Chapitre 5 : Songes mensongers

Ginny pensait pouvoir supporter l'absence de Harry jusqu'à son retour, mais ses sentiments se sont montrés plus fort que sa volonté.
Elle souhaite par dessus tout le revoir, et cela quel que soit le moyen...

Ginny se releva, couverte de suie. Elle regarda autour d'elle.
La cuisine du 12, Grimmault Place n'avait pas tellement changé depuis la dernière fois.
On pouvait voir sur la cuisinière des casseroles sales, ainsi que des taches de gras et de sauce. Dans l'évier, la vaisselle s'accumulait, comme si on voulait utiliser tous les couverts et tous les plats de la grande maison avant de les laver, pour ensuite recommencer. De la nourriture était entassée à droite et à gauche, et celle-ci n'avait pas toujours l'air très fraîche.
Il était clair pour Ginny que c'était Ron qui s'occupait de la cuisine.
Sur la longue table, elle vit une grande carte de Grande-Bretagne. Des punaises étaient disposées à divers endroits, comme pour indiquer quelque chose d'important. Des cercles tracés au crayon rouge entouraient plusieurs villages, et des annotations telles que "possible", "à vérifier" ou "peu probable" les accompagnaient. L'écriture était nette et fine.
Cela devait être le travail d'Hermione.

Ginny sortit de la cuisine et monta jusqu'au rez-de-chaussée. La maison était silencieuse, comme si elle était vide.
Ginny espérait qu'il y ait au moins quelqu'un : elle avait pris d'énormes risques pour venir jusqu' ici, et elle ne savait pas si elle pourrait réitérer l'expérience plus tard, s'il s'avérait qu'il n'y avait personne à la maison.
Elle monta à l'étage, le vieil escalier grinçant sous ses pas.
Arrivée au premier étage, elle vit que la porte d'une des chambres était entrouverte. C'était cette pièce que ses parents avaient occupée deux ans auparavant.
Ginny s'approcha, et ouvrit complètement la porte.
C'est alors qu'elle le vit.
Allongé sur le dos, les bras ballants, Harry était en train de dormir dans le grand lit.
Le coeur de Ginny fit un bond.
Elle s'approcha.
Harry était torse nu, et son corps était couvert d'égratignures, dont certaines saignaient encore un peu.
Il avait aussi quelques bleus, ainsi qu'une marque de griffure sur la joue.
On pouvait lire la fatigue sur son visage. Il n'avait même pas pris le temps d'enlever ses lunettes avant de s'endormir.
Ginny le regarda pendant un long moment, comme subjuguée.
Il respirait lentement, paisiblement.
Elle contempla son visage, et ne put s'empêcher de sourire.
Elle s'assit au bord du lit, se pencha vers Harry et redressa doucement ses lunettes, sans le réveiller.
Tandis qu'elle faisait ça, une envie la prit.
Elle voulait l'embrasser, comme elle n'avait pu le faire depuis des mois. Elle voulait que la première chose que Harry sente à son réveil, ce fut la douceur d'un baiser.
Si Ginny ne pouvait pas soigner ses blessures, elle pouvait au moins les lui faire oublier quelques instants...
Elle se pencha lentement vers son visage, prête à poser ses lèvres sur les siennes.
Ginny avait l'impression d'être dans un de ces contes pour Moldus...
Elle rêvait de ce moment depuis tellement de temps... Ses souhaits étaient enfin exaucés : Harry et elle pourrait vivre ensemble, maintenant.
La bouche de Harry, légèrement entrouverte, semblait prête à l'accueillir
Ginny ferma les yeux.

Puis les rouvrit, véritablement cette fois.
Elle était allongée dans le dortoir des filles, et pouvait maintenant admirer l'humidité du plafond.
– Bon sang, c'est pas vrai !
Elle roula sur le côté, pour prendre la boîte de Patented Daydream Charms qui était sur sa table de chevet.
Elle était vide.
– Oh, j'y crois pas ! Pff...
Ginny jeta la boîte par terre, et se remit sur le dos.
Les Patented Daydream Charms permettait de faire les rêves de son choix, et ceux-ci étaient très réalistes.
C'était tout ce que Ginny avait trouvé pour combler son manque affectif.
