Chapitre 16 : Un peu de repos
Quelques jours plus tard.
Cuisine…
– Ron. Lâche ce couteau.
– Jamais.
– Ron, je t'en supplie, ne fais pas quelque chose que tu regretteras plus tard…
– Il est trop tard pour reculer !
Ron leva la lame au-dessus de sa tête et l'abaissa.
– NON !
COUIC !
Ginny ne fut pas assez rapide.
– Ron ! Tu sais pourtant que je déteste les carottes !
– Et toi, tu sais pourtant que je m'en fiches, répondit Ron en coupant l'immonde légume en rondelles. Si tu n'es pas contente, tu n'as qu'à le faire toi-même…
Il prit les rondelles et les jeta dans le petit chaudron suspendu dans l'antre de la cheminée.
Une épaisse fumée noire apparut.
– Je suis nulle en cuisine…, dit Ginny.
Elle s'approcha du chaudron.
Les morceaux de carottes flottaient dans un potage verdâtre, mélangés avec ce qui semblait être du lard, du blanc de poulet et des poireaux.
– Une caractéristique que nous avons en commun, cher grand frère. C'est quoi cette soupe ?
– C'est pas de la soupe, c'est de la purée, répondit Ron, vexé.
Une bulle d'air explosa à la surface du liquide avec un gros "blop !" sonore.
– Ah ouais, quand même.
Ron attira vers lui un vieux livre de recettes.
– Techniquement, c'est censé être… Une Fricassée de Bonne Chair, avec Ses Petits Légumes du Jardin. Sauf que j'ai rajouté de la purée de poireaux.
– Quelle bonne idée…, dit Ginny, passablement écoeurée.
Infect.
Voilà ce qui décrivait la plupart du temps le contenu des assiettes du 12, Grimmault Place.
Comme toutes les personnes séjournant dans la maison (chat y compris), Ron était une vraie quiche dans le domaine culinaire.
La faute à un cruel manque d'apprentissage des Arts Ménagers à Poudlard, et à une mère qui faisait de la cuisine son territoire privé.
Certes, pour ce qui était d'éplucher les patates, d'écosser les haricots verts, de plumer la volaille, ou d'aller chercher de l'eau, les enfants Weasley étaient des chefs. Mais pour ce qui était d'assembler tout ça pour en faire quelque chose de mangeable, c'était une autre paire de manches. La mère de Ginny n'avait jamais rien voulu leur enseigner.
Une ruse qu'elle avait dû imaginer pour garder ses rejetons chéris à la maison le plus longtemps possible (et leur père avec)…
Ron n'étant pas vraiment une exception confirmant la règle, le problème était donc là, et bien là.
Apparemment, il avait été désigné par Harry et Hermione à leur départ pour la quête aux Horcruxes, ceux-ci ne voulant sans doute pas assumer la responsabilité d'un probable empoisonnement collectif…
Ron prit la salière posée sur le rebord de la cheminée, et saupoudra abondamment sa tambouille.
– Dommage ! s'exclama Ginny. Je commence un régime sans sel !
– Tant mieux, c'était du sucre !
– Berk… Tu me files la gerbe…
– Arrête de te plaindre. Si tu ne veux pas de ma Fricassée de Bonne Chair, avec Ses Petits Légumes du Jardin…
Ron pointa du bout de sa baguette la corbeille de fruits posée sur la table, et passa une pomme bien rouge à Ginny.
– C'est tout ce que tu auras.
Frugal, comme repas.
– Tu es d'une gentillesse rare, dit Ginny, d'un ton sarcastique.
Elle mit néanmoins la pomme dans sa poche, au cas où.
– Au fait, tu n'as pas vu Harry ? Il faut que je lui change ses bandages…
Ron fronça les sourcils.
– Il est à l'étage, dans le Débarras, répondit-il, tout en touillant sa mixture.
– OK, j'y vais, dit Ginny en récupérant son matériel d'infirmière posé sur la Grande Table (sparadraps, bandes et alcool). Ne meurs pas en goûtant ta "purée", surtout…
– Tu ne vas pas le laisser tomber, alors ?
Ginny se retourna.
– Quoi ?
– Harry. Tu ne vas pas le lâcher ?
Il y avait longtemps…
– Bien sûr que non ! Qu'est-ce que tu crois ?
– Je crois ce que je vois, répondit Ron en pointant du doigt le bras de Ginny, encore couvert de pansements. Tu aurais pu y laisser la vie.
Ginny souffla, exaspérée.
– Hé ! Ecoute, quand je te parle ! s'emporta Ron.
Son air était grave.
