Ce chapitre a été écrit pour la 142e Nuit du FoF autour des thèmes «mort» et «asthénique». Le FoF est un forum ouvert à tous les francophones de ffnet où l'on peut discuter, demander de l'aide ou participer à des jeux. Le lien est dans mes favoris !
Octobre
Ça n'a pas loupé : comme Loki l'avait envisagé, le meurtre-miroir de celui du garçonnet dévoré vivant fut celui d'une mère de famille. Découverte dans une grotte vers la mi-septembre, ébouillantée.
« On file la métaphore culinaire, a observé le légiste une fois remis du premier choc. Comment diable ont-ils fait chauffer toute cette eau ? »
Bonne question car la grotte en question, à flanc de falaise, n'est évidemment raccordée ni au gaz de ville, ni à l'électricité. Il a dû en falloir, du temps et de l'énergie, pour faire bouillir ce grand baril. Loki ne peut s'empêcher d'admirer la débrouillardise et la détermination des sacrificateurs des Grands Anciens. Ou peut-être est-ce sa façon de tenir l'émotion à distance, bien qu'en ce moment il ne ressente pour ainsi dire plus rien.
Lui aussi a reçu un sacré choc en se retrouvant face au cadavre. Un être humain cuit à l'eau, ce n'est pas beau à voir ; c'est même plutôt difficile à identifier. Pourtant, les vêtements, les cheveux, les traits qu'il parvenait encore à distinguer, lui ont dit quelque chose. Puis la confirmation est tombée : la victime s'appelait Penny Halliwell. Merde.
Ça ne peut pas être un simple hasard, alors l'inspecteur a tout de suite demandé à placer sous surveillance Charlotte Ward ainsi que Peter Haycock et LeBron Michaels, tous deux rentrés de vacances. Après les avoir interrogés, il pense cependant que ces jeunes gens n'ont rien à voir avec cette affaire : ce ne sont que deux étudiants qui jouent à se faire peur en participant à des marathons de films d'épouvante ou à des séances de spiritisme. Haycock avait parié avec un ami qu'il photographierait un exemplaire du Necronomicon – il en a été pour ses frais – et Michaels, grand amateur de jeux vidéos, connaît à peine l'œuvre de Lovecraft.
Loki s'en veut de ne pas être retourné voir Penny Halliwell à temps. Que savait-elle qui la condamnait à mort, et comment les autres l'ont-ils su ? Il s'en souvient comme d'une femme portée sur l'ésotérisme, convaincue de l'existence du Necronomicon et de toutes les horreurs que cet ouvrage maudit est censé décrire. Sans en connaître tous les détails, elle voyait dans la série des meurtres rituels des offrandes à Cthulhu.
« Ça ne finira jamais, disait-elle, parce que les Gardiens ne permettront pas qu'il se réveille. »
Qui sont ces Gardiens ? Elle ne l'a pas précisé, et Loki a supposé qu'il s'agissait d'un élément de son délire. Mais peut-être…
En dépit de sa fatigue lancinante, car les cauchemars le poursuivent à nouveau, Loki a senti que Penny Halliwell n'était pas qu'une illuminée. Il y avait bel et bien quelque chose derrière cette histoire de Gardiens, il en aurait mis sa tête à couper. Mais, sur le moment, il n'a pas insisté. Trop épuisé pour prolonger l'entretien alors que son cerveau embrumé lui faisait voir des ombres qui n'existaient pas ramper sur les murs du salon de Penny. Il s'était promis de revenir plus tard. Maintenant, Penny ne lui dira plus rien.
« Il y a de redoutables zones d'ombre au bord de nos chemins quotidiens, et parfois quelque âme damnée force la frontière. Quand cela arrive, celui qui le sait doit frapper avant de se soucier des conséquences. »
« Celui qui le sait » : un Gardien ? Loki, lui, ne sait plus quoi penser. Il sait juste que la mort de Penny Halliwell aurait pu être évitée s'il s'était montré plus rigoureux. Mais sa lassitude est telle qu'il ne ressent pas vraiment de culpabilité.
Charlotte Ward, elle, ne lui a rien dit d'éventuels Gardiens. En fait, elle ne lui a pas dit grand-chose les deux fois où il est allé la voir. Même la crainte de partager le sort de Penny ne lui a pas délié la langue, et pourtant Loki sent que, là aussi, il y a de quoi creuser. Est-ce l'effet de son instinct de flic, ou une simple illusion de son cerveau saturé de souvenirs abominables ? Octobre s'installe, Halloween approche : si Charlotte doit parler, c'est maintenant ou jamais. Avant qu'on la fasse taire.
