Bonne lecture (et pour vous appâtez, sachez que je vous parle de Sirius en fin de chapitre…)
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La torche dérobée
Pendant quelques jours, ses visites à Eleïssa se déroulèrent sur le même rythme tranquille – ils se disaient bonjour, il s'asseyait à côté d'elle, on aurait dit que rien ne se passait pendant quelques minutes, mais Gn1-2 devinait vaguement que la prisonnière avait besoin de ces minutes pour se réhabituer à son terrible aspect, puis, elle lui disait qu'elle était prête et il se tournait vers elle, et il découvrait, sans toujours bien le comprendre, ce qui rendait les humains heureux.
Un jour, alors qu'il s'apprêtait à la quitter, elle l'avait retenu, en tirant doucement sur sa manche.
« Dis-moi, gardien, est-ce que tu restes toujours en bas ou est-ce tu peux aller voir la mer et le ciel ? »
Il constatait qu'elle parlait en regardant sa main pleine de la vilaine et rude étoffe noire. Gn1-2 se mit à regretter que sa manche ne soit pas brodée, comme celles de Périlogue, de 666 ou même de Mallord. Pas pour lui, mais pour elle. Pour qu'elle ait quelque chose de plus joli à regarder.
Du coup, il en avait presque oublié la question. Peut-être qu'une main et une voix, ces deux choses qui le sollicitaient en même temps, étaient de trop pour lui. Il eut envie de se dire qu'il n'y arriverait jamais.
« Tu ne veux pas me répondre ? Tu ne vois jamais la mer, ni le ciel ? »
Mer, ciel, il découvrit tout un compte avec un immense soulagement, vaste comme la mer et le ciel réunis, qu'il avait des quantités de choses à raconter.
« Les autres s'en fichent, ils ne sortent que lorsqu'ils sont obligés, mais moi, j'aime bien. »
Elle avait l'air un peu inquiet maintenant.
« Tu aimes bien quoi ?
– J'aime bien regarder, la mer, le ciel, les rochers au pied d'Azkaban. J'aime bien quand ce n'est plus Azkaban. »
Eleïssa porta sa main restée libre à sa bouche, comme si elle voulait s'empêcher de dire quelque chose de trop douloureux. Puis elle se ressaisit et lui dit
« Alors, avant de venir me voir, tu pourrais aller regarder … la mer… le ciel, et ensuite tu viendrais me raconter. »
Il était parti, palpitant et ému, chargé de cette précieuse mission, regrettant juste que la tension sur son poignet ait disparu.
Le lendemain, Gn1-2 fut le premier levé des gardiens et se rendit en toute hâte sur la terrasse. Le temps était affreux, gris le ciel et grise la mer, aussi inertes l'un que l'autre, et il crachinait. Il tourna lentement sur lui-même, faisant passer ses yeux sur l'horizon invisible, espérant trouver un bout de ciel d'une autre teinte, une déchirure bleue, ou un nuage blanc, ou noir, ou même d'un autre gris. Mais il n'y avait rien à voir . Il se demanda avec inquiétude ce qu'il allait bien pouvoir raconter à sa prisonnière.
' C'est gris' ou 'Il pleut' ou 'Il pleut et c'est gris'.
Lui avait horreur de ces jours là, le ciel et la mer perdaient toute leur immensité, et prenaient un vilain plaisir à mimer les murailles de la prison. Dehors, dedans, ces jours-là, on était pareillement enfermé. Et Pandora était d'une humeur de dogue. Il préférait à tout prendre les jours de brouillard, tellement dense que sa main tendue à bout de bras disparaissait et où il rêvait qu'il était plongé au cœur d'un gigantesque patronus qui ne lui faisait pas de mal.
Il traîna un peu dans les couloirs, en quête d'inspiration. Mais il ne voyait que des murs gris et humides. Il pressa l'allure, pris d'un soudain besoin d'entrer dans la cellule sombre et tranquille où Eleïssa attendait sa description.
Il poussa la porte et jeta au jugé, en direction de l'endroit où elle l'attendait généralement, appuyée sur le mur du fond.
« Il pleut, on ne voit rien, que du gris. C'est bête, hein, pour le premier jour que tu me demandes ça ! »
Il abaissa les yeux et la vit à l'endroit habituel. Il redit encore
« C'est vraiment moche, et si ça se tombe, ça va durer plusieurs jours. »
Et tout de suite après, il se traita d'abruti, quelle idée de lui dire cela, comme si sa vie ici n'était pas assez moche, il fallait encore qu'il en rajoute avec ses histoires de pluie interminable.
« Mais au moins il fait jour dehors ! Même s'il pleut, même s'il fait gris, au moins il fait jour ! »
Elle se mit à taper le mur avec ses épaules, les décollant et les projetant avec force sur la muraille. Et elle cria
« J'ai peur de devenir aveugle dans cette obscurité, j'ai peur de perdre mes yeux, j'ai peur de me perdre ici ! d'être là sans savoir retrouver l'endroit où je suis ! Un jour, je sais que je me toucherai et que je ne me sentirai plus ! »
Il se surprit, mais pour une fois, il savait ce qu'il allait dire, comme si il avait déjà réfléchi à toutes ces choses, avant. C'était aussi facile que brutal.
« Les autres prisonniers, eux, ils ne savent même plus que dehors il fait jour. Ils ont tout oublié. »
Sa colère était un appel, auquel elle répondit, en criant toujours, étroitement plaquée sur le mur
« Ils n'ont rien oublié, c'est toi qui leur as pris, toi et les autres !
