Chapitre 13 : La désillusion d'Hermione

Un peu plus tard…

La Cape d'Invisibilité avait de nombreux avantages.
Mais Harry et Ginny venait de lui découvrir un inconvénient : elle n'était pas imperméable.
– Dépêche-toi ! cria Harry.
– Je fais ce que je peux, je fais ce que je peux…, répondit Ginny.
Une robe n'était pas ce qu'il y avait de plus pratique pour courir, encore plus quand il fallait le faire sous la pluie, et emmitouflé dans une Cape (même d'Invisibilité).
C'était un véritable enfer, et Ginny avait beaucoup de mal à suivre le rythme. Elle fut à deux doigts de tomber et de se rétamer pitoyablement sur le trottoir à de nombreuses reprises.
De plus, un point de côté commençait à lui transpercer l'estomac.
Ginny n'aurait jamais cru voir une telle averse débarquer aussi vite sans prévenir.
Ce n'était peut-être pas une tempête tropicale, mais il y avait de l'idée.
– C'est là !
Après plusieurs minutes de course, dans une quasi-obscurité, ils arrivèrent enfin à Grimmault Place. Ils longèrent les habitations voisines et se dirigèrent vers la porte de la maison, manquant de glisser sur les marches du perron.
– Allez, ouvre ! s'exclama Ginny, qui tentait inutilement de se protéger la tête.
– Attends, attends !
Harry ouvrit la porte et tous deux se précipitèrent à l'intérieur.
– Oh, bon sang ! dit Harry en refermant la lourde porte derrière lui. Quel temps de chien !
Ginny ôta la Cape d'Invisibilité, et la laissa tomber à terre.
Essoufflée, elle s'appuya contre le mur.
– J'en peux plus…
Elle était mouillée de la tête au pied.
La veste de Harry, qui avait doublée de poids, l'avait quelque peu protégé de la pluie, mais ça n'avait guère était suffisant.
Sa robe lui collait à la peau et était en train de former de petites flaques sur le sol. Ses cheveux, qu'elle avait si bien peignés, brossés, coiffés, étaient trempés jusqu'à la racine et dégoulinaient sur ses épaules.
Et elle ne voulait même pas savoir ce qu'il était advenu des chocolats, qu'elle avait eu le temps de ranger dans l'une des poches de la veste.
Après avoir retrouvée une respiration normale, Ginny se tourna vers Harry, qui n'était pas en meilleur état.
– Regarde-moi ça… Quelle plaie, dit-il.
Ginny pouffa de rire.
Ils devaient vraiment faire peur à voir.
– Ce n'est pas drôle, rétorqua Harry. On va choper une pneumonie…
– Mais ce n'est pas grave ! On s'est quand même bien amusé, non ?
– Oui, mais bon… C'est dommage.
Il ramassa la Cape et l'accrocha au portemanteau.
– Je voulais que tout soit parfait. Qu'on ait une vraie sortie rien que tous les deux. Et voilà que ça se termine en initiation à la plongée…
– Harry, si tu cherches toujours la perfection, tu va attendre longtemps, répondit Ginny en s'égouttant les cheveux. Contente-toi de ce que tu as déjà, plutôt que de regretter ce que tu n'as pas eu…
Elle enleva la veste, et la rendit à Harry, qui l'accrocha à côté de la Cape.
– Il va falloir t'y faire, mon petit chéri, rien n'est parfait.
– N'en soit pas si sûre…
Il la regardait en disant cela.
– Mais on est d'humeur flatteuse, ce soir…, ironisa Ginny.
– Non, je suis sérieux.
Ginny se mit à rougir.
Personne n'était allé jusqu'à lui faire ce genre de compliment.
Elle-même se considérait plutôt banale.
– Tu n'y vois pas clair, c'est pour ça…
Elle s'approcha de Harry, et lui enleva ses lunettes, couvertes de gouttelettes d'eau.
– Je suis myope comme une taupe, je n'y vois pas plus, dit-il avec un petit sourire en coin.
Ginny approcha son visage du sien.
– Et maintenant ?
– C'est déjà mieux...
Il l'embrassa.
– Et ça confirme ce que je disais. Tu es la plus merveilleuse des filles que j'ai rencontrées…
Ginny avait du mal à le croire.
