Chapitre 28 : Une traversée infernale
Le même jour…
Ginny n'eut même pas le temps de se retourner que le Magicobus était déjà reparti à toute vitesse, les laissant tous les quatre sur les docks, dans la fraîcheur du petit matin. Une fraîcheur qui n'était pas saisonnière.
– Il a dit d'aller voir au Pier 11, c'est ça ? dit Harry, en refermant son blouson jusqu'au col.
– Oui, répondit Hermione. "Vous ne pouvez pas vous tromper"…
Comme toujours, ils menaient la marche, avec Ron et Ginny sur leurs talons.
Une bande de jeunes comme eux devait faire un peu tache dans le décor environnant.
Chargement, déchargement, manœuvre, stockage, accostage… Plus ils avançaient, plus il y avait d'activité.
Sur la jetée, des pêcheurs moldus s'affairaient près de leur chalutier, en déchargeant le fruit de leur besogne et en criant des ordres dans un jargon pas toujours bien clair.
Plus loin, des dockers s'occupaient du chargement d'un gros navire de marchandises, montant à bord des caisses et des barils, et soulevant à l'aide d'une grue un container en acier, semblable à ceux qui étaient alignés, le long de l'embarcadère.
Ils faillirent même se faire renverser par un chariot élévateur, qui semblait faire la course avec le temps.
Il était à peine six heures du matin, et le Port de Plymouth était déjà en pleine effervescence.
On pouvait entendre le cri des mouettes, ainsi que le bruits des vagues.
Au loin, le Soleil avait quitté la ligne d'horizon, et se reflétait sur l'océan, avec une belle couleur jaune.
Si Ginny n'avait pas eu aussi mal à la tête, elle aurait pu apprécier le panorama. Mais elle avait l'impression qu'on lui compressait le cerveau à travers le crâne, et chaque nouveau son de corne de brume ne faisait qu'accentuer la douleur.
– C'est encore loin ? demanda-t-elle en grelottant dans son manteau (le vent du large faisait fort, sur ce coup là).
– Euh… Je crois que…, répondit Hermione. On est où ?
– 'Sais pas, dit Harry. On n'est pas au Pier 9, là ?
– Ben non. Le Magicobus nous a déposé au Pier 5. Et on vient de par là.
– C'était pas le Pier 15 ?
– Attends… Ça voudrait dire qu'on est passé devant le Pier 11 ?
– Euh…
Mes héros.
Pour finir, Harry et Hermione demandèrent leur chemin à un grand type en ciré qui sentait le hareng (le ciré, pas le type). Il leur indiqua la direction opposée et leur conseilla de ne pas traîner dans le coin, tout ça avec un accent de Cornwall qui dépassait l'entendement.
Cette excursion n'avait décidément rien de drôle.
Arrivés au Pier 11, ils tombèrent nez à nez avec un gros cargo à la coque reluisante et à l'état d'entretien proche de la perfection, qui laissait échapper un panache de fumée blanche.
Wouah.
– C'est ce bateau qui conduit à Azkaban ? dit Ginny.
Une longue passerelle coulissa petit à petit, juste à quelques mètres d'eux, et un homme portant un gros pull noir descendit du navire.
– 'Alut les jeunes ! leur lança-t-il au passage.
Et il s'avança vers un docker chauve qui tenait un bloc-notes et qui lui fit remplir quelque chose.
– C'est un sorcier ? s'interrogea Hermione.
– Demande-lui, qu'on rigole…, dit Harry.
"Vous ne pouvez pas vous tromper"…
Des clous, oui.
– Hé ! Il y a quelque chose, par ici, s'exclama Ron, en pointant du doigt la jetée.
Il y avait comme une sorte de brouillard bleuté, à côté du cargo.
Tous les quatre s'approchèrent, en prenant garde à ne pas se prendre les pieds dans les cordages éparpillés sur le sol.
La brume se dissipa peu à peu, laissant apparaître un quai en bois, à l'ancienne.