- Les autres, tu ne les connais pas, et heureusement pour toi ! Sans cela, tu ne … «
Il eut l'impression brutale que sa voix lui rentrait dans la bouche, manquant l'étouffer au passage ; il ne pouvait pas lui dire et de toute façon il savait qu'elle savait ce qu'il n'avait pas dit – la cellule était pleine de cette menace qui pesait aussi bien sur lui que sur elle.
Il voyait la grande tâche blême immobile et maintenant silencieuse d'Eleïssa au fond de la cellule. Il entendait son souffle de dementor qui était revenu – il l'entendait et pire il obligeait Eleïssa à l'entendre. Il avait pourtant dit si peu de choses, est-ce que un seul accès de colère avait suffit à le faire retomber du côté des autres ? Il s'était donc si peu éloigné d'eux ? Cette idée lui affolait la tête. Tout cela parce qu'il pleuvait et qu'il n'avait pas su trouver les mots qu'il fallait et qu'il avait compris trop tard que même le plus dégueulasse des temps valait mieux qu'une cellule de prisonnier sans lumière. Il lui manquait tellement de mots et tellement de savoirs. Et il y avait tellement de gestes qu'il ne savait pas faire…
Il lui lança
« Je vais t'apporter de la lumière, ce soir, promis, tu ne seras plus dans la nuit. »
Il quitta la geôle et descendit vers les profondeurs d'Azkaban où il se glissa dans son alcôve et se mit à réfléchir à la meilleure façon de procéder. Les torches d'Azkaban avaient toutes été mises en place il y a fort longtemps. Et puis, elles étaient magiques, donc elles ne s'usaient pas comme les flambeaux muggles, et c'est bien là qu'était le problème de Gn1-2 – il n'y avait pas de réserve dans laquelle il aurait pu aller en piquer une !
Il passa en revue les divers endroits d'Azkaban où il y avait des torchères : le corridor enroulé qui desservait les cellules (la dernière se trouvait au niveau de la cellule de Gargamolle, seuls les dementors se rendaient au delà pour gagner leur trou et, si d'aventure Périlogue s'y aventurait aussi comme le voulait la rumeur, il devait utiliser sa baguette pour s'éclairer), la salle des gardiens, leur dortoir, la cuisine de Pandora et ses réserves, la réserve des substances… et il imaginait qu'il en était de même dans les bureaux du directeur et de son adjoint, et aussi dans leurs appartements privés.
En fait, il s'aperçut que toutes les parties d'Azakaban étaient éclairées, hormis les cellules et que la forteresse devait bien compter une bonne centaine de torches. Techniquement, il ne devrait donc pas être impossible d'en faire disparaître une, avec son support, sans que personne ne le remarque. Ensuite bien sûr, il faudrait qu'il fasse attention à ce que la lumière dans la cellule d'Eleïssa n'attire l'attention de qui que ce soit – il devrait refermer sa porte à chaque fois, en violation des règles carcérales, mais de tout façon, tout le monde s'en foutait.
Il se releva, et reprit sa tournée, passant de cellule en cellule, prenant soin de noter l'emplacement de toutes les torches qu'il voyait sur son parcours. Il était évident que dérober un flmabeau dans le corridor présentait de nombreux avantages – en choisissant bien son moment, il pourrait agir en toute discrétion, et il atteindrait rapidement la cellule d'Eleïssa , s'épargnant ainsi l'angoisse d'avoir à se déplacer avec une torche flamboyante sur une trop grande distance.
Lorsqu'il fut allé voir tous ses prisonniers, il parcourut une nouvelle fois le corridor, jusqu'à la dernière cellule, suivant la spirale descendante, marchant de plus en plus rapidement, comme s'il se faisait aspirer par Azkaban. Puis, il refit le chemin en sens inverse, la montée contre le vortex de la forteresse, contemplant longuement chaque torche, son emplacement et sa distance par rapport aux autres. Il remarqua alors avec un grand coup au cœur, que, au niveau de la cellule où était enfermée la seconde prisonnière d'Azkaban, il y avait deux torches, écartées de quelques dizaines de centimètres. L'une était accrochée sur le mur opposé à la porte de la geôle, exactement au niveau de la porte. Et la deuxième se trouvait installée dans un renfoncement que la muraille formait bizarrement à cet endroit.
Intrigué, Gn1-2 s'approcha et découvrit que le décochement correspondait en fait à une amorce de bifurcation qui n'avait finalement jamais été prolongée. De ce fait, cette deuxième torchère servait surtout à éclairer l'enfonçure, mais ne projetait qu'une faible lumière dans le couloir. Gn1-2 se dit que sa disparition passerait facilement inaperçue. Et en mettant les choses au pire, celui qui le noterait pourrait toujours en conclure que l'ordre de retirer cette torche quasi inutile avait été donné par le directeur et son adjoint.
Il s'approcha et tenta de la retirer de son support de métal… ce qu'il fit sans aucune difficulté. Maintenant la torche brûlait docilement dans sa main. Il fut tenté de la porter immédiatement à Eleïssa, il lui suffisait de remonter quelques centaines de mètres en courant. Au dernier moment, néanmoins, il réussit à retenir son impulsion et il remplaça la lumière sur son présentoir.
Bien lui en avait pris, car quelques instants plus tard, il croisait Dt4-24 se dirigeant à pas tranquilles vers la cellule de l'autre prisonnière. Le souffle court, la pulsation battant la chamade en lui, Gn1-2 lui rendit son salut. Dt4-24 ralentit l'allure, et lui jeta un long regard, placide, un peu intéressé aussi. Gn1-2 tenta une vague grimace et continua son chemin.