Il n'avait pas l'air de plaisanter, pourtant.
– Arrête d'exagérer…, dit-elle, un peu gênée. Si c'est pour les chocolats, tu peux…
Harry lui prit les mains, et plongea son regard dans le sien.
Comment pouvait-on avoir des yeux pareils ?
– Ginny. Ce ne sont pas des paroles en l'air. Je le pense vraiment.
Son ton était solennel. Comme s'il avait prévu ce discours depuis un bon moment.
– Je… Je ne pensais pas ressentir ce genre de chose un jour, continua t-il. Je ne savais même pas que c'était possible. Avant de tomber amoureux de toi, je croyais tout connaître : l'envie, le désir, la jalousie, la passion…. Je croyais que c'était ça, aimer. Mais je me trompais lourdement…
Ginny était de plus en plus intimidée.
Pourtant, depuis le temps, elle devrait avoir l'habitude.
Mais là, c'était différent.
– Tous ces sentiments ont été décuplés par toi. Par ton unique présence. Je n'avais jamais vécu ça avant. C'est… C'était dingue. C'était la première fois que je ressentais ça pour quelqu'un…
Harry lui caressa ses cheveux humides, toujours en la regardant fixement.
Ginny resta muette, presque hypnotisée, autant par ses paroles que par son regard.
Woah.
– Tous les sentiments que j'avais connus n'étaient rien du tout. C'est là que j'ai compris. Et que je me suis rendu compte que j'étais vraiment amoureux. Et c'était de toi. J'y… J'y songeais sans arrêt. Tout ce que je voulais, c'était être avec toi, te sentir près de moi, t'embrasser…
– Harry, je…
Ginny aurait voulu dire que c'était la même chose pour elle, mais elle était trop subjuguée par ce qu'il disait.
Harry ne lui avait jamais parlé comme ça. Il n'avait jamais été aussi franc.
Il lui ouvrait littéralement son cœur.
C'était la Saint Valentin qui...?
– J'aurais souhaité éviter d'avoir fait toutes ces erreurs…, ajouta t-il. Te dire ce que je ressentais plus tôt… Ne pas t'abandonner…
Il lui baisa le front.
– Je ne peux pas changer le Passé. Je ne peux pas rendre tout ça parfait. Même si j'essaye. Alors quoiqu'il se passe, quoiqu'il arrive, je veux que tu saches que je t'aime. Ne l'oublie surtout pas. Malgré ce que j'ai pu faire, malgré ce que je pourrais faire… Je t'aime, Ginny Weasley.
– Oh, Harry…
Ginny lui sauta au cou.
C'était la plus belle déclaration d'amour qu'on ne lui avait jamais faite.
Et sans le savoir, Harry venait de dissiper tous ses doutes.
Oui, elle était belle.
Oui, il l'aimait.
Et non, il ne l'abandonnerait pas pour une autre.
Car pour lui, elle était parfaite.
Comment avait-elle pu ne pas lui faire confiance ? Comment avait-elle pu remettre en cause son amour pour elle ?
Une fois de plus, Harry était la solution à tous ses problèmes.
Et quelle solution.

Hélas, cette déclaration d'amour ressemblait aussi à une déclaration d'adieu.
Une sorte de chant du cygne.
Comme si Harry avait voulu régler toutes ses affaires avant de partir.
Comme s'il allait mourir demain, et qu'il voulait lui offrir un ultime cadeau.
Mais Harry n'allait pas mourir demain.
Du moins, Ginny l'espérait-elle.
Et s'il devait mourir ? Et si sa mort était inévitable ?
Ginny ne pouvait pas le laisser partir ainsi.
Elle aussi allait lui laisser un cadeau de Saint Valentin. Un cadeau d'adieu, pour qu'il ne regrette rien.
Elle allait lui donner ce qu'elle avait de plus précieux : son amour.
Si cette nuit devait être la dernière nuit de Harry, il fallait que ce soit la plus belle…
– Harry, je crois que pour le bien de notre petite santé fragile, on devrait…
Elle commença à dénouer sa cravate.
– Enlever ces vêtements mouillés.
