Chapitre 14 : Jeux interdits
Londres.
Début Mars…
Avec leurs sacoches et leurs sacs à dos transportant leur matériel du Parfait Petit Chasseur d'Horcruxes, ils devaient avoir l'air d'une bande de campeurs.
Mais Harry, Ron, Hermione et Ginny n'étaient pas en forêt, et le quartier dans lequel ils étaient ne donnait guère envie d'y séjourner, ne serait-ce que pour une nuit.
Vauxhall Road était pour ainsi dire laissé à l'abandon.
Les commerces avaient baissé leurs rideaux de fer pour toujours, et les ordures s'amassaient devant les vieux bâtiments aux fenêtres condamnées.
La pauvreté était partout, autant sur le trottoir, avec quelques clochards cuvant leur vin, que dans les vieux immeubles datant d'avant la Seconde Guerre Moldue.
La seule preuve d'une ancienne et relative prospérité du quartier que Ginny trouva, c'était de vieilles affiches publicitaires en partie arrachées, et une carcasse de véhicule moldue rouillée.
Hermione avait expliqué cet état de délabrement par la fermeture il y a plusieurs années des usines alentours.
Ginny n'y connaissait rien aux attitudes des Moldus en cas de crise. Mais elle savait différencier un quartier pauvre d'un ghetto.
Comparé à cet endroit, Grimmault Place, c'était la City.
– Ron ! Accélère un peu ! cria Ginny à son frère, qui traînait cinq mètres derrière eux, près d'un vieux canapé bouffé aux mites.
– C'est bon, j'arrive…, répondit Ron, en pressant le pas.
Ginny savait pourquoi il restait loin des autres : c'était à cause d'Hermione, en tête de cortège, qui déchiffrait une carte de Londres avec Harry.
Une petite brise vint refroidir le visage de Ginny, tandis que Ron arrivait à sa hauteur.
C'était encore l'hiver.
Et pourtant, l'ambiance à la Maison était plus glaciale qu'à l'extérieur.
Harry l'avait prévu : "si Ron et Hermione venait à rompre, je peux t'assurer que ça va être très dur à vivre…".
Raté.
Ils n'ont même pas attendu d'être ensemble pour se séparer...
C'était maintenant le silence qui primait au numéro 12.
Il n'y avait plus de disputes. Mais il n'y avait plus de conversations non plus.
D'ailleurs, Ron et Hermione ne se voyait presque jamais. Ils faisaient exprès de s'éviter pour ne pas avoir à être de nouveau confronté à l'autre, après la scène particulièrement… Déstabilisante de ces dernières semaines.
Même Harry, qui était le spécialiste du conflit Weaslo-grangerien (il était déjà là lors des premières hostilités), ne savait pas quoi faire. Tous les efforts diplomatiques habituels n'y pouvaient rien.
Cette fois, Ron et Hermione n'étaient pas fâchés : ils n'osaient simplement plus se regarder en face.
Parce qu'ils étaient gênés, parce qu'ils avaient honte. C'était selon.
Chacun avait trouvé son moyen de défense personnel.
Ron passait un petit peu plus de temps dehors, ou alors se concentrait sur ses activités culinaires. Lui encore s'en sortait plutôt bien.
C'était Hermione qui inquiétait Ginny.
Pour ne pas avoir à être dans la même pièce que Ron, elle s'isolait le plus possible au troisième étage, pour de prétendues recherches dont elle n'avait pas besoin.
Elle ne descendait pas toujours dîner avec eux, et une ou deux fois, Harry dû lui apporter une assiette, pour être sûr qu'elle se nourrisse. Et si, par hasard, elle croisait Ron dans un couloir, elle baissait la tête, ou plus simplement, changeait de direction pour retourner travailler. Encore.
Elle tentait ainsi d'oublier son chagrin.
Ginny avait rarement vu une telle expression de tristesse sur un visage.
Hermione semblait être capable de fondre en larmes à chaque instant.
