Chapitre 30 : La dévotion de Kreacher

Plus tard…

– Ginny. Hé, Ginny.
Ginny ouvrit un œil.
– Mmh… Quoi ? dit-elle, d'une voix ensommeillée.
– C'est l'heure. On va bientôt y aller, répondit Hermione.
Ginny se redressa.
Oh…
Ça n'allait vraiment pas fort…
Elle frissonna.
Dehors, la nuit était tombée, et la Cabane Hurlante, avec sa vétusté si caractéristique, était offerte à tous les courants d'air.
Ni son manteau, ni le vieux drap du lit n'aurait pu la protéger du froid.
Et ce mal de tête…
Non, ça n'allait vraiment, mais alors, vraiment pas fort…
À croire qu'elle avait la santé fragile.
Ginny n'avait rien mangé à midi, et cela commençait à se faire ressentir. Mais en même temps, elle aurait été incapable d'avaler quoique ce soit.
En plus de ça, elle avait plusieurs heures de sommeil en retard.
Autant dire qu'elle était franchement patraque…

La traversée avait été pénible. Le trajet en Magicobus, assez mouvementé, aussi.
Une fois arrivés à Pré-au-Lard, Harry, Ron, Hermione et Ginny s'étaient faufilés dans la Cabane Hurlante, une maison hantée pas hantée pour un sou. Ils avaient l'intention d'y attendre la nuit, avant d'entrer à Poudlard via un vieux passage secret.
Après un rapide tour du propriétaire, Ginny s'était effondrée sur le vieux lit à baldaquin du premier étage, pour s'y endormir aussitôt.
Mais la sieste était finie.
Elle aurait bien aimé dormir encore un peu : pour l'instant, elle était complètement déphasée…

– Ça va aller ? demanda Hermione, l'air inquiète.
– Oui, oui…, dit Ginny.
– Tu es sûre ? Tu n'as rien avalé depuis ce matin. Et tu es toute pâle…
– C'est… C'est juste le manque de sommeil, rassure-toi…
– Hmm…
Hermione posa la main sur le front de Ginny.
– Ton diagnostic, Maman ?
– Tu n'as pas de température, on dirait…, répondit Hermione.
– Ha. Tu vois ?
Ginny descendit (un peu trop vite) du lit, et tituba.
– Oh !
Hermione la rattrapa.
– Tu es certaine que tu ne couves pas quelque chose ? demanda-t-elle, d'un ton soupçonneux.
"Couver" ?
Tu parles d'un terme adéquat…
– Ne joue pas les guérisseuses avec moi, dit Ginny. Tu n'as aucun diplôme, et je ne fais pas confiance aux charlatans…
Elles sortirent de la chambre.
– Je ne plaisante pas, Ginny, répliqua Hermione. Si tu es malade, il faut le dire. Ça pourrait empirer, voire même devenir grave…
Est-ce qu'être enceinte était considéré comme une pathologie sérieuse par le corps médical ?
Pas sûr.
Cependant, oui, ça allait "empirer".
Ginny posa la main sur son ventre, en souriant.
Vivement la guérison.
Ma petite maladie à moi…
– Je vais bien, dit-elle. Je vais bien…
Hermione eut l'air perplexe.
– C'est vrai, ce mensonge ?
Plus ou moins.
– Bien sûr. Pourquoi je te mentirais ?
Elles descendirent l'escalier, pour rejoindre les garçons.
– Il n'y a que toi qui connaisses la réponse à cette question, dit Hermione. Je ne suis pas à ta place. Tu dois avoir de bonnes raisons. Je n'ai pas à te juger, ni à te forcer la main. Mais…
Elle posa la main sur l'épaule de Ginny.
– Je suis là.
Ginny eut un pincement au cœur.

C'était sa meilleure amie.
Et elle mentait à sa meilleure amie.
Il n'y avait pas de quoi être fière…
Hermione, elle, avait toujours était franche envers Ginny. Elle ne lui cachait rien, et lui faisait entièrement confiance.
Si elles étaient vraiment amies, elles ne devaient avoir aucun secret l'une envers l'autre.
Ginny devait le lui dire.

– He… Hermione ?
Hermione se retourna.
– Oui ?
Ginny baissa la tête.
– Merci.
Hermione esquissa un sourire.
– De rien.
Elle lui dirait.
Bientôt.

