Ce chapitre a été écrit pour la 138e Nuit du FoF autour du thème "culte". Le FoF est un forum ouvert à tous les francophones de ffnet où l'on peut discuter, demander de l'aide ou participer à des jeux. Le lien est dans mes favoris !


Juin

« Il y a de redoutables zones d'ombre au bord de nos chemins quotidiens, et parfois quelque âme damnée force la frontière. Quand cela arrive, celui qui le sait doit frapper avant de se soucier des conséquences. »

Internet lui a tout de suite donné la réponse, et c'est celle qu'il attendait. Un auteur qu'il a pas mal lu dans sa jeunesse, jamais tout à fait oublié même si ça fait longtemps qu'il n'a plus le temps de lire pour le plaisir. Un auteur qui a inventé cette créature hideuse, aberrante, impie, dont la statuette trônait sur l'autel de l'église désaffectée avant qu'un technicien de la scientifique la retire et la glisse dans un sac. Lovecraft, bien sûr. Lovecraft, L'Appel de Cthulhu, et cet autre récit* d'où sont issues les phrases qui hantent les rêves de l'inspecteur Loki…

Ses suspects sont donc une bande d'illuminés, adorateurs d'une entité fictive d'origine extraterrestre dont le culte s'avère tout aussi violent que Lovecraft l'avait imaginé. Bon. Comme Loki l'a pressenti, tous ces meurtres sont des sacrifices au Grand Ancien endormi sous les eaux, peut-être destinés à hâter son retour. Comment peut-on croire à des absurdités aussi énormes ? Et comment cette croyance folle a-t-elle pu mener à un tel bain de sang ? Il y a des jours où, en considérant ce dont sont capables certains représentants de l'espèce humaine, Loki se demande s'il ne serait pas plus heureux de ne pas en faire partie.

Non. Il ne se le demande pas, en fait.

Assis devant son ordinateur, il frotte ses yeux fatigués par la lumière bleue de l'écran et les nuits trop courtes. Il va lui falloir enquêter du côté des sectes sataniques et des confréries de sorciers New Age qui hantent l'État ; les tatouages ésotériques sur ses mains et son cou devraient bien lui ouvrir quelques portes. On avance, on avance.

Et les rêves, dans tout ça ? Les mots de Lovecraft, pourquoi les entend-il, nuit après nuit, sur fond de tambours et de flûtes ? Est-ce qu'avant de contempler l'image de Cthulhu, son esprit avait déjà compris quelle direction prendre ? Loki secoue la tête, contrarié : comment aurait-il pu le deviner ? Alors, coïncidence ? Présage ? Ou pire…

« Celui qui sait doit frapper avant de se soucier des conséquences » : dans ses rêves, cela sonne comme une injonction. Venant de qui ? Du Dieu qu'il a rejeté il y a tant d'années ? De son subconscient pétri de violence mal enfouie ? De Lovecraft ?

Un pli relève le coin de sa bouche – c'est rare qu'on le voie sourire, mais ce n'est pas vraiment un sourire amusé. Lovecraft, le pauvre, se retournerait sûrement dans sa tombe s'il savait ce que ces malades ont fait de sa création. Loki en souhaiterait presque que Cthulhu existe pour de vrai et les dévore tous avant de disparaître, vaporisé par l'une des incantations magiques du Necronomicon.

Et en parlant du Necronomicon… Dans l'œuvre de Lovecraft, l'ouvrage est étroitement lié au culte de Cthulhu. En un clic et quelques clignements de paupières, Loki parcourt à l'écran son histoire fictive. Nombreux sont les lecteurs à avoir cru à la réalité du livre maudit censé n'être conservé, dans un secret presque absolu en raison de son contenu épouvantable, que dans une poignée de bibliothèques à travers le monde. Dont la Bibliothèque Widener de Harvard. Peut-être l'établissement a-t-il reçu, plus ou moins récemment, une ou plusieurs demandes de consultation de cet ouvrage ? Ça vaut la peine de se renseigner.


*Le Monstre sur le seuil, 1937.