Chapitre 21 : Potter Does It Better

Deux semaines plus tard.
Chemin de Traverse…

L'acte de bravoure du Samaritain semblait avoir marqué les esprits. L'ambiance était presque décontractée, comme s'il n'y avait plus aucun danger.
Il faut dire que le Daily Prophet faisait ses choux gras de cette histoire (ce qui était normal pour une feuille de chou), en la déclinant de toutes les façons possibles : témoignages de sorciers ayant affrontés des Mangemorts ("il ne sont pas si effrayants"), étalages des nombreuses qualités des Forces Spéciales Magiques ("nous sommes imbattables"), reportage exclusif sur les différentes méthodes d'infiltration ("et surtout, ne répétez cela à personne"), et bien d'autres billevesées.
La Une d'aujourd'hui avait pour titre RATCHET SKETETOR : "VOUS-SAVEZ-QUI NE ME FAIT PAS PEUR" (un titre somme toute assez paradoxal).
Il devait une fois de plus déverser un flot de banalités et de phrases toutes faites, dans l'unique but de se faire mousser, lui et son service.
Ginny était d'un avis partagé.
Certes, cela rendait espoir aux gens. Mais leur faire croire qu'ils étaient en sécurité, c'était un mensonge.
Et d'un point de vue journalistique, ce n'était pas très professionnel…

– Tu ne crois pas qu'une porte qui s'ouvre d'elle-même risque d'éveiller les soupçons ? demanda-t-elle à Harry.
– Ben… On n'a pas non plus beaucoup d'autres solutions, répondit celui-ci, en tirant de toutes ses forces la Grande Porte de Gringotts.
Cachés sous la Cape d'Invisibilité, ils entrèrent tous deux dans la Banque, le sol de marbre en damier couinant sous leurs pas.
Les Gobelins semblaient heureusement trop occupés à remplir des formulaires ou à faire leurs comptes pour remarquer leur invisible présence.

Pour prendre certains moyens de locomotions, pour acheter certains produits, ou pour s'habiller, des crédits moldus étaient parfois nécessaires.
Harry et Ginny étaient donc partis échanger quelques Gallions à la Banque Gringotts, le seul endroit à Londres où on pouvait troquer du métal pur contre de l'argent (à leur connaissance).
Ron, qui était parfaitement ignorant en matière de devises moldues, avait préféré leur laisser la place, et rester dans sa cuisine pour expérimenter de nouvelles recettes, au grand malheur de Ginny, qui avait encore la nausée suite à la Tarte aux Asperges Meringuées de la veille (berk !).
Hermione s'était bien sûr proposée, mais Ginny avait porté Harry volontaire, histoire de pouvoir prendre un peu l'air avec lui (si seulement ils pouvaient retourner au cinéma…).
Et puis, cela lui permettrait d'apprendre à se servir de la monnaie moldue : elle restait persuadée de s'être faite escroquer par le gérant de ce petit hôtel, près de Chesterfield (d'ailleurs, à bien y réfléchir, ce n'était peut-être pas un hôtel ordinaire, à en juger par l'accoutrement des autres locataires, pas plus âgées qu'elle…).

