Chapitre 10 : Histoires de Saint

Quelques jours plus tard.
La Cuisine.
Le matin...

BIRMINGHAM : Disparition inexpliquée d'une famille entière. On reste sans nouvelles de la famille Sondawn (un couple, trois enfants), disparue depuis plusieurs jours maintenant. Aucune preuve, aucune trace, aucun mobile. La police se renseigne actuellement sur l'état des comptes de la famille, réputée sans histoire, dans le but de donner un sens à leur départ...
NORVÈGE : Mystérieuse explosion dans une boîte de nuit de la Capitale. Vingt-et-un morts et quarante-six blessés. Malgré une installation aux normes, la théorie de l'accident reste privilégiée. La thèse de l'attentat n'est pas écartée, même si les autorités locales n'ont relevé aucune trace de produit explosif sur les lieux...
VIERGE : Votre bonne humeur donne du baume au coeur à votre entourage. Cette journée sera propice à votre épanouissement personnel et à vos désirs. Côté finance, tout est possible...
– Ginny, pourquoi tu continues à lire ces âneries ?
Assis à la table de la Cuisine, Harry, Hermione et Ginny étaient en train de décortiquer le Daily Telegraph, un journal moldu.
Il s'avérait en effet que l'influence du Ministère de la Magie sur le Daily Prophet n'avait fait qu'empirer. La Une était sempiternellement consacrée à l'action positive du Ministre, sur son travail efficace et sur les enquêtes de la Brigade des Aurors, "qui avançaient à grand pas et qui donnaient les résultats escomptés, soyez en sûrs" (selon les propres termes de Ratchet Sketetor, le nouveau Chef des Aurors).
En clair, il ne fallait pas parler de ce qui allait mal, ainsi, tout irait bien.
La seule façon pour Harry, Ron, Hermione et Ginny d'avoir des nouvelles un tant soit peu sérieuses étaient d'aller fouiller dans les quotidiens moldus, à la recherche de crimes non résolus et d'événements étranges.
Ainsi, Harry avait hérité des pages GRANDE-BRETAGNE, et Hermione, des pages MONDE.
Ginny, elle, se contentait des restes.
– C'est amusant, répondit celle-ci.
– Non, c'est ridicule, rétorqua Harry.
D'un coup de baguette, il se resservit un verre de jus d'orange.
– Tu es un rabat-joie, mon petit chéri. Typique d'un Lion...
– Euh... C'est l'édition d'hier, surtout, dit Hermione, en levant le nez d'un article sur le Pakistan.
Ginny regarda la date en haut de la page.
13 Février.
– Tiens, oui. Je savais qu'hier était une bonne journée !
Ce n'était pas vraiment le cas.
La veille, ils avaient tenté de venir à bout de la Coupe de Poufsouffle, l'un des Horcruxes de Lord Voldemort.

Harry, Ron et Hermione l'avaient récupéré peu avant de venir s'installer au 12, Grimmault Place, trois mois plus tôt.
Il s'avéra que la Coupe avait été dissimulée dans la demeure de sa dernière propriétaire (légitime).
Ginny ne savait pas tout de ce qui s'était passé, mais elle savait que Harry avait failli y perdre les deux yeux, Ron, une jambe, et Hermione, sa santé mentale.
Voldemort semblait particulièrement apprécier les énigmes tordues. Le genre d'énigmes malsaines qui pouvaient vous faire perdre la vue, une jambe, et un bon paquet de neurones…
Le second problème était l' Horcruxe en lui-même.
À en croire Harry, l'annihilation de Voldemort passait par la destruction de tous les Horcruxes. Ce qui se montrait très compliqué.
Sorts, Contre-Sorts, Pare Boucliers, Anti-Charmes... À part transformer le troisième étage en champ de bataille, il n'y avait pas eu énormément de résultats. Cela commençait même à devenir dangereux.
Si Harry justifiait cet acharnement en rappelant la relative facilité avec laquelle il avait détruit le Carnet de Jedusor (Ginny ne s'en rappelait que trop bien), Hermione faisait remarquer que Dumbledore lui-même avait quasiment perdu un membre en se chargeant de la Bague de Gaunt.
– Le Carnet était son premier Horcruxe, avait-elle dit. La protection magique était donc minime. C'était juste un test, un prototype. Je pense qu'avec le temps et l'expérience, Il en est venu à des choses plus réfléchies.
– Tu penses à quoi ? avait demandé Harry, quelques minutes avant de lancer un Sortilège d' Annulation qui allait ricocher et abîmer le plafond.
– Je pencherais pour un Maléfice du Bouclier... "Personnalisé". Un Maléfice que Voldemort lui-même aurait créé et dont lui seul connaîtrait la parade...
