Chapitre 26 : Rêve Affreusement Bizarre

Où est-ce qu'elle était ? Ça ne ressemblait à rien de connu. D'ailleurs, ça ne ressemblait à rien.
Le long couloir blanc s'étirait sur plusieurs centaines de mètres.
Ginny n'avait aucune idée de comment elle était arrivée ici.
Elle tenta de discerner le bout de ce tunnel nacré.
– Hé ho ! Il y a quelqu'un ? essaya-t-elle.
Il n'y eu pas de réponse.
Plus inquiétant encore, il n'y eu pas d'échos.
Ginny avança de quelques mètres, le bruit de ses pas se faisant à peine entendre.
Bientôt, elle aperçut quelque chose au loin.
Une masse noire et rectangulaire.
Elle accéléra la marche, et se retrouva face à une énorme porte, qui ressemblait à s'y méprendre à celle du 12, Grimmault Place.
La sortie ? Possible.
Ginny abaissa la poignée et ouvrit lentement la porte.
Le grincement habituel était presque inaudible. Elle avait l'impression d'être sourde.
Prudemment, elle passa le seuil, et déboucha sur un autre long couloir, toujours d'une blancheur aveuglante.
Ginny commençait vraiment à avoir peur.

Mais elle n'avait encore rien vu.

Un bruit lourd se fit entendre. Elle fit volte-face.
La porte venait de se refermer d'elle-même.
Impossible. Il n'y avait pas eu de courant d'air. Pourtant…
Ginny se retourna.
Elle tomba alors nez à nez avec une personne qu'elle n'avait pas vu depuis bien longtemps, et qu'elle espérait ne plus jamais revoir.
– Bonsoir, petite fille, dit Tom Jedusor.
Non.
Pas lui. Pas encore.
Sans même réfléchir, Ginny le bouscula et se mit à courir le plus vite possible.
La fuite était la seule solution.
Jedusor la poursuivit. Elle entendait le faible bruit de ses pas.
Paniquée, Ginny tenta d'aller plus vite, mais elle avait l'impression de faire du surplace.
Il serait toujours trop près, de toute façon.
Le bruit de pas se faisait de plus en plus entendre. Elle préférait ne pas regarder derrière elle.
Mais une main se resserra sur son poignet.
Aussitôt, Ginny sentit comme une coupure au niveau de ses deux avant-bras. Elle hurla de douleur.
Elle saignait.
– Allons, pourquoi fuis-tu ? dit Jedusor avec un sourire mauvais. Nous qui avons été si proches…
– LÂCHEZ-MOI ! LÂCHEZ-MOI ! cria Ginny, tout en se débattant.
Il la plaqua avec force contre le mur, la bloquant par les bras.
– Hmm… Tu as bien grandi, je dois le dire. Et quand je dis "bien"…
Ginny ferma les yeux. Elle ne voulait pas voir son visage.
– Oh. À ce que je vois, quelqu'un d'autre à pris ma place au fond de ton cœur…, dit Jedusor en lui caressant la poitrine.
– Lâchez-moi !
Ginny était incapable de bouger.
– Ainsi qu'entre tes reins.
Il lui caressa le ventre.
– Laissez-moi partir, je vous en pris…, supplia Ginny, dans un sanglot.
– Tu sais quoi, petite fille ? Nous allons y remédier…
Le rythme cardiaque de Ginny s'emballa.
– Non, non… S'il vous plait, non !
Jedusor l'embrassa dans le cou.
Puis il l'attrapa par les poignets, et lui joignit les mains.
– Tu n'as pas oublié comment on fait, j'espère ? demanda Jedusor.
– Laissez-moi, laissez-moi, s'il vous plait…, dit Ginny, d'une toute petite voix.
Il la retourna et lui écrasa la figure contre le mur.
Ensuite, il lui prit la main.
Ginny fut alors incapable de contrôler son bras. C'était comme s'il ne lui appartenait plus.
Cette sensation lui était familière.
– Regarde ce que tu es en train de faire, dit Jedusor.
Ginny resta les yeux fermés, toujours en sanglotant.
– REGARDE !
Il mit le bras autour de son cou et la força à regarder.
Les doigts couverts de sang de Ginny traçaient de grandes lettres rouges sur la paroi :

TU VAS LE PERDRE

– AAAH !