Un petit écriteau sur la droite, à côté d'un vieux Gobelins décrépi, avec des lunettes aux verres épais, qui faisait des additions en marmonnant, indiquait "Bureau de Changes".
Harry et Ginny s'approchèrent.
– Bonjour ! dit Harry en sortant la tête de dessous la Cape.
– AARGH ! s'exclama le Gobelin, en tombant à la renverse.
Harry porta la main à la bouche.
– Oups.
– Il est mort ? demanda Ginny, en se penchant au dessus du guichet.
– Non. Mais ça n'saurait tarder, répondit le vieux Gobelin.
Tandis que Harry rangeait la Cape d'Invisibilité dans sa poche, le Gobelin redressa son grand tabouret, l'escalada tant bien que mal, et revint à sa position initiale, le souffle court.
– 'Pourriez prévenir, non ?
– Désolé, s'excusa Harry.
– Mmmh… 'Est pour quoi ?
– Ben…
Ginny pointa du doigt l'écriteau.
– C'est pour un Change, dit-elle.
Le Gobelin réajusta ses lorgnons, plissa les yeux pour mieux lire la pancarte, et souffla un grand coup.
– 'Uivez moi.
Il sauta de son siège (c'était à se demander pourquoi il était remonté dessus), fit le tour du guichet, et leur montra le chemin, sa queue-de-pie traînant par terre.
– 'Est là.
Il ouvrit une petite porte sur laquelle étaient inscrits les mots "Salle des Monnaies".
En entrant, Harry et Ginny restèrent bouche bée.
La pièce était haute de près d'une centaine de mètres, et éclairée par un luxueux chandelier en cristal.
Sur la droite, il y avait une énorme balance aux plateaux de cuivre.
Sur la gauche, des milliers de petits casiers étaient disposés les uns au dessus des autres, du sol au plafond, sur toute l'étendue de la salle. Ginny faillit attraper un torticolis en essayant de voir à quelle hauteur cela montait.
– Pourquoi des créatures aussi petites construisent des choses aussi grandes ? demanda-t-elle à Harry.
– J'étais en train de me poser la même question…, répondit celui-ci.
Le vieux Gobelin prit un panier en osier, posé près de la balance, et s'approcha d'une grande échelle coulissante, appuyée contre les casiers.
– 'Continent ?
– Pardon ? dit Harry.
– 'Voulez de l'argent de quel continent ?
– Ha ! Euh… Europe ?
Le Gobelin déplaça l'échelle de quelques mètres sur la droite.
– Pays ?
– Ben… Angleterre.
Il monta lentement le long de l'échelle.
– 'Existe pas, dit-il, une fois arrivé tout en haut.
Harry et Ginny se regardèrent.
– Essayez "Grande-Bretagne".
Le Gobelin descendit d'une bonne cinquantaine d'échelons.
– Mmmh… Pièces ou papier ?
– Euh… Peu importe.
Il ouvrit un des casiers, prit à pleine main des liasses de "billets" et quelques pièces de monnaies argentées, les mit dans son panier, et se laissa glisser le long de l'échelle.
Il s'approcha ensuite de la grosse balance.
Ginny remarqua alors un grand tableau, avec des chiffres en lettres rouges qui changeaient toute les vingt secondes, en face de noms bizarres : "Dollar", "Yen", "Peso"…
– Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-elle.
– Les fluctuations de la Bourse, j'imagine, dit Harry.
Bah oui. Ça expliquait tout, ça…
– 'Rgent à changer, s'vous plaît, marmonna le Gobelin, en désignant l'un des plateaux de la Balance.
– Oui, tout de suite…
Harry sortit de sa poche une petite bourse, qu'il posa sur le plateau.
Le Gobelin fit de même avec le contenu de son panier, de l'autre côté.
La Balance commença à s'équilibrer d'une façon physiquement improbable.
Quelques billets en moins, deux-trois pièces de plus, et le compte était bon.

– 'Fait donc cent dix-sept Livres Sterling et vingt Pennies, nota le Gobelin en remettant l'argent à Harry.
– Et bien… Merci.
– 'Oilà un reçu. 'Le perdez pas.
– Pourquoi ?
– 'Arce qu'après vous l'auriez plus.
Il referma son livre de comptes d'un coup sec, et les ignora.
– Ce que j'aime à Gringotts, c'est le service, dit Ginny.
– On ne doit pas avoir assez d'argent pour mériter leur respect, ajouta Harry.
– 'N'effet.
Harry et Ginny levèrent les yeux au ciel.
– Allez, viens Princesse. Mieux vaut ne pas traîner ici. Avec la chance qu'on a, on risque de tomber sur…
– Bill chéri, tu n'as pas oublié les relevés d'Épargne de Mister Colombs, j'espère ?
– Quand je pense que tu as laissé tomber la Divination, c'est vraiment domaaaa…
Harry attrapa Ginny par le bras, la plaqua contre le mur, et sortit la Cape d'Invisibilité à toute vitesse.
– Je les ai, je les ai, répondit Bill, d'un air las, en apparaissant avec sa jeune épouse dans le Grand Hall.

Depuis son accident, Bill, le grand frère de Ginny, était condamné à rester dans les bureaux du service administratif de la Banque.
C'était un travail très ennuyeux, mais la Direction de Gringotts ne voulait pas qu'il leur fasse mauvaise réputation de par le Monde.
Il n'était donc pas rare de le rencontrer ici, des papiers sous le bras, avec Fleur, sa française de femme, pour le seconder.
D'ailleurs, pour le moment, Ginny ne savait pas ce qui l'embêtait le plus.