Un vieux bateau, genre remorqueur à l'abandon, y était accosté, tanguant doucement aux rythmes des flots.
Par rapport à l'autre, il avait l'air minuscule. Les lettres dorées indiquant son nom étaient écaillées, mais on pouvait encore lire "Charon" sur son flan.
Sur le pont, un gros barbu était étendu sur une chaise longue, en fumant la pipe, d'un air bienheureux. Il portait un uniforme bleu marine à boutons d'argent, et avait la casquette de travers.
– Hem Hem..., fit Hermione.
L'homme ouvrit un œil, et le referma.
Puis il ouvrit les deux yeux, et sursauta.
– Oh ! Euh…, dit-il, tout penaud.
Il descendit de sa chaise longue, et donna un petit coup dessus avec sa baguette magique.
La chaise se plia d'elle-même, et se réfugia dans la cabine.
– Euh… 'P'tite seconde, s'iou plaît…
Il referma maladroitement sa veste, réajusta sa casquette, et après un temps d'hésitation, jeta sa pipe à la mer.
– Bien le bonjour ! s'exclama-t-il. Et bienvenue à bord !
– Oui, bonjour…, répondit Harry. Est-ce que c'est bien ici pour rejoindre la prison ?
– Ça pour sûr, mon gars ! Enfin, je veux dire… Hem… Tout à fait. Ce bon vieux rafiot relie Azkaban à cette bonne vieille Angleterre.
– Ça tombe bien, c'est là qu'on va, dit Ron, en montant sur le pont.
– En Angleterre ?
– Non, à Azkaban.
– Ah ben oui, je me disais aussi…
Le sorcier aida Hermione et Ginny à embarquer, avec toute la galanterie qu'un marin barbu pouvait avoir.
– Je me présente : Willy Walt Iwerks ! Moussaillon, matelot, capitaine, et unique membre d'équipage du Charon.
Au passage de Harry, il retira sa casquette.
Mais ce que Ginny prit d'abord pour une marque de respect était bien autre chose.
– Ça fera un Gallion chacun, dit Willy.
Tous se regardèrent.
Il plaisantait, ou...?
– Question de tradition, ajouta-t-il, avec un air complice, mais néanmoins insistant. En puis, j'ai une bouche à nourrir…
– La votre, je suppose ? ironisa Ginny.
– Tout juste, ma petite.
À contrecœur, Hermione sortit une petite bourse, et lui tendit l'argent.
Willy l'accepta avec une joie non dissimulée.
– Alors là, mes enfants… Vous faites un heureux !
Il mit les pièces dans sa casquette, et pointa la proue du bateau avec sa baguette.
– MUEVAMENTE !
Raaah…
Il était obligé de crier comme ça ?
En quelques secondes, les cordages se dénouèrent, les écoutilles se fermèrent, l'ancre se leva, la machinerie s'emballa, la barre vira à bâbord, et le Charon quitta le ponton, manquant de faire tomber à la renverse tous ses occupants.
– Ça fait du bien de renflouer un peu les caisses, dit Willy, d'un ton plus amical. Y'avait longtemps !
– Vous avez peu de passagers ? demanda Hermione, tout en essayant d'avoir le pied marin.
– Les types d'Azkaban sont pas ceux qui reçoivent le plus de visites, si vous voyez ce que je veux dire… Mais il fut un temps où cette vieille coquille de noix voyait défiler du peuple. Mais c'était avant.
– Quand il y avait les Détraqueurs…, dit Harry.
– Ouais. À l'époque, je faisais la navette matin et soir pour les petits gars de l'île. Ceux qui s'occupaient des cuisines, de l'entretien, ou alors les quelques gardes auxiliaires, qui surveillaient plus les Détraqueurs qu'autre chose. Pour eux, c'était impossible de rester plus d'une journée là-bas. Ça les rendait fou. Alors, ils se relayaient. Et puis un jour, c'est arrivé. Quand j'ai vu ça, j'ai cru à une tempête qui se préparait. Un bon gros nuage noir. Mais en fait, c'était toute une nuée de ces foutus spectres qui se dirigeait vers le continent. Ils me sont passés au ras de la tête, ces saloperies ! Ils ont failli faire chavirer le bateau. M'est avis qu'ils cherchaient à se caler l'estomac… Bon sang ! J'ai cru geler sur place !