Tout ceci n'était guère encourageant.
Si les Horcruxes devenait de plus en plus récalcitrants à être mis en pièce au fur et à mesure que Voldemort les avait réalisé, cela n'augurait rien de bon.
De plus, savoir qu'un morceau d'Âme de Lord Voldemort était à proximité ne plaisait pas beaucoup à Ginny, qui avait pris l'habitude de se méfier de tous les morceaux d'Âmes qui traînaient.
Une sorte de halo malfaisant semblait émanait de la Coupe de Poufsouffle, comme si le Mal avait été fondu et moulé, le tout incrusté de pierreries...

– Mais alors, si hier on était le 13 Février..., dit Ginny, comme si elle n'y avait pas du tout pensé de toute la mâtinée. Ça veut dire qu'on est...
Elle lâcha son horoscope et sauta sur les genoux de Harry, mettant ses bras autour de sa taille, et manquant de le faire tomber à la renverse.
– La Saint Valentin !
– Et oui, dit tout simplement Harry.
– Il faut qu'on marque le coup ! C'est notre première Saint Valentin ensemble, je te signale.
Si tout s'était passé comme elle l'avait souhaité, ça aurait dû être leur sixième.
Personne n'avait oublié sa pitoyable tentative d'approche lorsqu'elle était en première année.
Ginny n'avait jamais été aussi embarrassée de toute sa vie.
Déjà parce que dévoiler ses sentiments à tout le monde n'avait rien de simple, ensuite parce qu'elle avait vu Harry ne pas répondre très positivement à cette déclaration (mais le nain ailé y été peut-être pour quelque chose).
Elle avait littéralement fantasmé sur ce moment, à l'époque, imaginant Harry accepter son Amour et lui offrir son coeur, sous les applaudissements de la foule.
Un pur rêve de petite fille.
Avec le recul, Ginny comprit que ce n'était pas une bonne idée.
Le petit poème qu'elle avait écrit à Harry était ce à quoi elle pensait à chaque fois qu'elle voulait se sentir ridicule (ce genre d'envie psycho-masochiste n'était heureusement pas des plus courantes).
Peut-être était-ce à cause de cette histoire que Harry restait impassible pour le moment.
À moins qu'il ne songeait au désastre avec Cho Chang, deux ans plus tôt : en matière de ratage complet, les deux journées se valaient...
– Ginny a raison, dit Hermione. Si vous deux, vous ne fêtez même pas la Saint Valentin, alors personne ne la fêtera. Et je connais des commerçants à qui ça ne fera pas plaisir...
– Parfaitement ! s'exclama Ginny. Nous nous devons de fêter ce jour, ô combien important pour l'économie du pays !
– Et tu proposes quoi ? demanda Harry, d'un ton sceptique.
Ginny posa la main sur sa joue, et lui lança un regard de braises.
– Toi. Moi. Dîner aux chandelles, répondit-elle d'une voix langoureuse. Et après...
Elle émit un petit gémissement.
– Tu feras la vaisselle.
Hermione pouffa de rire.
– D'ailleurs, tu prépareras le dîner, par la même occasion, ajouta Ginny, en retournant s'asseoir à sa place. Il est temps que tu t'investisses un peu dans notre relation, mon petit chéri…
– Moi ? Faire à dîner ? dit Harry, embarrassé.
– Oui, pourquoi pas ? répondit Ginny, en attirant vers elle le paquet de corn flakes.
– Ben, moi, je veux bien... Mais il faudra te contenter d'œufs brouillés au bacon ou de sandwichs au thon...
Il y avait en effet une différence entre savoir faire la cuisine et savoir faire à manger.
Harry, lui, faisait ce qu'il pouvait.
– Allons, pas de panique, dit Ginny, qui ne voulait pas qu'il s'en tire aussi facilement. Il doit bien y avoir un livre de recettes qui traîne dans la Bibliothèque des Black. N'est-ce pas, Hermione ?
– Oh oui. Il n'aura qu'à enlever certains ingrédients, comme le Cyanure, ou l'Arsenic...
Les Black n'était définitivement pas des gens très fréquentables.
– Et... Si je vous disais que j'ai déjà prévu quelque chose ? dit Harry, d'un ton sournois.
Ginny, en pleine Quête du Cadeau Perdu, abandonna sa recherche.
– Hein ?
– J'ai déjà prévu quelque chose pour ce soir, répéta Harry, un petit sourire au coin des lèvres.
Ginny était plus que perplexe.
– Ah ouais ?
– Ouais, répliqua Harry.
– Tu bluffes.
– Oh que non.
Il semblait ne pas bluffer.
Ce serait vrai ?
– Qu'est ce que tu as prévu, alors ? demanda Ginny.
