Chapitre 20 : Le Samaritain

– Oh.
Ginny abaissa sa baguette.
Ron et Hermione paraissaient tout à fait sérieux.
– Tu plaisantes ? s'exclama Harry, incrédule.
– Pas du tout, c'est dans le Daily Prophet d'aujourd'hui, dit Hermione en entrant dans la chambre. Ron vient tout juste de rentrer.
– Ouais, je suis revenu dès que j'ai pu, dit celui-ci. Tu penses ! Une nouvelle par… Hé. Y'avait pas deux lits av… OUMF !
Ginny venait de lui envoyer un oreiller à la figure.
– C'est arrivé comment ? demanda Harry, tandis que Ginny reprenait sa place à côté de lui.
Hermione lui lança le journal.
– Lis-le par toi-même.
– J'aime particulièrement le gros titre, dit Ron en s'asseyant dans le vieux fauteuil du bureau.
En première page s'étalait en grandes lettres tape-à-l'œil les mots MANGEMORTS : LA VERMINE ÉRADIQUÉE, suivi d'un long article s'étirant sur plusieurs colonnes, le tout avec une photographie mouvante.
Ginny avait du mal à voir ce qu'elle représentait, mais quand elle comprit, elle porta la main à la bouche.
On y voyait le corps livide et couvert de boue de Drago Malefoy, les yeux grands ouverts.
Mais le pire, c'était ce petit homme bouffi, avec sa petite moustache et ses dents cariées, qui exhibait avec fierté le bras gauche de Malefoy, atrocement mutilé.
Une vingtaine de larges entailles, sans doute faite au couteau, semblaient lui découper la peau. On pouvait encore distinguer quelque chose entre les blessures : la Marque des Ténèbres.
"Une juste punition, et une aide précieuse". Voilà le commentaire fait il y a quelques heures par le Ministre de la Magie en personne, dans un communiqué officiel, lut Harry, à voix haute. Cela va s'en dire. En effet, c'est tôt ce matin qu'a été découvert le cadavre du jeune Drago Malefoy (dix-sept ans), dans Hyde Park, sur les berges de la Serpentine River. C'est ce jeune homme qui, rappelons-le, avait participé à l'assassinat du regretté professeur Albus Dumbledore, l'année dernière, notamment en laissant pénétrer ses compagnons Mangemorts dans l'enceinte de l'École Poudlard. Jusqu'alors, seules des présomptions pesaient sur lui et sur le reste de sa famille. L'arrestation de son père, Lucius Malefoy, semblait l'avoir aidé à franchir le cap de l'illégalité et du crime organisé. Et si le cas de sa mère, Narcissa Malefoy, reste à préciser (elle reste pour le moment introuvable), celui de son fils est clair et net : mort.
Ça avait l'air de drôlement leur faire plaisir.
Ginny, elle, ne trouvait pas ça très enthousiasmant.
Les circonstances sont encore mystérieuses, continua Harry. Si un rapport préliminaire de la Brigade des Aurors, menée par Ratchet Sketetor, confirme l'utilisation du Sortilège de la Mort, l'auteur de ce sortilège est toujours inconnu des autorités. "Apparemment, il y a eu course-poursuite, puis lutte", révèle un des premiers enquêteurs arrivés sur les lieux, Davis Phankswerks. "Aucun indice ne permet de savoir qui a fait cela, mais nous l'en félicitons", ajoute Sketetor lui-même. "N'oublions pas que le jeune Malefoy n'a fait que suivre les traces de son père. Il valait mieux en finir au plus vite avec cette famille, si vous voyez ce que je veux dire…". Il faut aussi noter la présence d'entailles au niveau du bras du Mangemort. Selon toutes vraisemblances, ce serait le "Samaritain" (comme on l'appelle déjà officieusement) qui en serait à l'origine, "sans doute pour marquer son opposition envers l'organisation criminelle de Vous-Savez-Qui", explique Sketetor.