Rien que d'entendre ça, Ginny en eut aussi, des frissons.
Elle s'était déjà retrouvée à proximité d'un Détraqueur, quelques années plus tôt, et cela lui avait suffi.
Ce jour-là, ce fut comme si sa vie n'avait jamais été heureuse.
Son esprit semblait alors incapable de se rappeler la notion même de Bonheur.
Elle fut assaillie de souvenirs dont elle ne se souvenait même plus. Tous mauvais.
Et ce sentiment de désespoir… Comme si elle venait de comprendre que son existence n'était faite que de malheurs.
Ce jour-là, Ginny revit les moments difficiles, quand un seul salaire et neuf personnes à la maison devenait incompatible.
Elle revit des disputes. Beaucoup de disputes. Elle se revoyait, cachée sous ses draps, avec ses parents qui criaient, deux étages plus bas, pour diverses raisons.
Elle revit ses frères, qui se moquaient d'elle, ou lui faisaient les pires crasses, sous prétexte que c'était la préférée de Papa et Maman.
Et surtout, elle revit Tom Jedusor, et son horrible sourire. Mais lui, elle n'avait pas besoin de Détraqueurs pour s'en rappeler…
– Et maintenant, ça se passe comment ? demanda Ron. Ils ont engagé des gardiens ?
– Une bonne centaine, répondit Willy. Sauf qu'ils crèchent tous à la prison. Ils retournent chez eux toutes les deux semaines, et encore, pas toujours…
Il prit sa baguette, et fit apparaître une nouvelle pipe, qu'il alluma d'un claquement de doigt.
– 'Pas bon pour le commerce, ça. Tous les Passeurs vous le diront.
– Parce qu'il y en a d'autres, des comme vous ? s'étonna Ginny, aussi un peu inquiète pour la réputation de la Marine Magique à travers le Monde, si tous les Passeurs avaient un bateau comme le Charon.
– Bien sûr ! Saint-Nazaire, Madras, Brisbane, La Nouvelle-Orléans, Bissau… Et on est tous à trois heures de l'île.
Trois heures ?!
La migraine de Ginny s'intensifia.
Jamais elle ne pourrait tenir aussi longtemps sans répandre son rapide petit déjeuner sur le pont…
– Ah, au fait. Vous allez voir qui, à Azkaban ? demanda Willy. Enfin, si c'est pas indiscret…
– On va voir un vieil ami, répondit Hermione.
– Un ancien ami…, rectifia Harry, d'un ton amer.
De l'eau à perte de vue.
C'était tout ce qu'il y avait. En plus d'une légère houle.
Le Port de Plymouth était loin, maintenant.
Être perdus au milieu de l'Océan, sur un bateau qui prenait l'eau, avec comme capitaine un vieux loup de mers cupide, le tout pour se rendre à la prison d'Azkaban…
Quel pied.
Ginny se promit d'être inquiète une fois que sa nausée serait passée…
– Eurk…
Appuyée contre la rambarde, elle pouvait admirer son reflet dans l'eau. Ça lui rappela la Coupe du Monde de Quidditch, quatre ans plus tôt, quand elle était peinturlurée aux couleurs de l'Irlande…
– Et ben. C'est pas la grande forme, dit Ron. T'as le mal de mer ?
Oups.
– Euh… Ouais, répondit Ginny.
– C'est bizarre. T'étais pas malade quand on a remonté le Nil, pendant les vacances en Egypte...
– Ron. Le Nil est un fleuve !
– Je sais, mais le principe est le même, non ?