– Oh ! Et ceux de Miss Calls, tu y as pensé ? demanda Fleur.
– Mais oui…
– Cette horrible bonne femme nous a menacé d'un procès ! Elle dit qu'on lui doit de l'argent…
Bill ouvrit un des dossiers.
– Pourtant, elle n'a aucun intérêt.
– Peuh ! Parle pour toi ! Je n'ai pas envie d'avoir la justice sur le dos !
– Non, son compte n'a pas d'intérêt. Elle a choisi une épargne à 0 pourcent...
Harry et Ginny, toujours collés au mur, à quelques mètres d'eux, étaient un peu limités dans leurs mouvements.
– Qu'est-ce qu'on fait ? murmura Ginny. On ne va pas rester là toute la journée.
S'ils commençaient à parler chiffres, ça pouvait durer des heures.
– On va essayer de se diriger vers la sortie, répondit Harry.
Ils commencèrent à se déplacer latéralement, en direction de la Grande Porte, en faisant le moins de bruit possible.
Si jamais ils étaient découverts, c'en était fini pour eux.

Bien que faisant officiellement partie de la famille, Fleur ne connaissait pas une des règles des enfants Weasley : "Ne dénonce jamais ton prochain, il pourrait te servir d'alibi un jour".
Dans un souci de bien faire, elle n'hésiterait pas à balancer sa désormais belle-sœur, ne serait-ce que pour se faire bien voir par sa désormais belle-mère.
Fleur n'avait encore rien fait que Ginny la considérait déjà comme une traîtresse.
Et ce n'était pas Bill qui lui donnerait un coup de main. Ce pauvre garçon était tenu par les…