Elle souffrait clairement de mélancolie, une maladie qui ne guérissait qu'avec l'oubli et le temps. Mais combien de temps ?
Harry aussi avait été touché par ce clash.
Voir ses deux meilleurs amis se comporter de cette façon lui avait donné un coup au moral. L'époque des sorties à trois et des après-midi joyeux était bel et bien révolue.
Il aurait aimé faire quelque chose pour eux, histoire de les réconcilier, mais cela le dépassait complètement. Il n'était pas fait pour résoudre les histoires de cœur.
Une histoire de cœur qui avait fait des ravages…
Heureusement que Ginny était là pour lui rappeler que l'Amour pouvait aussi être doux…
– C'est à cette adresse, dit Hermione, en montrant un des vieux immeubles. D'après les archives de la Mairie, c'est le seul orphelinat qu'il y avait à Vauxhall Road.
Elle avait prétexté un exposé sur la prise en charge des enfants après la Guerre pour accéder à des documents municipaux. Avoir encore l'âge d'aller à l'école avait du bon.
Harry recula, pour avoir une vue d'ensemble de la bâtisse.
– C'est ici, c'est ce que j'ai vu dans le souvenir de Dumbledore, dit-il. L'Orphelinat de Tom Jedusor.
Ginny n'était pas très enthousiasmée à l'idée de rendre visite au passé de Lord Voldemort.
Mais d'après Harry, un des Horcruxes devait se trouver ici, là où il avait grandi, là où il avait découvert ses dons pour la Magie, là où on lui avait révélé l'existence du Monde des Sorciers.
Un endroit aussi important dans la vie de Voldemort ne pouvait pas être ignoré, et Harry croyait dur comme fer à sa théorie.
Ils restèrent là, tous les quatre, à regarder la vieille maison imposante, qui ressemblait comme deux gouttes d'eau à ses voisines de la grande rue.
À une différence près : aucune des fenêtres n'étaient condamnées. Les vitres n'étaient même pas cassées. Et il n'y avait pas de graffiti sur les murs.
Personne n'avait donc osé s'en approcher ?
– Bon. On y va ? proposa Harry, d'une voix mal assurée.
– On te suit, dit Ron, de la même manière.
Ils franchirent un petit portail couvert de rouille, et se dirigèrent vers le petit escalier de la porte d'entrée.
Harry sortit discrètement sa baguette magique pour l'ouvrir, mais…
– C'est déjà ouvert, dit-il.
Il poussa la porte, qui pivota en grinçant, et tous entrèrent.
C'était comme si le Temps s'était arrêté.
Tous les meubles, tous les objets, semblaient être là depuis plusieurs années, sans que personne ne soit venu les déranger.
Il y avait une table, avec une bouteille de gin encore pleine, un verre à moitié vide et une corbeille de fruits pourris. Sur une chaise traînait un tablier, qu'on n'avait pas pris la peine de laver et de ranger. Des vêtements d'enfants un peu démodés étaient restés accrochés à leur portemanteau. Il y avait aussi des dessins épinglés aux murs, et même un ballon qui n'attendait que le coup de pied de son propriétaire.
Sans la poussière, les toiles d'araignées, l'usure du carrelage et l'effritement des murs, on aurait eu l'impression que l'immeuble était encore occupé, et que quelqu'un allait venir les accueillir.
– Déjà, on est sûr qu'il y a quelque chose de bizarre, ici, dit Harry, d'un air grave.
– Pourquoi ? demanda Ginny.
– Ça doit être la seule maison des alentours qui ne soit pas devenu un squat…
– En fait, ce n'était pas vraiment un orphelinat, expliqua Hermione, en sortant sa baguette pour éclairer la pièce. C'était plus une sorte de refuge pour les orphelins du coin, les enfants abandonnés. Un établissement bénévole pour les gamins des rues, quoi. Ça n'avait rien de très officiel, et ils devaient faire sans les aides de l'Etat.