– Oh, laisse-moi mourir en paix, tu veux…
Ginny n'avait pas besoin de ça : Ron qui s'intéressait de trop près à son état de santé.
Elle aurait préféré que ce soit Harry qui s'inquiète pour elle.
Mais il était trop occupé à discuter avec Hermione et Willy, à la proue du navire.
– Et le transplanage ? demanda Hermione.
– Impossible, évidemment, répondit Willy, en tirant sur sa pipe. Mais naturellement, ces chochottes du Gouvernement font la gueule, comme quoi naviguer, ce n'est pas pratique… 'Savent même pas différencier l'Atlantique et le Pacifique, surtout ! Eux, à part les mares aux canards…
– Et en volant ? demanda à son tour Harry. On pourrait accéder à la prison par les airs ?
Apparemment, il semblait très préoccupé par les mesures de sécurité d'Azkaban.
Aux vues des évasions encore récentes, c'était à se demander s'il y en avait, d'ailleurs, des mesures.
– Oh, ça oui. Mais…
Willy fit un rond de fumée.
– Je vous conseille de prévenir à l'avance de votre arrivée. Y'a des balais qui pourrissent au fond des Abysses. Et les gaillards qui sont encore accrochés dessus avaient pas touché l'eau qu'on pouvait déjà parler d'eux à l'imparfait…
Voilà qui égayait la croisière, ma parole…
Ginny savait qu'elle n'aurait jamais dû venir.
Elle était enceinte, pas grabataire. Ça, elle voulait bien l'admettre.
Mais en tout état de fait, il valait mieux qu'elle commence à se ménager, au cas où. Elle ne pourrait pas continuer à participer à ce genre d'escapade bien longtemps.
C'est pour ça que sa décision était prise.
Ginny aurait aimé que la situation se soit améliorée.
Cela la désolait, mais… Tant pis.
Elle préférait préserver sa santé et celle de son bébé, et le qu…
Ah, bon sang !
Un ricanement de mouette se fit entendre, strident.
Ginny crut que sa tête allait exploser. On n'avait pas idée de laisser ces oiseaux de mal…
Hé.
Attendez un peu.
Des mouettes ?
Si loin des côtes ?
– Préparez-vous, les enfants, s'exclama Willy en rejoignant la barre. On arrive.
Harry, Ron, Hermione et Ginny jetèrent un coup d'œil à l'avant.
Un épais nuage de brume bleutée, semblable à celui qu'il y avait au port, flottait au dessus des vagues.
– C'est ça qui protège la prison des Moldus ? demanda Hermione, tandis que le Charon virait légèrement à tribord.
– Avant, ça suffisait, dit Willy. Mais avec l'essor des routes maritimes, ça devenait trop risqué.
Ils atteignirent la nappe de brouillard.
Ginny n'y voyait pas à trois mètres.
– Et puis, rendre toute une portion de l'Océan incartable, ça pouvait vite être gênant, et les Moldus auraient fini par se poser des questions, comme aux Antilles. Alors, on a eu une idée…
La brume commença à disparaître, et Ginny ouvrit de grands yeux.
Des murailles de métal, s'élevant à au moins vingt-cinq mètres de hauteur, entouraient toute l'île. À l'intérieur des remparts, on pouvait voir un immense bâtiment sans aucune fenêtre, ressemblant à un bloc de ciment. Des miradors étaient installés à intervalle régulier, avec un sorcier à chaque poste. Il y avait aussi une grande tourelle, cernée par les mouettes.
Mais ce n'était pas le plus impressionnant.
Des roues à aubes – une bonne trentaine – étaient disposées sur les flans de l'île, et tournaient lentement, mais sûrement. Ginny remarqua alors de petites cheminées reliées aux moteurs, d'où s'échappait de la vapeur bleue.
Le long sillage que l'île laissait derrière elle ne laissait aucun doute possible : Azkaban était en mouvement.
Willy donna un coup de sifflet pour annoncer leur approche ("raaaah…").