– SALUT LES JEUNES !
– Ça bosse dur ?
Et allez…
Fred et George, habillés à la dernière mode, venaient de rentrer de manière tonitruante dans la Banque, ce qui ne laissa pas les Gobelins indifférents ("aargh !").
– Oh, salut les boys ! dit Fleur, en leur faisant un grand signe de la main. Vous venez nous faire un petit coucou ?
– Pas tout à fait, répondit Fred.
Génial…
Ce serait qui, après ?
Charlie ? L'Oncle Irving ?
– On est venu mettre de l'argent sur notre compte commun.
– Encore ?! s'exclama Bill. Ça marche si bien que ça, les pétards mouillés ?
– Ho ho ho… Rigole autant que tu veux, répliqua George.
– Ça nous fera de la pub, ajouta Fred.
Bill, qui était d'un tempérament travailleur (contrairement à Percy, qui était d'un tempérament rasoir), n'appréciait guère que ses deux jeunes frères s'enrichissent en s'amusant.
Surtout depuis que, lui, ne s'amusait plus…
– Regarde ce qu'on s'est offert, mon bon…
– Des bottes en peau de Narval ! C'est pas la classe, ça ?
Ils désignèrent leurs grosses chaussures, de couleur brunâtre.
– Hé ! Le Narval est une espèce protégée, s'indigna Fleur, qui s'inquiétait beaucoup du sort du monde animal, depuis la semi Lycanthropie de son mari.
– T'inquiète, dit Fred, on ne risque pas de nous les voler…
– Vous auriez encore plus d'argent à placer à la Banque si vous n'achetiez pas ce genre de choses hors de prix…, dit Bill.
Ginny aurait aimé pouvoir saluer ses frères. Cela faisait longtemps qu'elle ne les avait pas vu.
Mais il était vital pour Harry et elle de partir rapidement.
Fred et George était capable de mettre à profit une autre des règles des enfants Weasley : "Sers toi de ton prochain, il a déjà fait la même chose avec toi, après tout".
Elle fit signe à Harry de continuer à avancer.
– Les affaires sont excellentes ces derniers jours, en plus, continua George.
– Les gens se sentent badins ! ajouta Fred.
– Le moral revient !
– La gaieté est de mise !
– C'est toute cette histoire sur le Samaritain, c'est ça ? demanda Bill. C'est débile…
– Justement !
– C'est là qu'on entre en scène !
Fleur pouffa de rire.
– Et puis… Il y a déjà une rumeur qui court sur l'identité du Samaritain, dit George à voix basse.
– Qui est-ce ? demanda Fleur.
– Oh, mais c'est quelqu'un qu'on connaît… Déjà.
– Et qui est connu sous d'autres noms !
– Le Survivant !
– L'Élu !
– Le Choisi !
– Le Petit avec les Lunettes !
– En d'autres termes…
– Harry Potter !
Harry s'arrêta brusquement. Ginny lui rentra dedans.
– Harry Potter ? répéta Bill, incrédule. Ça m'étonnerait.
– Mi tou ! ajouta Fleur. Je le vois mal utiliser le Sortilège de la Mort.
– Pourquoi pas ? dit Fred.
– 'Arry n'aurait jamais fait ça. Ce n'est pas son style…
– Oh, je t'en pris…
– Ce n'est plus un gosse…
– Et il haïssait Malefoy…
– À sa place, moi, je l'aurais fait…
– Et moi, même à ma place, je l'aurais fait quand même. Pour le fun !
Bill poussa un soupir.
– C'est complètement ridicule ! Comment vous pouvez croire à ces sornettes ?
– On n'y croit pas, mais les gens, oui…
– C'est ça qui compte ! Le client !
– On envisage même se s'associer à Mme Guipure, pour lancer une ligne de tee-shirt…
Potter does it Better ! Ça en jette, non ?
Quoi ?!
– Euh… Ça ne risque pas d'être mal interprété ? fit remarquer Fleur.
– Possible, répondit Fred. Mais quel que soit le sens du slogan, j'espère pour lui que ce ne sera pas mensonger…
Quelles espèces de...!
– Au fait, Ginny n'a pas eu une histoire avec lui, l'année dernière ? dit Bill, qui voulait éviter que la conversation ne devienne trop graveleuse.
– Si, mais ça s'est mal terminé, répondit George, d'un ton plus sérieux.
– Il a rompu avant de disparaître, précisa Fred. Ginny a beaucoup pleuré.
– À la maison, on était tous persuadé que c'était un amour d'adolescente, mais apparemment, c'était bien plus que ça. Maman ne savait plus quoi faire.
Ginny eut un petit pincement au cœur.
Ils s'inquiétaient pour elle, alors que tout allait bien.
Si seulement elle pouvait le leur dire…
– Je me demande si elle s'en est remise, tiens…
– Jolie-maman n'a pas eu de nouvelles ? demanda Fleur, attristée.
– "Belle-maman", Fleur…, corrigea Bill.
– Rien du tout, répondit George. Elle ne répond à aucune lettre.
Oh oh.
Ginny n'avait pas pensé à ça.
– La pauvre. Elle ne doit pas avoir la tête à ça, ajouta George. Le dernier contact qu'on ait eu avec elle, c'est cette boite de Patented Daydream Charms qu'on lui a envoyé…
– Elle doit être morte d'inquiétude, dit Bill.
– Ouais…
– En espérant que Harry ne soit pas mort tout court, ajouta Fred, sans qu'on ne lui ait rien demandé.
Ginny était heureuse que George, Bill et Fleur lui lancent le regard noir qu'il méritait…