Elle les avait commandé à la boutique de ses propres frères.
Le problème étant que ces rêves ne pouvaient pas dépasser une demi-heure.
Un autre problème était que Ginny avait utilisé toute sa maigre réserve...
– J'ai vu trop juste..., marmonna-t-elle. Je savais que j'aurais dû mettre une cheminée à l'étage...
La porte du dortoir s'ouvrit.
Patty rentra dans la chambre, et cogna dans la boîte que sa camarade venait de jeter à terre.
Elle la ramassa.
– Alors ? Encore en train de faire des rêves érotiques ?
Ginny rougit.
– Mais... Raconte n'importe quoi !
– Essaye pas de te fiche de moi, répondit Patty. Tu as seize ans, tu es célibataire, et... Ce produit est déconseillé et surtout interdit à tous sorcières et sorciers de moins de seize ans… Bla bla bla... ...que nous ne seront en aucun cas responsables d'éventuelles dérives causées par ce produit... Bla bla bla... ...est interdit aux moins de seize ans, nous tenons à le rappeler une nouvelle fois... Ça m'étonnerait que tu rêves encore de jouer aux pirates à ton âge, ma pauvre fille...
Ginny rougit encore plus.
Elle était démasquée.
Patty leva les yeux au ciel et jeta la boîte derrière son épaule.
– En plus, tu d'mandes ça à tes propres frangins. C'est vraiment dégoûtant...
– Oui, bon, ça va...
– Et puis, c'est pas comme si toi t'avais b'soin de rêver pour avoir des garçons...
Ginny se redressa.
– C'est-à-dire ?
– Oooh... Joue pas les innocentes. Tu sais bien que t'es capable de mener tous les garçons par le bout du nez. Tu pourrais tous les avoir, si tu voulais...
– N'exagère pas, tu veux…, dit Ginny, agacée.
– Non, mais attend ! Tu t'es vue ? s'exclama Patty. T'es jolie, t'as de bonnes notes, t'es marrante et t'es Capitaine de l'équipe de Quidditch... Un vrai piège à mecs ! Tu peux en faire ce que tu veux, j'te dis…
Ginny en avait marre.
Neville lui avait dit le même genre de chose quelques semaines plus tôt : qu'elle se servait des garçons.
Mais tout ceci était faux.
Du moins... Le ferait-elle sans s'en rendre compte ?
– Arrête de pleurnicher sur ton sort, ajouta Patty. T'avais déjà eu deux petits copains que la majorité des autres filles du même âge avaient pas encore osé aborder un garçon. T'as même eu Harry Potter ! Alors me dit pas que tu peux pas te trouver quelqu'un dans la vie réelle...
– Je n'ai pas "eu" Harry Potter, répondit Ginny, d'un ton sec. Et je ne veux pas trouver quelqu'un d'autre.
– Tu crois vraiment qu'il va revenir, ton Harry ? T'as même pas reçu une lettre de lui !
Ginny ne répondit pas.
Et cela pour la simple et bonne raison qu'elle ne pouvait pas répondre.
Elle n'avait pas à divulguer les actes de Harry à tout le monde.
– En plus..., continua Patty, d'un air louche. S'il est en train de traîner avec Hermione Granger, t'as du souci à te faire...
Ginny lança un regard inquiet à Patty.
– Quoi, Hermione Granger ?
– Et bien, j'avais entendu dire qu'entre elle et ses deux complices, c'était...
– Quoi ? C'était quoi ?
– Ben... Les autres pensaient qu'elle s'intéressait à ton frère  le prend pas mal, surtout  mais que comme il l'a envoyé sur les roses avec Lavande Brown, elle se serait montrée plus envisageante avec Harry Potter...
– Hein ? Hermione ? Avec Harry ?
Ça ne serait pas la première fois que les bruits de couloirs rapportés par Patty s'avèreraient totalement faux.
D'ailleurs, il aurait été plus rapide de comptabiliser ceux qui s'étaient avérés vrais.
Pourtant, Ginny ne pouvait s'empêcher de prendre ça plus au sérieux que d'habitude.
Tout le monde avait compris qu'Hermione s'intéressait à Ron (tout le monde à par Ron, en fait).
