Le titre du chapitre est calqué sur celui d'un roman de Marcia Davenport « My brother's keeper » (« les frères Holt » en français). Un livre exceptionnel, superbe, un frère qui entraîne l'autre dans sa folie.
Fenice Et bien oui, les dementors parlent.. je ne vois pas comment j'aurais pu les gérer autrement… à coup de borborygmes, style guerre du feu ? Un défi que je ne me voyais pas relever. Et puis pour Gn1-2 qui devient humain, la parole et les mots étaient indispensables : comment se penser soi-même sans mots ?Je suis même allée enquêter sur un forum de discussion ! et la réponse était oui, les dementors parlent, je ne sais plus quel est le passage qui tendrait à le prouver, mais apparemment il y en a un. Enfin tu te doutes que si la réponse avait été non, je serais passée outre de toute façon !
J'ai aussi imaginé qu'ils portaient des tuniques de nuit pour dormir…
Léna Un coup de pied… pour faire place nette pour mes élucubrations alors !
Fée Manipulée par un dementor, une chope de cervoise tiède, ou même chaude, se met immédiament à bonne température… c'est le bon côté de la chose…Astorius Non, jen'ai pas marre de mes deux agités, maisj'avais envie d'imaginer ce qui pouvait bien se passer du côté Azkaban, quel pouvait en être le fonctionnement pénitentiaire, administratif, quelles étaient les relations (sic) entre gardiens et prisonniers… Et puis Azkaban, cette construction entourée de mer, ça ne pouvait que me tenter.
Quant aux noms, ils ne sont pas à coucher dehors, ce sont des références…
Précision géographique – je m'imagine très bien Azkaban situé à l'emplacement de l'archipel de Saint Kilda, "les îles du bout du monde" situées au 57° 48' Nord et 8° 35' Ouest, dans la zone météo de Hébrides. Un endroit qui prend de plein fouet les dépressions de l'Atlantique.
Pour aujourd'hui, flash back, tête-à-tête entre Gn1-2 et sa prisonnière (ce n'est évidemment pas Bellatrix…)
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Le gardien de ma prisonnière
La sensation de froid … il la connaît maintenant, la sensation qui attrape les humains quand il s'approche d'eux. Il pressent que bientôt il va trouver horrible de propager cela, ce froid mortel. Horrible, encore quelque chose de nouveau, encore quelque chose d'humain ? tout ce qu'il a récolté de ses prisonniers et qui est resté en lui, mais qui n'aurait pas dû.
Cela a commencé lorsque 666, un jour où il avait décidé de reprendre ses troupes en mains, en l'occurrence de s'occuper de remplir le fameux tableau de services, car il pique une crise d'autorité environ une fois toutes les quinze jours, lui avait assigné la garde de Snows, Eleissa, une nouvelle arrivante, au mépris de toutes les procédures qu'il était pourtant chargé de faire respecter.
Mais bon, c'est Gn1-2 qui lui était tombé le premier sous la main. Et ses frénésies d'autorité étaient tellement élusives qu'il devait les satisfaire rapidement – donc là, il n'avait très clairement pas le temps d'attendre de trouver un autre sbire.
C'est comme cela qu'une fiche rouge s'était retrouvée à l'intersection de la colonne Snows, Eleissa et de la ligne Gn1-2.
Alors que c'était une erreur de distribution, elle aurait dû être confiée à un gardien moins expérimenté, un junior.
Gn1-2, lui, avait déjà deux ans d'Azkaban à son actif, un excellent dossier, faisant état d'une progression régulière. Mais bien sûr, tout cela n'était que du pipeau.
La réputation d'Azkaban ne reposait-elle pas sur l'excellence de ses gardiens ? Quelle satisfaction pour Fudge que de lire, dans tous ces compte-rendus excellents et ces notations exceeded expectations (vérif) la preuve indubitable que les gardiens d'Azkaban étaient les meilleurs et que la communauté magique pouvait dormir tranquille.
Et puis, était-ce elle qui avait déclenché tout cela, ou lui, est-ce qu'il y avait dès le début, quelque chose qui ne tournait pas rond avec lui ?
Donc, 666 l'avait désigné, et cette simple procédure de routine allait le faire se glorifier de sa propre importance pendant les deux jours à venir. Il l'avait fait venir dans son bureau, situé très loin des quartiers des gardiens, et des cellules des TSA, au dernier étage de la forteresse, où il aurait pu avoir une vue superbe mais bon, sa pièce n'avait pas de fenêtre.
