Ce chapitre a été écrit pour la 141e Nuit du FoF autour du thème «antipode». Le FoF est un forum ouvert à tous les francophones de ffnet où l'on peut discuter, demander de l'aide ou participer à des jeux. Le lien est dans mes favoris !


Avertissement : pas de description de scène de crime dans ce chapitre, mais si le passage sur l'église abandonnée vous a secoué, il y a ici une ligne ou deux qui vous feront peut-être tiquer.


Septembre

« Il y a une certaine symétrie dans tout ça, vous ne trouvez pas ? »

Loki hoche la tête pour confirmer. Le légiste a raison, ces cinglés d'adorateurs de Cthulhu se donnent beaucoup de mal pour que leurs crimes se répondent.

Le dernier sacrifice en date a eu lieu fin août, le lendemain de sa visite à Penny Halliwell : trois vieilles dames étranglées dans un cimetière. On les a retrouvées allongées sur le sol, disposées en triangle autour du puits ornemental marquant le centre du lieu : un écho macabre aux trois adolescents démembrés de l'église abandonnée. Deux trios de victimes aux antipodes l'un de l'autre, comme le quadra pendu à l'arbre et la jeune noyée du lac, ou le retraité égorgé sur la colline et la femme d'âge moyen brûlée dans le jardin. Hasards ? Ou volonté délibérée de montrer que personne n'est à l'abri ?

« Ça fait froid dans le dos, commente le légiste. Je ne suis pas pressé de savoir ce que sera l'image miroir de celui-ci… »

Ils se trouvent à l'institut médico-légal, où Loki est venu entendre les conclusions du médecin après l'examen des restes humains découverts dans une forêt profonde, près des vestiges d'un feu de camp, juste après la rentrée des classes.

« C'est notre victime de juillet, annonce sans ambages le légiste. L'examen dentaire confirme qu'il s'agit bien du petit garçon dont on a signalé la disparition pendant les vacances. »

Les mâchoires de Loki se crispent. Depuis l'affaire Dover, il ne travaille plus sur les disparitions d'enfant, il n'a donc pas été amené à se pencher sur ce cas. Jusqu'à maintenant.

« Comme les autres, il a été assommé d'un violent coup sur le crâne avant d'être… tué. »

Loki note l'hésitation du légiste, qui ne lui plaît guère.

« De quoi est-il mort ? » l'interroge-t-il.

Le médecin plisse les lèvres. Est-il perturbé par la jeunesse de la victime ou par le sort qui lui a été réservé ? Loki ne saurait le dire.

« Vous verrez les détails dans le rapport, finit-il par répondre, mais, pour faire court, l'état des ossements, les traces de découpe…

– Il a été démembré ? l'interrompt Loki qui n'a pas l'intention de se pencher sur lesdits détails.

– Dévoré, corrige le légiste. Avec appétit, semble-t-il. Ses os ont été rongés et on a sucé la moelle. »

Loki se sent blêmir. Il ferme très fort les yeux, les frotte pour calmer la série de clignements incontrôlables qui le saisit.

« Dévoré vivant, murmure-t-il dans un souffle.

– C'est difficile à dire, nuance le légiste. Mais il est probable qu'il respirait encore au début de… de l'opération. Même s'il n'était pas conscient. »

Loki se demande s'il en est certain, ou s'il essaye juste de s'en persuader.

« En toute logique, la prochaine victime devrait donc être une vieille dame, déclare-t-il, ou peut-être une mère de famille. À moins que cette prétendue symétrie ne soit qu'une illusion. »

Le légiste le regarde de travers : il a dû entendre sa voix trembler. L'inspecteur serre les lèvres et ne communique plus que par monosyllabes jusqu'à la fin de l'entrevue. Avec un peu de chance, le légiste croira que l'horreur lui serre la gorge, alors qu'en fait c'est le rire. Un rire sec, nerveux, qu'il libère une fois seul dans sa voiture, à l'abri des regards ; un rire irrépressible et violent qui le secoue de la tête aux pieds ; un rire aux antipodes de la joie, qui fait monter les larmes à ses yeux clignotants. Ça ne finira donc jamais ? Est-il condamné à découvrir chaque mois une nouvelle horreur, comme un sinistre calendrier de l'Avent ?

« Ça ne finira jamais », lui a dit Charlotte Ward. « Ça ne finira jamais », lui a dit Penny Halliwell.

Septembre est bien entamé et le prochain sacrifice se prépare, il le sait sans pouvoir l'empêcher. Peut-être a-t-il déjà eu lieu. Loki n'en peut plus de courir après le temps. Il doit retourner les voir l'une et l'autre, Ward et Halliwell, toutes deux innocentes, toutes deux mouillées jusqu'au cou.