D'ordinaire, Ginny n'aimait pas se plaindre (enfin, pas trop).
Mais là, elle en avait quand même un peu marre : pourquoi fallait-il toujours qu'elle se retrouve dans des vieilles baraques délabrées ?
C'était lassant.
Des meubles fracassés, de la tapisserie arrachée, des lattes de planchers couvertes de griffures, des traces de lutte… On se serait cru dans la chambre de Fred et George, quand ils avaient sept ans.
– Alors, enfin réveillée ? lança Ron, quand Hermione et Ginny arrivèrent au rez-de-chaussée. On ne peut pas dire que tu tiennes la distance…
– Occupe-toi de tes fesses, ça nous feras du temps libre, répliqua Ginny, irritée, mais forcée d'admettre qu'il n'avait pas tout à fait tort.
– Ne commencez pas, dit Harry, en sortant la Cape D'Invisibilité de sa sacoche.
– Je ne suis pas persuadée qu'on puisse aisément tenir à quatre là-dessous, fit remarquer Hermione. Déjà qu'à trois, c'était tout juste…
– Ben, on se serrera. Mieux vaut marcher en canard et être invisible que de se faire pincer comme des malpropres, non ? Surtout que depuis l'année dernière, Rusard a dû augmenter la fréquence de ses rondes…
En effet.
Ginny avait failli en pâtir quelques mois plus tôt.
L'attaque des Mangemorts avait rendu l'Administration de Poudlard prudente. Très prudente.
Mais pas assez pour empêcher quatre anciens élèves de revenir sur leur ancien lieu d'études.
– Allez, en route.
Harry, Ron, Hermione et Ginny se faufilèrent en file indienne dans un long tunnel bas de plafond, qui reliait la Cabane Hurlante au Parc de l'École.
Pour ce qui était de connaître Poudlard, Ginny n'était qu'une novice par rapport aux autres.
Ce souterrain devait leur rappeler quelques souvenirs.
C'est ce même passage secret qui avait permis à Sirius Black d'éviter les Détraqueurs et d'entrer à Poudlard, plusieurs années auparavant, quand tout le monde le prenait pour un tueur en série en quête de nouvelles victimes. Très peu de personnes connaissaient son existence.
C'était sans doute pour ça qu'ils avaient leur chance en passant par là.
– Et une fois à l'École, on fait quoi ? demanda Hermione. On va voir aux Cuisines ?
– Oui, répondit Harry. Il y aura bien un Elfe ou deux pour aller nous chercher Kreacher. À cette heure-ci, il doit faire les chambres, ou quelque chose d'autre…
Ginny avait appris, à sa grande surprise, que les Elfes de Maison de Poudlard s'occupaient des corvées ménagères durant la nuit. Ce qu'elle trouva particulièrement choquant.
Aussi elfique soit-il, elle n'avait pas envie que quelqu'un farfouille dans ses petites culottes tard le soir, pendant qu'elle était encore dans son lit.
Ce genre de privilège n'était réservé qu'à Harry…
Une petite lueur apparut au bout du tunnel.
La sortie.
– Pff… Je ne comprends toujours pas pourquoi t'as pas tout simplement appelé Kreacher pour qu'il se ramène, dit Ron, tout en essayant de ne pas se cogner la tête sur une grosse racine.
– Parce que Kreacher n'est pas mon esclave, répondit Harry, d'un ton sec.
– Bien sûr que si. Sirius te l'a offert en héritage. Donc, il est officiellement à toi, et il doit t'obéir.
– Tu m'as très bien compris…
Hermione apprécia cette prise de position.
Ron poussa un soupir d'agacement.
Ginny, elle, s'imagina bien tranquille à la maison, devant la cheminée, les doigts de pied en éventail, avec un Elfe de Maison qui lui apporterait une grande tasse de chocolat chaud bien sucré.
Les gesticulations menaçantes du Saule Cogneur, quand ils passèrent la tête hors de l'ouverture du tunnel, la ramenèrent à la réalité…

Rien n'avait changé à Poudlard. En même temps, c'était comme ça depuis des siècles…
Ginny appréhendait un peu ce retour à l'École. Elle avait vécu ici pendant plusieurs années, et s'était donc pour ainsi dire enfuie de ce qui était devenu sa seconde maison. Mais bizarrement, cela ne lui fit rien.
Poudlard n'avait plus aucune importance, pour elle.
Il faut dire qu'elle n'était plus la même qu'à son départ. À ce moment là, ce n'était encore qu'une petite fille.
En fait, c'est elle qui avait changé.
– Dépêchez-vous, vous deux !
– C'est Ginny qui est à la traîne…
– Alors lui, n'importe quoi !
– Chut !
Heureusement qu'ils étaient invisibles. Sinon, ils auraient été ridicules…
Ils avançaient, tant bien que mal, dans les couloirs de l'Aile Ouest du Château, en direction du Hall d'Entrée.
Heureusement que Harry connaissait l'École comme sa poche : avec pour seule source de lumière la lueur de la Lune, ils auraient pu se perdre.
– On va finir par se faire repérer, dit-il, à voix basse.
– 'Fallait demander à Ginny de faire le guet…, marmonna Ron. Comme ça, on… Aïe !
Ginny lui marcha exprès sur le pied.
"Faire le guet" était la façon polie de dire "rester en arrière parce qu'elle ne sert à rien".
C'était peut-être vrai, mais de la part de Ron, c'était vexant.
– En même temps, il est tard, dit Hermione, qui tentait de relativiser les choses. Et d'après la Carte du Maraudeurs, Rusard était encore au sixième étage, il y a pas cinq minutes. À part peut-être des élèves qui rentrent de la Salle d'Études, je ne vois pas qui on pourrait rencontrer…
– Mmh… Lulu…
Hein ?
Tous s'arrêtèrent, interloqués.
– Arrête, on pourrait nous voir…
Ça venait de ce côté.
– Mais non, il n'y a personne…
Ils avancèrent sur la pointe des pieds.
– Mamour, je… Mmh…
Harry, Ron, Hermione et Ginny penchèrent la tête au coin du mur, et ouvrirent de grands yeux.
Neville Londubat et Luna Lovegood étaient en train de s'en faire, des mamours.
Ils s'embrassaient même goulûment.
Berk.
– On… On ne devrait pas être là…, murmura Luna, entre deux embrassades. Le couvre-feu est tombé, et…
– Ne t'inquiète pas, Lulu… Tu es avec un septième année, non ? dit Neville, en souriant. Rusard n'aura rien à dire contre ça…
Et bien.
La Passion rendait téméraire.

