Chapitre 25 : Le choix de Ginny

Neuvième semaine…

C'était la foule des grands jours sur le Chemin de Traverse. Les badauds abondaient devant les vitrines des magasins.
Si les Mangemorts avaient voulu faire un massacre, c'était l'occasion rêvée : un Sortilège d'Explosion aurait suffit à faire une bonne trentaine de victimes, et à créer la panique.
Un risque auquel aucun des passants ne faisaient attention.
La confiance régnait. Les soldes aussi.
Mettre la Cape d'Invisibilité pour traverser ce genre de cohue aurait été stupide, puisqu'il était impossible de ne pas bousculer quelqu'un.
Harry et Ginny avaient donc préféré ne pas la mettre, et se dissimuler dans la masse de sorciers.
Ils avançaient tant bien que mal, main dans la main, pour ne pas se perdre.
– Tu arrives à suivre ? demanda Harry, qui conduisait la marche.
– Oui, oui, dit Ginny, à la limite de l'étouffement.
Ils arrivèrent bientôt dans une rue un peu moins animée.
Ginny pu reprendre son souffle.
– C'est là.
Harry lui montra du doigt une petite boutique proprette, avec une grosse enseigne jaune et noire : KLAUS B. AZAKH, Prêteur sur Gages (Toutes sortes de Magie, Magie de toutes sortes).
Dans la vitrine, on voyait des centaines d'objets entassés les uns sur les autres : des livres, des vêtements, des chapeaux, des chaudrons en étain, des montres en or, des bijoux, quelques portraits grimaçants, et même un équipement de Quidditch presque neuf.
– Tu es sûr de vouloir y aller ? demanda Ginny.
– On a le choix ?
Ginny ne répondit pas.
– Attends-moi ici, dit Harry. Je ne serais pas long.
Il l'embrassa sur la joue, puis entra dans la boutique avec son gros sac à dos.
Ginny resta seule, à l'extérieur.
Elle s'appuya contre le mur et poussa un long soupir.
Quel enfer …

Harry et elle ne savaient peut-être pas grand-chose sur le déroulement d'une grossesse, mais ils savaient que cela coûtait cher. Ne serait-ce que pour les suivis médicaux, les frais d'hospitalisations, ou même l'habillement. Sans parler des dépenses que le bébé engendrerait rien qu'à la naissance (ils n'allaient quand même pas le laisser dormir tout nu dans un tiroir).
Ils leur fallaient donc de l'argent.
Et il valait mieux ne pas s'y prendre au dernier moment.
Quelques jours plus tôt, Harry était donc allé à Gringotts mettre un peu d'argent de côté. Malheureusement…

"Comment ça, «pas assez» ?
– Il reste juste de quoi tenir quelques mois avec Ron et Hermione…
– Mais… Tu disais qu'on avait de la marge !
– Je sais, mais… J'ai dû me tromper dans les comptes…
– Ah ben, bravo ! Et comment on va faire, maintenant ?..."

L'héritage de Harry n'était pas suffisant.
Lui et Ginny devaient trouver de l'argent par leurs propres moyens, tout en n'éveillant pas les soupçons de Ron et d'Hermione.
Harry avait donc pris le plus de chose possible dans le Débarras, pour les échanger dans cette boutique. Bien sûr, il n'en obtiendrait sûrement pas grand-chose.
Il voulait aussi prendre son Éclair de Feu, mais Ginny l'en avait empêché : c'était un bien trop précieux (autant matériellement que sentimentalement) pour être revendu.
Et puis, ça lui évitait de se sentir trop coupable.
Harry avait beau lui répéter que ce n'était pas de sa faute, Ginny ne pouvait s'empêcher de culpabiliser.
Il était en train de troquer sa vie, de sacrifier tout ce qu'il aimait… Pour elle.
Ginny aurait voulu faire de même, mais elle n'avait pas grand-chose à offrir.
Tout ce qu'elle possédait, c'était des vêtements qu'elle ne pourrait bientôt plus porter. Et elle n'avait pas non plus de compte en banque.
Ginny se sentait mal de voir Harry se démener ainsi, alors qu'elle restait "passive".
Elle dépendait totalement de lui.
S'il n'était pas là, elle serait perdue. Cette protection lui donnait encore plus l'impression de n'être qu'une gamine.
Mais elle se rattraperait dans quelques mois.
Elle protégerait cet enfant qui lui causait déjà tant d'ennuis, et qui lui en causerait encore.
Car il ne fallait pas se leurrer : ce ne serait pas une partie de plaisir. Mais elle le ferait.
Et en attendant la date fatidique (elle ne pouvait même pas la calculer précisément), il fallait qu'elle se…
Oh.