Il y avait quand même plus héroïque que de dépecer le bras d'un macchabée.
– "Une autre preuve de ce que j'avance est ce bout de papier, retrouvé dans la poche intérieur du coupable, et qui dit « ATTENTION AU TRAÎTRE ». Ça me parait clair, non ? ". Le Ministre de la Magie, qui a voulu rappeler le travail mit en œuvre par tout le gouvernement pour contrecarrer les plans de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom, signale par ailleurs que malgré son geste, une grâce exceptionnelle sera accordée au Samaritain : "la lutte contre ce petit groupe d'extrémistes peut parfois conduire à une attitude extrême. Mais dans le cas présent, à savoir la légitime défense, il n'y aura aucune poursuite". Il est heureux que de braves citoyens aient encore l'audace de s'opposer, sans crainte, au Mal environnant, et ainsi donner un petit coup de pouce amical au Ministère. Bilan de deux ans d'investigation en page 4. Interview exclusive de Ratchet Sketetor en page 5… Bla, bla, bla…
Le Ministère semblait vouloir se servir de cet événement comme d'un coup de pub pour son supposé bon travail.
Avec l'aide du Daily Prophet, il arriverait sûrement à récupérer quelques feuilles de laurier.
Mais ce que Ginny ne comprenait pas, c'était…
– Pourquoi "légitime défense" ? Ils disaient qu'ils n'avaient aucun élément.
– Malefoy était un Mangemort, dit Hermione. Il avait forcément quelque chose à se reprocher. Un coupable idéal, en quelque sorte…
– Tu insinues quoi, là ? intervint Ron. Que Malefoy n'aurait rien fait de mal ? Que ce pauvre garçon se serait fait attaquer par surprise ?
– Je n'insinue rien, je rappelle juste que nous ne savons pas ce qui s'est passé exactement.
– Et puis, que ferais un "brave citoyen" à Hyde Park, en pleine nuit ? ajouta Ginny. Un quartier huppé rempli de Moldus, en plus…
– Ça, je n'en sais rien, et à la limite, on s'en contrefout. Malefoy était un Mangemort recherché par le gouvernement. Et il a voulu tuer Dumbledore…
– Ce n'est pas si simple, l'interrompit Harry.
– C'est-à-dire ?
– Il y était forcé. Sinon, c'est lui qui mourrait. Il crevait de peur. Ça se comprend, non ?
– Ça reste  ou plutôt, ça restait – quand même un criminel, rétorqua Ron. Comme son père. Il est parti avec Rogue. Il est retourné avec Lord Voldemort, sans hésiter.
– S'il était resté, il aurait été arrêté, dit Hermione. Son instinct de survie a pris le dessus.
– Ça démontre juste qu'il se sentait plus en sécurité avec eux, et qu'il s'était rallié à leur cause.
Ginny regarda la photographie une nouvelle fois.
Sketetor (car c'était donc à cela qu'il ressemblait) pointait du doigt le bras lacéré de Malefoy, histoire de prouver que pour une fois, ils avaient bien attrapé un Mangemort.
Le bras lacéré…
– Peut-être pas.
Tous trois se tournèrent vers Ginny.
– Hein ?
– Regardez les entailles… Vous ne trouvez pas qu'il y a quelque chose qui cloche ?
– Tu veux dire quoi par là ? demanda Harry.
– Euh… Attendez…
Ginny prit sa baguette et attrapa le bras gauche de Harry.
Penta !
– Hé !
Elle imita le mouvement d'un couteau, en laissant de belles traces bleues sur sa peau.
– Mais, arrête !
– Vous voyez ? Ici, les marques partent de l'intérieur vers l'extérieur, et sont penchées vers l'avant. Sur la photo, elles sont plus profondes à l'extérieur qu'à l'intérieur, et elles sont…
Ginny releva la manche de sa robe de chambre et se fît des traînées bleues sur son propre bras.
– Comme ça.
– Princesse, t'es vraiment dégoûtante…, dit Harry.