Ginny n'aurait jamais cru voir de son vivant Neville Londubat et Luna Lovegood s'embrasser.
La dernière fois qu'elle avait vu ce sympathique petit couple, ils osaient à peine se tenir timidement par la main.
Il semblerait que les choses se soient accélérées pendant son absence.
Ça avait l'air de bien rouler (des pelles) pour eux. Neville ne bégayait pas. Luna avait quitté sa bulle pour rejoindre le monde extérieur.
Malgré le petit filet de bave, ils étaient mignons.
Par contre, les petits noms, c'était vraiment ridicule.
Euh…

– Fais-le encore, dit Neville, en caressant les cheveux de Luna.
– Faire quoi ? répondit celle-ci.
– Ben, tu vois…
Luna parut comprendre à quoi il faisait allusion.
– Je… Je ne sais pas, Neville, dit-elle, d'une voix hésitante. C'est…
– Allez…
– Mais, et si…
– Sois gentille…
– Non…
– Personne n'en saura rien, cette fois…
Luna ne semblait pas très emballée.
– Tu… Tu le jures ?
– Mais oui, répondit Neville, en insistant. S'il te plait. Ça me ferais tellement plaisir…
Ginny n'apprécia guère la façon dont Neville dit ça.
C'était comme s'il voulait faire culpabiliser Luna, ou un truc du genre, pour l'obliger à faire ce qu'il voulait qu'elle fasse.
À en juger par son expression, Luna n'avait pas très envie de faire cette chose.
Néanmoins…
– D'accord…
Neville accueillit cette approbation avec un large sourire.
Luna jeta un coup d'oeil autour d'eux, et recommença à l'embrasser. Puis, elle mit la main sur sa braguette, le caressa lentement, s'accroupit, et…
Oh !

Hermione et Ginny tentèrent d'avancer, mais Harry et Ron restaient figés sur place, et admiraient la scène avec une expression lubrique sur le visage.
– Allez, on met les voiles ! dit Ginny à Ron en le tirant par le bras.
– Hé, attendez ! Je veux voir quand elle va…
Tous s'éloignèrent enfin, mais pas assez vite pour ne pas entendre Neville pousser un petit gémissement, indiquant que ça n'avait pas été bien long…

– Je n'arrive pas à le croire ! s'exclama Hermione, quand ils atteignirent le Grand Hall. Luna Lovegood ! Luna Lovegood qui fait une… Qui fait une…
– Une fellation ? proposa Ron.
– Une Flûte Enchantée ! Je trouve ça… Écoeurant. Écoeurant et abjecte !
Ginny était du même avis.
Enfin…
Non pas qu'elle n'ait jamais eu l'idée de…
Mais tout de même.
C'était Neville Londubat !
– C'est vraiment l'asservissement de la Femme dans toute sa splendeur ! ajouta Hermione. Comment on peut justifier ce genre de pratique perverse ?
Harry et Ron ne préférèrent rien dire. Mais leur regard était éloquent.

Après avoir descendus avec difficulté quelques marches, ils arrivèrent face à un grand tableau très coloré, représentant une coupe de fruits. C'était la porte menant aux Cuisines de Poudlard.

Fred et George avaient indiqué l'endroit à Ginny, histoire de la faire glisser sur la mauvaise pente : la leur.
Elle était donc déjà venue une ou… Vingt fois rendre visite aux Elfes, et ainsi profiter des cookies bien chauds et du jus de framboise bien frais. Avec parfois un peu de tarte au pommes. Et du flan. Oh, et aussi de la crème chantilly, tiens !
Bien sûr, ce genre de régime n'était pas ce qu'il y avait de mieux pour s'endormir le soir.
Mais qu'est-ce que c'était bon !