Il retourna sur la terrasse, y resta longtemps sous la pluie, essayant, à force d'y poser ses yeux, de faire reculer le gris autour de lui. Mais ni la mer, ni le ciel, n'avaient que faire de la débile volonté d'un dementor – ils ne possédaient rien qui puisse se prendre et se perdre dans l'appétit d'un gardien d'Azkaban.
Ensuite, il fut temps d'agir. Le service du matin était terminé, les gardiens étaient tous dans la salle de service, 666 était avec eux, Périlogue et Mallord déjeunaient et Pandora les servait.
Il bondit sur ses pieds et descendit l'escalier en courant. Juste avant d'arriver dans l'antichambre, il ralentit enfin l'allure et vérifia qu'il n'y avait personne. Il traversa la pièce et entama la descente. La deuxième torcha brûlait tranquillement, attendant Eleïssa et celui qui allait la lui porter. Il vérifia que le couloir était toujours désert ; il s'en saisit âprement et se mit à courir.
Eleïssa était roulée en boule sur son châlit, le visage enfoui dans ses bras – elle dormait. Il approcha la torche de son corps rétracté – c'était la première fois qu'il la voyait sans qu'elle le voit, c'était la première fois qu'il la voyait en pleine lumière et toutes les ombres de la pièce avaient été chassées derrière lui. Il se dit alors qu'il avait perdu du temps en haut, à rester bêtement sous la pluie froide, alors qu'ici les flammes faisaient briller gaiement les cheveux de sa prisonnière.
Il se secoua, il fallait qu'il fasse vite. Il l'appela, parce qu'il n'osait pas la toucher. Hormis en attaque, pas de contact entre les humains et eux. Il se souvenait parfaitement de cette première leçon reçue à Ankou, quand il s'était retrouvé avec tous les autres et un instructeur magicien. Et sans plus rien savoir de ce qu'il avait été avant, parce que lui, comme tous les autres, avait été vidangé (un jour, il faudrait qu'il raconte cela à Eleïssa et comment il avait appris cette chose qu'il n'était pourtant pas censé savoir). Ce qui fait qu'il était venu à cette drôle de nouvelle vie au son de cet ordre : jamais de contact, sauf en attaque.
« Eleïssa, regarde, je t'ai apporté une torche. »
Il déplaça la flamme latéralement, faisant apparaître et disparaître des zones sur le corps couché. Il se dit Je la touche avec la lumière et la pulsation se fit plus vive en lui.
Eleïssa se redressa soudain en poussant un léger cri, vite étouffé.
« Qu'est-ce que c'est ? »
Et elle se détourna tout aussitôt, abritant ses yeux derrière ses mains.
« Oh, ça fait mal, mal … Gn1-2 ne comprenait pas ; déstabilisé, il se mit à lui expliquer
- C'est de la lumière, parce que tu avais peur de devenir aveugle, tu te souviens ? je t'avais dit que je t'amènerai une torche. C'est pour toi, je vais te la laisser… dis, tu acceptes ? »
La prisonnière écarta prudemment ses doigts, à peine.
« Je n'ai plus l'habitude, après tout ce temps dans le noir, ça fait si mal. Il faut que je m'habitue.
– Tu veux bien que je te la laisse, alors ? »
Elle pivota dans sa direction, en appliquant plus fermement ses mains sur son visage.
« C'est bon, je sens la chaleur sur mes mains. Je la vois aussi, même les yeux fermés et cachés. C'est beau et blessant comme un soleil d'été. Vraiment, tu vas me la laisser ?
– Oui, je l'ai prise pour toi.
– Dis-moi à quoi elle ressemble cette lumière ? Il y a des flammes, ou c'est comme un lumos ?
– Un lumos ?
– Oui, tu dois bien savoir, quand on s'éclaire avec sa baguette ?
– Ah, oui, j'ai déjà vu. Mais là non, c'est une torche il y a une vraie flamme.
– Ah, je préfère, c'est bien plus joli. Je n'ai plus mal aux yeux, je crois que je vais essayer de regarder un peu. »
Il vit une main se décoller rapidement.
« Aïe, zut, trop tôt encore. »
Elle se mit à rire de plaisir, malgré la douleur. Gn1-2 se persuada que c'était la première fois qu'il entendait un vrai rire d'humain, un rire vocalique, pas simplement un bruit de dent. Il savait que ce n'était pas vrai, il avait déjà assisté au spectacle de magiciens en train de rire, quand il servait de garde du corps au grand juge et qu'il le suivait quasiment partout. Mais alors, ils riaient comme si lui n'était pas là, alors que là, Eleïssa riait grâce à lui, parce qu'il lui avait amené cette torche.
« Mais dis-moi, ils n'ont pas de baguette, les sorciers d'ici ?
– Il n'y a pas beaucoup de sorciers ici, deux en fait. L'adjoint lui, sa baguette il l'a toujours sur lui, mais s'il s'en sert, c'est pas devant les gardiens. Il préfère nous commander, nous ou Pandora, plutôt que de se débrouiller tout seul avec la magie. Et le directeur, je ne sais pas, je l'ai jamais vu avec… de toute façon, ils ont leur tabule.
– Tabule, qu'est-ce que c'est ? tu vois, cette fois-ci, c'est moi qui ne sais pas !
Et elle émit un nouveau petit rire, assourdi par ses mains.