– Ça, tu ne le sauras que ce soir, répondit Harry, d'un ton un peu sadique.
– Allez, dis moi ce que c'est !
– Non, c'est une surprise.
Ginny rapprocha sa chaise et lui fit les yeux doux.
– S'il te plait.
– Le principe d'une surprise, c'est que tu le sois, Princesse, répondit Harry, inflexible.
Il fit mine de s'intéresser à son journal, notamment un article sur la balnéothérapie.
Apparemment, Ginny n'obtiendrait rien de plus de sa part.
Elle se tourna immédiatement vers Hermione, avec un regard insistant.
– Hé ! Je ne suis pas impliqué dans toutes les combines amoureuses ! dit celle-ci.
– Tu n'as pas le droit de me faire un coup pareil, Harry ! s'emporta Ginny, de plus en plus frustrée. Laisse-moi au moins un indice, ou quelque chose comme ça !
Ginny détestait les secrets.
Encore plus quand ceux-ci avaient un lien avec Harry et la Saint Valentin.
Harry se pencha vers elle.
– Tout ce que je peux te dire, c'est que ce sera quelque chose que tu n'as encore jamais vu, lui dit-il au creux de l'oreille. Quelque chose que tu aimeras sûrement.
Il embrassa délicatement Ginny sur la joue.
– Je te demande juste de te faire belle pour ce soir, sept heures.
Ginny trouvait ça de plus en plus louche.

Récapitulons.
S'il lui avait donné une heure de rendez-vous, c'est que ce n'était pas du bluff.
Et s'il faisait ça le jour de la Saint Valentin, cela voulait dire que c'était quelque chose d'important.
Quelque chose qu'elle n'avait jamais vu... Qu'elle aimerait sûrement...
Ginny ne savait plus quoi penser.
Déjà, le fait que Harry ait prévu quelque chose l'étonnait.
Non pas qu'il ne puisse se montrer romantique ou galant, bien au contraire. Harry n'était pas vraiment du genre "rentre-dedans", à tendance brute épaisse. Il l'avait déjà prouvé de nombreuses fois.
Mais en venir à mettre à exécution un plan secret pour la Saint Valentin paraissait un peu trop. Il avait dû s'y prendre plusieurs jours à l'avance.
En somme, Harry préparait quelque chose, et ce n'était pas des oeufs brouillés au bacon.

Devoir attendre le soir pour avoir le fin mot de l'histoire mettait Ginny dans tous ses états.
– C'est dégueulasse ce que tu me fais ! s'exclama t-elle. Il devrait y avoir des lois contre ça !
– Un décret anti-Mystère Amoureux, tu veux dire ? dit Harry, en souriant.
– Mieux : un amendement interdisant aux petits amis de faire des cachotteries le jour de la Saint Valentin !
– Un sorcier a tenté de faire passer une loi comme celle-ci en 1929, d' ailleurs, dit Hermione, en buvant sa tasse de café. La cachotterie étant que sa femme le trompait avec un autre...!
Cette anecdote législative semblait beaucoup l'amuser.
Ginny, elle, s'en moquait pas mal.
Elle revint à la charge.
– Dis-le moi.
– Sept heures, répondit Harry.
– Dis-le !
– Dans le Hall d'Entrée.
– Crache le morceau !
– Je t'attendrais.
– Espèce de pourri !
– Je t'aime.
– Ouuuuh...
Ginny fit grise mine.
Une vraie tombe.
Tiendrait-elle jusqu'à ce soir, sans être tentée d'attacher Harry à un radiateur pour mieux le torturer avec des sangsues gluantes ?
– Au fait, Hermione..., dit ce dernier. Qu'est-ce que tu fais de spécial, toi, aujourd'hui ?
Il était clair qu'il voulait changer de sujet de conversation, et ainsi éviter d'avoir à en découdre avec Ginny.
Celle-ci lui aurait bien fait des reproches sur sa lâcheté, mais il s'avéra que ce nouveau thème l'intéressait.
– C'est vrai, ça. Tu as des projets ?
Hermione finit lentement sa tasse de café, laissant les deux autres languir.
– Moi ?
– Oui, toi, insista Harry, avec un ton proche de la sournoiserie.
Hermione reprit son journal.
– Mais... Je n'ai rien au programme..., répondit-elle. C'est la Saint Valentin, pas la Sainte Catherine...
Elle tentait de garder un air désinvolte.
Tenter, seulement.
– Allons, ne te moque pas de nous, dit Ginny, avec une curiosité grandissante. Tu va bien faire quelque chose...
– Avec quelqu'un..., continua Harry.