Mais qu'elle en vienne à en pincer pour Harry...
C'est vrai que Ron s'était montré immonde, et qu'Hermione était aussi proche de Harry que de lui, mais tout de même.
Harry ?
Impossible.
– Non, moi je dis, reconsidère vite fait la proposition de Colin Crivey, dit Patty. Il est pas si mal, après tout…
– J'ai déjà dit que je ne voulais pas, rétorqua Ginny.
– Oui ben, t'inquiète pas, tout le monde l'a vu l'autre jour.
Une fois de plus, on tentait de s'immiscer dans sa vie sentimentale, et Ginny détestait ça plus que tout.
– Laisse tomber cette histoire, bon sang ! ajouta Patty. Tu vaux mieux que ça !
Ginny s'énerva.
– T'as pas bientôt fini ? J'en ai assez que tout le monde me dise ce que je devrais faire ! C'est ma vie, et j'en fais ce que je veux !
– Ta vie, tu la gâches ! répliqua Patty. Regarde toi ! T'es pas capable de tenir une journée sans lui ! Tu penses à rien d'autre ! Et tout ça pour quoi ?
Elle pointa du doigt la boîte de Patented Daydream Charms.
– De petites hallucinations préfabriquées ?
Si seulement Patty pouvait savoir comme Ginny aussi aurait voulu mieux...
Elle savait tout ça.
Elle savait qu'être éloignée de Harry devenait de plus en plus dur. Elle savait que cette réaction était disproportionnée par rapport aux autres fois où elle était sortie avec un garçon. Elle savait que cette absence lui pourrissait l'existence.
Mais elle savait aussi pourquoi, cette fois, c'était différent...
– Toutes les filles voudraient être à ta place ! continua Patty. Toutes les filles voudraient avoir les garçons à leurs pieds ! Et toi, tu fais quoi ? T'en profite même pas ! Tu te focalises sur une relation complètement morte !
– Et alors ? En quoi ça te gène ? s'emporta Ginny. Excuse-moi d'aimer Harry ! La prochaine fois, j'essayerais de ne pas être sincère, et je sortirais avec un garçon de passage !
– Comme avant, quoi.
– Oh, sale...!
Ginny n'en pouvait plus.
Excédée, elle sauta au pied du lit sans finir sa phrase, et sortit du dortoir.
Elle ne voulait pas qu'on s'occupe de ses sentiments. C'était pourtant ce que tout le monde faisait.
Pourquoi ?
Elle descendit l'escalier.
En voyant que la Salle Commune était occupée, elle préféra continuer sa route comme si de rien n'était.
Ginny sortit de la Salle Commune, histoire de se promener et de se calmer les nerfs sans être dérangée par quelqu'un qui viendrait lui prodiguer des conseils dont elle ne voulait pas.
Elle marchait au hasard, sans vraiment savoir où elle allait.

Pourquoi les autres trouvaient ça bizarre qu'elle pense encore à Harry ? En quoi cela était-il mal ?
En y réfléchissant bien, Ginny avait peut-être une réponse...
Ces premières histoires d'amour s'étant conclues de manière brusque et non larmoyante, ce changement de comportement de sa part devait étonner les autres.
Ils devaient tous s'attendre à ce qu'elle se remette vite avec quelqu'un, comme les autres fois.
Elle n'arrivait pas à la croire.
Elle avait donc une réputation de séductrice sans coeur, prête à changer de petit ami du jour au lendemain ?

Ginny se trouvait maintenant dans un des couloirs du rez-de-chaussée. Elle avait descendu les escaliers sans même y faire attention, absorbée par ses pensées.
Elle s'arrêta.
Son image n'était qu'un problème de plus dans sa triste existence.
Elle resongeait à ça quand un bruit se fit entendre, au bout du couloir désert.
Ginny regarda sa montre.
20 heures 07.
Le couvre-feu avait déjà commencé. C'était Rusard qui commençait sa chasse aux élèves.
Dans sa marche, elle n'avait pas vu le temps passer.
Paniquée, elle n'avait pas beaucoup de solutions.
Elle se précipita vers l'une des portes du couloir.
La plus proche.
Elle entra et referma la porte le plus doucement possible.