Elle fit glisser la cravate le long de son cou, et la laissa tomber à terre.
Elle embrassa ensuite Harry du bout des lèvres.
– Oui. Je… Je n'osais pas te le proposer…, répondit Harry.
Ginny déboutonna sa chemise, laissant apparaître un torse magnifiquement mouillé, qu'elle caressa immédiatement.
Harry l'attrapa par la taille, et l'embrassa fougueusement.
Ils étaient maintenant collés l'un à l'autre.
Sans même dire un mot, ils savaient quoi faire à l'autre.
Bien sûr, ils avaient encore beaucoup à apprendre, pour ce genre de chose.
Mais à force de pratique…
Ginny put bientôt sentir les mains moites de Harry remonter lentement dans son dos, pour se diriger maladroitement vers la fermeture éclair de sa robe.
Rien que d'y penser, elle en avait des frissons.
La fermeture commença à glisser, et…

VLAN !

Un claquement de porte. À l'étage.
Suivi d'un pas de course et de marches qui craquent, en direction du troisième étage.
Harry et Ginny, toujours en pleine action, s'immobilisèrent.
– Oh oh. Ça, c'est Hermione, dit Harry.
– MAIS ATTENDS ! ARRÊTE DE … OH, ET PUIS, VA AU DIABLE ! cria une voix.
– Et ça, c'est Ron, dit Ginny.
Un autre claquement de porte se fit entendre.
Et encore un autre.
– Ça a l'air sérieux, cette fois, dit Harry, qui arrêta de déshabiller Ginny.
– Mais non, c'est normal, répondit celle-ci, qui aurait bien aimé qu'il continue.
– Non… À mon avis, ça a été plus loin que d'habitude…
Il lâcha Ginny, et reboutonna sa chemise.
– Il faut qu'on aille voir.
– Oh, je t'en prie…
Elle lui sauta à la bouche, pour essayer de le retenir.
– On verra ça demain. Pour le moment…
– Princesse…
Il la prit par les épaules.
– Moi aussi, j'aimerais continuer…
Il l'embrassa sur le front.
– Mais c'est peut-être grave…
Il l'embrassa sur la joue.
– Et…
Il ne pu s'empêcher de soupirer.
– Il faut savoir choisir ce qui est le mieux.
Choisir ?
Faire l'amour avec Harry, ou écouter Ron et Hermione se plaindre l'un de l'autre ?
Tu parles d'un dilemme…
Ginny leva les yeux au ciel.
Elle aimait bien que Harry s'occupe des autres, surtout quand le terme "les autres" la désignait.
Le fait est qu'il était toujours prêt à se sacrifier pour le bien d'autrui, même si ça ne lui plaisait pas toujours (ce qui, dans le cas présent, semblait être le cas).
Sauf que Ginny, elle, n'avait rien demandé.
Bien sûr, ce genre d'attitude était très égoïste, mais c'était pas une raison…
Quelle poisse un type pareil.
Ça lui apprendra à tomber éperdument amoureuse d'un garçon aussi débonnaire…
– Bon, d'accord… Mais je suis convaincu que ce n'est rien d'important, dit Ginny, avec un mélange d'agacement et de déception. Pattenrond a dû cracher une boule de poils de trop, ou un truc du même acabit. Alors on règle ça en vitesse, et on se retrouve dans la salle de bain du premier étage pour un bon bain chaud…
Harry eut un petit sourire.
– Avec de la mousse ?
– Non. Avec moi, répondit Ginny.
Harry eut un grand sourire.
– Bon, je prends Ron, dit-il.
– Et moi, je m'occupe d'Hermione.
Tous deux se dirigèrent à grand pas vers l'escalier.
Ginny releva le bas sa robe pour ne pas se prendre les pieds dedans.
Elle monta rapidement les premières marches, mais un bruit lourd se fit entendre.
– Euh… Ginny ?
Ginny se retourna.
– Oups !
C'était toujours elle qui avait les lunettes de Harry.
Un Harry qui venait de trébucher lamentablement.
– Désolée, mon petit chéri !
Elle redescendit vers lui, lui rendit ses lunettes, et lui donna une petite bise sur la joue.
– À tout à l'heure !
Elle reprit la direction du troisième étage aussi sec.