Fin mai. La chambre…

Ginny se réveilla, couverte de sueur, le souffle court.
Un cauchemar.
C'était un simple cauchemar.
Cela faisait plusieurs mois que Tom Jedusor n'avait pas hanté ses nuits. La dernière fois, c'était à Poudlard, avant de venir à Grimmault Place.
Encore toute tremblante, Ginny se tourna vers Harry, pour se blottir contre lui, comme à chaque fois.
Mais il n'était pas là. Son côté du lit était désert, et la porte de la chambre était ouverte.
Ce garçon ne tenait décidément pas en place…
Une petite lueur provenait du couloir.
Ginny se leva pour aller voir.
Elle frissonna.
Il faisait encore nuit, et l'atmosphère était glacée.
Elle prit la grosse couette et s'enveloppa avec. Ce n'était pas le moment d'attraper froid.
Elle se dirigea ensuite vers le couloir, les pieds gelés sur le plancher grinçant. En passant devant le bureau, Ginny remarqua quelque chose.
La Rose Bleue. Cette bonne vieille Rose Bleue.
Elle la prit en prenant garde de ne pas se piquer, et sentit son parfum. Il était toujours le même.
Cela rappela à Ginny toutes les belles promesses que Harry lui avait faites.

C'était loin tout ça. La donne avait changé.
Et ce qu'elle avait vu en rêve était exact : elle était en train de le perdre.
Harry lui avait dit qu'il l'aimait, bien sûr. Mais est-ce qu'il l'aimait encore ?
Son air était plus préoccupé que passionné. Ce n'était plus le même.
Il ne souriait plus, ne l'embrassait plus, la touchait à peine.
C'était comme si à force de trop s'aimer, Harry s'était lassé.
Ce trop-plein d'amour était la cause du problème.
Et il allait entamer son troisième mois…

Ginny sourit.
Penser à son futur bébé était l'une des rares choses qui la faisait encore sourire.
Elle posa la main sur son ventre maintenant un peu rebondi (du moins, en avait-elle l'impression). Un geste qu'elle faisait de plus en plus souvent, et qui risquait de la trahir (Ron le lui avait fait remarquer, quelques jours plus tôt).
Bien entendu, elle ne pouvait rien sentir, c'était beaucoup trop tôt. Mais elle ne pouvait pas s'en empêcher.

Ginny n'avait aucunement l'intention de choisir entre son enfant et le père de son enfant.
Elle pouvait parfaitement aimer les deux.
Il lui avait fallu cinq ans avant de conquérir le cœur de Harry. Elle n'allait pas se laisser abattre pour si peu. Elle était prête à tout recommencer, s'il le fallait.

La lumière provenait du Débarras.
Ginny traversa le couloir, et ouvrit délicatement la porte.
Harry était assis sur le divan, en train de regarder son vieil album photo, qu'il n'avait pas eu l'audace de vendre.
– Bonjour, dit-elle à voix basse.
Il devait bien être deux heures du matin.
– Bonjour, répondit-il, d'un air las.
– Harry James Potter. Je sais que tu as pris de très mauvaises habitudes quand tu étais à l'École, mais il serait peut-être temps que tu apprennes à dormir le soir…
Elle s'assit à côté de lui, et l'entoura avec la couette.
– Retourne te coucher, tu vas attraper la Mort.
Et viens me protéger, s'il te plait.
Elle l'embrassa sur la joue.
– Je n'arrivais pas à m'endormir, dit Harry, sans lui rendre son baiser. Alors je suis venu ici.
Ginny jeta un œil à une des vieilles photographies.
On y voyait la mère de Harry, à la Maternité Ste Matrice-de-Cybèle, avec un bébé d'à peine quelques jours dans les bras.
Il était tellement petit…
Ginny posa la tête sur l'épaule de Harry, et soupira.
Elle voulait le même.
– Tu as un excès de nostalgie ? demanda-t-elle.
– On peut voir ça comme ça. En fait, je me demandais surtout comment ils avaient fait. Tout en affrontant Voldemort, ils ont réussi à mener une vraie vie de famille.
Harry posa enfin les yeux sur Ginny.
– Moi, je n'y arrive pas…
– Ce n'est pas pareil. Tes parents étaient plus âgés que nous.
– Pas tant que ça. En plus, ils ont vaincu les Forces du Mal à de nombreuses reprises. Cela fera bientôt un an que l'on cherche les Horcruxes, et on n'a pas eu de brillants résultats…
– Que veux-tu ?...
Ginny se serra contre lui.
– Certaines choses prennent parfois du temps.
Oh, le beau sous-entendu…

Ils restèrent comme ça un long moment, Harry montrant à Ginny le reste de l'album photo.
Leurs fiançailles ; leur mariage ; leurs vacances au Pays de Galle avec des amis ; leur arrivée dans leur nouvelle maison, à Godric's Hollow; les premiers mois de grossesse de la mère de Harry, avec son père qui paraissait un peu surexcité…
Les Potter devaient être des gens charmants.
Ginny aurait pu s'endormir sur l'épaule de Harry, en s'imaginant dans les mêmes situations qu'eux.