« C'est une plaque de métal magique, mais je ne sais pas comment il s'appelle … en fait, les tabules, bon je ne sais pas tout, mais par exemple, c'est ce qui leur permet d'aller dans leurs appartements privés, nous les gardiens, on ne peut pas s'y rendre. Elles permettent aussi de savoir qui sont les prisonniers qui sont dans telle ou telle cellule et je crois que… »
Eleïssa l'interrompit en agitant soudain ses mains devant lui, gardant les yeux soigneusement fermés.
« Dis-moi, quel est le risque, si quelqu'un s'aperçoit que cette torche est ici ?
-Il faut que ta porte reste fermée…. Enfin, juste entr'ouverte. De toute façon, je suis ton gardien attitré, je suis le seul à pouvoir entrer ici.
– Vraiment, pas tes chefs ? »
Il fit claquer ses dents en signe d'impuissance, Eleïssa sursauta, créant un grand mouvement de lumière bondissante sur elle
« Si, bien sûr, ils peuvent venir…
- Combien le peuvent ?
– Eh bien, le directeur, son adjoint et le gardien chef. Mais, tu sais, John-Fox ne descend jamais ici, 666 considère que c'est à nous de faire le boulot, et pas à lui, lui aussi préfère rester en haut, en fait il ne descend que lorsque.. »
Il s'interrompit, il n'allait tout de même pas lui parler de cela, il devait la préserver des sordides réalités d'Azkaban et s'arranger afin que, pour elle, la prison ne soit pas plus effrayante que cette cellule et ces visites qu'il lui faisait. Il ne devait pas lui faire pressentir l'effrayante masse d'Azkaban autour d'elle. Il eut une inspiration et approcha davantage la torche d'elle. Elle plissa les yeux.
« Ça te fait toujours mal ?
– Un peu seulement. Attends, je vais me lever et quand je serai un peu plus loin, j'ouvrirai les yeux. Mais, tu restes là surtout, hein ? »
Elle se mit debout et marcha sans hésiter jusqu'au fond de la cellule – trois enjambées y suffirent.
« Ça y est, je vois, je vois la lumière sur le mur. »
Gn1-2 la vit, à moitié courbée, passer ses mains sur les pierres rugueuses, comme si elle voulait toucher la clarté dorée. Après quelques instants, elle se dressa, tourna le cou, marcha vers la porte, et, sans plus les abriter, Eleïssa leva ses yeux vers la torche que Gn1-2 tenait toujours et venait de lever à hauteur de son visage, afin de le dissimuler. Il avait placé la flamme devant son visage de dementor, et c'est sur ce mouvement souple et chaleureux qu'Eleïssa posa prudemment ses yeux encore douloureux. Et lui, de l'autre côté de la torche, regardait la même chose. Il entendit, soudainement proche, la voix d'Eleïssa.
« Eloigne la torche de ton visage, s'il te plaît. »
Il obéit sans peine et sans crainte. La flamme ne le masquait plus, mais elle avait laissé ses reflets dans les yeux et les cheveux de la prisonnière en face de lui. Et il regardait, se disait qu'il devait être pareillement regardé, et pourtant, rien dans l'expression d'Eleïssa ne trahissait une quelconque peur ou un quelconque dégoût.
« Merci, gardien. »
Elle tendit la main vers lui, et il lui abandonna la torche. Puis, la tenant soigneusement devant elle, elle entreprit de faire le tour de sa geôle, levant et abaissant la torchère, examinant les murs, les coins, le plafond, le sol. Elle passa davantage de temps à regarder la portion de mur à droite de la porte.
« Je crois qu'il faut mieux que nous l'installions ici, si quelqu'un entre, la porte dissimulera la torche. Il y a une fissure ici, ça devrait faire l'affaire. Viens voir, c'est trop haut pour moi. »
Elle lui indiqua la fissure du bout des doigts et lui redonna le flambeau. Il la ficha à l'endroit indiqué, forçant un peu, afin que la torche tienne bien en place
« Si quelqu'un s'aperçoit que… qu'il y a une torche dans ta cellule, ne dis rien surtout. Fais comme si tu n'avais plus rien dans la tête, comme les autres.
- Et toi, alors ? qu'est-ce que tu risquerais ? »
Il lui répondit, sans la regarder, faisant semblant de continuer à s'occuper de l'installation de la torche.
« Pas grand chose, je pense. Tu es un petit délit, tout le monde se fiche de ces prisonniers là, c'est les autres qui font la réputation d'Azkaban et de ses gardiens, pas les gens comme toi.
« Tu crois qu'ils te laisseraient quand même continuer à être mon gardien ? »
Ça, il n'en savait fichtrement rien. Le cas n'avait jamais dû se produire, et donc 666 ne saurait pas comment traiter un problème si inédit. Il irait voir John-Fox et avec un peu de chance, l'affaire remonterait jusqu'à Périlogue. Et alors, il prendrait le risque de lui parler de lui, de lui dire ce qu'il était devenu. Il lui dévoilerait son secret en échange de la vie de sa prisonnière. Plus il y pensait, plus il se disait que le directeur pourrait le comprendre et pourrait continuer à protéger Eleïssa d'Azkaban. Gn1-2 n'avait jamais connu un autre directeur que Périlogue, mais d'après ce que tous les autres gardiens et Pandora racontaient du précédent, Von Schlass, il était facile de comprendre que cet homme là n'avait rien à faire avec ses prédécesseurs.
Il oserait donc lui dire que Eleïssa méritait elle aussi d'être sauvée, comme ces muggles sur leur bateau en perdition. Soulagé d'avoir pu imaginer lui-même, une parade contre le pire, il délaissa la torche et se retourna vers Eleïssa, faisant un pas sur le côté afin que la lumière arrive sur elle.