– Ça s'est plutôt bien passé, cette fois-ci, continua t-il. Il n'y a pas eu de mort. Mais cet Orphelinat, ce n'était qu'un avant-goût. Des choses bien pires se préparent, et je peux t'assurer que ce sera plus sérieux qu'une simple brûlure…
– Qu'est-ce que c'est ? Des menaces ?
– Un avertissement. Tu peux encore t'en aller. Quitter la maison, et rentrer à Poudlard. Toute cette affaire ne te concerne pas.
– Si, ça me concerne ! répliqua Ginny. Ça me concerne parce que c'est Harry. Le moins que je puisse faire, c'est de lui apporter mon soutien ! Je n'ai pas l'intention de le laisser se débrouiller tout seul.
– Je pensais que cet accident t'aurait ouvert les yeux. Mais tu ne sembles pas comprendre. Tu risques ta peau en restant avec lui. Il te conduira à ta perte.
C'était encore son complexe du Grand Frère qui le démangeait.
Mais là, ça allait un peu trop loin…
– Ron… Je sais que tu t'inquiètes pour moi, mais… Jamais je n'abandonnerais Harry, dit Ginny. Je reste avec lui.
– Bien. Tu l'auras voulu, répondit Ron. Mais je t'aurais prévenu… Le pire reste à venir. Et quand ça arrivera, je ne pourrais plus rien faire pour toi…
Ginny soupira.
– Ron, tu es beaucoup trop pessimiste, dit-elle, en quittant la cuisine.
– Je préfère le terme "prévoyant", rétorqua Ron, alors que Ginny rejoignait le Hall d'Entrée.
En venir à suggérer une rupture pour cause de danger de mort.
Ron était vraiment à court d'idées…
Ginny connaissait les risques, en venant ici.
Si son objectif principal était d'être avec Harry, son second objectif était de l'aider le plus possible dans sa tâche. Comme Ron et Hermione.
Et elle n'avait pas l'intention de plaquer Harry sous prétexte que cela devenait dangereux. Au contraire, elle devait être là pour le seconder.
Ainsi, toute cette histoire se finirait très vite, et ils pourraient enfin être heureux.
Ginny emprunta l'escalier, direction l'étage supérieur.
En chemin, elle croisa Hermione qui était en train de descendre, un vieux livre de formules ouvert dans une main (Sécurité magique : Mille et Une idées de Mot de Passes Inviolables), et une canette de soda dans l'autre.
– Ron est dans la cuisine, dit Ginny.
Hermione fît aussitôt volte-face, et remonta.
Ginny leva les yeux au ciel.
De ce côté-là aussi, il y avait encore du boulot…
Arrivée en haut, elle se dirigea vers le Débarras.
Le "Débarras" était en réalité le Petit Salon du premier étage, où était accroché la vieille tapisserie représentant l'Arbre Généalogique de la famille Black.
Harry s'y isolait, de temps en temps, pour réfléchir. Quelque chose qu'il n'avait pas fait très souvent depuis que Ginny était revenue dans sa vie : être deux pouvait parfois faire oublier l'envie d'être seul…
Avant de partir à l'aventure, Harry avait déposé toutes ses affaires dans cette pièce.
Son oncle et sa tante semblaient vouloir être sûrs d'être définitivement débarrassés de lui. Il avait donc emmené ses biens personnels, et les avait "rangé" (un terme très discutable) ici, à deux pas de sa chambre : ses vieilles robes trop petites, ses manuels scolaires usagés, son matériel de Potions, quelques bandes dessinées déchirées, son Éclair de Feu… Toute la vie de Harry, tout ce qu'il aimait, se trouvait là-dedans.
Il y avait aussi un vieil album photo, que Ginny avait préféré ne pas ouvrir (par pudeur), ainsi que la cage désespérément vide d'Hedwige, sa chouette.
Traverser tout le pays avec des hiboux sous le bras n'aurait pas été des plus judicieux. Harry et Ron avaient donc laissé leurs volatiles respectifs à Poudlard.
Hermione, par contre, avait pu emmener Pattenrond : sa mère était allergique aux poils de chat.
Ginny entra dans la pièce.
– Hé.
– Hé, répondit Harry.
Il était en train de fouiller dans un vieux sac rempli de bric-à-brac de toute sorte.
– Qu'est-ce que tu fais ici, tout seul ?
– Oh, je… Je cherchais ça.
Il montra à Ginny un petit miroir de poche en mauvais état.
– J'ai retrouvé son jumeau l'autre jour, dans un tiroir.
– Et à quoi ça sert ? demanda Ginny, en déposant les bandages qu'elle avait amené sur le petit divan, près de la grande fenêtre.