Le Charon se dirigea vers un quai long de plusieurs centaines de mètres, perpendiculaire aux murailles.
Une fois qu'ils eurent accostés (abordés ?), les cordages se nouèrent d'eux-mêmes au ponton, pour éviter que le bateau ne parte à la dérive.
– Vous y êtes ! dit Willy, en montant sur le quai.
Tandis qu'il vérifiait les bouts, Harry, Ron, Hermione et Ginny descendirent du navire, en prenant garde à ne pas tomber à l'eau.
Ginny pouvait entendre le bruit sourd et entêtant des roues qui brassaient l'eau dans un quasi synchronisme, en plus de celui des vagues se brisant sur les remparts.
Son sens de l'équilibre semblait meilleur : l'île n'allait pas assez vite pour la déstabiliser.
Néanmoins, cela restait quand même du jamais vu. Un bout de terre transformé en bagne flottant…
Que ne ferait-on pas pour échapper aux Moldus ?
– Je repartirais vers midi, dit Willy en remonta à bord. Alors traînez pas trop. Sinon, vous risquez de devoir rester sur ce maudit rocher un certain temps…
– Monsieur Iwerks, je vous prierais volontiers d'arrêter de faire peur à nos visiteurs, dit une voix, derrière eux.
Un sorcier d'origine indienne, avec une grosse moustache superbement taillée, venait à leur rencontre.
Il portait le même uniforme que Willy. Sauf que le sien n'était pas fripé.
– Ha, M'sieur Rasgostra ! bredouilla Willy, en enlevant sa casquette. Ça fait un bail !
– C'est exact. J'ose espérer que vous n'avez pas, une fois encore, tenté d'escroquer vos passagers, comme vous l'interdit formellement le règlement intérieur ?
– Ben, vous savez, M'sieur, les temps sont durs, et…
Mr Rasgostra soupira.
– Un jour, c'est vous qui ne repartirez pas de cette prison, Monsieur Iwerks.
Il se tourna vers ses visiteurs.
– Soyez les bienvenus, dit-il, avec un sourire poli. Ram Rasgostra, Chef de la Sécurité du Pénitencier International d'Azkaban.
Il leur serra la main à tous, tandis que Willy en profitait pour ressortir sa chaise longue de la cabine du Charon.
– Je puis vous assurer que tous nos Passeurs ne sont pas du même acabit que Monsieur Iwerks, qui vous rendra votre argent dès qu'il aura fini de s'étendre, ou du moins, lors de votre retour.
Willy marmonna quelque chose, et tira la langue, l'air bougon.
– J'imagine que vous venez rendre visite à un de nos pensionnaires ? leur demanda Mr Ragostra.
Au vue du décor ambiant, le terme "pensionnaire" était assez mal employé.
Si Azkaban avait été un hôtel, il n'aurait pas affiché "complet" tous les jours…
– En fait, nous sommes venus voir Mondingus Fletcher, répondit Hermione. Il a été emprisonné l'année dernière pour…
– Mondingus Fletcher. Matricule : 1-0780. Cambriolage, tentative de fuite, fuite, non-respect de l'ordre publique, et agression sur un représentant de l'autorité gouvernementale de Grande-Bretagne, dit Mr Rasgostra, d'un seul souffle. Quatre ans d'emprisonnement, dont un avec sursis, mille Gallions d'amende. Je n'ai, hélas, pas son dossier sous les yeux…
– Vous vous rappelez de lui ? demanda Harry.
– Pas plus qu'un autre. Mais depuis mon investiture à ce poste, il y a dix-huit mois, j'ai pris la résolution de maîtriser parfaitement mon sujet, dirons-nous.
Hermione resta bouche bée devant une telle mémoire, qu'elle devait jalouser plus que tout.
– Si vous voulez bien me suivre…
Tous remontèrent le quai, qui menait directement à une grande porte en acier, aussi haute que les murs.