« Je pense que cela ne changerait rien, ils remettraient la torche en place et puis ce serait tout. Tu sais, ici, les choses se passent souvent bizarrement. Allez, il faut que j'y aille maintenant.
« Tu reviens ce soir… quand même ? – Oui, et avant, j'irai voir s'il pleut encore ! »
Il referma la porte presque complètement et vérifia que depuis le couloir, on ne pouvait pas s'apercevoir que la cellule était éclairée. De toute façon, cette geôle était la première, et quand ils passaient à ce niveau, les gardiens étaient en route vers les cellules de leurs propres prisonniers, ou alors pressés, à la fin de leur tournée, de quitter le corridor afin de rejoindre au plus vite la salle de service. A part lui, et 666, personne ne devait vraiment savoir qui y était enfermé.
Le soir, Eleïssa lui raconta d'une voix tressautante qu'elle avait passé son après midi collée derrière la porte, épiant chaque passage dans le couloir, redoutant à chaque fois de voir sa porte s'ouvrir. Il la comprenait, car lui aussi avait craint que 666, sous le coup d'un excès de zèle ou d'une rebuffade de John-Fox, ne se lance dans une inspection des cellules. Il s'était même, l'air de ne pas y toucher, renseigné auprès de Mt24 sur l'emploi du temps du directeur et de son adjoint et le vieux gardien lui avait appris que Périlogue était à Londres et y resterait deux jours. Et il s'était arrangé passer le plus de temps possible dans l'antichambre, d'où il pouvait surveiller la portion du couloir où était située la cellule d'Eleïssa.
Pour la rassurer, il lui transmit toutes ces informations, et ajouta
« J'ai bien regardé les autres quand ils se déplacent dans le couloir et je peux te dire qu'aucun d'eux ne regarde les portes des prisonniers qui ne sont pas le sien. »
Et comme elle le scrutait d'un air sceptique
« Tu sais, ils veulent des souvenirs c'est tout, les portes, ils s'en foutent. On est pas dans une prison normale ici, c'est pas les portes qui empêchent les gens de partir. »
Il leur fallut à tous deux une bonne semaine sans que rien ne se passe d'anormal pour qu'elle et lui se rassurent au sujet de la torche clandestine. Mais déjà pendant cette période et malgré leur anxiété persistante, Gn1-2 avait pu se rendre compte de l'effet que la lumière créait entre eux, qui les avait fait sortir de l'ombre, tous deux pareillement et au même moment.
Depuis l'installation de la torche, les souvenirs auxquelles Eleïssa lui donnait accès étaient plus beaux, lui parlant de choses qu'il commençait à penser pouvoir comprendre, ils étaient comme animés d'un élan qui les portait vers lui, et qui venait toucher en lui des endroits qui ne l'avaient jamais été – ou qui n'avaient jamais existé.
La présence de la torche avait transformé la cellule d'Eleïssa en un lieu exceptionnel, une chambre secrète qui se moquait de toutes les règles d'Azkaban.
Dehors, il ne cessait pas de pleuvoir. Il allait vérifier tous les matins, et il commençait par dire cela à Eleïssa qui haussait les épaules, ou relevait une mèche ou souriait et elle et lui laissaient tomber le sujet.
Pourtant il y eut un jour, il y eut un matin, où la pluie avait cessé – le ciel était comme une tunique grise, déchirée en lambeaux que le vent agitait et, entre les lambeaux, le ciel bleu brillait. Et les vagues de la mer se bleuissaient, à l'aplomb des espaces enfin ouverts entre les nuages.
Gn1-2, joyeux et impatient, pressa l'allure en direction de sa prisonnière. Elle était assise sur son lit, tournant le dos à la porte, les bras à moitié levés et les mains ouvertes, les doigts écartés, et tout cela bougeant doucement.
Il dit
–« C'est moi » et, sans se retourner, elle l'interpella
« Regarde, tu as vu les ombres qui passent sur le mur ? C'est comme une autre qui me tiendrait compagnie. Je faisais déjà cela quand j'était petite – jouer avec mon ombre, courir après, essayer de marcher dessus, de l'attraper et de la saisir dans mes bras… ou de la piétiner ! »
Gn1-2 comprenait pour les ombres, c'était facile, là, il les voyaient et il comprenait ce qu'elles pouvaient apporter à Eleïssa, et il était profondément remué, car lui n'était-il pas cela, finalement, une ombre noire ? Une chose qui faisait disparaître le soleil.
En revanche, ce qui lui restait inaccessible – et là, il savait douloureusement qu'il ne pourrait jamais attraper cette connaissance ci, c'était ce que c'était d'avoir été petit. Lui était apparu un jour, grand, immense et avant, il n'y avait rien. Il tira un peu sur son capuchon, le faisant glisser doucement en arrière.
« Tu sais que la pluie a cessé ? Tu te souviens que tu voulais que je te parle de la mer et du ciel ? »
Eleïssa abaissa ses bras et se retourna d'un geste vif et souple.
« Oui, oui, bien sûr, je me souviens ! Alors dis-moi, comment c'est dehors ? Où vas-tu pour regarder la mer ? J'étais tellement terrifiée lorsque je suis arrivée que je n'ai rien regardé et pourtant je me disais 'Regarde, regarde ! c'est la dernière fois que tu peux voir à l'air libre, et après ce sera fini'. Mais …
Elle s'arrêta brusquement …
Tu entends ? Quelqu'un marche dans le couloir. »
Il tendit l'oreille, et ne perçut que le chuintement d'une tunique – c'était donc un gardien.