– Pas du tout, rétorqua Hermione. En ce jour des Amoureux, j'ai l'honneur de vous annoncer que ma vie sentimentale ressemble au Désert de Gobi, et que je ne m'en porte pas plus mal. Sur ce...
Elle se cacha derrière un article sur une réunion de l' OMC, signe que le débat était clos.
Mais c'était sans compter sur la détermination de Harry et de Ginny à la faire parler.
– Tu n'as donc absolument personne en vue ? demanda Harry, innocemment.
– Personne, répondit Hermione.
– Dommage... Ce serait le jour idéal pour ce genre de truc..., dit Ginny.
– Et oui, dommage. Mais le célibat me convient parfaitement, de toute façon. C'est mon côté célibattante. En clair, et si ça peut mettre fin à votre interrogatoire de cours de récréation, je suis seule, fière de l'être, et je ne souffre d'aucun manque affectif.
Harry et Ginny se regardèrent l'un l' autre : ils n'étaient pas dupes.
Tant mieux, parce qu'Hermione n'était pas très convaincante.
L'année précédente, tout le monde avait remarqué chez Hermione une certaine tendance à s'attacher à Ron.
Ou du moins, à essayer de s'attacher à lui.
Ses approches avaient toujours été faites de façon détournée, mais il n'y avait rien de plus évident : Hermione était amoureuse de Ron, et pas qu'un peu.
Celle-ci aurait beau tout tenter, jamais elle n'arriverait à faire passer ses crises de nerfs pour autre chose que de la jalousie.
Il n'y avait bien que Ron pour ne pas voir l'état dans lequel Hermione était pendant qu'il sortait avec Lavande Brown.
Mais peut-être était-il trop occupé à embrasser sa partenaire pour s'en rendre compte...
– Tu sais, Ron est un peu long à la détente, dit Ginny. Si tu ne lui avoues pas tes sentiments, il ne verra rien.
– C'est exact, acquiesça Harry. Ce pauvre garçon ne doit même pas savoir que tu t'intéresses à lui. Tu devrais te méfier...
Hermione ne répondit pas.
– Au lieu de fantasmer toute seule dans ton coin en attendant qu'il joue les Princes Charmants, tu devrais lui dire, continua Harry. Sinon, il va te passer sous le nez.
– Tu t'en es bien sortie la dernière fois, ajouta Ginny. Son escapade avec Lavande Brown n'a pas duré. Mais imagine qu'il trouve une autre fille. Qu'est-ce que tu feras ? Tu le laisseras filer, en priant pour que sa femme, ses trois enfants et son chien Toby ne soit qu'une passade ?
Hermione ne répondit toujours pas.
– Tu vas le regretter toute ta vie, dit Harry.
– Ne rate pas cette occasion, ça ne se reproduira peut-être pas, renchérit Ginny.
En disant ça, elle avait pensé à son propre cas.
Que se serait-il passé si elle n'avait pas rejoint le 12, Grimmault Place ?
Aurait-elle retrouvé Harry, après plusieurs mois d'attente ? Aurait-elle eu des regrets d'avoir voulu rester à Poudlard ? L'aurait-elle oublié ?
La décision qu'elle avait prise était risquée.
Et elle s'en était bien tirée, puisqu'elle et Harry étaient réunis.
Dans une toute autre mesure, c'était la même pour Hermione : ne pas déclarer sa flamme à Ron pourrait avoir de graves conséquences.
Après un long silence, Hermione abaissa timidement les pages de son journal.
Elle rougissait horriblement.
– Oui, mais...
Sa voix commença à tressaillir.
Elle craqua.
– RAAAH ! J'OSE PAS !
Dépitée, Hermione lâcha son morceau de Daily Telegraph, et mit la tête entre les mains.
– J'Y ARRIVE PAS ! ÇA FAIT DES MOIS QUE J'Y PENSE, ET À CHAQUE FOIS, JE RECULE !
Harry et Ginny ne s'attendaient pas à des aveux aussi expansifs. Ils voulaient juste la taquiner un peu.
Mais apparemment, Hermione en avait gros sur le coeur.
– Je... Je ne comprends même pas pourquoi ça me fait ça ! continua t-elle. C'est vrai, quoi ? On se connaît depuis des lustres, lui et moi. Je devrais pouvoir le faire facilement, mais... Non. Je fais un blocage...
Ginny voyait parfaitement de quoi elle parlait, et Harry aussi, à en juger par son expression.
– Ça devrait pourtant être simple, non ? "Ron, je t'aime". Ce n'est pas la mer à boire... J'ai beau me préparer, prévoir ce que je vais lui dire, dès que je suis face à lui, j'ai...
– Des palpitations, dit Ginny.
– Une boule au ventre, ajouta Harry. De la fièvre...
– Des tremblements...