– Matricule 1-0780 est un pensionnaire plutôt accommodant, quoique assez bruyant, bavard, et licencieux. Ses interpellations à plusieurs de nos gardiennes lui ont déjà valu deux avertissements…
Bien.
Déjà, on était sûr que ce n'était pas un homonyme…
Mr Rasgostra donna trois coups de baguette à la porte de la prison.
Le bruit d'une dizaine de loquets s'ouvrant successivement se fit entendre.
La porte, d'une épaisseur d'au moins un mètre, s'ouvrit.
– Vous vous étiez enfermé dehors ? s'étonna Ron.
– On n'est jamais trop prudent, répondit Mr Rasgostra en franchissant le pas de la porte.
Ginny hésita quelques secondes avant d'entrer.
À l'extérieur, les embruns lui fouettaient le visage, et le vent lui glaçait les os.
Pourtant, il n'était pas certain que l'atmosphère soit plus chaleureuse à l'intérieur…
Ils pénétrèrent dans une grande cour, couverte de gravillons qui bruissaient sous leurs pas.
– Par contre, il est important pour moi de connaître la raison de votre visite…, dit Mr Rasgostra.
Aïe.
Ginny savait bien que c'était trop facile…
– Oh. Et bien…, commença Hermione. En réalité, nous…
– C'est-à-dire que…, tenta lui aussi Harry. En fait…
– Mondingus est notre cousin !
Tout le monde se tourna vers Ron.
– Ah bon ? laissa échapper Ginny.
Ron la prit à part.
– Joue le jeu, chuchota-t-il.
– Hein ?
– Et oui ! Notre cousin… Par alliance ! s'exclama Ron, le plus naturellement possible. Ce bon vieux Mondingus ! C'est… C'est…
Il se tourna vers Ginny, le regard implorant.
Son imagination avait des limites…
– C'est… C'est notre mère qui nous envoie, enchaîna Ginny.
– Oui ! Notre pauvre, pauvre vieille Maman…, continua Ron.
– Son neveu préféré ! Parti sur la voie du crime !
– Une honte pour la famille !
– Elle ne s'en remet pas !
– Nous sommes venus ici pour tenter de le raisonner, et…
– Et pour le ramener sur le droit chemin !
Mr Rasgostra n'avait pas l'air des plus convaincus.
– Et vous deux, vous êtes…? demanda-t-il à Harry et à Hermione.
– Un soutien moral ! intervint Ginny.
– Pour affronter la vérité en face, renchérit Ron. La si dure vérité…
– Ils ne seront pas de trop pour nous aider à surmonter notre désarroi…
– Notre tristesse de voir un membre de notre famille derrière les barreaux…
– Oh…
Ginny fit semblant de défaillir. Ron la soutint par les épaules.
– Mon frère, implora t-elle. Oserons-nous surmonter ce déshonneur ?
– Je ne sais pas, ma sœur…
Ron lui prit la main, et tous deux fixèrent l'horizon (en réalité, le mur intérieur).
– Je ne sais pas.
Les gardes en haut des miradors étaient sur le point d'applaudir la prestation, et Mr Rasgostra avait presque la larme à l'œil.
Harry et Hermione, eux, semblaient plutôt crispés.
S'ils voulaient éviter de se faire remarquer, c'était râpé.
– L'univers carcéral oublie parfois les proches, il est vrai, dit Mr Rasgostra. Cela est regrettable. Excusez-moi si j'ai empiété sur votre vie privée, en tout cas…
Et il les mena vers le bâtiment principal, sans demander plus.
Ouf !
Ginny n'était pas peu fière d'elle.
Hermione se pencha vers Ron.
– Votre… Cousin ? dit-elle, entre ses dents.
– Ben quoi ? Il est roux, on est roux…, se défendit Ron.
Parce que c'était juste ça, son idée de départ ?
Ben mon vieux…
– Pattenrond aussi est roux, ce n'est pas pour ça que vous êtes affiliés !