Harry chatouilla une grosse poire verte qui était sur la peinture.
Une poignée de porte apparut.
Ils entrèrent.
Partout, des Elfes de Maison s'affairaient autour des grandes tables, des fourneaux, et des éviers, débarrassant les restes, nettoyant les plats, rinçant les couverts et récurant les casseroles.
La petite odeur de viande froide qui flottait dans l'air indiquait que le dîner s'était terminé il y a déjà plusieurs heures.
Harry commença à scruter de gauche à droite, à la recherche de Kreacher.
– J'espère qu'il n'est pas…
– HARRY POTTER !
– Ouch !
Harry tomba à la renverse et se retrouva étendu sur le sol, avec un Elfe bariolé sur la figure.
– Cela fait tellement plaisir, Harry Potter ! s'écria l'Elfe. Et cela fait tellement longtemps !
– Dobby, on en a déjà parlé, dit Harry, d'une voix étouffée. Je déteste quand tu fais ça.
– Oh, pardon, Monsieur !
Dobby le lâcha.
– Excusez encore Dobby, Harry Potter. Mais Dobby avait tellement peur pour vous ! Quand il a su que vous ne reviendrez pas à Poudlard, Dobby a été très inquiet qu'il vous arrive du mal, Monsieur !
– Ouais, ouais…, répondit Harry en réajustant ses lunettes. Moi aussi, je suis content de te revoir…
Ginny l'aida à se relever.
Pour une bonne partie de la population, Harry était une lueur d'espoir.
Pour Dobby, c'était juste le Messie.
– Moi aussi, je suis heureuse d'être revenu ! dit Hermione, d'un ton enjoué. Alors ? Les choses se sont arrangées, ici ?
Dobby détourna le regard de son Sauveur, et remarqua enfin la présence d'Hermione.
Les autres Elfes de Maisons aussi.
En la voyant, tous arrêtèrent leurs activités. Le silence se fut.
– Ben… Ben quoi ? balbutia Hermione.
Un des Elfes se décala vers Dobby, et lui murmura quelque chose à l'oreille, tout en surveillant Hermione du coin de l'œil.
– Ils demandent ce que vous cachez dans votre sac, Miss, dit Dobby.
– Dans mon sac ? Et bien… Des affaires personnelles. Pourq…
Tous les Elfes reculèrent d'un bon mètre.
Harry, Ron et Ginny se regardèrent.
– Euh… Il y a un problème ? demanda Hermione.
– Les Elfes ont peur, Miss, expliqua Dobby. Ils craignent que vous n'ayez apporté… Des vêtements.
Les Elfes reculèrent encore.
– Comme la dernière fois.
Et encore.
– La… "Dernière fois" ? répéta Ron, avec un petit sourire sournois.
– Ben, c'est-à-dire que…, bredouilla Hermione.
– Tu es venu leur apporter des vêtements pour les forcer à être libre ? s'indigna Ginny.
– Mais… Ils ne voulaient pas tomber dans mes pièges ! C'était désespérant !
Ginny leva les yeux au ciel.
Ron pouffa de rire.
– Euh… Ne vous inquiétez pas, dit Harry, d'une voix forte. On n'est venu libérer personne.
Il y eu un tonnerre d'applaudissements.
C'est vrai que c'était désespérant…
– En fait, on est venu voir l'un de vous, ajouta Harry.
– Hoooo…, couina Dobby, en rougissant.
– Non, pas toi.
– Oh.
– Est-ce que tu sais où se trouve Kreacher ?
– Ah…
Dobby fit la moue.
Il semblait vexé que Kreacher lui soit préféré.
– Harry Potter parle de Vieux Rabougri…
C'était bien ça.
– Dobby n'aime pas dire du mal des autres Elfes, Monsieur, continua-t-il. Surtout pas de l'Elfe de Harry Potter…
– Ce n'est pas mon Elfe, dit Harry, précipitamment.
– Mais…
Dobby sauta sur l'une des grandes tables, histoire d'être à la hauteur de Harry.
– Vieux Rabougri n'est pas un bon Elfe, Harry Potter. Vieux Rabougri fait tout de travers, et cause bien du souci aux autres Elfes. Il casse les assiettes, il brûle les couvertures, il tache les meubles. Il donne beaucoup de travail aux autres Elfes.
De quoi se plaignaient-ils, alors ?
– En plus, Vieux Rabougri est très malpoli, ajouta Dobby, comme s'il leur révélait une vérité connue de lui seul. À la place de Harry Potter, Monsieur, Dobby punirait Vieux Rabougri ! Et Harry Potter aurait bien raison ! Vieux Rabougri le mérite !
– Dobby, je n'ai aucune intention de punir Kreacher, répliqua Harry.
Dobby parut déçu.
– Non ?
– Non.
– Pas même lui brûler la plante des pieds ?
– Non.
– Une petite claque ?
– Non plus.
– Une tape sur les doigts ?
– Rien du tout.
– Vieux Rabougri n'est pas libre, vous savez…
– Dobby…
– Bon, d'accord…
Dobby descendit de la grande table.
– Vieux Rabougri est là-bas, dit-il en pointant du doigt l'un des quatre coins des Cuisines, où trônait un vieux poêle. Les Elfes lui ont donné un travail, pour qu'il arrête de faire des bêtises.
– Merci, Dobby, dit Harry.
