Chapitre 37 : Toute seule

Les nouvelles se propageaient vite, dans le Monde Magique.
Ainsi, un bruit courait.
Tout le monde avait entendu la rumeur, par un parent, un ami, un collègue… Les gens ne parlaient que de ça.
Si bien que plus personne n'aurait été capable de dire comment il avait été mis au courant.
Partout dans le Monde, des oiseaux étaient envoyés aux différents gouvernements magiques pour demander confirmation.
Face à ces nuées de volatiles disparates, certains Moldus crurent même qu'une catastrophe naturelle avait eu lieu.
Les Ministres de la Magie demandèrent à leurs services spéciaux, qui demandèrent à leurs contacts, qui demandèrent aux services spéciaux d'autres Ministres, qui eux-mêmes n'en savaient pas plus.
Un seul Ministre ne répondit pas tout de suite à ses homologues : celui de Grande-Bretagne.
Celui-ci préféra organiser directement une conférence de presse officielle, diffusée en simultanée à la RITM, le lendemain, dans l'après-midi.
Le Monde Magique s'arrêta de tourner.
Les employés quittèrent leurs lieux de travail, avec le consentement de leurs patrons, qui étaient déjà partis.
Les commerçants fermèrent leurs boutiques plus tôt, les clients allant de toute façon se faire rares dans les rues.
Les enfants purent même retourner chez eux, pour être avec leurs familles.
Vers seize heures (heure locale), tout le monde alluma son poste sur la Fréquence Magique Internationale (80.5).

Le Ministre de la Magie britannique n'eut même pas le temps de finir sa phrase que les exclamations de joie résonnaient déjà dans chaque foyer sorcier.
Jamais on avait autant célébré ce type d'événement.
C'était un peu immoral de ce réjouir de ce genre de chose, mais la personne à qui cela était arrivé ne méritait pas mieux.
Partout, ce ne fut que fêtes, feux d'artifice, accolades et célébrations.
Comme la dernière fois, mais en mieux.
Alors, c'était donc vrai.
La rumeur était belle et bien fondée.

Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom était mort.

On avait retrouvé son corps à Londres, étendu dans une mare de sang.
Les gens étaient tellement heureux qu'ils oublièrent vite quelque chose.
Ce n'était pas son sang…

Tibia et fémur gauches broyés, rotule droite arrachée, clavicule gauche brisée, fracture de l'avant-bras gauche, coupure des ligaments du poignet, brûlure de la paume droite au second degré, sept côtes cassées, trois côtes fêlées, brûlure au troisième degré sur 40 de la surface corporelle, poumon droit perforé, multiples fractures crâniennes…
On ne savait même pas comment il avait pu arriver "vivant" à l'Hôpital.
Quand les membres de la Brigade de Réparation des Accidents de Sorcellerie arrivèrent sur les lieux, alertés par un voisin, ils prévinrent aussitôt le Quartier Général des Aurors, voyant que ce n'était pas vraiment de leur ressort, ainsi que des guérisseurs urgentistes.
Ils eurent du mal à l'identifier.
Sans sa cicatrice, personne n'aurait pu reconnaître Harry Potter.

Tous les guérisseurs de Ste Mangouste se relayèrent pendant une dizaine d'heures pour le sortir d'affaire, découvrant à chaque minute une nouvelle hémorragie interne ou une autre commotion.
Ils firent de leur mieux, et le soignèrent comme ils pouvaient, remplaçant les os, recréant les organes, ou recousant les tissus.
Son état se stabilisa, mais ses blessures étaient trop importantes.
Pour les guérisseurs, le constat était évident : il ne passerait pas l'hiver.
Il resterait dans un état comateux, en attendant que la Mort ne vienne, petit à petit.

Tout cela était dramatique, bien sûr.
Mais c'était un héros.
Et au lieu de s'inquiéter pour lui, ou de lui exprimer un quelconque soutien, les gens préféraient faire la fête en son honneur, comme si tout était normal.
C'était malsain, les gens le savaient. Mais qu'importe.
Grâce à lui, une nouvelle ère commençait. Une ère de paix et de joie.

Une seule personne ne souriait pas. D'ailleurs, elle ne souriait jamais.
C'était une jeune fille aux cheveux roux.
Son regard suffisait à calmer les ardeurs de n'importe qui. C'était la Tristesse même.
Elle était arrivée à l'Hôpital en même temps que Harry Potter, et ne l'avait pas quitté, depuis.
Elle passait tout son temps à son chevet, et ne sortait de sa chambre que pour manger un peu, à la cafétéria. La nuit, les infirmières de garde pouvaient l'entendre pleurer, tout doucement.
Elle parlait très peu.
Tout ce qu'on savait d'elle n'étaient que pures spéculations.
Les infirmières supposaient qu'elle était une amie de Harry Potter. Une amie proche, peut-être.
L'expression de son visage n'encourageait pas à lui demander directement plus de détails.
Un jour, elles ouvrirent son dossier médical, par curiosité.
Elles comprirent.