C'est vrai qu'à bien y réfléchir, ce n'était pas normal.
Il n'était pas dans les habitudes d'Hermione de claquer les portes et de s'en aller en courant, même quand Ron se montrait particulièrement agaçant.
Les rares fois où ça avait eu lieu, c'était…
Oh.
Ginny accéléra sa montée.
Arrivée au troisième étage, elle se dirigea vers la seule pièce où de la lumière s'échappait du pas de la porte : la chambre d'Hermione.
Elle s'approcha, et entendit quelque chose qui ressemblait à des pleurs.
C'était à ce point là ?
Elle frappa à la porte.
– DÉGAGE, ESPÈCE DE CRÉTIN !
Ginny sursauta.
C'était à ce point là.
Elle ouvrit timidement la porte.
– JE T'AI DIT DE FOUTRE LE CAMP !
– Hermione, c'est moi.
Assise sur le lit, Hermione se tourna vers elle.
– Ah. C'est… Excuse-moi, je…
Sa voix tremblait, et elle avait beaucoup de mal à articuler.
Elle fit volte-face, pour que Ginny ne puisse pas voir son visage. Mais elle ne fut pas assez rapide.
Hermione s'était clairement mise sur son trente-et-un.
Elle avait revêtu une jupe bleu clair et un tee-shirt moulant assorti.
Ses cheveux étaient lissés et attachés vers l'arrière, et elle avait aussi mis un rouge à lèvres de couleur sombre (le genre de couleur qui vous empêche de voir autre chose que les lèvres).
La seule chose qui n'allait pas, c'était son mascara, qui avait abondamment coulé…
Elle restait assise là, sans rien dire, comme si elle retenait ses larmes (ce qui devait être le cas).
– Hermione, il y a un problème ? tenta Ginny, qui n'était pas vraiment rodée aux exercices d'aide morale aux victimes.
Hermione se tourna vers elle.
– Oui. Il y a un problème, répondit-elle, en fronçant les sourcils. Le problème, c'est que j'en ai assez. J'en ai marre. Marre d'être la gentille petite Hermione, qui vous aide à faire vos devoirs. Marre d'être toujours la brave fille toujours aimable, qui accepte tout sans broncher.
Sa voix, à laquelle elle avait réussi à donner un timbre presque naturel, commença à tressaillir.
Elle craqua.
– J'en ai ras le bol de n'être bonne qu'à vous servir d'encyclopédie ! J'en ai ras le bol de devoir régler vos petits problèmes personnels ! J'en ai ras le bol de m'occuper des autres, et de rester toute seule comme une pauvre imbécile, pendant que tout le monde fricote gaiement ! J'en ai plus qu'assez de devoir passer toutes mes journées dans des bouquins, sous prétexte que je ne suis bonne qu'à ça ! Et surtout, j'en ai assez d'être juste la bonne copine de service, dont tout le monde se moque !
Comme en état de choc, elle éclata en sanglots.
Ginny n'avait jamais vu Hermione dans un état pareil.
– Mais… Qu'est-ce que tu racontes ?
– IL NE M'AIME PAS !
– Quoi ?
Hermione releva la tête.
De grosses larmes lui coulaient sur les joues, avec une traînée noire qui donnait à son visage un aspect morbide.
– RON NE M'AIME PAS ! IL NE M'A JAMAIS AIMÉ, ET IL NE M'AIMERA JAMAIS !

Il fallu un long moment avant qu'Hermione ne puisse se calmer un peu.
Elle semblait vraiment inconsolable. Comme si tous ses espoirs venaient de partir en fumée.
Et apparemment, le pyromane n'était autre que Ron.
Assise par terre, adossée contre son lit, elle avait le regard vide et la mine délavée.
– J'avais suivi vos conseils, commença-t-elle, d'une voix morne. J'étais décidée à lui dire, pour de bon. Et puis, quand je t'ai vu partir avec Harry, je me suis dis "pourquoi pas ?". "Pourquoi pas ce soir ? Nous serons tous les deux seuls dans la maison. On pourra discuter calmement, et plus, même"…
Elle essuya une larme, respira un grand coup, et continua.
