit café huppé dont les tables, s'alignant sur le trottoir, rappelaient le pur style français des cafés parisiens. Yuki y était déjà et attendait la jeune femme. Les deux complices s'installèrent à quelques tables de lui, suffisamment prés pour entendre leur conversation et suffisamment loin pour ne pas attirer son attention. Ils prirent une consommation et firent mine de la boire avec lenteur, enfin la femme arriva et ils tendirent l'oreille.

Tu es en retard. Lui fit remarquer patiemment Yuki.

Toutes mes excuses. Je ne suis pas encore accoutumée à cette ville, je me suis un peu égarée.

De sa position, Shuichi ne pouvait distinguer que le visage de la femme, Yuki était de dos. Il voyait à présent très nettement qu'elle était européenne, et au vu de son accent probablement américaine. Elle se leva et se pencha vers Yuki pour l'embrasser, les muscles de Shuichi se contractèrent, il ne pouvait le supporter et détourna les yeux. Il ne fixa à nouveau le couple que quand il entendit la voix suave et profonde de Yuki s'élever.

Alors ? Comment cela se présente-t-il ? Demanda-t-il.

Plutôt bien. Il me reste encore pas mal de détaille à régler mais tout se passera comme prévus, ne t'en fait pas, ce sera parfait.

Excellent.

Cependant, il me faudrait encore quelques éléments. Est-ce que je pourrais repasser chez toi ?

Non, je regrette. Il commence à avoir des soupçons.

Oh ! Fit-elle. Il est perspicace. Admit-elle amusée visiblement.

Et pour une fois au mauvais moment. Rétorqua Yuki.

S'en était trop ! Shuichi laissa des pièces sur la table et se leva suivit de prés par Hiro. Il marchait vivement, droit devant lui, les yeux baissés pour ne s'arrêter qu'à quelques rues plus loin sans prévenir. Il resta ainsi, sans bouger, sans prononcer un mot. Ce ne fut que quand il vit son corps parcourut par un spasme qu'Hiro comprit qu'il pleurait. Sans le prévenir, il le prit dans ses bras et lui frotta tendrement le dos pour le consoler, pour lui certifier qu'il était là et qu'il pouvait compter sur lui. Pourtant, en lui, il s'était juré de le lui faire payer. Une fois de trop, il avait a nouveau fait couler les larmes de son meilleur ami. Il ne le laisserait pas s'en tirer à si bon compte.

Il réussit à convaincre Shuichi de venir dormir chez lui ce soir là. Il ne devait pas encore laisser Yuki se douter de ce qu'ils avaient découvert, ainsi, par téléphone, Shuichi prétexta des répétitions pour leur nouvel album pour ne pas rentrer chez lui. Pendant ce temps Hiro irait rendre visite à l'écrivain et réglerait ses comptes.

Lorsque Yuki ouvrit la porte et découvrit Hiro, la lumière se fit dans son esprit, il compris que quelque chose s'était passé et se doutait de ce qu'avait bien pu penser Shuichi.

Tu viens pour me dire de le laisser tomber. Lui annonça-t-il calmement en l'invitant à rentrer.

Bien que bouillant intérieurement, Hiro parvenait à se maîtriser. Il attendait des explications.

Est-ce que tu le trompes ? Lança-t-il froidement, les muscles de la mâchoires serrés pour éviter des lui hurler dessus.

C'est ce qu'il crois ?

Oui.

Je vois.

Yuki se servit un verre de Whisky et s'installa sur le canapé en allumant d'un geste mécanique une cigarette.

Et toi qu'est-ce que tu crois ?

Je crois ce que j'ai vu et je ferais ce que j'ai à faire. Je te l'ai dit s'il a d'autre raison de pleurer que de sa propre naïveté …

...Je ne te le pardonnerais jamais. Termina Yuki.

Hiro affirma de la tête, il gardait les poings serrés prés à le frapper.

Tu l'aimes, n'est-ce pas ? Demanda soudainement Yuki en tirant sur sa cigarette.

Oui. C'est mon meilleur ami.

Je ne parlais pas de cela. Le coupa l'écrivain. Tu l'aimes d'amour, non ? Shuichi me l'a raconté un jour.

Surpris, Hiro détourna les yeux.

Oui. Mais maintenant je suis avec Ayaka. Je l'aime tout autant.

Dans ce cas, tu comprendras plus facilement ce que je vais t'expliquer. Annonça Yuki.

Quand Hiro ressortir de l'immeuble pour enfourcher sa moto, il avait le cœur léger et soulagé. Ainsi donc c'était cela toute l'explication. Fort bien, il n'interviendrait pas et laisserait les choses se faire d'elles même. Il valait mieux. C'était encore la meilleure solution et la meilleure décision à prendre après tout.