Hermione s'assit sur le lit, pour voir les marques de plus près.
Harry remonta la couverture.
– Oui…, murmura t-elle, en examinant la photo. Oui, tu as raison…
– Ça veut dire quoi, tout ça ? demanda Ron, un peu déconcerté.
– Ce n'est pas le Samaritain qui a fait ces entailles, dit Hermione. C'est Malefoy lui-même.
– Hein ?! Mais pourquoi il aurait fait ça ?
– Pour les mêmes raisons qui l'ont poussées à traîner dans Hyde Park, seul, en pleine nuit, répondit Harry, l'air songeur.
Apparemment, il pensait à la même chose que Ginny.
– J'imagine mal les Mangemorts avoir leur QG à Londres, à proximité du Ministère et de tous ces Moldus. Encore moins à West End, qui manque cruellement de discrétion. Ils n'ont rien à faire là-bas. Et Malefoy n'était sûrement pas en mission. Pas après son semi fiasco à Poudlard. Et puis, de toute façon, les Mangemorts n'opèrent jamais seuls…
– Et alors ?
– Réfléchis un peu. Le Daily Prophet parle d'une course-poursuite, et on vient de voir que Malefoy s'est carrément mutilé le bras. Il n'allait nulle part, il fuyait. Il quittait Voldemort.
– Il devait croire que se lacérer la peau annulerait les effets de la Marque des Ténèbres, ajouta Ginny. Il devait flipper à mort, chez eux. Il s'est enfuit, et il ne voulait pas qu'on le retrouve…
Ron eut un sourire mauvais.
– Ah ouais ? Pas de chance. Pour une fois que le petit Drago faisait quelque chose de bien dans sa vie, il se fait tuer…
– Je ne pense pas que tu devrais te réjouir, dit Harry. Dans le cas présent, il n'y a pas de légitime défense. Il a bel et bien était assassiné.
– Hé ho ! C'était Drago Malefoy ! La plus belle ordure qu'on ait jamais vue ! s'emporta Ron. Ce type nous a pourri la vie pendant des années. Il a fait les pires crasses à chacun de nous. Et il en a payé le prix. Vous devriez tous remercier le Samaritain !
– Quoi qu'il ait fait, il ne méritait pas la mort.
– Qu'est-ce que tu y connais, au mérite ? rétorqua Ron en se levant d'un bond. Tu ne peux pas juger qui mérite de mourir ou non, ou qui est ton ami ou ton ennemi…
– Non. Et toi non plus, répondit Harry, d'un ton sec. Tout ce que je sais, c'est que Malefoy s'était opposé à Voldemort, même si c'était en s'enfuyant. Tu connais le proverbe ? "Les Ennemis de mes Ennemis…".
Ron leva les yeux au ciel.
– Ne comptez pas sur moi pour pleurer cette pourriture…
– Ron, on ne te demande pas de l'aimer, dit Ginny. On veut juste que tu admettes qu'il n'était pas aussi mauvais qu'il en avait l'air, en fin de compte. Moi, je n'ai jamais pu le sentir, mais… Il n'empêche qu'il a été tué…
– Par un Mangemort, dit Hermione.
Ron se tourna vers elle.
– Plait-il ?
– J'y pense depuis tout à l'heure. Le Samaritain. Que faisait-il en pleine nuit ? Et surtout, que faisait-il à Hyde Park ? Comme Harry l'a dit, le quartier n'est pas idéal pour se faire discret. Or, le Recueil de Conseils pour la Protection, la Dissimulation et la Discrétion des Sorciers vis-à-vis des Autres conseille – à juste titre , de choisir des endroits isolés et beaucoup moins voyant.
– Comme le Terrier ? dit Ginny.
– Ou comme ici. De ce fait, je crois que le Samaritain n'avait rien à faire dans ce parc, tout comme Malefoy.
Ron se rassit.
– Et donc ? demanda-t-il en fronçant les sourcils, comme si ça l'aiderait à mieux comprendre.
