Chapitre 15 : Sacrifice
Harry s'en est sorti. De justesse.
Grand Salon.
Canapé.
Après l'effort, le réconfort…
– Aah… Aah…
– Attention, j'y suis, là…
– Arrête, non… Aah…
– Allez, je sais que ça te fait du bien…
– Je… Je t'en pris, tu me fais mal…
– Ne t'inquiète pas, c'est bientôt fini…
– Aah… Aah...! Oh… En plus, ça colle et c'est visqueux…
– Tu te régales, hein ?
Assise à califourchon sur lui, Ginny était en train d'appliquer de la Pommangue (senteur kiwi) sur le dos de Harry.
– Oh oui, j'adore me faire oindre d'un gel verdâtre et malodorant…, dit celui-ci. Aïe ! Fais attention…
– Ce que tu peux être douillet ! répliqua Ginny.
Cela faisait deux jours que l'accident s'était produit.
Les plaies de Harry avaient en partie disparu, grâce aux préparations d'Hermione, et aux bons soins de Ginny, qui s'en donnait à cœur joie, ravie de pouvoir caresser le torse dénudé de Harry sans que Ron ne lui lance un regard désobligeant.
Remarque : même si Ron avait voulu l'envoyer en exil dans un monastère tibétain pour la guérir de sa "perversité" des derniers mois, elle aurait eu du mal à lui en vouloir.
C'était lui qui avait pour ainsi dire sauvé Harry, après tout.
Il avait réagi très vite, et avec une dextérité qui ne lui été pas coutumière.
Ginny ne savait pas où et quand Ron avait pu apprendre ces Sortilèges d'Extinction et ce Maléfice d'Antalgie, mais elle ne pouvait que le remercier d'avoir eu la vivacité d'esprit de les utiliser.
– Je ne suis pas douillet, dit Harry, avec un petit sourire. C'est toi qui y vas trop fort.
– Allons bon…
Ginny reprit un peu de Pommangue, et regarda les blessures de Harry.
C'était horrible.
Et la veille, c'était encore pire.
Une grosse plaie rougeâtre partait du bas de son dos, remontait vers son épaule droite, et lui recouvrait le cou jusqu'à la joue. Et son bras gauche portait encore une belle marque de brûlure. Il avait d'autres traces un peu partout sur le corps : doigts, torse, cuisses, mollets… À tous ces endroits, la peau était devenue irrégulière, ridée.
Une horreur.
Heureusement, Harry guérissait de jour en jour, là où un rétablissement total pour un Moldu aurait pris des mois, laissant même des séquelles irréversibles.
– De toute manière, je t'interdis de te plaindre, dit Ginny en lui massant le dos. L'infirmière, ici, c'est moi. Donc si je dis que tu n'as pas mal, tu n'as pas mal.
– Hmm… C'est toi l'experte…, répondit Harry, qui faisait peut-être allusion au massage. Au fait, ça va bien, ton bras ?
– Mais oui, ne t'inquiète pas.
Ça, c'était Harry tout craché.
Même brûlé au second degré sur 65 pourcent du corps, il arrivait à se faire du mouron pour quelqu'un d'autre que lui.
En effet, le bras droit de Ginny était aussi dans un triste état.
Camouflé par des bandages, il lui faisait encore un peu mal. Mais elle s'en fichait.
C'était une bonne douleur.
Sans même réfléchir, Ginny s'était précipitée vers le cercle de flammes qui entourait Harry, et avait plongé la main dedans pour le sortir de cet enfer.
Elle l'avait ensuite tiré loin de la Marelle, où Ron avait pu montrer ses talents insoupçonnés pour la Sorcellerie d'Urgences, sous l'œil paniqué de sa petite sœur.
C'était peut-être paradoxal, mais rien que d'y repenser, Ginny en avait des frissons.
– Et puis, tout ça, c'est de ta faute, dit-elle en remontant le long de la colonne vertébrale de Harry avec ses doigts. Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même. Quelle idée, aussi, de foncer tête baissée dans un piège pareil. Ça puait le danger…
Au sens propre comme au sens figuré.
– Tu t'es jeté dans la gueule du loup, ajouta Ginny, d'un ton plus grave. Comme d'habitude. Tu ne t'en rends peut-être pas compte, mais tu as eu de la chance…
Elle reprit une lichette de Pommange.
La peau de Harry commençait à prendre une teinte verte au niveau de ses plaies.
– Ça aurait pu très mal se terminer. De l'imprudence, voilà ce que c'était.
– Je sais, je sais… Aïe !
– Tu sais, tu sais… Tu aurais dû le savoir avant !
Ginny soupira.
– T'es pas croyable… À croire que tout ça ne te faisait même pas peur.
Contrairement à elle.
Elle oublierait difficilement la vision de Harry, étendu sur le sol, à moitié calciné, et agonisant.