Potter does it Better ! N'importe quoi !
Harry pouffa de rire.
Lui et Ginny avait quitté le Chemin de Traverse, et la Cape d'Invisibilité par la même occasion.
Ils rentraient maintenant à Grimmault Place, cachés parmi la foule de Moldus.
– Toi, ça te fait rigoler, bien sûr ! s'emporta Ginny. Pff… En plus, Fleur a raison : sorti de son contexte, ça peut être très mal interprété.
Elle ne voulait pas qu'une bande de nymphettes ahuries se baladent un peu partout en se vantant de savoir que Harry faisait ça mieux…
– Ce sont les gens qui veulent ça, dit celui-ci. Même si je n'ai rien demandé, je reste une lueur d'espoir pour eux. Ça les rassure de se dire que quelqu'un veille. C'est ce que Scrimgeour voulait, l'année dernière.
– Tu es peut-être un symbole, mais tu n'as pas à être utilisé, ni par le Ministère, ni par Fred et George. Et puis si c'est pour te comparer au Samaritain…
Harry ne répondit pas.
Ginny était un peu gênée de lui demander ça. Mais comme il y serait forcé…
– Tu crois être prêt à tuer quelqu'un, un jour ?
– Pourquoi tu me demandes ça ?
– Et bien… Si la Prophétie s'accomplit, tu y seras obligé.
– Ça te gênerait ?
Être amoureuse d'un assassin n'était pas très réjouissant. Mais être en deuil l'était encore moins. Surtout que la "victime" serait Voldemort, de toute manière…
– Non. Pas du tout, répondit Ginny.
– Moi, ça me gênerait.
Ginny arrêta d'avancer.
– Pardon ?
– "Est-ce que je suis prêt à tuer ?". Je me pose cette question tous les jours, depuis que j'ai appris le contenu de cette Prophétie. Et chaque jour, je me dis que "non".
– Je suis sûre que tu y arriveras. Tu n'as pas…
– Ginny, tu ne comprends pas. Ce n'est pas que je ne peux pas. C'est que je ne veux pas.
Quoi ?
– Mais, Harry… Tu… Tu ne peux pas faire autrement.
– Bien sûr que si. Je ne sais pas ce que je ferais quand le jour sera venu, mais au moins, je sais ce que je ne ferais pas.
Mais qu'est-ce qu'il racontait ?
– Où est-ce que tu veux en venir ? Je ne…
– Tu sais ce qu'est un Mage Noir ? demanda Harry, soudainement.
– Hein ?
– Un Mage Noir. Ce qui le différencie d'un sorcier. Tu sais ce que c'est ?
– Ben… Oui. Enfin, je crois…
– En arrivant dans le Monde de la Magie, je ne le savais pas. Et c'était ce qui me faisait le plus peur. Hagrid m'avait raconté toutes ces choses, sur les Mangemorts… Je ne voulais pas devenir comme ça. Alors j'ai fait tout mon possible pour ne pas être un Mage Noir. Sauf que je ne savais pas précisément ce que c'était. J'ai d'abord cru que c'était quelqu'un qui venait de Serpentard, mais non. Je pensais que c'était quelqu'un qui étudiait la Magie Noire, je pensais que c'était quelqu'un qui utilisait ses pouvoirs contre quelqu'un d'autre, ou contre les Moldus. Mais non. De nombreux sorciers font tout ça, sans être catalogué de "Mage Noir".
Ginny avait du mal à le suivre.
– Tout ça veut dire que la frontière entre ce qui est bien et ce qui est mal n'est séparée que par une chose, Ginny, continua Harry. C'est ça qui détermine si on est ou non un Mage Noir. Et cette chose, c'est tuer. Ou être capable de tuer.
– Tu te trompes !
C'était sorti tout seul.
– Regarde les Aurors ! Ce ne sont pas des Mages Noirs. Mais pourtant, ils ont déjà tué des gens !
– Cela ne change rien à ce que je pense. Tu as déjà vu cette lueur malsaine dans l'œil de Maugrey, quand il parlait de son ancienne carrière ? J'ai vu la même dans les yeux de Bellatrix Lestranges quand elle a tué Sirius. La Communauté Magique ne blâme pas les Aurors, parce qu'ils sont de leur côté. C'est l'Homme qui est jugé, pas ses actes…
– Justement ! Harry, personne ne t'en voudra de recourir au meurtre.
– Si, moi. Je me moque du regard des autres. C'est ce que je pense qui est le plus important. Je n'ai pas envie de me sentir coupable jusqu'à la fin de mes jours.
Ginny ne savait pas quoi dire.
C'était une attention charitable, mais un peu déplacée dans le cas présent.
– Mais… C'est Voldemort, dit-elle. Il a fait du mal à tant de gens…
– Je sais, et je ne l'oublie pas, répondit Harry. Il mérite d'être puni, mais pas d'être tué.
– Même après tout ce qu'il t'a fait endurer ?
– La vengeance n'est plus ma motivation. J'ai changé d'avis sur lui.
– C'est-à-dire ?
– Tu te souviens des souvenirs que Dumbledore me montrait ? Il disait que c'était pour m'aider. Depuis, j'ai compris pourquoi il m'avait montré tout ça. Tous ces souvenirs où l'on voyait le pire des hommes : Lord Voldemort. Dumbledore sentait que j'hésitais. Il voulait que je sois capable de tuer. Il m'a donc présenté cet être infâme, le Mal absolu, pour que je puisses le haïr sans état d'âme, et accomplir la Prophétie. Mais il y a eu un problème. Et cela dès la seconde leçon.
– Celle où tu as visité l'Orphelinat ?
– Oui. Cette fois là, je n'ai pas vu Lord Voldemort. J'ai vu Tom Jedusor. Ce n'était pas encore le Seigneur des Ténèbres. C'était juste un gosse un peu paumé. Un gosse comme moi. Je comprenais parfaitement ce qu'il vivait. Et j'ai eu de la pitié pour lui. J'ai tenté de réprimer ce sentiment, mais aujourd'hui encore, il m'est impossible de haïr Tom Jedusor.
Cela devenait surréaliste.
– Tom Jedusor est Lord Voldemort, dit Ginny. Il a choisi de le devenir.
– Tu as parfaitement raison. Et c'est uniquement pour cela qu'il doit être puni. Tom Jedusor n'est pas né mauvais. En l'abandonnant, en le laissant croupir dans un orphelinat… On l'a poussé, sans le vouloir, à le devenir. Il aurait pu m'arriver la même chose. C'est là que je veux en venir. Tuer Tom Jedusor n'aurait aucun sens, et ça ne servirait à rien. On doit le punir pour ses actes, pas pour ce qu'il est. Je ne veux pas être un bourreau.
Ginny était complètement dépassée.
Ce discours relevait d'un humanisme exacerbé.