« C'est juste un gardien qui passe, pas de quoi s'inquiéter. »
Eleïssa soupira et reprit
« Mais en fait je n'osais pas non plus regarder autour de moi, j'avais tellement peur de voir, déjà, …
- Peur de voir quoi ? »
Mais il le savait, tous les prisonniers réagissaient de la même façon.
« Eh bien, de voir un gardien. Et pourtant, c'était juste des aurors autour de moi. Donc voilà, je marchais recroquevillée, en regardant mes pieds et ne voulant surtout pas voir autour de moi. Mais le jour où je suis arrivée, il y avait du soleil et on sentait l'odeur de la mer. Et aujourd'hui, alors ? soleil, soleil ?
– Oui, c'est en train de se lever, on voit du bleu. La mer commence à devenir bleue aussi. » Il voyait les mains de la prisonnière accrochées l'une à l'autre, posées serrées sur ses genoux, se demandant si Eleïssa était vraiment prête à s'entendre décrire un spectacle dont elle allait encore être privée pendant longtemps encore. Il poussa un grand soupir – du moins avait-elle de la lumière et des ombres qu'elle pouvait faire surgir de son propre chef.
Le lendemain matin, elle lui sembla triste, abattue, tout le temps qu'il fut là, elle resta allongée, les yeux vaguement au plafond. Désireux de la laisser tranquille, il se priva de nouveaux souvenirs ; mais la privation n'était pas bien terrible, car il abritait toujours en lui les réminiscences qu'Eleïssa lui avait déjà données, celles-là même qui, au lieu de se perdre dans le néant des dementors, étaient restées en lui, comme un trésor en cours de constitution. Et c'était pour lui une joie calme et vaste que de sentir leur présence vivante et disponible en lui.
Le soir, elle était plus animée et lui demande de lui décrire l'endroit où elle était arrivée, encadrée de deux aurors. Il lui expliqua qu'il s'agissait d'une barbacane, construite sur une plate-forme, à mi-hauteur entre le niveau de la mer et le sommet de la forteresse. Là, une poterne donnait accès à l'intérieur de la forteresse. Il lui expliqua également que c'était l'accès utilisé pour les prisonniers et que soit le directeur, soit son adjoint, devaient obligatoirement être présents afin de désactiver la protection de l'entrée grâce à leur tabule.
« Les autres, je veux dire, Périlogue, John-Fox et les aurors et les gens du ministère qui viennent, ils arrivent directement sur la terrasse tout en haut…il y a juste un étage à descendre pour se retrouver au niveau de leurs bureaux… tu vois, bien au-dessus des cellules des prisonniers, de la cuisine et de la salle des gardiens.
– Et toi, tu peux y aller sur cette terrasse ?
– Oui, j'y vais même souvent. J'aime bien être là-haut, au dessus d'Azkaban : en se mettant tout contre le bord du parapet, et en regardant au loin, on peut oublier où on est vraiment.
– Et tu pourras vraiment y aller tous les jours ?
- Oui, tous les jours
– Et tu me diras tous les jours comment c'est quand on oublie qu'on est un dementor… et comme çà, peut-être, je pourrais oublier que je suis une prisonnière. »
Sa voix était à la fois amusée et misérable.
« Va maintenant, je suis fatiguée. »
Un soir, il arriva en retard parce que Périlogue l'avait intercepté, juste avant qu'il ne commence sa tournée, l'entraînant à sa suite au pied des murailles d'Azkaban. La marée était basse, et Périlogue lui fit signe de passer en premier. Gn1-2 commença donc à escaler les éboulis qui marquaient la fin de l'étroite bande de sable située côté sud.
C'était la première fois que le directeur lui demandait de marcher devant lui, d'habitude, il le gardait quatre pas en arrière, comme le voulaient le protocole hiérarchique. Intrigué, il commença par se demander si ce nouvel ordre signifiait quelque chose, et puis il laissa tomber l'idée, se concentrant sur la difficile progression parmi les gigantesques éboulements destinés à protéger la base de la forteresse, ayant à peine l'occasion de jeter un œil sur la mer pourtant si proche. Au bout d'un quart d'heure, ils étaient arrivés du côté ouest de la muraille, où l'amassement de rochers était véritablement gigantesque, ayant été prévu pour résister aux tempêtes qui venaient du plus profond de l'Atlantique, sans rencontrer aucune résistance. Périlogue héla son gardien.
« Ho, arrête-toi. Les mots lui arrivèrent brouillés, Gn1-2 se rendit compte alors qu'il avait dû sacrément distancer son supérieur. Aurait-il droit à une réprimande ? Il attendit, avec une pointe d'impatience ; maintenant qu'il n'avait plus besoin de se concentrer sur ses appuis, il était prêt à laisser ses idées dériver, une fois de plus, autour de la personnalité de son directeur.
Les autres disaient de lui 'On ne sait jamais ce qu'il pense' et ils se méfiaient de lui, plus qu'ils en avaient peur. Lui, il l'avait aidé, en ce jour de tempête, et ensuite il était parti d'Azkaban, et quand il était revenu, Périlogue avait commencé à l'entraîner dans des tournées autour d'Azkaban, comme aujourd'hui.
Le directeur venait de le rejoindre, sur le rocher à peu près plat sur lequel Gn1-2 s'était installé, tout en bas de l'éboulement, juste au niveau de la laisse de haute mer. Il s'assit, face l'Atlantique qui continuait à baisser, et fit signe au gardien de l'imiter.