– Et les enfants trouvaient des parents ? demanda Ron, en se dirigeant vers la cuisine, où l'attendait de la vaisselle encore couverte de crasse.
– Non. La plupart finissaient comme main d'œuvre à l'usine. Ça explique pourquoi Tom Jedusor était encore sous l'autorité de l'orphelinat à plus de seize ans. Mais il y a une vingtaine d'années, la responsable a fermé le refuge. Le quartier commençait à aller mal, à l'époque…
Harry s'arrêta.
– Voldemort était déjà en place, il y a plus de vingt ans, dit-il.
Ses doutes sur cet endroit se confirmeraient-ils ?
– Et les gosses ? Ils sont devenus quoi ? demanda Ginny, en regardant les dessins jaunis et délavés.
– Ça, nul ne peut le savoir. Ils n'avaient pas de familles, pas d'attaches… C'est comme s'ils n'existaient pas…
Tout cela n'avait rien de très réjouissant.
Des gamins laissés tous seuls dans la nature, avec un…
Hé.
C'était quoi, ça ?
Les dessins représentaient des maisons multicolores, des nuages bleus (dans un ciel blanc, bien sûr), et quelque animaux difformes.
Mais quelque chose attira le regard de Ginny : une sorte de grand bonhomme, avec une grosse tête sans "traits" (sans cheveux, quoi), un corps filiforme et de longs doigts crochus.
Il était un peu partout, et d'après les prénoms écrits maladroitement sur les vieilles feuilles de papier, ce n'était pas l'invention d'un seul des orphelins.
Qui cela pouvait-il…?
– Venez voir ! cria Hermione.
Ce n'était pas l'endroit rêvé pour hurler sans raison.
Harry, Ron et Ginny accoururent, dispersant avec eux des volutes de poussières.
– Qu'est-ce qui se passe ? demanda Harry.
– Regarde.
Hermione désigna une petite table en chêne, sur laquelle était disposé, bien en évidence…
– Un carnet ?
Tout le monde sembla penser la même chose.
Le sang de Ginny se glaça.
– C'est… C'est sans doute un pur hasard, dit-elle, pour se rassurer. Un Moldu l'aura laissé traîner.
Hermione leva sa baguette et éclaira le mur. Des lettres phosphorescentes se révélèrent :
La Vérité sort de la bouche des enfants…
– Tu disais ?
Aïe aïe aïe.
Magie + carnet + ancienne résidence de Tom Jedusor : Danger.
– Oh, vous n'allez pas vous mettre à flipper à chaque fois que vous verrez un agenda, non ? dit Ron en s'approchant du carnet.
– Non !
Il prit le carnet et l'ouvrit.
Il était malade !
– Qu'est-ce que je disais ? Ce carnet est tout à fait normal…
– Mais t'es complètement barré ! s'exclama Ginny. Ça aurait pu être n'importe quoi !
– Tu vois ? C'est pour ça que je ne voulais pas que tu viennes ! Tu as peur de tout !
Ouuuuuuh…
– J'allais pas rester à la maison à vous attendre, quand même ?
– Ça aurait mieux valu, dit Ron, d'un ton suffisant. Si tu commences à être effrayée par tout ce qui traîne…
Il lui donna l'agenda, et lui tira la langue d'une façon franchement puérile.
– Un peu de courage, petite !
Ginny tapa du pied sur le sol.
– Qu'est-ce que c'était ? demanda Ron.
– Une araignée, répondit-elle, d'un ton désinvolte.
Ron sursauta.
Ginny pouffa de rire.
Comment pouvait-il encore se faire avoir par ce truc ?
– Vous avez fini, tous les deux ? s'impatienta Harry. Et puis d'abord, il y a quoi, là-dedans ?
Ginny ouvrit le carnet.
Il n'avait été utilisé qu'à moitié, et apparemment, c'était le journal intime d'un certain Jonathan Wellskin.