– Bref, le Trouillomètre à zéro.
Ça sentait le vécu, ma parole.
– Euh... Oui, admit Hermione, visiblement soulagée de ne pas être une exception.
– C'est normal, dit Harry. Ce n'est pas très pratique, mais c'est normal. On est tous passé par là.
– Le tout, c'est que tu fasses le grand saut, dit Ginny. Après, ça va tout seul.
– C'est facile pour vous deux de dire ça, dit Hermione en baissant la tête. Vous n'avez eu qu'à vous embrasser...
– Nous, c'était différent. On voulait tous les deux être ensemble, expliqua Ginny. Il n'y avait pas besoin de parler. Donc, quand j'ai embrassé Harry pour la première fois...
– "J'ai" ? C'est moi qui t'ai embrassé, rectifia Harry.
– Nuance : je t'ai laissé m'embrasser, répliqua Ginny, qui ne voulait pas que Harry ait tout le mérite de cet instant. J'aurais très bien pu te coller une gifle.
– Ah oui ?
– Je suis une fille de bonne famille. Ce jour-là, tu l'as échappé belle.
Harry mit la main sur la joue.
Ginny avait l'impression qu'il aurait maintenant peur de recevoir une paire de claques chaque fois qu'il tenterait de lui donner un baiser.
– Hermione, il faut que tu fonces, reprit-elle. Ron ne va pas t'attendre : il ne sais même pas qu'il doit attendre quelqu'un.
Hermione leva les yeux.
Elle semblait désespérée.
– Je sais, je sais...
Elle soupira.
– Quand je pense que je n'arrête pas de penser à lui. Je suis complètement addict... Pourtant, ça ne colle pas. On n'a rien en commun. On... On n'a pas les même centre d'intérêts, on passe notre temps à se disputer...
– Une relation ne se base pas sur les points communs, dit Harry. C'est une question de feeling. On aime... Ou pas. Les trois-quarts du temps, ça ne s'explique pas.
Hermione fit la moue.
Son esprit scientifique ne semblait pas beaucoup apprécier le côté illogique et aléatoire de l'Amour.
– Et puis, vous pouvez être complémentaire, tous les deux, ajouta Ginny, histoire de rassurer Hermione. Regarde nous. Moi, c'est la Beauté, l'Esprit, l'Humour. Le Charisme, aussi.
– Génial, dit Harry, un peu vexé. Il me reste quoi, à moi ?
Ginny posa la main sur sa cuisse.
– De belles petites fesses.
Hermione échangea un court instant son masque de Désespoir pour un visage plus jovial.
– Tu as passé trop de temps à étudier, continua Ginny. L'Amour n'est pas une équation, même s'il y a beaucoup d'inconnues…
Hermione ne savait plus quoi dire.
À chaque fois qu'elle s'était mêlée des histoires de coeur des autres, ses conseils étaient basés sur de la pure logique, parce qu'elle croyait que l'Amour était comme tout le reste : prédéfini, quantifiable, prévisible et explicable.
Mais c'était avant d'être amoureuse de Ron.
Pour Ginny, il n'y avait aucun doute : voir tout ce dont elle était certaine s'écrouler, c'était ça qui faisait peur à Hermione.
Il n'y avait pas de livres pour l'aider dans cette épreuve, cette fois-ci.
Il fallait qu'elle fasse quelque chose contre nature pour elle : improviser.
– Pff... Je ne sais même pas si, lui, il m'aime, dit-elle, avec mélancolie.
– Allons, c'est évident, dit Ginny. N'est-ce pas, Harry ?
Harry se tourna vers elle, un peu déconcerté.
– Comment je le saurais, moi ?
– Ben, j'en sais rien... Tu es son meilleur ami, quand même.
– Oui. Mais Ron n'est pas du genre à se livrer facilement...
– Roooh... Allez !
Ginny donna un coup de coude amical à Harry.
– Ron et toi, vous êtes des mecs ! Vous devez bien parler des filles de temps en temps, hein ? dit-elle, d'une voix cabotine.
Harry n'apprécia pas cette imitation du genre masculin.
– Hé ! Tous les garçons ne sont pas des obsédés..., dit-il.
Hermione et Ginny levèrent les yeux au ciel.
– En plus, Princesse... Je te rappelle que depuis quelques temps, je suis obnubilé par une petite rouquine super mignonne qui s'avère être sa soeur...
Il embrassa Ginny dans le cou.
– Je doute qu'en venir à lui parler du petit grain de beauté que tu as dans le bas du dos, et de la façon dont j'ai découvert son existence, soit de très bon goût...
Ginny n'avait pas vu ce problème sous cet angle.