Il y avait aussi des photographies prises avec certains membres de l'Ordre du Phénix.
– J'ai l'impression que notre génération est un peu nulle, dit Harry. Les sorciers qui nous ont précédés étaient bien plus forts.
– Allons bon…, répliqua Ginny, d'un ton moqueur.
– Prends le cas de RAB, par exemple. On ne sait rien de ce gars. Mais il a réussi à découvrir les plans de Voldemort, et à lui subtiliser le Médaillon…
Ginny aurait préféré continuer dans le roman d'amour.
Mais l'identité de RAB obsédait encore Harry. Et elle savait qu'il aurait aimé avoir le temps de s'y consacrer plus que ça.
– À tous les coups, il avait la quarantaine, trois gosses, et une vie rangée au Ministère, ajouta-t-il. Mais ça ne l'a pas empêché de prendre des risques, de rentrer en contact avec un Mangemort, et tout, et tout. Ce n'est pas rien.
– Peut-être pas, rétorqua Ginny.
– C'est-à-dire ?
– Il avait peut-être une vie totalement différente. Je suis prête à parier qu'en fait, il avait la vingtaine, qu'il était célibataire, et carrément poltron. Peut-être même que sa famille était déjà chez les Mangemorts depuis le début, comme Malefoy. Sauf que ton RAB aura eu plus de chance. Ce n'est pas une question de génération, c'est une question de situation.
– Ouais…
– Et puis, la génération d'avant n'est pas si glorieuse que ça. Le petit frère de Sirius a fini comme Malefoy, justement. Lupin est un chômeur de longue durée, et Maugrey est vieux garçon…
Le regard de Harry se figea.
– Qu'est-ce que tu viens de dire ?
– Ben, il est vieux et tout seul, quoi. Sa vie amoureuse doit se limiter à se rincer l'Oeil Magique de temps à autre. D'ailleurs, je le soupçonne de m'avoir…
– Non. Avant, l'interrompit Harry.
Avant ?
– Euh… Le frère de Sirius qui est mort comme Drago Malefoy ?
– Et RAB qui aurait pu être comme Malefoy…
Il se leva brusquement, sans la prévenir, et se dirigea vers la grande tapisserie représentant l'Arbre Généalogique de la Famille Black.
– Non… C'est pas possible…
Ginny ne comprenait pas.
– Harry, qu'est-ce qui se passe ?
– RAB qui est comme Malefoy qui est comme le frère de Sirius qui s'appelle… Regulus Black.
Ouh la.
– Attends deux secondes…
Ginny se rapprocha, la couette sur le dos.
– Tu crois que RAB pourrait être Regulus Black ?
Harry eut un petit rire.
– Non, non… C'est une coïncidence, dit-il, d'une voix nerveuse. Ça ne tient pas debout. Sirius disait que c'était une vraie noix. Comment aurait-il pu apprendre l'existence des Horcruxes, hein ? D'accord, c'était un Mangemort. Mais c'était un Mangemort nul !
Il essayait de se convaincre lui-même.
C'est vrai que ça semblait improbable.
– Je le vois mal percer un secret pareil. Enfin… Sirius a pu exagérer, mais quand même… Et puis, c'est un simple hasard, ces initiales…
Ginny eut un drôle de pressentiment. Ça ne pouvait pas être qu'une simple coïncidence.
Ils venaient de découvrir quelque chose, elle le savait.
– "R" et "B"… Ça ne veut rien dire du tout…, continua Harry. Surtout qu'il manque une lettre !
Ginny posa le doigt sur le nom "Regulus Black", et remonta la branche de l'Arbre, pour arriver à celle de ses parents.
Elle remarqua alors une trace de brûlure à côté du nom de son père.
– Euh… Harry ? Comment s'appelait son oncle, déjà ?
– Alphard, je crois, répondit Harry. Pourqu…
– Regulus, Alphard, Black, dit Ginny en accentuant la première syllabe de chaque mot. "R", "A"…
– "B".
Ils se regardèrent.

– Oh, bon sang.