Quelque chose tirait sur le bas de sa jupe.
Ginny baissa la tête, et ouvrit de grands yeux.
Ce n'était pas quelque chose, c'était quelqu'un. Un gamin aux cheveux blonds, d'à peine 4 ans, qui la regardait d'un air curieux.
– Bonjour.
– Euh… Bonjour ? répondit Ginny.
C'était la première fois qu'elle le rencontrait.
– T'es perdue ? demanda l'enfant, de manière impromptue.
– Moi ? Non…
Ginny s'accroupit.
Il n'était vraiment pas bien grand.
– J'attends quelqu'un, dit-elle, d'une voix douce.
– T'attends ta maman ?
Ginny eut un petit rire.
– Non, j'attends mon…
Elle réfléchit quelques instants.
– J'attends mon fiancée, dit-elle en souriant. Il est dans le magasin. Et toi ? Tu es tout seul ?
– Non, ma maman elle est là-bas.
Le gamin s'approcha d'elle et lui parla à l'oreille.
– Elle achète un cadeau pour mon petit frère, en fait.
– Ooooh… C'est un secret, alors ? répondit Ginny sur un ton de dissimulation.
Le gamin hocha la tête.
Il était mignon.
– Et comment que tu t'appelles ? demanda-t-il, toujours aussi abruptement.
C'est vrai qu'ils n'avaient pas fait les présentations.
– Je m'appelle Ginny.
– "Ginny" ? C'est possible comme nom ?
Charmant bambin.
– En fait, c'est comme ça que mes amis m'appellent, dit "Ginny". Mais mon vrai prénom, c'est "Ginevra".
– Beuh ! C'est nul !
Sale gosse.
En même temps, il n'avait pas tort…
– Et ton nom à toi, c'est quoi ? demanda Ginny, à son tour.
– Moi, je m'appelle Edwin, répondit (donc) Edwin. Mais tout le monde m'appelle…
– ED !
Une grande dame aux longs cheveux châtains venait de sortir d'une des boutiques avoisinantes.
– Maman !
Edwin se précipita vers sa mère.
– Excusez-le, Mademoiselle, dit la femme. Il est à un âge où on n'arrive pas à le tenir en place si on ne le Stupéfixe pas…
Edwin pouffa de rire.
– Ce n'est pas grave, Madame, dit Ginny en se relevant. Il est très gentil.
Elle remarqua rapidement quelque chose.
– Oh, vous aussi vous… Enfin… Vous êtes enceinte ?
La mère arborait un énorme ventre.
– Oui, j'en suis à mon septième mois, répondit-elle, avec un large sourire. Avec cette petite crapule, ça fera le deuxième.
– Moi, j'veux un petit frère ! s'exclama Edwin.
– Et moi, je ne préfère pas. Tel que je te connais, tu ferais les 400 coups avec…
– Il vous cause beaucoup de problèmes ? demanda Ginny.
– Oh oui, répondit la femme, en soupirant.
Elle prit la main de son fils et le regarda tendrement.
– Mais je m'en fiche.
Ginny avait rarement vu une femme avec un air aussi radieux. À part peut-être sa propre mère, quand elle parlait de ses enfants…
– Allez, Ed. Dis "au revoir" à la demoiselle.
– Au revoir, Ginny ! dit Edwin, en lui faisant un grand signe de la main. Et te perds pas, surtout !
Ginny les salua tous les deux, en réfléchissant.