À en juger par l'écriture et l'orthographe, ce garçon ne devait pas avoir plus de neuf ans.
– 23 JANVIER : Aujourd'hui, il a plu, lut Ginny à voix haute. On a du resté a l'intérieur a faire les devoirs de grammaire qu'a donner Mrs Cole…
– Mais dites moi, c'est super passionnant…, l'interrompit Ron.
Ginny sauta quelques pages.
C'était du même niveau un peu partout.
– Pourquoi Voldemort aurait mis ce journal en évidence s'il n'avait rien d'important ? fit remarquer Hermione.
– Hé, j'suis pas sa mère…, répliqua Ron.
Ginny alla directement aux dernières pages.
– Attendez ! Écoutez ça : 20 MAI : il y a un drole de monsieur qui traîne dans les environs. Il nous regardé quand on joué au foot. Il été vraiment bizarre. Mais 2 secondes après, il avez disparu…
Harry fronça les sourcils.
– 29 MAI : il est encore là, continua Ginny. Il tourne autour de la maison, on dirais. Je ne sais pas ce qu'il veux. Il a un sourire étrange… 1er JUIN : Le monsieur m'a vu. Il m'a regardé avec un drole d'œil. D'ailleurs, il des yeux d'une couleur bizarre : on aurait dit qu'ils étaient rouges…
– Non… Ce ne serait pas…, marmonna Harry, en se penchant au-dessus de l'épaule de Ginny.
– 6 JUIN : Je ne suis pas le seul a l'avoir vu. Paul aussi, il l'a vu. Et aussi Bridget. Personne ne sais qui s'est. Il n'est pas d'ici…
Ginny se rappela des dessins sur les murs.
– 18 JUIN : On invente rien, je le jure ! Même les grands l'on vu. Je n'aime pas son visage, il est tout pale. On a essayé d'en parler a Mrs Cole, mais elle dit que ce n'est rien, qu'on raconte des histoire. Mais elle ce trompe ! A moi, il me fait peur…
– Les enfants sont parfois plus lucides que les adultes, dit Hermione. Ils ont tout de suite décelé le danger…
– 24 JUIN : Le monsieur est toujours la. En plus, il parlait à d'autre gens, avec des capuches. Pourquoi ils nous épie ? Qui est-ce ? On s'est tous réuni dans la chambre de Steven cet après-midi. Les grands disent que c'est un entrepreneur qui veut détruire l'orphelinat. Mais moi, je sais qui c'est : c'est le Diable.
– Le "Diable" ? répéta Ron.
– Le Mal Absolu sur Terre…, dit Harry.
– 25 JUIN : Tout le monde à peur. Les autres ne parlent plus que de lui. Mrs Cole nous a tous disputé, et elle veux qu'on arrete de l'embéter avec ça. Pourquoi les adultes ne nous croient jamais ? J'ai beaucoup de mal à dormir. J'espere qu'il ne vient pas pour me prendre, par rapport a ce que ma maman a fait…
Ginny ne savait pas si elle voulait connaître la suite.
Il ne restait plus qu'une page avant d'en arriver aux feuilles vierges.
Qu'est-ce qui avait pu pousser Jonathan Wellskin à arrêter d'écrire ?
Elle tourna la page du 25 Juin.
L'écriture de Jonathan était devenu tremblante, comme s'il avait écrit à la va-vite.
– 26 JUIN : Le Diable est là. Il est rentré dans la maison. Il a une drôle de voix. Il parle avec Mrs Cole. On dirais qu'elle le connaît. Elle, elle nous à dit d'aller dormir, mais personne ne dort. Tout le monde écoute ce qu'ils disent. Le Diable vient de dire quelque chose de bizarre, je n'ai pas bien comprit. Quelqu'un vient de se levé de sa chaise et de quitté la maison. Mais c'est pas lui. Mrs Cole viens de partir. On monte a l'étage. Je doit aller me… Il n'a pas eu le temps de finir sa phrase...