– Harry Potter est bon, Monsieur. Mais Dobby pense qu'il en fait beaucoup trop avec son Elfe, qui est si méchant.
– Tu es libre de le penser. Mais tu te trompes…
Dobby claqua des doigts, et disparut. Son labeur ne devait faire que commencer.
Ron s'approcha de Harry.
– Tu crois que Kreacher a vu qui a volé le Médaillon, c'est ça ?
– Je ne pense pas.
– Hein ?
Ils traversèrent la grande salle, évitant au passage quelques Elfes portant ce qui deviendrait le repas du lendemain.
– Mais alors, qu'est-ce qu'on vient faire ici ? demanda Hermione.
– Avant d'apprendre pour cette histoire de vêtements, j'aurais cru qu'au moins toi, tu puisses comprendre, répondit Harry.
– Oui, bon, ça va, j'ai commis une erreur. Mais c'était pour la bonne cause…
– Ton erreur n'a pas été de vouloir les libérer, Hermione. Ça a été de considérer les Elfes de Maison comme des êtres dénués de raison. Les Elfes sont soumis, et ils le savent. Certains l'acceptent, d'autres non. Ce ne sont pas des animaux qu'on dresse, ou qu'on rend à l'état sauvage, sous prétexte qu'on sait ce qui est le mieux pour eux.
Hermione se mit à rougir.
C'est vrai.
Ordonner à quelqu'un de ne plus être un esclave, ça tenait du non-sens.
– Et c'est quoi le rapport avec Kreacher ? demanda Ginny quand ils furent à proximité du vieux poêle en ferraille.
– Le rapport, c'est qu'on a tous oublié que, lui aussi, il savait réfléchir et prendre des décisions. S'il a choisi de rester chez les Black malgré leur mort, ce n'est pas parce qu'il faisait parti des meubles…
Ils s'arrêtèrent.
– C'est parce qu'il gardait quelque chose.
Il était là, par terre, assis en tailleur, en train de parler tout seul.
Avec une brosse à dents usée, il frottait une vieille friteuse qui ne devait plus servir depuis plusieurs décennies.
En plus de son pagne, il portait maintenant l'uniforme des Elfes de Poudlard (un torchon porté comme une toge). L'état de son uniforme reflétait bien son incapacité à faire du bon boulot.
Il était toujours aussi maigre, et toujours aussi ridé. Il n'avait pas volé son surnom de "Vieux Rabougri"…
À leur approche, il tourna la tête et plissa les yeux.
Mais il aurait été impossible de dire si c'était parce qu'il les avait reconnu, ou au contraire, parce qu'il ne les reconnaissait pas, à cause de sa mauvaise vue.
En tout cas, il les ignora, et retourna à son "travail", toujours en marmonnant.
Il avait vraiment l'air gâteux.
Harry s'agenouilla.
– Bonsoir, Kreacher.
– C'est lui, il est revenu, dit le vieil Elfe, sans même le regarder. Mais Kreacher s'en moque. Ce n'est qu'un sale Sang-de-Bourbe, fils d'une sale Sang-de-Bourbe et d'un traître qui aimait forniquer avec les sales Sang-de-Bourbes…
Kreacher avait pris la désagréable habitude d'insulter toutes les personnes qu'il rencontrait et qui ne lui plaisait pas.
Ainsi, Ginny s'était déjà faite traiter de "bâtarde" et d' "immonde rouquine".
Charmant.
– Kreacher, il faut qu'on parle, reprit Harry. C'est très important.
– Il veut parler à Kreacher, mais Kreacher ne veut pas lui parler. Le Sang-de-Bourbe est mauvais. Le Sang-de-Bourbe a le Mal en lui, Kreacher le sent.
– Tu sais qui je suis, donc ?
– Kreacher est vieux, Kreacher est âgé. Mais il n'est pas fou.
Ginny aurait pourtant parié le contraire…
– Il sait qui est le Sang-de-Bourbe. C'est son nouveau Maître, après Méchant Maître Black. Le Sang-de-Bourbe est comme lui. C'est un méchant maître… Ah, Madame, si vous saviez…
– Tu te trompes, Kreacher, je ne suis pas ton Maître.
– Oh si, il l'est. Au grand malheur de Kreacher, qui doit lui obéir. Les Sang-de-Bourbes ont des Elfes, maintenant, Madame ! Où va le monde ? Ah la la… Pauvre Kreacher. Comme il regrette ses anciens maîtres…
– Je voudrais justement discuter avec toi d'un de tes anciens maîtres.
Kreacher briqua sa friteuse avec vigueur.
– Non, non, non… Kreacher a du travail. Il n'a pas le temps pour les discussions avec le Méchant Maître. Il doit encore dépoussiérer les étagères, laver les couvertures, et préparer le dîner pour les invités de Madame. Oui, c'est ça. Non, non, non… Kreacher a du travail…
Il croyait que Mme Black était toujours en vie ?
– Kreacher, ton ancien maître…
– Occupé. Très occupé. Pauvre Maîtresse. Toute seule. Mais Kreacher était là. Mais Madame n'est plus là. Kreacher est tout seul…
Non… En fait, il avait perdu tout contact avec la réalité.
– Kreacher, écoute-moi.
Harry attrapa l'Elfe par le bras.