Car la vue superbe sur la mer, l'eau à en perdre la vue, l'océan tel un ironique symbole de liberté absolue, 666 s'en fichait, la beauté de la nature et les émotions qu'elle générait lui étaient incompréhensibles.
Pour 666, comme pour tous les dementors, la mer était juste un truc autour d'Azkaban, comme une barrière, une matière fourbe et dangereuse, qui changeait sans arrêt de couleur et de forme, et surtout un espace sur lequel ils étaient impuissants, impossible d'y propager froid et obscurité… ce truc là était rebelle au pouvoir des dementors. Quand il se mettait à y penser, il frissonait de dégoût et aussi du sentiment de ses propres limites, mais ça, c'était pas la peine de le clamer sur les toits. Donc heureusement que son bureau était une pièce aveugle.
Simplement, l'important, c'était d'être tout proche du directeur, car c'était la façon de marquer son territoire.
Et puis, il savait que la vue était époustouflante, car tous les visiteurs le faisaient remarquer à Trixos Périlogue. Combien de fois l'avait-il entendu – Quelle vue magnifique ! ou – Vraiment exceptionnel – ou encore – On est vraiment en pleine mer ici. Périlogue souriait, mais sans en rajouter… de toute façon, on savait jamais ce qu'il pensait, celui-là… Un drôle de numéro. Son bureau, situé encore un peu plus loin des cachots que celui de gardien-chef, disposait de larges baies orientées d'est en ouest. Les jours où le ciel se maintenait dégagé du matin au soir, Périlogue baignait dans le soleil. Et, pour lui, Azkaban se transformait presque en jardin des délices. Encore un truc que 666 avait entendu un visiteur dire… cet espèce de connard de saleté de fouine d'Ohnsetz. Périlogue s'était raidi, comme si l'autre con venait juste de lui foutre un pain en travers de la tronche.
Mais avant que 666 consente à remettre à Gn1-2 le dossier de la prisonnière, il avait fallu qu'il l'écoute pérorer pendant une bonne vingtaine de minutes, sur son autorité, la façon dont il manageait ses équipes (ça, c'était un mot de Périlogue), et ses plans pour améliorer les process (pas à se demander d'où lui venait toutes ces brillantes idées auxquelles il était persuadé ajouter une couche de lvernis en les faisant passer par sa bouche…).
En fait, Gn1-2 avait été sur le point de lui faire remarquer que, côté process, il y avait effectivement du boulot à faire – Eleïssa Snows était arrivée il y avait 8 jours ici et aucun gardien ne lui avait encore été affecté. Autant dire que, techniquement, elle aurait pu s'échapper, elle aurait même pu nager jusqu'aux côtes de l'Ecosse, si elle savait nager, évidemment, mais bien sûr elle ne l'avait pas fait, les prisonniers étaient tellement tétanisés par cette prison et sa réputation qu'ils adhéraient immédiatement à son foutu système : on ne s'échappe pas d'Azkaban.
Enfin, 666 avait sorti le dossier et en avait donné lecture à Gn1-2…. Il essayait de prendre une voix blasée, à la Périlogue, mais il n'arrivait pas à faire taire la satisfaction de soi qui constituait son fonds de commerce. Sa voix se rengorgeait, et lui se pavanait derrière son bureau, ouvrant le dossier avec componction, feuilletant la partie B, en redressant légèrement le cahier afin de bien faire comprendre à Gn1-2 que tout cela débordait, et de beaucoup, ses compétences.
« Bien, je vous livre uniquement les éléments dont vous avez besoin, quant aux autres, le dossier B, la partie confidentielle, vous n'y avez pas accès de toute façon. »
Là, il se trompait, encore. Il existait tout un réseau parallèle, animé par une poignée de gardiens qui, en plus d'être astucieux, s'emmerdaient ferme à Azkaban et n'avaient aucun scrupule. Et quand l'absence de scrupules télescopait l'impéritie de la hiérarchie, les résultats étaient conformes à ce à quoi on pouvait s'attendre – tous les gardiens connaissaient toutes les informations censément confidentielles de tous les prisonniers.