Quant à ses cris de douleur, ils la hanteraient jusqu'à la fin de ses jours.
Harry était à peine vivant quand Hermione transplana avec lui jusqu'à Grimmault Place.
Le trajet en Magicobus avait paru abominablement long à Ginny.
Ron s'évertuait à lui prodiguer les premiers soins, mais son esprit était obnubilé par autre chose que la souffrance : Harry aurait-il succombé à ses blessures à leur arrivée ?
Jamais elle n'avait été aussi angoissée. Pas même quand son père s'était retrouvé à Ste Mangouste, après l'attaque du Serpent de Voldemort.
Sa peur était plus grande, parce qu'elle avait vu l'accident, cette fois-ci. Elle avait failli voir quelqu'un mourir sous ses yeux. Et pas n'importe qui…
Une fois à la maison, Hermione avait rassuré Ginny : Harry s'en sortirait.
Il était allongé dans sa chambre, paisiblement, encore sous l'effet du Maléfice d'Antalgie.
Il était atrocement mutilé, mais ce n'était pas grave, car Ginny serait là pour s'occuper de lui.
En espérant que, plus jamais, elle n'aurait à endurer ce genre d'épreuve.
Cet événement semblait avoir beaucoup plus marqué Ginny que les autres.
Elle voulait bien admettre qu'ils avaient plus l'habitude qu'elle (leurs Curriculum Vitae respectifs ne s'était pas fait tous seuls), mais tout de même.
Elle avait du mal à comprendre ce genre de comportement.
– "Peur" ? Je n'avais pas à avoir peur, dit Harry. J'étais persuadé d'avoir raison. Et puis…
Le ton de sa voix changea.
– Je n'ai pas le droit d'avoir peur. Je dois être capable d'affronter n'importe quoi. Toute cette histoire d'Élu, c'est des conneries. Voldemort est bien plus puissant que moi, je le sais. Mais je peux avoir un avantage par rapport à lui : la Mort. C'est la chose qui l'effraye le plus. Et je dois en profiter. Dumbledore n'avait pas peur de mourir, et il était son plus grand ennemi grâce à cela. Parce que contrairement à Voldemort, il aurait été prêt à tout pour gagner. Quitte à périr. C'est en utilisant cette faille que je le vaincrais. Ne pas avoir peur d'y rester me permettra d'y parvenir. C'était dur à admettre… Mais je me suis fait à cette idée.
Ginny arrêta son mouvement.
– Et puis, la Mort n'est qu'une aventure de plus…, continua Harry. Ça ne sert à rien de la craindre, puisqu'elle arrive forcément un jour. Cette bataille, c'est du sérieux. Je ne peux pas me laisser guider par mes émotions. La Peur est une faiblesse. Dumbledore le savait. S'il m'a… AARGH ! Hé !
Harry se retourna.
– Ça va pas, non ?! Tu m'as vraiment fait mal, cette…
Ginny le gifla.
– ESPÈCE D'IDIOT !
Elle ne pouvait pas croire ce qu'elle venait d'entendre.
Ce discours.
C'était celui d'un kamikaze.
C'était celui d'un fou, prêt à mourir pour sa cause.
– Tu te rends compte de ce que tu dis ?!
Ginny le gifla encore.
– Ça veut dire quoi ? Que tu t'es préparé à mourir, c'est ça ?!
– Mais, qu'est-ce que tu racont… OUCH !
Elle venait de le frapper au ventre.
Comment pouvait-il oser…
Elle s'inquiétait pour lui. Tremblait pour lui. N'en dormait plus.
Et tout ça pour quoi ?
Pour qu'il lui avoue que de toute manière, il va mourir, et que ce n'était pas grave ?
– Je n'ai jamais entendu quelque chose d'aussi débile… Tu me dégoûtes. Tu tiens si peu à la vie que tu oublies d'avoir peur qu'elle finisse ?!
Elle le frappa sur le torse, mais avec moins de force que les premières fois.
– Tu veux mourir comme Sirius, alors ? Ou comme Dumbledore ? Tu te verrais bien tomber sur le champ de bataille, en martyr, hein ?
– Calme toi un peu, dit Harry, qui tentait de la raisonner.
– Me calmer ?
Ginny le frappa une nouvelle fois, mais ses forces l'abandonnaient.
– Tu es en train de me dire que tu vas te laisser mourir pour la bonne cause, que tu vas me laisser toute seule, que tu en serais fier, et tu veux que je me calme ?!
Elle voulait lui faire mal. Le plus possible.
Pour être sûr qu'il écoute, et pour le punir de penser de telles choses.
Elle leva le poing, mais Harry l'attrapa par les poignets.
– Arrête ! Tu crois que ça me fait plaisir, peut-être ?
Pour la première fois de sa vie, Ginny tenta de se détacher de son étreinte.