Pendant un court instant, Ginny crut qu'il lui ferait connaître le même sort qu'à Fletcher.
Mais en fait, il le força juste à laisser tomber sa friteuse pour qu'il le regarde bien en face.
– Je suis venu ici pour savoir quelque chose sur un de tes anciens maîtres, dit Harry, avec tact. Est-ce que tu veux bien m'en parler ?
Kreacher fronça les sourcils.
– Oui, Méchant Maître, répondit-il d'une voix mielleuse. Kreacher veut bien parler de Méchant Maître Black. Méchant Maître Black était méchant. Il n'aimait pas Kreacher, et Kreacher en était bien heureux. Et puis il est mort. Et Kreacher en était bien heureux…
Quelle ignoble petite bestiole.
Fou ou pas fou, il n'avait pas à dire ce genre de chose, surtout pas avec ce petit sourire édenté.
– Non, pas ce maître là, dit Harry, en gardant le même ton courtois. Je voudrais en savoir plus sur son frère. C'est possible ?
L'expression de Kreacher changea.
– Jeune Maître Black ?
– Oui, il s'appelait Regulus. Tu te souviens de lui ?
Les mains de l'Elfe commencèrent à trembler.
Il semblait mal à l'aise.
– Oui… Jeune Maître Black était un bon maître. Gentil maître. Kreacher l'a toujours bien aimé, et il a toujours bien aimé le servir. Jeune Maître Black était aussi un très bon fils, et un très bon sorcier. Oui. Madame l'aime beaucoup, elle est très fière de lui…
– Est-ce que tu sais ce qu'il est advenu de lui, Kreacher ? demanda Harry, comme s'il testait la mémoire d'un vieillard un peu sénile (ce que Kreacher était, d'ailleurs).
– Méchant Maître Black est parti, un jour. Et plus tard, il est revenu à la maison, répondit Kreacher. Mais quand Jeune Maître Black est parti, il ne pouvait pas revenir à la maison, lui. Pauvre Maîtresse… Elle pleure beaucoup. Puis, elle est morte. Morte de tristesse. Kreacher n'est pas mort, lui, mais il aurait dû, car il était bien triste…
Complètement à la masse.
Ginny avait presque pitié de le voir dans un état pareil.
– Moi aussi, je suis triste, Kreacher, dit Harry, d'un ton compatissant.
– C'est vrai, Méchant Maître ?
– Bien sûr. Je connaissais la famille Black, puisque j'ai habité chez eux.
À quoi il jouait ?
– Oui… Kreacher s'en rappelle. Méchant Maître était chez les Maîtres. Est-il un ami ?
– J'étais un ami de Regulus Black.
On aurait dit que Harry s'amusait avec l'esprit malade du vieil Elfe.
À moins qu'il… Ne s'en servait ?
– C'est pour ça que je suis triste, ajouta Harry. Est-ce que tu te souviens de quand il est mort ?
Le regard de Kreacher se figea.
– Kreacher ?
– Madame ne va pas être contente, ça non, marmonna Kreacher. Kreacher ne peut pas faire le service, il est malade. Kreacher ne sert rien, ne sert à rien, sert de bon-à-rien, ne sert rien de bon…
Ron eut un petit rire.
Hermione lui donna un coup de coude.
– Tu es malade ? demanda Harry, d'une voix faussement inquiète.
– Depuis hier soir, oui, Méchant Maître, dit l'Elfe, en dodelinant de la tête. Il a mal à la tête, et sa gorge lui brûle. Et il tremble. Et son corps le fait souffrir. Kreacher est puni, c'est pour ça qu'il a mal. C'est un mauvais Elfe de Maison qui n'aide personne. Pas même sa Maîtresse qui est morte.
Hier soir ?
Il confondait le Passé et le Présent.
Heureusement que Harry suivait.
– Qu'as-tu fait, hier soir ?
Kreacher ne répondit pas.
Il réfléchit quelques secondes, puis il poussa un cri de frayeur.
Il fit alors un bon en arrière, et se recroquevilla contre le mur, la tête entre les mains, tremblant.
– NON !
– Kreacher, qu'est-ce que tu as fait, hier soir ? répéta Harry.
– Kreacher ne veut pas !
Autour d'eux, les Elfes de Maison commençaient à s'attrouper.
Hermione les dispersa à coup de mouchoir.
– Kreacher, tu dois me le dire…
– Non non non non non non…
– Kreacher, je te l'ord…
Harry s'arrêta.
– S'il te plait, continua-t-il. Tu dois me le dire.
Kreacher releva lentement la tête.
Il tremblait encore.
– Hier soir, Kreacher est tombé malade, dit-il. Et il n'aime pas ça.
– Comment es-tu tombé malade ? Tu le sais ?
– C'est Jeune Maître Black.
– C'est-à-dire ?
– Il est venu chercher Kreacher. Il avait besoin de Kreacher. Alors Kreacher était très fier. C'était hier soir, avant que Jeune Maître Black ne soit mort il y a bien longtemps.
– Pourquoi avait-il besoin de toi ? demanda Harry.
– Kreacher ne savait pas. Mais Jeune Maître Black et lui ont transplané près de l'eau. Pourtant, Jeune Maître Black n'avait pas le droit de transplaner, car ce n'était qu'un jeune sorcier.