« Tu sais, je vais avoir un enfant. Je suppose que tu sais ce qu'est un enfant. »
Le directeur n'avait pas fait mine de se tourner vers lui, il ne prit donc pas la peine de lui répondre. Il savait qu'Eleïssa en avait un. Il savait également que les enfants étaient petits et qu'ils avaient besoin de grands pour s'occuper d'eux. Mais il ignorait tout du reste.
« J'ai appris aujourd'hui que ce serait une fille. C'est monstrueux… je n'aurais pas dû accepter cela.. pas tant que j'étais ici. Azkaban est un poison dans mes veines, qui coulera aussi dans les siennes, qui coule déjà dans les siennes ! On ne peut pas se protéger de ça ! Azkaban, c'est l'inverse de ce que les choses devraient être ! »
Gn1-2 contemplait la mer, au plus bas de marée, enfuie loin d'Azkaban et n'écoutait que d'une oreille distraite la coléreuse voix lointaine ; d'ailleurs le directeur ne devait pas s'attendre à autre chose… il ne pouvait tout de même pas espérer qu'un gardien d'Azkaban saurait donner des conseils sur des sujets dont il ignorait tout. Cet homme était une énigme, qui de façon déroutante – et inutile - se dévoilait sur des thèmes qui n'intéressaient pas ses fonctions à Azkaban et au contraire restait farouchement invisible dans son rôle de directeur, dissimulé derrière son adjoint et 666. S'il avait été comme tous les autres, il aurait houspillé Gn1-2 sur sa tenue, il lui aurait demandé des comptes sur son travail de gardien, il ne l'aurait pas amené avec lui pour des promenades sans but. Par exemple, là , il aurait pu lui demander de scruter les fondations d'Azkaban, afin d'y déceler d'éventuelles fissures, et les inévitables infiltrations qui s'en suivraient, afin que cette expédition ait un sens.
Ou alors, et c'était la première fois que l'idée venait à Gn1-2, peut-être avait-il senti que quelque chose ne tournait pas rond avec lui et il voulait l'interroger, lui demander des explications. L'idée était à la fois effrayante et terriblement tentante. Il se tourna prudemment vers Périlogue, mais l'homme semblait perdu dans le spectacle de la mer lointaine – une zone sombre et bleuâtre rétrécie à la taille d'un cordon. Non, il s'était trompé, cet homme ne pensait qu'à lui et à Azkaban.
Subitement, Gn1-2 se dit qu'il avait plus de chance que son directeur, lui, il avait Eleïssa. Et tout à l'heure, il pourrait lui dire que la mer était si basse et si loin qu'elle ressemblait à une corde posée à plat le long de la base du ciel.
« Tu peux rentrer, gardien. Moi, je continue. »
Gn1-2 vit le directeur se relever lentement, il se dépêcha de faire de même, afin de ne pas être encore assis, alors que son hiérarque serait déjà debout. Périlogue lui fit le geste de congédiement, qu'il fit durer sans doute un peu plus que ne le voulait l'habitude, et lui tourna le dos, reprenant sa progression sur les énormes rochers.
Gn1-2 se dépêcha de rentrer, car il était sacrément en retard. Il passa rapidement dans les cellules de ses autres prisonniers, se contentant de leur faire sentir sa présence, en se mettant tout près d'eux et les scrutant attentivement dans les yeux. De toute façon, il n'y avait plus rien d'autre à faire avec eux, ils étaient là depuis trop longtemps, et rien ne pouvait plus être refait de ce que Azkaban avait défait.
Il put ainsi rattraper son retard et arriver chez Eleïssa à l'heure habituelle.
Il lui parla de la mer qu'il venait de voir et, pour une fois, pas depuis la terrasse d'Azkaban ; Eleïssa lui dit qu'elle s'imaginait l'eau plutôt un ruban, et elle dut lui expliquer ce qu'était un ruban. Et Gn1-2 dut bien reconnaître qu'il n'en avait jamais vu. Ensuite, il repartit dans l'esprit de sa prisonnière et quand il eut rencontré l'écho de nouveaux souvenirs, il se disposa à partir. Mais Eleïssa le retint
« Tu sais, le premier jour, avant que tu n'arrives, je m'étais jurée que je ne me laisserais pas faire et que je ne ferais pas le chien couchant et qu'au moins, j'aurais trente secondes de révolte, et que je te dirais ' Va te faire foutre… je ne suis pas de la bouffe pour les démons de ta sale espèce' … tu vois, dès que j'ai su que, cette fois-là, j'étais condamnée à Azkaban, j'avais préparé cette jolie petite phrase dans ma tête, je l'avais astiquée, elle était bien brillante, comme aurait pu l'être une lame d'acier… pour t'accueillir en plein entre les deux yeux. Je serrais bien fort cette petite phrase dans mes mains, et … à peine étais-tu entré dans ma cellule, que je tombais dans le piège, mes mains ont laissé échapper la phrase, je l'ai entendue tomber sur le sol, avec un petit bruit lamentable, et je n'ai rien pu faire – j'avais fui devant toi. Dis-moi, est-ce qu'il y en a qui ont su résister mieux que moi ? »
Gn1-2 se met à fouiller ses souvenirs de gardien. Oui, certains essaient de résister, la moitié environ, les dementors le savent assez précisément, parce que l'incarcération d'un nouveau prisonnier est toujours un événement, surtout lorsqu'il s'agit d'un assassin, et sa première prise en main, si elle ne fait pas l'objet d'un rapport officiel (on se contente d'en faire apparaître la date, l'heure et le nom du gardien) constitue un sujet de conversation technique hautement apprécié entre les dementors, qui mesurent ainsi leur puissance et leur pouvoir au peu de temps qu'ils leur faut pour s'emparer de l'esprit de leurs victimes. Et Gn1-2 prend tout d'un coup conscience que ces conversations l'avaient toujours mis mal à l'aise et qu'il n'aimait pas leur parler de ses propres prisonniers. D'ailleurs, les siens n'étaient que des peines légères, des gens sans résistance. Alors, veut-il vraiment parler de cela à Eleïssa ?