– Vous croyez qu'il… Qu'il s'est enfui ? demanda Hermione.
– Je n'en sais rien. Peut-être…, répondit Harry.
Ginny n'en était pas si sûre. Mais elle l'espérait.
Cela expliquerait la disparition des enfants.
– En clair, ce journal est la preuve que Lord Voldemort est passé par ici, dit Ron. On n'est pas venu pour rien. Continuons d'avancer…
Tous les quatre se dirigèrent vers l'escalier qui menait aux chambres.
Ginny était toujours plongée dans ses pensées.
Comment ? Comment Mrs Cole avait-elle pu laisser ces enfants tous seuls, le soir, avec un type comme Voldemort ?
Soit elle n'avait pas de cœur, soit il y avait un Maléfice quelconque derrière tout ça… Il avait dû l'ensorceler pour lui faire quitter l'Orphelinat…
Ginny feuilleta une nouvelle fois le journal intime de Jonathan Wellskin.
Il s'était écoulé plus d'un mois entre l'apparition du monsieur bizarre et l'entrée du Diable.
Pourquoi tout ce temps ?
Arrivés sur le palier, ils débouchèrent sur un large couloir qui, avec la pénombre, paraissait sans fond. Seule la lumière bleutée de leurs baguettes magiques leur permettait de voir s'aligner les portes des chambres sur les côtés.
Ça ne donnait pas vraiment envie de continuer. Surtout que… Ça commençait à sentir…
Ron renifla un grand coup.
– Eurk… Bon sang, mais… C'est quoi cette odeur ?!
Il y avait comme un mélange de pourriture et de viande faisandée dans l'atmosphère.
Un parfum pestilentiel qui leur agressait les narines et qui commençait à leur piquer la gorge.
– Oh, c'est horrible…, dit Ginny en se mettant la main sur le nez. On dirait que ça vient de là-dedans…
Elle s'approcha de l'une des portes.
Il y avait comme un petit vrombissement qui se faisait entendre.
Ginny donna trois coups de baguette sur la poignée de la porte, qui s'ouvrit aussitôt, laissant apparaître ce que contenait la pièce…
Hermione poussa un hurlement strident.
Le cœur de Ginny s'arrêta de battre.
– GINNY ! cria Harry en se précipitant vers elle.
Ginny s'appuya contre le mur, nauséeuse.
C'était la chose la plus horrible qu'elle ait jamais vue.
Les enfants.
Ils n'avaient pas fui, ce soir-là. Ils étaient restés dans leurs chambres.
D'ailleurs, ils y étaient encore.
– Ginny, est-ce que ça va ? demanda Harry.
– Je… Je…
Ginny était encore sous le choc.
À l'intérieur, le corps en putréfaction d'un enfant était suspendu au plafond, pendu avec ses propres draps.
La peau grise, décharnée, couverte de mouches. La langue pendante. Les orbites vidées de leur contenu par les insectes. Des touffes de cheveux décolorés, recouvrant le visage d'une fillette d'à peine dix ans.
C'était la première fois que Ginny voyait un cadavre…
– C'est…
Complètement déboussolée, Ginny cherchait ses mots. Et par la même occasion, elle cherchait à oublier cette vision de cauchemars.
Ron ferma la porte d'un coup de pied.
– Merde ! Vu l'odeur, ça doit être partout pareil, dit-il. Il les a tous tué !
Ce n'était que des enfants. De jeunes enfants. Il aurait parfaitement pu faire autrement.
– Pourquoi ? Pourquoi ? À quoi ça lui servait ? dit Ginny, en tremblant.
Harry la prit dans ses bras.
– Pour la même raison qui l'a poussé à terroriser les enfants pendant tout ce temps…, dit-il. Il joue. Pour lui, c'était juste un jeu…
– Même chose pour le carnet, rajouta Hermione, qui avait le teint très pâle. Toujours ce même principe du trophée…
– Il devait être fier d'avoir tué tous ces gamins, dit Ron. Des Moldus en plus.