– Il faut s'y faire, on ne fait pas toujours ce qu'on veut, dit-il. Il faut que tu comprennes. C'est la Guerre. Et on peut être amener à faire des choix difficiles, mais nécessaire, pour le bien de tous. Voire même se sacrifier pour ça. Bien sûr, c'est terrible. Mais il faut être prêt à tout pour vaincre.
Ginny lui lança un regard noir.
– Espèce de lâche.
– Quoi ?!
– "Sacrifice". Un mot inventé par des crétins qui voulaient faire passer leur mort pour un acte de bravoure. Mais c'est faux. C'est juste un suicide. Une manière comme une autre d'en finir avec la vie, tout en se donnant bonne conscience. C'est de l'héroïsme mal placé. Et ça ne sert à rien.
– Tu dis n'importe quoi…
– J'ai raison ! Abandonner la lutte, se laisser mourir. Voilà ce qu'est un sacrifice. Et mourir pour une cause est inutile ! Tu peux me dire en quoi la mort de Dumbledore a arrangé la situation ? Et la mort de Sirius ? À quoi a-t-elle servi ?
– Tu n'as pas le droit de dire ça. Sirius est mort pour moi !
Sirius Black.
Tu parles d'un bon exemple.
Un grand gosse trompe-la-mort, incapable de rester en place cinq minutes.
Avec toute ses belles paroles sur le Courage, le Devoir, l'action…
Cela ne se faisait pas de manquer de respect à un mort.
Mais si Sirius Black était là, Ginny lui aurait expliqué sa façon de penser…
– Sirius est mort de la façon la plus stupide qui soit : en se battant ! S'il avait vraiment voulu t'aider, il aurait quitté le Ministère avec toi au plus vite, plutôt que de risquer sa vie en affrontant des Mages Noirs. Tu crois que mourir dans ces conditions est une preuve d'amour ?
Harry fronça les sourcils.
– Ma mère est morte comme ça.
Ginny s'attendait à cette réponse.
– Non. Ta mère est morte pour te protéger. Elle n'est pas morte pour vaincre Voldemort. C'est totalement différent ! Et je…
Les nerfs de Ginny commençaient à craquer.
Mais elle aurait été incapable de dire si les larmes qui pointaient aux coins de ses yeux étaient des larmes de rage ou de désespoir.
– Je ne veux pas que tu finisses comme eux !
– Ginny, ce n'est pas si simple, rétorqua Harry. Ce n'est pas juste moi. C'est Ron, c'est Hermione, c'est toi… Tout le pays. Et si j'y suis forcé, je serais…
– Harry, s'il te plait, écoute moi.
Elle le regarda droit dans les yeux.
– La Mort n'est pas une solution, et ne le sera jamais. Tu n'as pas à t'infliger cela. Tu mérites de vivre autant que les autres, tu comprends ? Une vie n'en vaut pas plusieurs. Si tu… Si tu meurt, ça ne…
Ginny avait de plus en plus de mal à parler.
Elle reprit sa respiration.
– Je t'interdis de penser ce genre de chose, dit-elle. Je t'interdis de te laisser te faire tuer. Je ne… Je ne pourrais pas le supporter. L'autre jour, quand tu as…
Elle commença à sangloter.
Sa vision de cauchemars venait de lui traverser l'esprit.
– Ça va aller, ça va aller, dit Harry, d'un ton compatissant. Je suis là.
Il détestait voir Ginny pleurer.
C'est pour ça qu'il tentait de l'en empêcher le plus possible.
Mais là, il avait raté son coup.
– Oh, Harry… J'ai cru que tu étais mort ! sanglota Ginny.
Harry la prit dans ses bras.
Les angoisses de Ginny surgissaient à la surface.
Elle avait tenté de faire comme les autres, de les cacher. Mais il lui était impossible de les contenir plus longtemps.
– Je… Je pensais ne plus jamais te revoir ! Alors quand tu commences à me dire que…
– Chut… Calme-toi. C'est fini…
– Tu dois vivre, Harry. Et tu dois avoir peur de mourir. Tu dois craindre la Mort plus que tout au monde. Tu dois la craindre plus que Voldemort lui-même. C'est la Peur qui te maintiendra en vie.
– Ginny, je t'ai déjà dis…
Ginny le serra très fort.
Elle savait qu'elle lui faisait mal.
Mais il était nécessaire que Harry comprenne.
– Promets-le moi.
– Quoi ?
– Promets-moi que quoi qu'il arrive, quoi qu'il m'arrive, tu ne lâcheras pas prise…
– Mais…
– Bats-toi. Cache-toi. Enfuis-toi. Cours… Fais ce que tu peux. Mais promets-moi de rester en vie, quoi qu'il advienne.
Harry ne répondit pas.
– Promets-le.
– Ça ne marche pas comme ça… Je ne peux pas décider de mon avenir. Je sais ce que tu ressens, mais…
– Promets-le !
Après un long silence, il soupira.
– Je te le promets.