– Ça a marché, non ?
– Peut-être, mais…
Ginny les laissa se chamailler, et rejoignit Harry et Mr Rasgostra, qui parlait de l'état de service de Fletcher.
– Vous avez de la chance. Matricule 1-0780 est un criminel de niveau 1.
– Ce qui veut dire...? demanda Harry.
– Nos détenus sont répartis en trois niveaux, selon la gravité de leurs actes. Le niveau 1 rassemblent les Malhonnêtes : vol, escroqueries, détournement de fonds, racket, enlèvement…
Ils croisèrent deux gardiens, qui les saluèrent d'un signe de tête.
– Le second niveau est celui des Pervertis. C'est à cet étage que se retrouvent les proxénètes, les violeurs, ou les pédophiles. Et donc, ces deux niveaux ont accès au Parloir. Sous bonne garde, toutefois.
Ils s'arrêtèrent à une sorte de guichet, au côté duquel un écriteau indiquait "Pas de baguette au-delà de cette limite". La limite étant une lourde grille coulissante.
– Et le troisième niveau ?
Mr Rasgostra fronça les sourcils.
– Au troisième niveau, ce sont les Impardonnables. Ceux-là, ils ne quittent pas leurs cellules…
Gloups.
Et rester au rez-de-chaussée, c'était possible ?
Mr Rasgostra retourna à ses affaires, et laissa Harry, Ron, Hermione et Ginny au bon soin du personnel de la prison.
Ils remplirent chacun un formulaire d'entrée, et laissèrent leurs baguettes au guichetier.
Ils passèrent la grille, accompagnés d'un gardien au front bas, qui les conduisit jusqu'au Parloir.
L'austérité et la grisaille des larges couloirs reflétaient bien la personnalité des anciens maîtres d'Azkaban. Les nombreuses lampes à huile accrochées sur les murs ne suffisaient pas à éclairer l'endroit, comme si les Détraqueurs avaient voulu que les prisonniers soient dans les ténèbres physiquement et mentalement.
En chemin, ils croisèrent quelques détenus en uniforme gris, les chaînes aux pieds, qui accomplissaient diverses tâches ingrates, sous l'œil vigilant de gardes armés de matraques en fer. Harry crut même reconnaître Stan Rocade, l'ancien contrôleur du Magicobus, qui astiquait le sol.
Ils arrivèrent face à une porte métallique.
– Attendez ici, on va vous cherchez 1-0780, leur dit le gardien en sortant un trousseau de clés de sa poche.
Il leur ouvrit la porte, et ils entrèrent dans le Parloir, une petite pièce cubique, avec en son centre une simple table et deux chaises.
Une grosse lanterne suspendue au plafond apportait un peu de lumière, tout en oscillant. Elle n'apportait, hélas, pas beaucoup de chaleur.
Il y avait aussi une seconde porte, d'où devait sans doute venir les prisonniers.
– C'est marrant, parce que ça donne pas franchement envie de parler, fit remarquer Ginny, histoire de détendre l'atmosphère.
Personne ne répondit.
D'accord…
Après plusieurs minutes à tourner en rond, ils entendirent un bruit de pas résonner derrière la seconde porte.
– Mes cousins ? Mais j'ai pas de cousins…, dit une voix familière. Par contre, j'ai une tante. Mais ça fait longtemps que je l'ai pas vu, et à soixante-dix-huit ans, ça me paraîtrait un peu surréaliste qu'elle ait…
La porte s'ouvrit dans un grincement métallique.
– Le voilà, dit un garde chauve, d'un air las. Vous avez une heure. S'il y a un problème, je suis dans le couloir.
Il attrapa par le col un homme aux longs cheveux roux, et le fit entrer.
– Ah, mais lâchez-moi, espèce de brute ! Et puis d'abord, c'est quoi cette histoire de…
L'homme releva la tête.
Harry lui fit un petit signe de la main.
– Oh oh, dit Mondingus Fletcher.