– Bon... Euh... Peu importe qu'on en soit sûr ou pas, reprit Ginny. Ça ne peut pas être autre chose, non ?
Une fois de plus, Hermione ne répondit pas à la question.
Décidément, ce jour était à marquer d'une pierre blanche : Hermione Granger qui ne répondait pas à une question !
– D' ailleurs, il est où, le principal intéressé ? demanda Ginny.
– Il est parti ce matin pour le Chemin de Traverse, vers 6 heures 30, répondit Hermione.
– Parce que tu l'espionnes, en plus ?
– Et bien... Disons plutôt que je l'ai entendu trébucher sur une "saleté de marche de cette vieille baraque à la manque".
– 6 heures 30 ? dit Harry. C'est pas un peu tôt pour lui ?
Ayant vécu plus de six ans dans le même dortoir que Ron, Harry savait que rater une grasse mâtinée n'était pas dans ses habitudes.
– C'est parce que vous lui avait confié une mission, expliqua Ginny, tout en sachant qu'être chargé des tâches ménagères n'était pas ce qu'on pouvait réellement appeler une "mission". Ron prend toujours ça très au sérieux, quand on lui donne des responsabilités.
– Ah oui ? dit Hermione, heureuse de découvrir (enfin ?) une (nouvelle ?) qualité chez Ron.
– Oui. Quand on était petit, c'est lui qui était chargé de s'occuper des poules.
– Et alors ? demanda Harry.
– On a toujours eu de la dinde à Noël…
Ron faisait toujours de son mieux.
Ce qui n'engageait à rien.
Ginny jeta un regard à la vieille pendule accroché au mur.
9 heures 15.
– Il en met du temps.
– J'espère qu'il n'aura pas oublié d'acheter les mangues, la poudre d'Euphorbe et les racines de Cèdre, dit Hermione. On en manque cruellement…
– Moi, j'espère qu'il a pensé à acheter le journal d'aujourd'hui, dit Harry en repliant l'édition d'hier.
– Prions qu'il n'ait pas pris The Sun, comme la semaine dernière...
Ginny regarda son bol de céréales détrempées.
– Je suis la seule à espérer qu'il rapporte quelque chose à manger ?
Cela faisait deux jours que Ron leur accommodait des restes.
Il avait des notions de comestibilité un peu étrange…
Un grincement se fit entendre, suivi d'un grand claquement de porte, le tout accompagné de bougonnements et de propos désagréables sur les Moldus, les véhicules des Moldus, et la vie des Moldus en général.
Quand on parlait du loup...
Quelques secondes plus tard, Ron entra dans la Cuisine, emmitouflé dans un grand manteau de couleur sombre, dont le col lui remontait jusqu'au menton.
Il apportait avec lui deux gros sacs, remplis de provisions de toute sorte.
– Oh, vous êtes là, dit-il, en les voyant.
Ginny remarqua que le bas de son pantalon était trempé : il avait encore dû avoir une mésaventure avec une flaque d'eau, un trottoir et une voiture.
– Oui, répondit Harry. On mange…
Ron déposa avec fracas ses deux sacs sur la table.
– Enfin, autant que possible…, ajouta Ginny en s'approchant des provisions.
– Oui, bon, je sais, je sais... On est en manque, dit Ron. Mais au départ, on était trois, ici. Et puis je ne pensais pas que tu mangerais autant...
– Dis tout de suite que je ne pense qu'à ça ! s'indigna Ginny en commençant à fouiller dans l'un des sac, à la recherche de quelque chose de consistant, tandis que Ron enlevait avec difficulté son manteau.
– Bon, alors, voyons si j'ai tout..., commença t-il en sortant une petite liste. Lait, fleurs de cerisiers, pain, griffes d'Engoulevent, lard, graines de câprier, oeufs... Bon sang, vous auriez vu les prix... Charcuterie, poudre d'Euphorbe, salade, jambon, beurre, racines de Cèdres et...
– Kiwis, dit Hermione.
– Hein ?
– Ce sont des kiwis, dit-elle en saisissant un petit fruit brun et poilu. J'avais demandé des mangues.
– Ah. Et bien... On dira que ce n'était pas la saison.
– C'est si grave ? demanda Harry en déballant les commissions.
– Disons que fabriquer de la Pommangue sans mangues peut s'avérer délicat, répondit Hermione.
La Pommangue était une des créations d'Hermione.
C'était un gel verdâtre qui permettait de guérir les blessures superficielles et semi superficielles en quelques heures.
Bien sûr, cette mixture n'était pas aussi efficace que les préparations de Mme Pomfresh, l'Infirmière de Poudlard, mais elle avait reçu la Hermione's touch : un doux parfum fruité (et en plus, c'était comestible).