La jeune fille n'avait pas beaucoup d'argent. Et les soins apportés à Harry Potter n'étaient pas gratuits.
Elle passa donc un accord avec la direction de l'Hôpital : pour limiter les frais, elle s'occuperait elle-même de lui.
Les infirmières lui firent un rapide topo sur tout ce qu'elle devrait faire. Elles lui prêtèrent même un vieil uniforme.
Elle avait déjà de bonnes bases, et elle apprenait vite.
Elle était même plutôt douée, comme si quelque chose la poussait à bien faire.
Injection, transfusion, application d'onguents, prise du pouls, mesure de la tension, bandage, toilette, changement des draps…
Elle ne rechigner pas à la tâche.
Étrangement, elle n'utilisait pas la Magie. Mais elle ne se plaignait pas.

Peu de temps après son admission, les parents de la jeune fille vinrent.
Ils la cherchaient partout.
Apparemment, elle n'aurait pas dû être là.
Il y eu des pleurs, des embrassades.
Puis, une dispute survint.
Elle ne partirait pas. Elle resterait. Ils n'en savaient rien. Ils ne pouvaient pas comprendre.
La mère s'emporta. Elle parla de Harry Potter, d'un frère en fuite, de prison. Elle dit que tout était de sa faute.
Le père tenta de raisonner la mère, sans grand succès.
La mère partit.
Seul le père la suivit.
La jeune fille resta toute seule.

Et c'était comme ça depuis des mois…

La porte de la chambre s'ouvrit.
– Ginny ?
C'était Hermione.
– Tu l'as trouvé ? demanda Ginny.
Hermione sortit de sa poche la Rose Bleue.
– Elle était encore dans votre chambre, sur le bureau. Je t'ai aussi pris des vêtements de rechange, au cas où.
Elle déposa son sac à dos dans un coin de la pièce, et tendit la rose à Ginny, qui la prit, d'une main tremblante.
– Merci, dit-elle.
Elle la sentit.
Son parfum était toujours égal à lui-même.
– C'est… C'est quelque chose de très important pour nous…
Elle jeta un regard mélancolique à Harry, qui respirait, paisiblement.
Respirer était tout ce qu'il pouvait faire, pour le moment. Mais cela suffisait à Ginny.
Ça prouvait qu'il était en vie.
Elle soupira.
– Ça va aller ? demanda Hermione, d'une voix inquiète.
Comment une fille comme elle pouvait poser une question aussi idiote…
– Oui, répondit Ginny, en esquissant un pâle sourire. Ne t'inquiète pas.
Hermione n'était pas convaincue pour un sou.
– Bon… Je vais retourner chez mes parents, pendant quelques jours, dit-elle. J'ai beaucoup de choses à leur dire, et c'est l'occasion ou jamais… Tu as besoin de quelque chose, avant que je parte ?
– Et bien, en fait… J'aimerais que… Que tu achètes une paire de lunettes, répondit Ginny.
– Des lunettes ? répéta Hermione, surprise.
– Oui, pour Harry. On n'a pas retrouvé les siennes, et…
La voix de Ginny commença à tressaillir.
Elle se calma.
– Et je veux qu'il me reconnaisse tout de suite, quand il se réveillera…
– Ginny…, commença Hermione, d'un air affligé.
– Ne t'en fait pas, ajouta Ginny, précipitamment. Je… Je te rembourserais. Dès que possible…
– Non, ce n'est pas ça. C'est juste que…
Hermione poussa un soupir d'agacement.
– Les guérisseurs te l'ont déjà expliqué. Il ne…
– Il est stable. Son pouls est régulier, et il respire tout seul, maintenant.
– Ginny, ça fait déjà trois mois !
– Harry va se réveiller, dit Ginny, d'un ton catégorique. Il vivra.
Hermione leva les yeux au ciel.
– Et comment tu peux en être aussi sûre ?
Ginny ne répondit pas tout de suite.
Elle regarda successivement la Rose Bleue, qu'elle tenait dans la main, et Harry, à qui elle tenait plus que tout.
Elle repensa à tout ce qu'il lui avait dit, et sourit.

– Il me la promit, dit-elle, enfin.