– Il nous nargue, dit Harry. Il se moque de nous en nous montrant de quoi il est capable…
C'était ignoble.
Voldemort avait commis tous ces meurtres juste pour le plaisir d'assassiner quelques enfants sans défense ?
Ginny n'osait même pas imaginer ce qu'avait dû ressentir Jonathan, caché dans son lit, apeuré, quand la porte s'ouvrit pour laisser apparaître la silhouette de l'homme qui l'effrayait le plus au Monde. Et encore moins l'angoisse quand il sentit ses couvertures se resserrer lentement autour de son cou, pour au final le soulever au dessus de son matelas et le faire suffoquer jusqu'à son dernier souffle.
– Tu es sûre que tout va bien ? demanda Harry, un peu inquiet.
– Oui, oui, ça va…, répondit Ginny, couverte de sueur froide.
– Ce que je ne comprends pas, c'est que personne n'ait retrouvé les corps, dit Ron. Cette baraque est invisible aux Moldus, ou quoi ?
– Non, puisqu'elle est sur la carte, répliqua Hermione. N'importe qui pourrait la trouver…
Harry regarda en direction des ténèbres du couloir.
– Voldemort s'est servi de la meilleure protection qui existe, dit-il d'un air grave. Les sentiments humains. La Peur, l'Indifférence…
Ginny repensa aux orphelins, sans aucune famille.
– Tout le monde se contrefichait de ces enfants, continua Harry. Les gens du coin devaient les considérer comme de la marmaille insignifiante. Leur disparition n'a inquiété personne, vu que personne ne s'inquiétait pour eux.
– Le crime parfait, dit Hermione. On n'a pas signalé la disparition des enfants, vu que c'est comme s'ils n'existaient pas. Pas de victimes, pas d'enquête. Néanmoins, il fallait que Mrs Cole reste en vie, pour ne pas que la fermeture de l'orphelinat ne semble suspecte.
"Le Diable vient de dire quelque chose de bizarre, je n'ai pas bien comprit…"
– L'Imperium, dit Ginny. Voldemort a laissé Mrs Cole partir pour qu'elle puisse fermer l'établissement et ne pas éveiller les soupçons…
Une vie épargnée pour pouvoir en détruire une bonne trentaine d'autres.
Ce type ferait bien d'aller voir un psy…
– Les quelques clochards qui ont osé s'aventurer ici ont préféré se taire, conclut Harry. De toute façon, leur avis n'intéresse pas grand monde…
Ginny regrettait d'être venue.
Elle voulait partir, et vite, avant de découvrir une autre abomination comme celle qui se trouvait derrière chacune des portes.
–Tout ce qu'on peut faire, maintenant, c'est retrouver l'Horcruxe, dit Hermione, en rajustant son sac à dos. Il ne doit pas être loin. Après, on pourra quitter cet endroit maudit.
Bien dit.
– Allons directement voir l'ancienne chambre de Tom Jedusor, dit Harry, en montrant du doigt le fond du couloir. Il y cachait déjà ses petits secrets, à l'époque…
Ils avancèrent prudemment de quelques mètres, toujours accompagnés de cette odeur insupportable.
Même avec leurs baguettes, ils n'y voyaient pas à dix mètres. Quand Ginny voulu jeter un coup d'œil à l'escalier par lequel ils étaient arrivés (pour être sûre qu'il y ait encore une sortie), il était déjà caché dans l'ombre.
– Stop ! dit Harry d'une voix forte.
– Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Ginny, inquiète.
– Le sol.
Le plancher était affreusement sale, bien sûr.
Mais une large portion apparaissait anormalement propre, presque neuve.
Harry et Hermione se regardèrent.
– Magie ?
Hermione sortit quelque chose de sa poche : une pièce.
Elle la lança sur le parquet.