Mais qu'est-ce qui était le plus inquiétant : le fait qu'il n'y avait plus de Pommangue, ou le fait qu'ils en aient besoin ?
– Oh non, pas des carottes ! s'exclama Ginny, qui venait d'en trouver derrière deux bouteilles de lait. Je déteste les carottes !
– C'est très bon pour la santé, dit Ron, en rangeant les provisions dans les placards branlants de la Cuisine.
– Et puis, ça te fera grandir un peu, dit Harry, avec un petit sourire.
– Ha ha ha... Le rire se lit sur mon visage..., rétorqua Ginny.
Être la plus jeune dans une grande maison n'était pas toujours drôle. Ginny avait connu ça toute sa jeunesse.
Et voilà que ça recommençait...
– Au fait, Ron, tu as pris le journal ? demanda Hermione, tout en examinant un gros bocal des pinces d' Orcvilnius maltais.
– Il est là.
Il tira de sa poche de derrière un exemplaire du Daily Prophet.
– Oh... On avait dit qu'on ne prendrait plus cette feuille de chou, dit Harry en retournant s'asseoir près de Ginny.
Le Daily Prophet était bel et bien le pire des canards.
Ginny regrettait (un peu tardivement) de s'être emportée quelques mois plus tôt contre Luna Lovegood pour défendre cette publication qu'il fallait pourtant bel et bien appeler un "journal".
– Mais attention, c'est le numéro spécial Saint Valentin, dit Ron avec un air malicieux qui ne lui allait guère.
Ginny aperçut en effet de petits Cupidons se déplacer entre les colonnes et dans les marges de la Une (Intensification de la Surveillance de Gringotts : les raisons d'un succès).
– Ça devrait t'intéresser, Hermione, ajouta Ron.
Le teint d' Hermione passa au rouge à une vitesse hallucinante.
C'était marrant.
– Moi ? Mais je...
Ron ouvrit le Daily Prophet.
– Hem, hem... CELEBRITES MAGIQUES, lut-il, en haussant le ton. Attrapée par le Champion : c'est hier au soir que le célèbre Attrapeur bulgare, Victor Krum, a fait sa déclaration à la Presse. Letvinia Tarjina, 19 ans, célèbre chanteuse finlandaise, peut être fière du nouvel exploit de Victor : celui-ci vient en effet d'officialiser leur relation aux yeux du Monde, et d'annoncer par la même occasion leurs fiançailles, après plusieurs mois de secrets...
– Quoi ?! s'exclama Hermione.
– Attends, attends... On avait déjà pu apercevoir dans les tribunes la jeune soprano encourager son champion à grand coup de vocalises (formation lyrique oblige) lors de plusieurs matchs de l'équipe des Mantes de Mihajlovgrad. De nombreux doutes subsistaient encore : supportrice dévoué ou petite amie admirative ? Mais le beau Victor a mis fin aux rumeurs en les confirmant. "Je dois dire qu'avant de rencontrer Vick, je ne m'intéressais pas beaucoup au Quidditch. Mais maintenant, je suis capable de vous citer toutes les règles !" a déclaré Letvinia. "Je suis extrêmement heureuse que tout se passe si bien entre nous deux. Nous nous entendons à merveilles, il m'aide même pour mes exercices vocaux. Je souhaite de tout coeur que ce mariage soit des plus réussis, même si je ne vois pas comment pourrais en être autrement avec mon Victor !". "C'est un grand jour", a tout simplement dit le vainqueur de la dernière Coupe de la Ligue Caucasienne, sans doute encore sous le coup de l'émotion. Si on le savait prompt à faire chavirer le coeur de ses nombreux fans lors de ses exploits sportifs, nul n'aurait pensé qu'il puisse voir le sien succomber au charme d'une si fragile jeune femme. Espérons aux futurs Monsieur et Madame Krum de longues années de bonheur...
Un air de contentement se lisait sur le visage de Ron.
– Alors, qu'est-ce que tu dis de ça ?
Hermione paraissait tout bonnement stupéfaite par ce qu'elle venait d'entendre.
– Je... Je... Victor ne m'a jamais parlé de...
– Et oui... Il semblerait que ce cher Vicky ait fait quelques cachotteries...
Ron paraissait très fier de lui-même.
Ginny se demandait bien pourquoi.
– Mais... Ça fait longtemps que je n'ai pas eu de correspondance avec lui, et..., dit Hermione, d'une voix mal assurée. Et... Et alors ? Je ne vois pas en quoi cela me concerne.
– Étrange qu'un si cher "ami" ne t'ait pas fait part de ce genre de nouvelles, tu ne trouves pas ?
– C'est que cela n'était guère important pour... Enfin, non, je veux dire...