Puis, elle se plaqua contre le mur, en tentant de respirer le moins fort possible : Rusard avait aiguisé ses sens le plus possible.
Ginny regarda sous le pas de la porte.
Elle vit s'approcher la lumière de la lanterne du concierge.
La lumière se stoppa quelques instants.
Le pouls de Ginny s'accéléra.
Heureusement, Rusard reprit bientôt sa route, la lumière de dissipant de plus en plus, jusqu'à disparaître.
Ginny souffla un grand coup, et s'assit sur le sol, le dos au mur.
Quelle soirée.
Cela ne pouvait pas être pire.
Ginny n'aurait jamais pensé pouvoir avoir autant d'ennui en une seule soirée.
Retourner à la tour de Gryffondor ne serait pas facile. Contrairement à Harry, Ron et Hermione, elle n'avait ni Carte du Maraudeur, ni Cape d'Invisibilité.
La tête entre les jambes, Ginny était désespérée.
Elle soupira.
En relevant la tête, elle vit qu'elle était dans une de ses salles non utilisée depuis des années (la faible fréquentation de l'école allait d'ailleurs sans doute en produire d'autres).
Celle-ci servait apparemment de débarras pour tout le matériel usagé.
Des chaises cassées, des tables brûlées par un sortilège, des tableaux noirs brisés...
Les travaux manuels à Poudlard n'étaient pas de tout repos.
Ginny ne savait pas pourquoi Rusard n'avait pas encore réparé tout ça par Magie...
Près d'un tas de corbeilles à papier à demi fondues, Ginny crut voir une sorte de grande plaque de verre, entourée d'un gros cadre poussiéreux.
Elle se releva pour voir ça de plus près.
Il s'avéra que c'était un grand miroir.
Que faisait-il ici ?
C'est vrai qu'il était en mauvais état, mais ce n'était pas vraiment ce qu'on pouvait appeler du matériel scolaire...
Ginny regarda le haut du miroir.
Des mots y étaient inscrits, mais la poussière l'empêchait de lire le message.
Elle resta comme ça quelques instants, tentant de comprendre ce qu'il y avait d'écrit.
Mais quand elle baissa les yeux, Ginny eu sans doute l'un des plus grands chocs de sa vie.
Son rythme cardiaque s'accéléra encore plus que tout à l'heure.
Dans le miroir, elle pouvait voir son reflet.
Et près de ce reflet se tenait Harry.
Ginny se retourna.
Mais il n'était pas là.
Il ne semblait exister que dans le miroir.
Après quelques secondes, elle comprit.
Quelques années plus tôt, Ron lui avait parlé d'un miroir qui montrait les désirs des gens, ou quelque chose comme ça.
Elle s'en souvenait, maintenant.
Ce miroir était lui aussi dans une vieille salle inutilisée. Il avait dû être déménagé...
Mais Ginny cessa rapidement de faire fonctionner sa mémoire.
"Harry" était en train de parler à son reflet.
Aucun son ne se faisait entendre, mais Ginny pouvait facilement imaginer ce qu'il lui disait.
Il lui disait tout ce que Ginny voulait entendre. Il la rassurait.
Cette vision la subjugua.
Elle ne pouvait détacher son regard du miroir.
Cela semblait si réel.
"Il" était si près, même si ce n'était pas vraiment à elle qu'il s'adressait.
"Harry" et le reflet se prirent dans les bras l'un de l'autre.
Ginny ne pu s'empêcher de sourire.
Se voir ainsi était un sentiment très étrange.
C'était comme si elle était vraiment avec Harry, par l'intermédiaire … D'elle-même.
Ils avaient l'air heureux, tous les deux.
Normal : c'est ce que Ginny désirait le plus au monde…
C'était exactement ce qu'il lui fallait.
Un moyen d'enfin avoir ce qu'elle voulait le plus : revoir Harry.
Même si cela ce faisait par un objet magique, c'était déjà un grand pas en avant.
Ginny commençait même à oublier toute la mélancolie dont elle avait été victime.
Elle regarda "Harry" lui faire un signe de la main, qu'elle lui rendit, un peu maladroitement.
Pour la première fois depuis longtemps, Ginny n'était plus préoccupée par l'absence de Harry.
Et cela dura plus d'une demi-heure...