Aussitôt, un mur de flammes s'éleva jusqu'au plafond.
Sur le coup, Ginny et les autres reculèrent d'un bon mètre.
Ils pouvaient encore sentir la chaleur d'ici.
Ensuite, les flammes s'estompèrent, laissant le couloir retourner à ses ténèbres habituelles.
– Magie, répondit Hermione.
– Vous venez de gaspiller une Mornille, là, dit Ron, indigné.
– Ce n'est pas le plus important, je te signale, rétorqua Harry.
– Tu verras à la fin du mois…
Une impasse ? Ils étaient bloqués ?
Quelle déception.
Ils allaient devoir rentrer plus tôt que prévu.
C'était vraiment pas de chance…
– Hé ! Il y a quelque chose par terre, dit Hermione.
Et merde…
Elle enleva son sac et s'accroupie à la limite du Mur de Flammes.
– C'est quoi ? demanda Ron.
– On dirait… Une vieille boîte d'allumette.
Tiens. Ça faisait plusieurs semaines que ces deux là n'osaient plus se parler.
Qui aurait cru que la chasse à l'Âme rapprochait les gens ?
– Et il y a un autre message…
Comme au rez-de-chaussée, des lettres luminescentes étaient gravées sur le plancher, avec une flèche pointant vers le fond du couloir :
Quelle que soit la manière,
Tout finira comme tout a commencé : ici.
Si vous avez le droit de jouer,
Ce Chemin vous mènera à ce que vous cherchez…
Pas mal, la rime.
– Ce "Chemin" ? S'il voulait qu'on se fasse cramer la gueule, c'est râpé, dit Ron.
Harry resta les yeux rivés sur le message.
– Il n'y a qu'une seule direction, pas besoin de préciser. Ça doit être un chemin…
– Caché, termina Ginny. Comme le message. Et pour passer les flammes, il faut "avoir le droit"…
On n'a pas le droit.
Tirons-nous.
Hermione se redressa.
– Non, non… C'est "si on a le droit de jouer". Je ne pense pas que ce soit métaphorique. Et les allumettes doivent bien servir à quelque chose. On est dans un orphelinat, et les enfants…
– N'ont pas le droit de jouer avec les allumettes ! s'exclama Harry.
Il prit la petite boîte des mains d'Hermione et en sortit un bâtonnet.
Ginny avait déjà entendu parler des allumettes par son père, mais c'était la première fois qu'elle voyait quelqu'un capable de s'en servir correctement...
Harry s'agenouilla près du message.
– "Quelle que soit la manière…". Le premier vrai sort que Tom Jedusor ait vu, c'était un Sortilège d'Incendie, dit-il. Ça a "commencé" comme ça. Et ça va finir…
Harry gratta l'allumette sur la tranche de la boîte. Elle s'enflamma.
– "Ici".
Il lâcha l'allumette à l'extrémité de la flèche lumineuse, et il recula.
Le message s'effaça, au profit d'une autre lumière.
Des traînées de flammes commencèrent à se dessiner à grande vitesse.
Elles formèrent un demi-cercle, une sorte de quadrillage, et un second demi-cercle, plus grand. Ensuite, des mots et des chiffres apparurent : TERRE, 1, 2, 3, 4 et 5, 6, 7 et 8, et enfin CIEL.
Le feu s'éteignit, laissant les inscriptions sur les lattes du plancher, comme tracées au fer rouge.
– Voilà le "Chemin", dit Harry. C'est par là qu'il faut passer.
Ginny n'avait jamais vu ça auparavant.
– Qu'est-ce que c'est que ce truc ? demanda-t-elle.
– Une marelle, répondit Harry.
Ron et Ginny se regardèrent, et haussèrent les épaules.
– Et...?
– C'est un jeu d'enfants Moldus, dit Hermione. Le joueur doit passer sur toutes les cases, et revenir… Bon sang, je n'en ai pas vue depuis des années !