– C'est un Miroir à Double Sens. Ça permet à deux personnes de communiquer entre elles. Sirius m'en avait donné un avant de mourir, mais… Je l'ai malencontreusement cassé.
Harry fixa le miroir quelques secondes.
– Je vais essayer de le réparer. Ça peut toujours servir…
Il afficha un sourire maussade qui ne trompait personne.
Ginny commençait à avoir des remords.
– Harry, tu sais… Ce que j'ai dit l'autre jour… Je suis désolée. Ce n'était pas ce que…
– N'en parlons plus, la coupa Harry.
– Tu… Tu penses encore à lui ?
Il détourna le regard.
– Moins qu'avant. Je crois que ça m'a passé… Après tout, quand on y réfléchit, je ne le connaissais pas beaucoup… J'ai dû passer beaucoup plus de temps en retenue qu'avec lui.
– Mais, c'était ta seule famille. Enfin, dans le sens où il montrait un peu d'affection de temps à autres.
Le récit que Harry lui avait fait de sa vie chez son oncle et sa tante empêchait à Ginny de penser au mot "famille".
"Tortionnaires" aurait été plus adapté.
– Oui, je sais…, répondit Harry d'un air las, tout en s'approchant de l'Arbre Généalogique des Black. En fait, je crois que ce que j'appréciais le plus chez Sirius, c'était ça. Que ce soit mon parrain. Avoir des parents a toujours été ce que je désirais le plus…
Avec sa baguette, il tissa en fines lettres dorées les mots "Sirius Black" sur la tapisserie, à l'endroit exacte où ce nom avait été effacé.
– Lui, c'était plutôt l'inverse.
La broderie s'enflamma aussitôt, comme une mèche de pétard qu'on allume.
Mme Black avait pensé à tout.
– Tu ne souhaites plus avoir une famille ? demanda Ginny.
– Disons que j'ai trouvé un substitutif, répondit Harry, avec un vrai sourire, cette fois.
Cela réconforta Ginny.
– En fait… Vous n'étiez pas si différent l'un de l'autre, dit-elle, en s'asseyant sur le canapé. Sirius aussi avait pris pour habitude de prendre beaucoup trop de risques…
Harry soupira.
– M'en parle pas…, dit-il en enlevant son pull.
Grâce à la Pommangue (qu'Hermione soit louée), ses marques de brûlures avaient presque toutes disparu.
Mais il devait encore faire attention à ce que ça ne s'infecte pas.
– Quel fiasco.
Il s'installa, dos à Ginny.
– Ce n'était pas ta faute…, dit celle-ci.
Elle défit les bandelettes qui lui couvraient l'épaule.
– Pas ma faute ? répliqua Harry. Cet immeuble était un traquenard, et on est tombé dans le panneau à cause de moi.
– Tu ne pouvais pas savoir que c'était une fausse piste. Et puis, on s'est tous fait avoir…
Sa blessure était quasiment guérie.
Bientôt, il n'y paraîtrait plus.
– Comme des bleus.
C'était le cas de le dire.
– Peut-être, mais justement, on n'est pas censé être des bleus, dit Harry.
Ginny prit un morceau de coton et l'humecta avec de l'alcool.
– Que veux-tu qu'on soit d'autre ? rétorqua-t-elle. On n'a même pas notre diplôme…
Elle tamponna sa plaie avec le plus de douceur possible.
Ça devait le piquer horriblement.
Mais il ne broncha pas.
– Il n'est pas question de ça, répondit Harry. C'était bien trop dangereux.
– Tu te culpabilises, dit Ginny, en entourant son épaule avec des bandages propres. Tout ne repose pas sur toi.
– N'empêche que. J'aurais dû être plus prudent…
– Tu feras plus attention la prochaine fois.
Tu l'as promis.
– En attendant… C'est fini ! s'exclama Ginny, assez fière de son travail d'aide-soignante. En espérant que vous ne jouerez plus avec le feu, Mr Potter.
– Déjà ? Je n'ai rien senti…, répondit Harry, avec un petit sourire.
– C'est bien la première fois.
Elle l'embrassa sur la joue.
– Vivement que toute cette histoire se termine, ajouta-t-elle en soupirant. J'en ai assez de cet endroit.
– Moi aussi, dit Harry en mettant son bras autour d'elle. Je n'aime pas cette maison.
Ginny posa la tête sur son épaule.
– Beaucoup de gens pensent le contraire.
– Beaucoup de gens se trompe, alors. Moi, ce que je veux, c'est revenir à une vie normale…
– Si on avait une vie normale, on serait à Poudlard, en ce moment.