En fait, le problème de 666 était qu'il s'était fait parachuter à Azkaban il y avait six mois, une sorte de sinécure après ses années de service, qui lui avaient pas mal amoché le portrait, il fallait bien le reconnaître, mais qu'il n'avait aucune des compétences requises pour tenir en main une si fine équipe. Seule sa place dans la hiérarchie lui importait, et surtout pas ce qui se passait en dessous. N'avait-il pas des subordonnés pour s'occuper de ces peu valorisantes tâches de gestion ? Et au-dessus de lui, Périlogue – NDNT – raisonnait exactement de la même façon.
« Donc le nom Snows, prénom Eleïssa, âge 25 ans, domiciliée à Christmas Pie, Remdon Street, 54. L'adresse d'une tante, en fait Snows, Janet, 45 ans, célibataire. Déjà inculpée, 10 mois d'emprisonnement en établissement conventionnel, il y a 5 ans. Chef d'inculpation : vol de substances magiques réglementées dans un échoppe spécialisée, avec recel et revente à des réseaux douteux. Bien, bien , telle tante, telle nièce,
(cling cling - les dents)
car le chef d'inculpation de la jeune, cela ne saurait surprendre, est exactement le même. »
666 appuie lourdement sur chacune des syllabes.
« Exactement le même. »
Il adore les situations prévisibles, les cas déjà vus, où on ne risque pas de se tromper…
« Plusieurs interpellations, quelques jours d'emprisonnement parfois, parfois aussi relâchée sans suite…. Plutôt bizarre, ça, par contre… par moment, on se demande vraiment ce que foutent les aurors ! Enfin, paraît qu'ils ont des consignes… ne pas encombrer les cellules… des consignes pfff.
Bon, je reprends.
Un enfant, 2 ans, père inconnu.
Bien, du menu fretin, tout ça. 18 mois, elle a fini par se faire choper… ils ont considéré que c'était de la récidive, à cause de la tante. »
Puis, il manque s'étrangler en lisant la date de début d'incarcération, qui est fausse, soit dit en passant …quelqu'un a déjà dû essayer de rattraper le coup en rajeunissant la date d'arrivée de la fille de trois jours.
« Sang de licorne, qu'est-ce que ça veut dire ? La fille est là depuis cinq jours et aucun des abrutis que j'ai sous mes ordres n'a été fichu de s'en occuper ? Mais qu'est –ce que vous fichez donc de vos journées, corne de bouc ? »
La colère lui fait abandonner le vouvoiement hautain à la Périlogue.
« Toi, rappelle moi le ratio gardien / prisonnier ? Alors, ça vient, j'attends ! »
Il se met à agiter le dossier sous le menton de son subordonné. Gn1-2 en profite pour se reculer légèrement, s'octroyant le minuscule plaisir de différer encore un peu sa réponse.
« Un gardien pour vingt prisonniers.
– Et voilà, ex-acte-ment, c'est exactement ça, un gardien pour vingt prisonniers… »
666 exulte, Gn1-2 soupire discrètement, et voilà, il va encore entonner son grand numéro le meilleur ratio et vas-y donc, même Périlogue a renoncé depuis longtemps à tout cela.
« Le meilleur taux d'encadrement, parfaitement, j'espère que tu écoutes quand je te parle, te rends-tu compte de la chance que tu as, de travailler dans des conditions aussi confortables.
– Avec vue sur la mer ?
– C'est quoi ça, avec vue sur la mer ? Ne fais pas ton malin avec moi, Gn1-2, as-tu perdu de vue que tu ne passeras jamais 4.1 si tu continues dans cette veine ! Vue sur mer, t'en foutrais moi, maudit insolent. »
666 furieux, se lève, contourne son bureau, et lève la main sur son gardien, la laissant suspendue, hiérarchique et menaçante, au dessus de son crâne. Gn1-2 se demande s'il doit jouer la carte de la repentance - faire le dos rond – pour éviter le coup ou continuer sur son élan provocateur - défier 666 en levant la tête vers lui. Et la voie médiane, qu'est-ce que ça pourrait donner avec cette baudruche qui veut jouer au plus fort ? Rien non plus sans doute.
Et voilà, 666 est arrivé au bout de ses capacités de chefaillon, il rabaisse sa main, va se rasseoir et reprend la lecture du dossier.
« La condamnée servira sa peine dans une cellule du niveau zéro, sauf s'il devait en être décidé autrement. Bon évidemment, sauf si… c'est malin ça ! »
666 recommence à se trémousser de fureur
« Mais enfin, tu t'imagines comme tes collègues de Goulagsnoïé, avec 100 prisonniers, voir plus à vidanger chaque jour !