Elle y avait déjà songé, bien sûr.
Mais depuis qu'elle savait qu'elle était enceinte, c'était la première fois qu'elle y pensait sérieusement.
Et si c'était possible ?
Et si avoir un enfant était…

– Quel rat, ce type.
Harry sortit de chez le prêteur sur gages.
– Alors ? Comment ça s'est passé ? lui demanda Ginny.
– Dix Gallions et quinze Mornilles pour les bouquins, quatre Gallions pour les fringues… Même chose pour le reste. Pff… On ne va pas aller bien loin, avec ça…
Ginny ne savait pas quoi dire.
– Je savais qu'on aurait dû prendre l'Éclair de Feu, dit Harry.
– Harry, on en a déjà parlé…, répliqua Ginny.
– Il n'est plus tout jeune, mais j'en tirerais un bon prix. De toute manière, je ne m'en sers plus…
– Mais c'est un cadeau de Sirius, tu n'as pas le droit de faire ça !
– Cinquante-six Gallions et sept Mornilles, Ginny ! Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse avec si peu d'argent ? Ce n'est pas en faisant du sentimentalisme qu'on va s'en sortir. Ça me désole, mais il n'y a pas d'autres solutions…
Justement, si.
– En fait, je… J'y ai pensé, l'autre jour, commença Ginny, d'un ton hésitant. Je me suis dis qu'on pourrait peut-être demander de l'aide à Papa et Maman. Ils ne roulent pas sur l'or, mais c'est déjà mieux que nous deux. Et puis, Papa a son nouveau travail. Je suis sûre que…
– Non.
Hein ?
– Comment ça, "non" ?
– Jamais je n'irais réclamer de l'argent à tes parents, dit Harry, d'un ton catégorique.
– Il ne s'agit pas de réclamer, il s'agit juste de demander un peu de soutien…
– C'est pareil ! Franchement, tu m'imagines aller les voir ? "Bonjour Mr et Mme Weasley ! Vous avez toujours été aimables avec moi, vous m'avez recueilli, vous m'avez logé… Ah, au fait, j'ai engrossé votre fille. Vous savez, celle qui n'est pas majeure. Alors, envoyez la monnaie…"
"Engrossé" ?
– Hé. Je ne suis pas une jument. Et tu ne t'es pas vraiment plaint, pendant que tu "m'engrossais".
– Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire…
– N'empêche que ce n'est peut-être pas le moment choisi pour jouer la carte de l'Honneur. Ça te ferait tant de mal de demander de l'aide à quelqu'un ?
– Il est hors de question que j'aille mendier auprès de qui que ce soit !
Sauf auprès d'un type qui s'appelle Klaus B. Azakh, bien sûr…
– Tu es en train de te pourrir la vie, alors qu'il y a de meilleurs moyens de s'en sortir, dit Ginny. C'est stupide !
– Je ne veux pas dépendre de quelqu'un, surtout dans le cas présent ! répliqua Harry. J'ai fait une connerie, j'assume. Je dois pouvoir être capable de réparer cette erreur tout seul…
Ça y est, il recommençait.
Ce n'était pas la première fois qu'il parlait comme ça.
– "Je, je, je"… Et "nous" ? s'emporta Ginny. Il serait peut-être temps que tu fasses comme si on était un couple, non ? Bientôt, ça va être dur de faire autrement !
– Oui. On sait où ça nous a mener de former un couple…
Quoi ?!
– Tu peux répéter ?
– Rien…
– Mais va s'y ! Si tu as quelque chose à dire, fais-le !
– Oh, laisse tomber…
Mais quelle espèce d'idiot !
– J'en ai ras-le-bol de cette fierté mal placée ! Ras-le-bol ! Parce que tu nous entraînes moi et le bébé avec toi. Tes états d'âmes de Mâle attendront. Moi aussi, j'ai mon mot à dire ! On est dans la même galère, tous les deux. Moi un petit peu plus, même !
– "Un petit peu plus" ?
– Je vais avoir un bébé, Harry. Il ne va pas s'élever tout seul.
Harry parut ne pas comprendre.
– Mais… Il n'a jamais été question d'élever cet enfant, Ginny.
Le cœur de Ginny eut un soubresaut.
– Qu… Quoi ?
– Tu crois vraiment qu'on est prêt à ça ? dit Harry. Qu'on a l'âge ? Qu'on a les compétences nécessaires pour y parvenir ?
Sans s'en rendre compte, Ginny posa la main sur son ventre, comme si on allait lui arracher son enfant.
– Tu… Tu veux abandonner notre bébé ?