– Tiens, oui. J'avais pas pensé à ça…
– Et pendant que tu te casserais la tête à réviser pour ton ASPIC, moi, pauvre fille, j'en serais à mon énième heure de retenue pour avoir envoyé Pansy Parkinson à l'infirmerie…
– Qu'est-ce qu'elle t'a fait pour que tu te mettes dans un état pareil, au fait ?
" …C'est la faute de Harry Potter si Drago est dans une telle galère. C'est lui qui l'a mis dans les ennuis jusqu'au cou. Toujours à se mêler de ce qui le regarde à peine. Ça me dégoûte. Tu sais quoi, Weasley ? Je me demande comment tu peux être « amoureuse » d'un type pareil. En admettant que ce soit vraiment de l'amour, bien sûr. Il t'a quand même largué plutôt rapidement, non ? Pitoyable ! Il a dû trouver une autre greluche avec qui s'amuser le soir. Quel pauvre merdeux ! Soit dit-en passant… Il y a une rumeur qui court sur ton compte… Comme quoi tu serais encore plus sale que d'habitude. Je vois bien le genre ! Ça joue les Sainte nitouche, mais au final… Tu t'es faite dépuceler par le premier mec qui passait, c'est ça ? Avoue-le, Weasley. Espèce de petite pute !... "
– Il ne vaut mieux pas que tu le saches, répondit Ginny d'un ton amer.
Elle se serra contre Harry.
Pansy Parkinson n'était qu'une idiote.
– Et sinon, y'a quoi au menu, ce midi ? demanda Harry.
– Pfiou ! 'Vaut mieux pas que tu le saches non plus ! répondit Ginny.
– C'est à ce point là ?
– Tout ce que je peux te dire, c'est que c'est vert, liquide, avec des bouts de quelque chose qui aurait dû ressembler à de la viande. Le reste est indescriptible.
– Berk…
– C'est bien ce que je pense.
– Je n'aime pas dire du mal de ton frère, Princesse, mais tout de même. On ne lui demande pas la Lune. Il pourrait faire des efforts…
– Il fait de son mieux, tu le sais.
Harry fit la moue.
– Ça se voit que tu n'as pas eu droit à son repas de Réveillon, dit-il. On aurait dit qu'il voulait notre mort, à Hermione et à moi…
– Je crois surtout qu'il en a un peu marre, dit Ginny. C'est vrai, regarde-le. Il passe la moitié du temps à s'occuper des corvées, pendant que vous autres, vous faites la chasse à l'Âme.
Ginny avait très vite remarqué que quelque chose n'allait pas chez Ron.
Comme s'il ne voulait pas être là.
– On a parfois l'impression qu'il s'isole, tu ne trouves pas ?
– Si… C'est comme ça depuis qu'on est revenu de Godric's Hollow, ou un peu avant, dit Harry, en réfléchissant.
– Il s'est passé quelque chose ?
– Rien de particulier. Mais… Je crois que c'est là qu'il s'est rendu compte de l'ampleur que cela prenait. Voldemort, la Prophétie, les Horcruxes… Il doit être dépassé par les événements.
C'est vrai que personne n'aurait pu deviner ce qui les attendait.
Ron avait déjà eu beaucoup de difficulté à oser prononcer le nom de Voldemort.
Se confronter à lui et à ses sbires de plein gré, et sans aucune protection magique, ne devait pas être des plus rassurant pour lui. Et c'était tout à fait normal.
Ginny elle-même se réveillait parfois en pleine nuit, après un mauvais rêve qu'elle espérait non prémonitoire.
Heureusement que Harry était toujours là, près d'elle, pour la protéger…
– Il ne faut pas s'inquiéter pour lui, ajouta Harry. Mais plutôt pour notre santé et nos estomacs.
Oh.
– J'ai quelque chose, si tu veux, dit Ginny en se redressant.
Elle prit la pomme qui était dans sa poche.
– C'est tout ce qu'on a ? demanda Harry, avec dépit.
– Ben oui.
– C'est maigre.
– Ben oui…
Ginny tendit la pomme à Harry, avec un petit sourire.
– Tentatrice, va, dit celui-ci.
– Allons, mon petit chéri…
Elle se pencha vers lui, son visage tout près du sien.
– Tu as déjà goûté à un fruit bien plus défendu…
– Oui, c'est vrai. D'ailleurs…
Il mit les bras autour de sa taille.
– J'en reprendrais bien encore une bouchée…
Il l'embrassa.
Pouvait-on réellement vivre d'amour et d'eau fraîche ?
Harry et Ginny n'en savaient rien.
Mais en tout cas, ils oublièrent leur appétit…