Je peux t'assurer qu'ils en ont plus que leur dose, de ces foutus souvenirs de toutes les vermines de Russie, toujours à cavaler du matin au soir, dans leurs couloirs de glace, tu sais quel est leur temps de service ? C'est pas du 6-22 comme vous, fichus fainéants, c'est du 4- 24. Tu vois c'que ça donne comme temps libre, au bout du compte ! »
Il frappe du poing sur la table, le dossier sursaute, un lambeau gris se détache de la main qui vient de frapper. 666 se calme tout d'un coup.
« Ah, merde, merde, encore un ! »
Gn1-2 laisse passer quelques secondes, car c'est assez amusant de voir 666 s'affoler sur ce foutu lambeau, puis, faussement compatissant
« Faut que vous vous ménagiez 666 ! Il ne va plus vous rester que les os si vous continuez à ce rythme. »
Gn1-2 est sûr et certain que 666 ne va pas relever l'insolence, tout occupé qu'il est à examiner soigneusement le lambeau qui vient de se détacher, comme s'il y cherchait une tâche suspecte, le symptôme de quelque chose d'anormal qui serait venu le happer par la main.
« Allez, passez moi le dossier, je commence tout de suite avec la fille, et vous, allez voir M7-32, il va vous remettre ça en ordre…" »
Il se lève, tire doucement sur les papiers, pour les dégager du coude de 666 le dossier de service, pas le confidentiel, encore qu'il y ait fort à parier que l'autre ne s'apercevrait de rien, et attend, protocolairement, que son chef sorte du bureau, avant de lui emboîter le pas.
Il jette un coup d'œil sur les papiers, Snows, Eleïssa, substances magiques réglementées, vol, recel, un enfant de 18 mois… un enfant ? Ah oui, un petit. Gn1-2 se demande s'il y a beaucoup à vidanger sur un enfant, moins sans doute, comme ils sont plus petits.
Il arrive dans la salle de service, se dirige vers le tableau, Snows, cellule 0-19, il installe sa fiche rouge dans l'encoche. Allez, c'est parti.
La fille est allongée sur le châlit, les mains serrées si fortement l'une contre l'autre que les jointures ont pris une teinte presque phosphorescente dans le noir de la cellule ; Gn1-2 claque la porte. Elle se redresse brusquement, ses mains se séparent, elle se retourne et doit le deviner dans l'obscurité. Et comme ils le font presque tous, elle court se réfugier dans le coin le plus éloigné de la basse-fosse, tout contre le mur gluant d'humidité alcaline, regardant dans sa direction avec des yeux fascinés et horrifiés qui cherchent à percer la noirceur.
Bon, le boulot est déjà à moitié fait, si elle commence comme ça. Finalement, passer niveau 4.1 aurait quand même des avantages, notamment des prisonniers plus coriaces à se mettre sous la dent…
Il s'approche d'elle, elle est pétrifiée de peur et de froid, il n'a plus qu'à poser ses mains sur les épaules devant lui, si proches l'une de l'autre, qu'il doit réduire l'écartement entre ses bras. Petit gabarit, vraiment. Voilà, à partir de maintenant, il n'est plus garde-chiourme, il est un dementor tout-puissant, celui qui a le pouvoir absolu sur sa victime : son esprit est à lui. Il n'a plus qu'à se servir, comme dans un garde-manger…
Ah, pourtant elle fait semblant de résister, elle essaie de crier quelque chose, il voit ses lèvres bouger, il voit un mot s'y former : Matthew.
Matthew ?
Bon, peu importe, elle a utilisé ses dernières pauvres forces pour ça, quelle idiote, maintenant le chemin est tout tracé, il est dans son cerveau, dans sa mémoire, il cherche un peu, s'oriente et le trouve enfin, ce matériau lumineux et succulent, le bonheur que les dementors ne connaissent pas, les émotions merveilleuses qu'ils n'éprouveront jamais, ils auront beau s'en nourrir, s'en gaver, tout cela, aussi indispensable leur soit-il, ne fera que glisser en eux.
Un bourdonnement, un vertige dans sa tête, qui le fait vaciller, une sorte d'explosion qui se propage en lui…
Il repousse la prisonnière brutalement – elle va se cogner contre le mur et s'affaisse sur elle-même, protégeant son visage et ses yeux de ses genoux et de ses bras.
Gn1-2 ouvre précipitamment la porte, et quitte la cellule, presqu'en courant. Il parcourt quelques mètres à la même allure, heureusement, aucun gardien dans cette section de couloir pour s'apercevoir de son trouble.