– Alors je me suis lancée. Je me suis faite la plus belle possible… J'ai enfin pu utiliser la trousse à maquillage de Maman, d'ailleurs… Et je suis descendue le voir dans sa chambre. Il n'a pas compris tout de suite, bien sûr, pourquoi, moi, j'étais aussi élégante ce soir, alors que… Je suis célibataire.
Elle esquissa un petit sourire qui, malgré tous ses efforts, ne dédramatisa pas la situation.
Ginny devinait déjà la suite. Mais Hermione semblait vouloir continuer son récit.
– On a commencé à discuter. Et puis, j'ai pris mon courage à deux mains, et je lui ai dit. Que je l'aimais. Depuis plusieurs mois, déjà. Que j'étais folle de l…
Elle s'arrêta à nouveau.
Elle se faisait du mal.
Il n'était jamais bon de se remémorer les mauvais souvenirs, Ginny le savait.
– Hermione, ne te…
– Et tu sais comment il a réagi ? Tu le sais ?
Hermione faisait vraiment peine à voir.
Mais Ginny ne savait pas quoi faire.
– Non. Je ne sais pas…, répondit-elle.
– Il a ri ! Un rire gras. Un rire ignoble… Il croyait que je disais ça pour plaisanter !
Bon sang.
C'était pire que ce que Ginny avait imaginé.
– Quand je lui ai dit que c'était vrai, que j'étais vraiment amoureuse de lui, il s'est écarté d'un bon mètre. Comme si j'allais lui sauter dessus ! J'ai essayé de lui expliquer, de lui dire combien il comptait pour moi… Mais c'est là qu'il…
Hermione recommença à sangloter.
Rien qu'à la voir, et à l'entendre tout lui raconter, Ginny sentait elle aussi des larmes lui monter aux yeux.
– Il a dit qu'il ne m'aimait pas ! Que j'étais juste… Une copine. Une "bonne copine". Que les seuls sentiments qu'il n'ait jamais ressentis à mon égard, c'était de l'amitié, et que ça ne risquait pas de changer !
Hermione se couvrit le visage des mains.
Ginny retint ses larmes le plus possible.
– C'est tout ce qu'il a dit ? demanda-t-elle.
Hermione déglutit difficilement.
– Oh non. Il s'est empressé de rajouter que de toute façon, je n'étais pas son style, que j'avais de grandes qualités, mais que ce n'était pas ce qu'il recherchait chez une fille, et que j'étais… Ennuyeuse.
C'était horrible.
Comment on pouvait dire ça à quelqu'un qui venait de vous dire "je t'aime" ?
Cela faisait une bonne quinzaine d'années que Ginny savait que Ron n'avait aucun tact, mais là, c'était le pompon.
Elle espéra que Harry lui ait donné une paire de claques de sa part.
– Ridicule. J'ai été ridicule…, dit Hermione, toujours en pleurant. J'ai été stupide. Jamais je n'aurais dû lui dire ! Je n'ai jamais eu aussi honte de toute ma vie…
Elle se recroquevilla sur le côté.
– Hé. Ne dis pas n'importe quoi, dit Ginny en la prenant par l'épaule. Il n'y a aucune honte à être amoureuse d'un garçon…
Aussi grand et imbécile soit-il.
– Tes sentiments pour lui étaient sincères, non ? Et les sentiments, ça ne se contrôle pas. Ce n'était pas ta faute.
Hermione resta silencieuse quelque instants.
– Ça ne se contrôle pas ? demanda-t-elle en reniflant.
– Non, répondit Ginny. Personne ne peut se créer des sentiments, et encore moins les ignorer.
C'était ce que Ginny avait appris au cours des derniers mois : qu'on pouvait difficilement être maître de ses pensées.
Hermione se blottit contre elle.
– Alors… C'est pour ça, dit-elle.
– C'est pour ça quoi ? demanda Ginny.
– C'est pour ça que, malgré tout ce qu'il a fait, malgré tout ce qu'il a dit… Je n'arrive pas à le détester…

Heureusement que la robe de Ginny était déjà trempée.
Sachant que le corps humain était composé à 70 pourcent d'eau, Hermione avait dû utiliser une bonne moitié de cette réserve organique sur son épaule.
Et c'était légitime.