– Et ensuite ? Qu'avez-vous fait près de l'eau ?
– Jeune Maître Black a conduit Kreacher devant de la pierre… Ne faites pas ça, Maître ! Kreacher va le faire ! Mais le Maître avait besoin de son Elfe plus tard, alors il l'a fait. Bon maître, gentil maître, très courageux…
Ginny avait un peu perdu le fil de l'histoire.
Mais l'endroit auquel le vieil Elfe faisait allusion lui faisait penser à l'entrée de la Grotte où Harry et Dumbledore s'étaient rendus.
Ça ne pouvait être que ça.
– Mais après, il a fait nuit, continua Kreacher. Mais Kreacher et son maître était encore près de l'eau, et…
Il déglutit avec difficulté.
– L'eau a bougé.
À en juger par son air grave, Harry savait de quoi l'Elfe parlait.
– Y'avait-il de la lumière, cette nuit-là ? demanda-t-il.
– Oui. Oui, Méchant Maître. C'est la Lumière que Jeune Maître Black voulait aller voir, répondit Kreacher. Kreacher lui a dit qu'on la voyait très bien d'ici, qu'elle était très belle. Mais Jeune Maître Black voulait la voir de plus près. Alors il a fait apparaître un bateau. Grand sorcier, que ce maître là, oui…
– Que voulait faire Regulus près de la Lumière ?
– Kreacher n'aime pas l'eau. Kreacher n'aime pas naviguer. Mais il a été forcé. Sinon, l'eau le mangeait…
– Est-ce qu'il avait apporté un objet avec lui ?
– Kreacher n'aime pas faire du bateau. Pourquoi tous ces gens sont morts ? "Parce qu'il n'ont pas fait de bateau". Maintenant, Kreacher aime faire du bateau…
– Il y avait un médaillon, n'est-ce pas ?
Kreacher se tut.
Il se releva, et se dirigea vers sa vieille friteuse.
Il s'y appuya, et commença à regarder à l'intérieur.
Harry, Ron, Hermione et Ginny le suivirent du regard, intrigués.
Tu le vois ? dit Kreacher, d'une voix rauque.
– Voir quoi ? répondit Harry, en se penchant au-dessus de la friteuse.
– Oui, je le vois, Maître, ajouta l'Elfe, avec son ton couineur habituel. C'est très beau. C'est pour ça que nous sommes ici…
– De quoi il cause ? demanda Ron. On ne voit…
Harry lui fit signe de se taire.
Tout comme Ginny, il venait de comprendre.
– Ce bijou est à vous ? continua Kreacher. Non. Il est à un vieil ami… Je dois le récupérer. Il va être mouillé, dans cette eau…
Comme possédé, l'Elfe revivait la scène qui s'était déroulée dans la Grotte, plusieurs années auparavant.
Déjà qu'il avait perdu la boule…
Ce n'est pas de l'eau, c'est du poison. Du poison ?! C'est pour ça que j'ai besoin de toi, Kreacher. Tu dois m'aider. Kreacher va vous aider, Monsieur ! Il va enlever le poison ! Il va vider le bassin ! Ce n'est pas si simple. Il faut le boire. Et c'est un méchant poison…
Quand ils avaient été dans la Grotte, Dumbledore avait dit à Harry que personne n'aurait pu récupérer l'Horcruxe seul.
Regulus Black y avait pensé avant.
– Oh, Maître ! Vous êtes si courageux ! Kreacher est là. Kreacher va vous aider à tout boire, Monsieur ! Non, je ne boirais pas.
Harry fronça les sourcils.
– Monsieur ? Mais… Et le bijou de votre ami ?
Ginny se rappela de ce que Harry avait dit, à propos de Kreacher, et de son gâtisme avancé.
Je vais le prendre, ne t'inquiète pas.
Elle se rappela aussi les hallucinations que Dumbledore avait eues en buvant la Potion.
– Mais, comment allez vous faire, Monsieur ?
Oh non.
C'est toi qui va boire le poison, Kreacher.
Quel pourri.
Hermione porta la main la bouche.
Ron poussa un juron.
Harry, lui, ne parut aucunement surpris.
– Non… Non... Kreacher ne veut pas ! cria Kreacher, en s'écartant de la friteuse, la faisant tomber à la renverse. Kreacher n'aime pas l'eau ! Tu vas boire. J'ai besoin de ce pendentif ! Non !
Il se plaqua contre le mur, terrorisé par un ennemi mort depuis des lustres.
Tu n'es pas un bon Elfe de Maison, tu ne suis pas les ordres de ton Maître… Kreacher est un bon Elfe, mais il n'aime pas le poison qui tue ! Je t'ordonne de boire. Maître, s'il vous plait… Bois. Kreacher vous en supplie… BOIS !
Si Ginny avait pu, elle serait intervenue, pour empêcher Regulus Black de faire ça. La frayeur sur le visage de Kreacher lui était insupportable.
Mais le Mal avait déjà été fait, et elle et les autres ne pouvaient en être que les spectateurs tardifs.
– Kreacher fera tout ce que vous voulez…, pleurnicha l'Elfe. Tout, mais pas le poison qui tue. S'il vous plaît, s'il vous plaît, s'il vous plait…
Il tomba à genoux, en sanglots.
Puis, avec sa propre main toute ridée, il s'attrapa par le cou, et releva la tête.
Bois.