Apprendre les fiançailles de quelqu'un qu'on connaît, ce n'était pas rien.
D'autant plus quand on a eu une relation avec le dit quelqu'un qu'on connaît.
L'expression de Ron était un mélange de victoire et de simili méchanceté.
– Dommage pour toi, en tout cas, dit-il. Tu as vu l'âge de cette fille ? Ça aurait pu être toi...
Ginny ne pouvait pas y croire.
Elle venait de comprendre l'attitude de Ron.
– Je ne vois pas de quoi tu parles, répondit Hermione, d'un ton sec.
– Ne joue pas l'innocente... Tu avais le béguin pour Krum, et au final, il t'a lâché pour une autre !
Incroyable.
Ron en était encore avec cette vieille histoire.
Il avait vraiment du retard sur la situation...
– Pas du tout ! dit Hermione. Mes liens avec Victor sont purement amicaux...
À en juger par son expression, ils ne l'avaient bien entendu pas toujours été.
L'idylle entre Hermione et Victor Krum était certes finie depuis des lustres, mais elle avait existé.
– De toute manière, en ce moment, je suis...
– Tu es…? insista Ron.
– Oh, laisse tomber... Quoiqu'il en soit, je lui souhaite tous mes voeux de bonheur. Et à elle aussi.
Ron posa les yeux sur l'article, et eut un large sourire.
– Oui, "elle"... Cette chanteuse... Elle a de sacrés poumons.
– Tu as déjà entendu un de ses disques ? demanda Harry.
– Aucun. Mais...
Il montra à Hermione la photo qui accompagnait l'article.
Hermione plissa les yeux, puis détourna le regard, l'air dégoûtée.
– Oh, Ron ! Ce que tu peux être puéril ! s'exclama-t-elle.
Ron laissa échapper un petit rire grivois.
– 'Veux voir, 'veux voir, dit Harry.
Ron lui tendit le Daily Prophet, mais Ginny donna une tape sur la main de Harry, et récupéra le journal.
– Aïe-euh...
Waow.
En effet.
Letvinia Tarjina était suspendue au cou d'un Victor Krum plutôt gêné.
Et s'il était clair qu'elle n'avait pas inventé la Poudre de Cheminette, on pouvait par contre dire qu'elle était avantageusement proportionnée.
Un léger sentiment d'infériorité était en train de se développer chez Ginny.
Un sentiment heureusement interrompu par Ron et Hermione.
– Je n'arrive pas à croire que tu te limites à ce genre de chose ! s'exclama cette dernière.
– Et pourquoi pas ? répondit Ron.
– Parce que c'est un comportement dégradant pour l'image de la Femme ! Limiter une personne à ses... À ses courbes, c'est tout bonnement odieux !
– Dis plutôt que tu es jalouse ! Cette fille a réussi où tu as échoué, parce qu'elle a su ce qui intéressait réellement Vicky !
– Tous les Hommes ne sont pas aussi obsédés que toi, Ronald Weasley ! Cette fille a sûrement d'autres qualités qui font...
– Oh, je t'en pris ! Krum est comme tous les autres ! Et il a touché le gros lot. Il a trouvé chez elle ce qui te manquait cruellement !
– Les Femmes ne sont pas qu'une paire de mamelons !
Exaspérée, Hermione se leva d'un bond.
– Il n'y a pas que le physique dans la vie ! lança-t-elle, en quittant la pièce.
– Peut-être pas, mais ça compte beaucoup ! rétorqua Ron.
Il la suivit, bien décidé à avoir le dernier mot de cette dispute (ce qui lui aurait permis d'atteindre le score de 275 contre 322, si les calculs de Ginny étaient exacts).
– Je suis peut-être "puéril", mais toi, tu es naïve, continua Ron. Naïve de croire que les charmes d'une fille n'intéressent personne !
Ils continuèrent à s'envoyer des fleurs tandis qu'ils rejoignaient le Hall d'Entrée.
Harry et Ginny se penchèrent sur leur chaise pour mieux les entendre.
– Je n'ai jamais entendu un discours aussi obscène ! s'écria Hermione. Je vais finir par croire que tu penses avec ton sexe !
– Mon sexe se porte très bien ! répliqua Ron.
– Je m'en doute, vu la façon dont tu reluquais cette photo !
– Ce n'est pas ce que je voulais dire...
Bientôt, il fut impossible de les entendre.
Ils avaient dû rejoindre chacun leur chambre, et faire match nul.
– Qu'est-ce que tu en penses ? demanda Ginny à Harry.
– Je ne sais pas, je n'ai pas pu voir la photo.
– Mais non, d'Hermione.
– Ah, ça. Et ben... Au moins, elle ose lui adresser la parole. C'est déjà ça de gagner...