– Et donc "ATTENTION AU TRAÎTRE", continua Hermione. Ratchet Sketetor se met le doigt dans l'œil jusqu'à l'omoplate. Drago Malefoy était bien un traître. Par contre, ce message n'était pas adressé à toute la communauté magique, mais aux Mangemorts. Voldemort voulait faire un exemple. Il l'a fait pourchasser, et exécuter.
– Tu en es sûre ? demanda Ron, avec un petit sourire.
Hermione le regarda droit dans les yeux.
– Franchement ?
– Franchement.
– Je ne peux pas le prouver, répondit-elle en haussant les épaules. Mais dès que je peux rabattre le caquet du Ministère, je ne m'en prive pas.
Ron eut un petit rire nerveux.
La remarque d'Hermione n'était peut-être pas fondée sur des certitudes, mais il était certain qu'elle avait un tant soit peu calmée Ron.

– Et toi, qu'est-ce que tu en penses ? demanda Ginny en remettant son soutien-gorge.
– De quoi ?
Ron et Hermione avaient quitté la chambre, mais il était évident que même s'ils étaient enfin seuls, Harry et Ginny n'avaient plus la tête à ça.
– Ben… De Malefoy qui est mort.
– Ha… Ce n'est pas la première fois que ça arrive. Même si ça lui fait perdre des effectifs, Voldemort tue tous ceux qui se mettent au travers de son chemin, ou qui lui sont inutiles. Le frère de Sirius a connu le même sort…
– Non, dit Ginny en enfilant ses bas. Je voulais dire… Personnellement.
Harry ne répondit pas tout de suite.
– Je ne sais pas. Ça fait drôle de se dire qu'il est mort, et qu'on ne le reverra plus. Naturellement, Ron a raison. C'était un salopard. Mais…
– Tu ne peux pas t'empêcher de trouver ça triste.
Tout en mettant sa chemise, il soupira.
– Oui. Quand je pense au nombre de fois où j'ai souhaité qu'il crève, parce qu'il m'avait énervé… Plus ça va, plus je me dis que c'était stupide comme réaction.
Ginny l'aida à boutonner sa chemise, et l'embrassa sur la joue.
– Tu étais jeune.
– La Mort n'est pas un jeu, dit-il, d'un air morose. Quand j'entends Ron parler comme ça…
– Il ne se rend pas compte.
– Peut-être. Peut-être pas.
Il sortit de la pièce, laissant Ginny s'habiller.

Un jeu.
C'était bien ce que la Vie était, pour Voldemort. Un simple jeu.
Il l'avait prouvé à de nombreuses reprises. Pour lui, donner la Mort devait être un amusement comme un autre.
Mais là, avec Malefoy…
Ginny ressentait à peu de chose près la même chose que Harry.
Elle n'avait jamais eu d'affinités pour Drago. Cependant, elle le connaissait.
C'était un des éléments de son ancienne vie à Poudlard : réveil, petit déjeuner, insulte de Malefoy, cours de Métamorphose, déjeuner, sarcasmes de Malefoy, et cætera.
Ça devait être pour cela que l'annonce de son décès l'avait bien plus marquée que celle de Cedric Diggory, par exemple.
Et puis, il mourrait alors même qu'il commençait à rejeter les idéaux qu'on lui avait inculqués durant toute son enfance.
C'était en quelque sorte une preuve de courage. Nombreux furent les sorciers qui n'osèrent pas s'opposer aux Mangemorts juste par peur…
Ginny eut une pensée pour Pansy Parkinson.
Est-ce qu'elle était vraiment amoureuse de Malefoy ? Ginny espéra que non.
Si c'était le cas, elle devait être en larmes en ce moment même.
Une situation que Ginny redoutait plus que tout.

En enfilant son chemisier, elle jeta un regard à son bras gauche.
– Et m…
Les traces de peinture bleue.
Ça ne devait pas partir facilement.
Malefoy les aura décidément fait chier jusqu'au bout…