Il s'appuie au mur courbe, il frissonne, quelle drôle de réaction.
Les frissons, qui agitent sa tunique et les os de ses épaules et puis aussi, au milieu de lui, une pulsation est apparue, sur un rythme obstiné et persévérant, et c'est tout aussi bien un rythme inédit que l' écho de choses qui ont existé.
Qu'est-ce que je suis en train de faire ? et qu'est-ce que je suis en train de penser, je ne suis pas prévu pour penser comme ça ?
Doit-il aller voir M7-32, à son tour, afin de se faire examiner, et s'il est malade, il pourra se faire dispenser de services et ainsi il aura de temps pour se remettre de cette étrange expérience, de cette chose qui est venue le solliciter. Mais ce serait risquer de rencontrer 666. Et peut-être M7-32 en conclurait-il qu'il est devenu inapte au service et alors ou l'enverrait-on ? Est-ce un secret qu'il serait dangereux de dévoiler ? Mais pour le moment, il lui semble impossible de continuer sa tournée, si ça recommençait ?
Il décide finalement d'aller passer la reste de la journée dans son coin privé. Chacun des gardiens s'est aménagé le sien, qui lui permet d'échapper aux tâches qu'il n'a pas envie d'effectuer – à Azkaban, il suffit de ne pas se montrer pour se faire oublier.
Gn1-2 se redresse et entreprend de descendre le couloir en spirale, qui, tel un gigantesque nautile mi-émergé, mi-immergé, dessert tous les endroits d'Azkaban - bureaux, celliers, salles aussi bien que cachots.
Il descend jusqu'au niveau TSA, dans le silence bruissant de la mer, passe la dernière cellule, la plus sordide, la plus enfouie, celle qu'on appelle l'oubliette et qui pour le moment abrite le fameux Gargamolle, continue encore sur quelques dizaines de mètres, sur lesquels la pente devient subitement plus abrupte et soudain le chemin se redresse. Il est maintenant à 30 mètres de profondeur sous la Manche, le niveau des fondations d'Azkaban, le niveau du plateau continental dans cette zone de relatifs hauts-fonds. Les murs sont luisants de l'eau qui circule derrière eux, cette mer qui est à la fois une protection et une menace pour la forteresse, amie en surface, ennemie en profondeur – c'est ce que Périlogue lui avait déclaré un jour, il ne sait plus trop à quelle occasion.
Dans le mur, à intervalles pas vraiment réguliers, car tout cela a été aménagé à la va-vite, des sortes de cavités. C'était une idée de Von Schlass, l'ancien directeur, creuser comme un genre de chambres-fortes, dont l'accès aurait été protégé par une puissante herse en plus de divers sorts. Une quantité de rumeurs circulent régulièrement parmi les gardiens sur l'usage auquel ses cavités étaient destinées à l'origine, trésors de familles de magiciens antiques, documents ministériels, manuscrits vénérables débordants d'étranges et terrifiantes formules … en tout cas, rien de si important que le projet de Von Schlass ne soit tombé aux oubliettes – la blague favorite de Ex10-22.
Comme il s'y attendait, deux espaces sont occupés, dans l'un dort Jb13, et dans l'autre il aperçoit brièvement, moitié assis, moitié allongé, Nb6-2 en train de vider une chope de cervoise. Averti par le bruissement de la robe de son collègue, il jette un coup d'œil dans le couloir.
« Tiens, Gn1-2 , tu m'amènes du ravitaillement ? »
Il donne un coup de pied nonchalant dans une grande cruche de grès noire, qui sonne creux, indiquant qu'il l'a déjà vidée. Gn1-2 répond simplement non ; sans attendre la réaction de son collègue, si tant est que l'autre n'ait pas déjà oublié sa question, il continue sa progression – son alvéole à lui est presque tout au fond du couloir, à quelques mètres des gigantesques moellons qui marquent la fin d'Azkaban.
La dernière cavité n'est pas attribuée, les gardiens pensent qu'elle est envahie d'une sorte de mauvais sort, Gn1-2 lui, qui a toujours eu du mal à souscrire aux mêmes aberrantes angoisses que ses collègues, se demande si elle n'est pas celle que Périlogue se serait réservée.