– Moi non plus ! s'exclama Harry. Je viens de prendre un coup de vieux…
– Pareille !
Ce n'était pas vraiment le moment d'être nostalgique des cours de récrés et de l'heure du goûter…
Ron s'approcha, l'air perplexe.
– Je ne vois pas en quoi c'est compliqué.
– Il y a des règles à respecter, expliqua Harry. Une personne à la fois, une case à la fois, un seul pied par case. Et il faut aussi lancer un caillou, ou un tuc qui y ressemble…
– Le but, c'est l'aller-retour, continua Hermione. De préférence, avec l'Horcruxe. Et à mon avis, si tu ne te plies pas aux règles, aussi simplistes soient-elles… POUF ! Grillé.
Ginny révisa sa position sur Voldemort.
En fait, il était carrément bon pour l'asile.
Ron ne semblait pas convaincu.
– Lord Voldemort ? Protéger son bien le plus précieux avec un machin issu du jardin d'enfant ? C'est n'importe quoi…
– Au contraire, c'est génial, dit Hermione. "Si vous avez le droit de jouer"… Il faut impérativement connaître la culture moldue à fond pour pouvoir franchir le Mur de Flammes. Les seuls sorciers qui auraient pu savoir pour les allumettes et la Marelle, ce sont ceux qui ont grandi chez les Moldus. Et comme d'après ses critères, les… "Sang-de-Bourbes" sont des incapables, il ne reste que les sorciers comme lui, qui ont été abandonné. Sans le faire exprès, Voldemort faisait déjà une sélection. Le seul qui puisse récupérer l'Horcruxe…
– C'est son Égal, dit Harry.
Hermione acquiesça.
– Un seul joueur à la fois, dit-elle, en sortant une seconde pièce de sa poche.
Le cœur de Ginny s'emballa.
– Tu veux vraiment y aller ? demanda-t-elle à Harry.
– Ne t'inquiète pas, Princesse…
Il l'embrassa du bout des lèvres.
Un baiser étrangement distant.
– Ça ne sera pas long.
Il posa sa sacoche sur le sol, et se plaça sur la case TERRE.
– Tu y va à cloche-pied ? demanda Hermione en lui tendant la pièce.
– Euh… Peut-être pas, non.
– Rate pas ton coup, dit Ron.
–Tu peux déjà préparer un repas de fête…
Harry lança la pièce.
2.
– Petit joueur, dit Hermione.
– Retourne à tes poupées, répliqua Harry.
Il posa le pied sur la case 1…
Ginny eut un mauvais pressentiment.
Était-ce parce qu'elle s'inquiétait trop pour Harry que son esprit fusait à cent à l'heure ?
Sans doute.
Mais quelque chose clochait.
3…
Ce n'était pas logique.
Voldemort détestait les Moldus. Il détestait cet orphelinat, il détestait les enfants.
Comment aurait-il pu cacher un morceau de son Âme, si noble, dans un endroit comme celui-ci ?
4, 5…
Ça ne collait pas. Pas du tout.
Voldemort avait honte de ses origines moldues. Ils les avaient rejeté jusque dans son nom.
Pourquoi aurait-il utilisé ces origines pour quelque chose d'aussi important pour lui ?
6…
Voldemort avait bien trop de fierté pour s'abaisser à ça.
Non.
Il y avait autre chose.
L'Horcruxe n'était pas ici.
7, 8…
"La Vérité sort de la bouche des enfants…".
Voldemort n'était plus un enfant.
La maison, les corps, le carnet… Tout ceci n'était qu'une mise en scène.
Il mentait.
Ce Chemin ne mène pas à ce qu'on cherche. Il mène…
Au Ciel.
– HARRY !
"Quelle que soit la manière,
Tout finira comme tout a commencé…"
Une allumette. Du Feu.
Le Commencement. La Fin.
Cerné par les Flammes, Harry hurlait à la mort.
Ginny, horrifiée, était incapable de bouger.