Commença alors une série de cris de douleur, d'hurlements, de suffocations.
Kreacher, pris de spasmes, se tortillait sur le dos, suppliant son ancien maître d'arrêter. Mais son ancien maître le faisait boire, encore et encore, jusqu'à la lie.
Cela dura de longues minutes.
Les autres Elfes de Maison, qui ne pouvaient simuler l'indifférence plus longtemps, étaient horrifiés. Certains commençaient même à dire que Kreacher, malgré toutes ses bêtises, ne méritait pas d'être puni autant.
Ils avaient raison.
Surtout que ce jour-là, Kreacher avait été puni plus que tous les Elfes du Château réunis. Plus que ce qu'un esprit d'Elfe pouvait supporter en toute une vie d'Elfe.
C'est cette potion qui l'avait rendu fou.
Le matin même, Ginny pensait que Regulus Black était un héros.
Elle savait maintenant que c'était un lâche.
– Harry, fais quelque chose ! supplia Hermione, aux bords des larmes. Il… Il est en train de…
– Il revit juste ce qui s'est passé, la coupa Harry. Il ne craint plus rien.
– Mais, il…
– Il fallait qu'il se rappelle. Sinon, il n'aurait jamais…
Le corps de Kreacher se crispa soudain, comme si tous ses muscles se contractaient à l'unisson.
Les yeux dans le vide, il prit une profonde respiration.
Puis, il leva un objet invisible au-dessus de sa tête.
Je l'ai, murmura-t-il.
Il eut ensuite un dernier soubresaut, et ne bougea plus.
Il resta comme ça, étendu sur le sol, les bras en croix.
– OH, NON ! s'écria Hermione.
– Est-ce qu'il est… Mort ? dit Ron, en s'agenouillant.
Harry n'en savait rien. Il avait l'air un peu paniqué.
Il avait été trop loin…
– Kreacher. Kreacher !
Harry se pencha au-dessus du corps inanimé de l'Elfe, pour tenter de voir s'il respirait encore.
– C'est fini, Kreacher, c'est fini… Réveille-toi, maintenant, ré…
Kreacher ouvrit les yeux.
– Veille-toi…
Ouf…
Harry poussa un soupir de soulagement.
– Tu m'as fait peur… Est-ce que ça va ?
Encore un peu sonné, Kreacher se releva, avec la lenteur propre à son grand âge.
– Non… Kreacher est malade, dit-il. Depuis hier soir, oui, Méchant Maître.
Il repartait dans ses divagations.
Ça allait mieux.
– Je sais, tu me l'as déjà… "Dit", répondit Harry. Et j'en suis désolé.
Le vieil Elfe le regarda droit dans les yeux.
– Méchant Maître est désolé pour Kreacher ?
– Oui… On est toujours triste quand on voit quelqu'un qui est malade. On aimerait l'aider, mais on ne peut pas toujours…
Hermione jeta un coup d'œil à Ginny.
Celle-ci fit comme si elle n'avait rien remarqué…
– C'est vrai. Kreacher était toujours très triste quand ses maîtres étaient souffrants, dit Kreacher, en s'asseyant. Mais les Maîtres ne sont plus souffrants. Ils sont morts. Et Kreacher n'a rien fait pour les aider. Kreacher est un mauvais Elfe. Il n'aide personne. Jeune Maître Black l'avait bien dit…
– Tu aides beaucoup tes maîtres, Kreacher, dit Harry, pour le consoler.
– C'est faux…
– Tu te souviens de ce que Regulus t'a dit, après que vous soyez rentrés ?
Kreacher ne répondit pas tout de suite.
Ginny espéra qu'il n'ait pas une nouvelle crise de schizophrénie.
– Kreacher était déjà malade, Méchant Maître, dit-il enfin. Mais Jeune Maître Black lui a donné un dernier ordre. Et après, il est parti, parce que Kreacher était un mauvais Elfe. C'était il y a très longtemps. Jeune Maître Black n'est jamais revenu, depuis. Parce que Kreacher est un mauvais Elfe.
– Quel était cet ordre ?
– Il a dit de le garder, de le cacher, de le protéger. Alors Kreacher l'a gardé, l'a caché, et l'a protégé. Il a dit que personne ne devait le prendre, pas même son ami, à qui il appartenait. Surtout pas lui.
Ron et Hermione se regardèrent.
– Et tu as réussi, Kreacher, dit Harry. Tu as très bien travaillé. L'ami ne l'a pas trouvé. Tu as beaucoup aidé.
Le vieil Elfe semblait ne pas y croire.
– Vraiment, Méchant Maître ?
– Bien sûr. Et tu veux continuer à aider ?
Kreacher eut un large sourire.
– Oh, oui ! Kreacher veut aider !
– Alors, il faut que tu me le donnes.
Le sourire de Kreacher s'effaça.
Il recula un peu.
– Kreacher n'a pas le droit…
– Je le sais. Mais tout est terminé. Tu as accompli ta mission.
– Kreacher ne doit pas le donner à l'ami de Jeune Maître Black.
– Je ne suis pas cet ami-là.
– Si…
– Non, je suis un autre ami.
Kreacher lui lança un regard soupçonneux.
– Un autre ?
– On peut avoir plusieurs amis, tu sais. Voire même des amis très différents. Mais les vrais amis sont ceux qui vous aident, et cela sans y être forcés.
Kreacher avait été un esclave toute sa vie, coincé chez les Black, sans jamais pouvoir échapper à leur contrôle.
Il ne connaissait pas ce genre de chose. Il n'avait jamais été l'ami de personne.
– Kreacher a toujours été forcé, dit-il. Mais il a toujours aidé. C'est comme ça qu'on devient un bon Elfe.
– Pour changer, on pourrait dire que tu n'es pas obligé d'accepter, d'accord ? Si tu dois me le donner, ce ne sera pas parce que je te l'ordonne, ce sera parce que tu en as envie.
– Mais… Jeune Maître Black a donné un ordre, lui. Et Kreacher veut être un bon Elfe pour son Maître. Il veut que Jeune Maître Black soit fier.
– Je comprends. Tu as aussi le droit de suivre les ordres, si tu veux. Mais, je…
Harry chercha ses mots quelques secondes.
– J'ai croisé Regulus ce matin. Il était très fier, parce que tu l'avais très bien gardé. Moi et mes amis l'avons cherché partout, mais tu as été plus malin que nous. Mais aujourd'hui, ce n'est plus comme hier soir. Les choses ont changé, et j'en ai besoin. Tu veux bien me le donner ?
Kreacher doutait un peu.
– Jeune Maître Black était fier ? demanda-t-il.
– Très fier, répondit Harry.
Il commença à se tortiller les doigts.
– Si… Si Kreacher le donne, sera-t-il un bon Elfe pour son nouveau maître ?
– Je ne suis pas ton maître, Kreacher. Si tu me le donnes, tu ne seras pas un bon Elfe. Mais tu seras mon ami.
L'Elfe ouvrit de grands yeux.
– Un ami ?
– Oui.
– Les Elfes de Maison ne sont pas des amis…
– Ça tombe bien, tu n'es pas mon Elfe.
Kreacher hésita.
Il se mit à marmonner tout seul, comme s'il réfléchissait à voix haute.
Ginny retint son souffle.
Après quelques instants, Kreacher soupira.
Il souleva alors son uniforme, laissant apparaître son vieux pagne, ainsi qu'une petite chaîne en or, accrochée autour de sa taille.
Avec ses ongles crochus, il ouvrit le fermoir, et le bruit d'un objet métallique se fit entendre.
Kreacher ramassa l'objet, et le tendit à Harry, le tout avec un petit sourire… Amical.
Harry se saisit du Médaillon de Serpentard, et dit alors quelque chose que Kreacher n'avait pas dû entendre très souvent...

– Merci.