Il s'installe, d'abord assis, et puis il s'aperçoit que ce n'est pas la bonne position – alors il se met sur le flanc, remonte ses genoux et essaie de ne plus penser à rien. Mais c'est impossible, rien n'est comme cela doit être d'habitude pour un dementor après une vidange, il se ne sent pas rassasié, et pourtant il ne se sent pas non plus ULD. Il y a cette chose qui bat et se débat et s'agite et pulse en lui. A vrai dire, il ne s'est finalement jamais senti si loaded, rempli, alors qu'il n'a pas l'impression d'avoir beaucoup pris à la fille.
Loaded unloaded, la routine habituelle, mais là, c'est autre chose.
Il essaie de se laisser aller, il se rapproche du fond de l'alvéole, colle son oreille contre les blocs de granit, il entend le bruissement de l'eau qui brasse la pierre. Il sait que de nombreux prisonniers font cela, M7-32, le plus vieux d'entre eux, 50 ans qu'il traîne à Azkaban, et qui a réussi à apprendre certaines choses, lui a révélé qu'ils écoutaient ainsi le son de la liberté.
La liberté, Gn1-2 voit à peu près ce que ça peut être, c'est le mot par lequel on clôt certains dossiers – Prisonnier remis en liberté. Donc la liberté, ce n'est plus l'affaire d'Azkaban, c'est le contraire d'Azkaban. Et il sait que ça leur fait du bien, parce qu'ensuite, il récupère des souvenirs de ce bruit d'eau frottée contre la roche.
Alors aujourd'hui, il essaie de faire comme eux, peut-être va-t-il comprendre ce qu'il lui arrive. Il finit par s'endormir, l'oreille collée au mur. Il entendra vaguement Nb6-2 s'approcher de lui, lui taper sur l'épaule et lui conseiller de ne pas manquer la revue du soir, au cas où elle aurait lieu. Il percevra le bruit des dents qui s'entrechoquent, il marmonnera à l'autre « Fous moi la paix », et ne s'en occupera plus.
Au bout d'un moment, il aura l'impression que l'eau chuinte Matthew, Matthew dans sa tête. Quand il se réveillera pour de bon, la première chose qu'il vérifiera sera la présence de la pulsation en lui. Mais sans doute sa disparition aurait rendu les choses plus simples…
Après il se relève d'un bond rapide ; en passant, il s'assure qu'il n'y a plus personne dans les cavités, il remonte tout le couloir en cavalant, merde, si la revue du soir a commencé, qui va se faire savonner le crâne ?
A moins que 666 ne soit définitivement tombé en lambeaux ? Il a atteint la porte de la salle de services, il prête l'oreille, rien de remarquable, du moins pas les habituels criaillements de 666, dans ses dérisoires tentatives de s'imposer à ses troupes. Mais comment pourrait-il y arriver, celui-là qui ne parvient pas à leur inspirer de la peur - la seule aune à laquelle les dementors mesurent l'autorité qu'on cherche à leur imposer ?
Il ouvre brusquement la porte, pas envie de se faufiler comme un rat parmi les autres. C'est réussi, tous les gardiens le regardent ,mais 666 n'étant pas là, chacun retourne à ses occupations – cervoise et magic poker. Nb6-2 consent tout de même à lever la tête de son jeu de carte et à lui lancer d'un ton goguenard :
« Reporté, on a ordre d'attendre jusqu'à 20 heures, j'espère que t'es pas trop déçu ? »
Bien, donc la revue du soir n'a pas eu lieu, cette histoire de lambeaux a vraiment dû mettre la tête à l'envers à leur chef. Gn1-2 s'approche du tableau de service, sans que personne ne fasse semblant de le remarquer…
Il reprend toutes ses fiches de la journée et note soigneusement sur chacune l'heure à laquelle il était censé passer voir le prisonnier concerné. Et voilà comment on aligne la réalité sur la théorie – un simple jeu d'écritures… A peine s'il remarque le coup d'œil complice de Jb13.
Pour éviter de trop se faire remarquer, il s'oblige à s'asseoir parmi ses collègues, il hèle Pandora qui passe justement par là et lui demande une chope de cervoise. Il essaie de suivre une partie, se joignant aux commentaires habituels.
Alors qu'il n'a maintenant plus qu'une envie : retourner voir Snows, se surprenant à espérer qu'elle n'ira pas se cacher dans un coin de sa cellule en le voyant. Au bout d'une heure, il juge qu'il peut quitter la salle, il y a peu de chance que 666 déboule à l'heure qu'il est, et puis son service du soir commence dans une demi-heure, qui irait lui reprocher de faire du zèle ?