Cela faisait des mois qu'elle fantasmait sur Ron.
Apprendre que celui-ci n'éprouvait pas du tout la même chose lui avait brisé le cœur, et avait mis fin à tous ses rêves.
Ginny était impuissante.
Paradoxalement, c'était Hermione la spécialiste dans ce genre de situation. Elle savait toujours quoi dire.
Mais là, Hermione était seule, face à ses désillusions.
Ginny était gênée d'être assise là, pendant que sa meilleure amie était en train de se morfondre.
On ne pouvait pas dire qu'elle aidait beaucoup.
Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était l'écouter attentivement.
– J'ai cru à tellement de chose, dit Hermione, à voix basse. Je nous voyais déjà, heureux. Tout simplement.
Elle soupira.
– Je n'aurais pas dû faire des plans sur la comète. J'aurais dû me préparer à ça…
Le fait est que tout le monde y croyait.
Pour la majeure partie des gens qui connaissent Ron et Hermione, le constat était évident : il en pinçait secrètement pour elle.
– Je me suis laisser emporter…
– Tu ne pouvais pas savoir, dit Ginny d'un ton compatissant. Tu as bien fait de lui avouer tes sentiments.
Hermione n'en paraissait pas si sûre.
Elle leva la tête, et soupira une nouvelle fois.
– Tout ce que je voulais, c'était être comme les autres. Les gens croient que parce que je passe mon temps à étudier, je me contrefiche des relations humaines. Mais c'est faux.
Quelque chose fit grincer les ressorts du matelas.
Ginny tourna la tête.
C'était Pattenrond, qui devait somnoler quelque part dans les oreillers.
Il sauta sur le sol, et se frotta contre Hermione, en ronronnant.
– Je crois que ma plus grande peur, c'est d'être seule, justement…, ajouta celle-ci.
Elle commença à caresser le chat.
– J'avais envie de goûter aux mêmes joies que tout le monde. Toi, Harry, Victor… Même Neville et Luna Lovegood ! Tout le monde a réussi à trouver quelqu'un. Sauf moi. Moi, je suis la meilleure amie, le soutien morale. La "bonne copine"…
Ginny se sentait un peu coupable.
C'était ce qui s'était passé, quelques heures plus tôt, dans cette même chambre.
Elle était venue voir Hermione dans l'unique but d'avoir son aide. Et c'était comme ça la plupart du temps.
Il faut dire qu'Hermione paraissait toujours tellement sûre d'elle…
Personne ne pouvait imaginer qu'une jeune fille en proie à l'incertitude se cachait derrière cette jeune femme fière et épanouie.
– J'ai l'impression de ne pas avoir droit à l'Amour…, dit Hermione.
Elle semblait complètement démoralisée.
Elle, d'ordinaire si souriante, si pleine d'entrain.
– J'espérais tellement. C'était lui, ma seule chance d'être aimée. Ça aurait pu être merveilleux. Mais au final, c'est Ron lui-même qui a détruit…
Elle recommença à pleurer.
– Et pourtant, je l'aime… Plus que tout. Qu'est-ce que je vais faire, maintenant ? Qu'est-ce que je peux faire ?
Dans d'autres circonstances, Ginny lui aurait conseillé d'attendre. De patienter, jusqu'à ce que Ron ait enfin des sentiments pour elle, comme cela avait été le cas pour elle et Harry.
Mais ici, c'était différent.
Cela faisait près de sept ans que Ron et Hermione se fréquentaient.
Ils étaient ensemble presque 24 heures sur 24 (les virées nocturnes aidant).
Et malgré tout ce temps Ron, n'était pas tombé amoureux.
Bien sûr, l'Amour n'avait rien de prévisible, et ce n'était pas une valeur sûre qui arrive à heure fixe.
Mais tout de même.
Espérer encore quelque chose serait naïf.
Si Ron aimait Hermione, il aurait déjà réagi.
Ginny se rendit compte de la chance qu'elle avait : elle aimait et était aimée en retour.
– Tu ne peux rien faire, dit-elle. Tu vas sans doute avoir du mal. Beaucoup de mal.
Elle se rappela de sa rupture avec Harry.