Pour elle, la réponse était claire : Voldemort devait être stoppé.
Il n'y avait pas à chercher plus loin. C'était la personne la plus dangereuse au Monde.
Il avait fait les pires choses, il continuait, et il continuerait encore si on ne faisait pas quelque chose.
Bien sûr, la Mort n'était pas une peine acceptable. Ce n'était pas une vraie justice.
Mais dans le cas de Voldemort, c'était différent.
Harry avait des principes, et Ginny était d'accord pour le soutenir dans ses idéaux. Cependant, cela commençait à aller un peu loin.
La peine de mort était peut-être immorale, mais elle pouvait parfois être nécessaire.
Du moins, c'était ce qu'elle pensait pour l'instant.

– Tu es complètement malade ! s'exclama Ginny. Je ne peux pas croire que tu puisses dire ce genre de chose. Tu es en train de rejeter tout ce qu'on t'a appris !
– Et oui, dit Harry, avec un petit sourire.
– Comme si c'était le moment pour jouer les grands cœurs, non mais franchement… C'est de la folie !
– C'est certain, mais je m'en fiche.
Ginny soupira.
Ça avait l'air de l'amuser en plus, de lui annoncer qu'il ne voulait pas tuer Voldemort.
– "Ça ne servirait à rien"... Peuh ! Je me demande qui a été assez stupide pour te mettre ça dans le crâne ! répliqua-t-elle.
– Toi.
Ginny leva un sourcil.
– Moi ?
– "La Mort n'est pas une solution", c'est signé Ginny Weasley, non ?
Bravo, ma fille.
Ton homme est passé du stade suicidaire au stade bienfaiteur de l'Humanité.
– Oui, et bien ça ne s'appliquait qu'à toi, espèce d'idiot ! fulmina Ginny. Voldemort, lui, il peut aller rôtir en Enfer quand il veut ! On apportera même du petit bois, s'il le faut !
Harry éclata de rire.
Encore une fois, il semblait tout à fait sûr de lui. Il avait l'air de contrôler parfaitement la situation.
Être confiant à ce point, c'était impressionnant.
C'est pour cela que Ginny se sentait protégée quand elle était avec Harry.
Elle aurait voulu avoir une telle confiance en elle… Mais faute de mieux, elle devait avoir confiance en lui.
– Pff… J'espère que tu sais ce que tu fais, dit-elle en lui prenant le bras.
– Mais oui, répondit Harry.
Ginny soupira.
Quand il disait ce genre de truc, c'était comme si rien de mal ne pourrait leur arriver.
En espérant que se soit le cas.
Il l'embrassa sur le front, et ils continuèrent leur route.
– Au fait, c'est quoi cette histoire de Patented Daydream Charms ?