Il hésite, d'un autre côté il comprend qu'elle ait besoin de savoir si d'autres ont réussi où elle a échoué, si d'autres ont réussi à prouver, même le temps de quelques minutes, ou secondes, qu'Azkaban n'était pas toujours le plus fort.
« Un prisonnier, on m'a raconté, il a résisté trois minutes.
Elle l'interrompit, en colère
- Trois minutes, c'est tout ce que tu peux me dire de mieux ?
– Oui, mais tu sais, c'est déjà énorme, et pourtant il avait en face de lui le meilleurs des gardiens. »
Elle resta sans rien dire, peut-être était-elle occupée à redonner à ces trois minutes leur vraie mesure - le caractère exceptionnel qui était le leur finalement, comparées à ce qu'elle n'avait pas su, elle, accomplir. Quand elle se remit à parler, Gn1-2 s'aperçut que sa colère avait disparu.
« Et qu'est-ce qu'il a fait, pendant ces trois minutes ?
- Nb6-2 a toujours été assez discret sur le sujet, il l'avait mauvaise, qu'un prisonnier lui résiste comme ça, c'est la première fois que ça devait lui arriver de cette manière, mais bon, les autres ont quand même réussit à savoir, petit à petit. »
Effectivement Nb6-2 avait, les jours suivants, lâché des bribes d'information sur ce qui s'était passé pendant ces trois minutes, à partir du moment où son prisonnier avait été totalement soumis, comme les autres. Et par la suite, il avait su retourner la situation à son grand avantage, accroître son prestige, et bien sûr, il s'était servi de cette histoire pour se faire mousser auprès du gardien-chef.
« Il a réussi à se protéger, à fermer son esprit, tu dois connaître ça, l'occlumencie ? »
Elle laissa échapper un petit grognement
« Oui, mais je n'ai jamais été très douée. En fait, je n'avais même pas pensé que je pourrais m'en servir, enfin essayer de m'en servir plutôt !
– Bon, et bien, lui, il a essayé. Il a même tenté de riposter, l'occlumencie dextre, ça permet de renvoyer le coup, en quelque sorte, de prendre la main sur celui qui cherche à entrer dans votre esprit. En fait, en théorie, c'est le seul moyen de contrer un dementor, quand on ne peut pas utiliser son patronus, quand on est désarmé, sans baguette. Mais, c'est quasiment impossible, il faut une force gigantesque pour résister et surtout pour contre-attaquer… nous, on est spécialement entraîné et les muggles, eux, mettent le paquet sur le patronus. Mais Black, lui, savait ce qu'il fallait faire. Enfin, je pense qu'avec moi, il aurait pu réussir – il aurait pu me neutraliser, parce que je n'ai pas encore passé tous les grades, j'en ai encore deux à obtenir.
– Ça alors, tu passes des examens, comme les aurors, alors !
– Ben, oui, c'est eux qui nous forment. Il y en a deux qui viennent régulièrement ici, tous les quinze jours, pour des entraînements avec nous. Et aussi des dementors instructeurs. Avant, je me disais que j'aimerais bien faire ça, plus tard, quand j'en aurais marre d'Azkaban.
– Et maintenant ?
– Qu'est-ce que tu veux que je te dise ! Je ne sais plus, c'est que je suis devenu un drôle de dementor, hein, à papoter comme ça avec toi…
- Donc, le prisonnier en question, c' était Sirius Black ?
– Tu le connaissais, je veux dire avant que je t'en parle ?
– Comme tout le monde, j'en avais entendu parler… aucun sorcier ne peut ignorer cette histoire… quand on sait comment tout cela avait commencé. Si on m'avait dit alors que je serais emprisonnée dans les mêmes cellules que les partisans de Qui Tu Sais. »
Un bref tremblement la saisit, et elle croisa ses bras serrés contre elle.
« Et après, il a encore essayé ? le machin truc dextre ?
- Non, Nb6-2 en a fait une question de principe, il a décidé qu'il ne se ferait pas avoir une deuxième fois, il a repris le contrôle de Black et …il aurait pu s'arrêter là, c'était suffisant pour une première fois, il lui avait montré que c'était bien lui le plus fort, mais il s'est acharné sur lui, il l'a mis presque à la limite, en fait il s'en est fallu de peu que Black reste sur le carreau.
Mais ça s'est su, et comme il s'agissait d'un prisonnier important, on ne pouvait pas faire n'importe quoi avec, et puis il semble, mais là je ne suis pas certain, qu'il y avait un risque que son procès soit réouvert, bref, Von Schlass avait prévu d'aller le voir, je crois que c'était les ordres du ministère, donc quand il l'a trouvé dans cet état, il était fou furieux, il a fait venir d'urgence deux médico-mages, et pendant 15 jours, ils l'ont laissé tranquille, ils l'ont laissé récupérer. Il avait même été question de lui affecter un autre gardien, mais Nb6-2 a fait des pieds et des mains pour être maintenu, il paraît qu'il a même plus ou moins menacé le gardien en chef de l'époque et finalement, comme Von Schlass trouvait qu'il y avait déjà eu assez de grabuge, ils lui ont laissé Black. Et pendant toutes ces années, il s'est vengé sur lui, de ces trois minutes, où il n'avait pas été le plus fort. »