– Mais quoi qu'on en pense, on peut vivre avec le cœur brisé. Ou plutôt, on peut survivre.
Ce discours n'avait rien de réconfortant. Mais il était réaliste.
Il n'y avait rien de pire que d'être rejeté par la personne qu'on aime.
– Tout ce que je peux te souhaiter, c'est de réussir à surmonter ça.
Hermione ne dit rien.
Elle continua à caresser Pattenrond, tout en réfléchissant.
Ginny ne savait pas si elle lui avait remonté le moral.
Sûrement pas.
Mais elle avait été franche. Lui mentir, et lui faire croire que tout serait simple n'aurait fait qu'aggraver les choses par la suite.
Il valait mieux la préparer au pire.
– Ma vie est un échec, dit Hermione, d'un ton désespéré.
Tout compte fait, Ginny aurait mieux fait lui raconter des bobards…
– Si je fais le bilan de mon existence, qu'est-ce que ça donne ? Hein ?
Ginny ne répondit pas.
– Déjà quand j'étais en primaire, je n'avais pas d'amis, continua Hermione. Je ne faisais que réviser mes tables de multiplication dans la cour… Et ça a continué après. Même s'il y a eu quelques améliorations notables à Poudlard, ce n'était pas non plus très glorieux. À part toi, Harry, et… Enfin, je ne croulais pas sous les relations amicales. Je ne parle presque plus à mes parents, qui sont complètement déphasés par rapport à tout ce que j'entreprends…
Elle prit Pattenrond dans ses bras.
– Tout ce que j'ai gagné, c'est un paquet de bonnes notes, l'admiration de vieux professeurs à chapeaux pointus, et un gros chat orange.
– Ne t'apitoie pas sur ton sort…, dit Ginny.
– Que veux-tu que je fasse d'autre ? Je vais sans doute me retrouver vieille, solitaire, avec pour seule compagnie un boulot d'enfer, où j'accumulerais les heures supplémentaires, et un vieux matou décrépi !
Pattenrond miaula de mécontentement.
– Désolée.
– Tu n'exagères pas un peu, non ? insista Ginny. Ta vie ne sera pas comme ça, juste parce que Ron t'as… Déçu. Tu ne vas tout de même pas partir en dépression à cause d'un garçon.
Rejeter la faute sur les garçons.
Voilà qui remontait toujours le moral entre copines.
– Ron dit que tu es ennuyeuse ? Très bien. Prouve lui le contraire. Reprends-toi. Amuse-toi, décompresse un peu… Je ne sais pas, moi…
– Oui. Comme ça je finirais vieille, solitaire, au chômage, avec un vieux matou décrépi…, répondit Hermione, d'un air sombre.
Il n'y avait rien à faire.
Hermione était pour ainsi dire traumatisée.
Tout ça, c'était la faute de Ron, bien sûr. C'était toujours de sa faute.
Il n'arrêtait pas !
Déjà le matin, avec le journal, et puis…
Oh, et non…
Ron n'y était pour rien là-dedans, Ginny le savait très bien. Mais sa solidarité féminine prenait le pas sur sa raison.
Si Ron n'aimait pas Hermione, ce n'était pas sa faute.
Elle n'allait pas le forcer à être amoureux d'elle, l'enchaîner au domicile conjugal et en faire son esclave sexuel…
Naturellement, il s'était très mal exprimé, mais en même temps, qu'est-ce qu'il pouvait faire d'autre ?
On ne pouvait pas vraiment lui en vouloir, même si au final, ce n'était pas lui qui avait fait couler tout son rimmel…
Hermione était perdante sur toute la ligne.
Ginny n'osait pas imaginer l'ambiance des semaines à venir.
Ça allait être très difficile à vivre…

Quelle Saint Valentin.
Cela s'annonçait bien, pourtant. Surtout pour Harry et Ginny.
Mais à force de se rouler des patins, ces derniers avaient oublié les deux autres pensionnaires du 12, Grimmault Place.
Et pendant que Ginny passait l'une des plus belle soirée de sa vie, Hermione se préparait à voir la sienne gâcher, de vie.

Ginny jeta un coup d'œil au réveille-matin doré qui trônait sur la table de chevet : 0h 01.
La fête était finie.