– Non ! On peut le faire adopter. Ginny…
Il lui prit la main, brisant le rempart.
– On ne pourra pas l'élever. Pas avec les Mangemorts, les Horcruxes, et Voldemort. Pas avec si peu de moyens non plus. On ne tiendrait pas trois semaines. Ce n'est pas une vie pour un môme. Il ne mérite pas ça.
Ginny se dégagea de son étreinte.
– Et tu comptais me le dire quand ? Après l'accouchement, quand sa famille d'accueil viendrait me le prendre des bras ?
– Tu as dit que tu n'étais pas préparée à avoir un enfant ! Que ce serait trop dur !
– Oui, enfin… Je ne sais pas !
Il avait raison, bien sûr. Mais…
C'était son bébé. À elle.
En tout cas…
– Tu n'as pas à prendre cette décision sans m'en parler !
– Ce n'est pas une décision, c'est un fait, rétorqua Harry. On est trop jeune pour avoir la responsabilité d'un gamin.
Ginny regarda Harry droit dans les yeux.
Ça n'allait pas se passer comme ça.
– Tu n'en sais rien. Moi non plus, je n'en sais rien. Et personne ne peut le savoir.
– T'as les hormones qui font des huit, ou quoi ? dit Harry. On n'y arrivera pas !
– Je m'en fous. Ça vaut le coup d'essayer.
Harry leva les yeux au ciel.
– Il y a encore quelques semaines, tu disais tout le contraire.
C'est vrai.
Mais c'était avant.
– Tu n'as qu'à mettre ça sur le dos de l'instinct maternel…, répliqua Ginny.
– Ça ne fera qu'empirer les choses ! Je n'ai pas envie que ce gosse voit son enfance gâchée. Je sais ce que ça fait, et je ne le souhaite à personne…
– Je ferais une mauvaise mère, c'est ça que tu veux dire ?
– Oui. On ferait tous les deux des parents médiocres.
Ginny n'en pouvait plus.
– Tu sais quoi ? J'ai surtout l'impression que tu veux te désolidariser de lui, dit-elle. Tu veux assumer tes responsabilités, mais jusqu'à un certain point seulement. Tu es capable d'affronter milles dangers, mais pas ton propre enfant ! Et tu sais pourquoi ? Parce qu'il te rappellera sans cesse l'erreur que tu as commise !
– C'est faux ! s'emporta Harry. Je n'ai jamais voulu…
– Tu fais ça pour éviter de regarder la vérité en face ! Cette histoire d'être capable ou pas de s'occuper d'un bébé, c'est du flan ! En fait, tu veux t'en débarrasser au plus vite !
– SI J'AVAIS VOULU QU'ON S'EN DÉBARASSE AU PLUS VITE, JE T'AURAIS DIT D'AVORTER, PAUVRE IDIOTE !
Ginny le gifla.
– Ne dis plus jamais ça.
Les yeux pleins de larmes, elle tourna le dos à Harry.
– De toute façon, j'aurais refusé.
Harry préféra ne rien ajouter.
Il devait penser qu'elle avait les nerfs en pelote, la sensibilité à fleur de peau. C'est vrai qu'elle pleurait souvent, ces temps-ci.
Il devait croire que c'était ses hormones qui la travaillaient, et qui causaient ces crises de nerfs. Elle se contredisait, elle ne savait plus ce qu'elle faisait.
Tout ça parce qu'elle avait peur. L'angoisse devait lui faire dire n'importe quoi.
Mais il se trompait.

Ginny ne savait pas ce qui l'avait décidé : voir cette mère, heureuse, ou s'imaginer en train d'être séparée de son bébé ?
Son choix avait été long. Un mois.
Mais maintenant, les choses étaient claires. Malgré les obstacles, malgré les difficultés, malgré sa famille…
Si elle devait avoir un enfant, alors elle devait aussi l'élever, le garder près d'elle. Le protéger. Même si elle devait faire ça toute seule.
Ginny aimait Harry. Plus que tout. Elle ne voulait pas le voir partir.
Mais s'il la laissait tomber, Ginny savait déjà qui recevrait tout cet amour.
Et rien qu'en aimant ce petit être qui poussait en elle du plus profond de son cœur, elle leur prouverait à tous qu'elle peut être la meilleure des mamans…

Harry et Ginny ne s'adressèrent plus la parole de toute la journée.
Sur le chemin qui les ramena à Grimmault Place, ils ne se tinrent même pas par la main.

C'était leur première grosse dispute depuis qu'ils étaient ensemble.