Ce chapitre a été écrit pour la 143e Nuit du FoF autour du thème «traque». Le FoF est un forum ouvert à tous les francophones de ffnet où l'on peut discuter, demander de l'aide ou participer à des jeux. Le lien est dans mes favoris !
Novembre
Il n'y aurait pas cru si on le lui avait prédit, et pourtant cela semble vrai : Samain, la nuit où s'ouvre le passage vers l'autre monde, s'est déroulée sans sacrifice. Loki reste prudent cependant, conscient qu'un nouveau massacre peut toujours être découvert tandis que tombent les feuilles d'automne. Ce qui est sûr, en tout cas, c'est que Charlotte Ward se porte bien. Assise face à lui de l'autre côté de sa propre table, elle sirote un thé dont elle serre la tasse entre ses mains ridées. Loki, lui, tourne au café noir.
« Je sais que vous me cachez des choses, Charlotte. Il faut tout me dire. J'ai besoin que vous me disiez tout. »
Il parle d'un ton calme, en contrôlant sa voix comme il a appris à le faire, mais ses yeux clignent férocement, trahissant la tension qui l'habite. C'est une fine mouche qu'il a en face de lui. La dernière fois qu'il a tenté de la faire parler, elle lui a demandé sur quels éléments objectifs il fondait sa conviction qu'elle dissimulait des informations. Il n'a pas su quoi répondre. Aujourd'hui, fini de tourner autour du pot.
« La première fois que je suis venu vous voir, vous m'avez raconté que vous cherchiez le Necronomicon par simple curiosité, résume-t-il. Vous prétendiez ne rien savoir des meurtres, vous ne connaissiez ni les victimes ni les autres personnes qui ont sollicité la Bibliothèque Widener pour accéder au Necronomicon.
– C'est exact, confirme Charlotte.
– Vous m'avez dit aussi : « ça ne finira jamais », rappelle Loki, et elle sourit.
– Si j'ai bien compris, vous suspectez que ces crimes atroces sont l'œuvre d'une sorte de secte, explique-t-elle. Ça en a tout l'air, à en croire les journaux. Le fanatisme, quelque idéologie qu'il défende et quelque forme qu'il prenne, existe probablement depuis toujours et ne disparaîtra pas avant l'humanité elle-même. Voilà ce que je voulais dire. »
Loki sent l'agacement monter et secoue la tête. Il ne veut pas la brusquer, mais elle le fait mariner depuis trop longtemps.
« Penny Halliwell m'avait affirmé elle aussi que « ça ne finira jamais », dit-il. Penny Halliwell qui, comme vous, voulait consulter le Necronomicon. Parce qu'elle croyait à la sorcellerie, aux Grands Anciens et aux Gardiens. Oh, vous pouvez hausser les sourcils, Charlotte ! Vous êtes une femme rationnelle. Cinq minutes sur internet ont dû vous suffire pour comprendre que le Necronomicon n'existait pas réellement. Pourtant, vous avez continué à le chercher. Pourquoi ? »
Charlotte Ward hoche la tête et fait un petit mouvement avec sa tasse de thé, comme pour saluer le raisonnement de l'inspecteur. Elle était enseignante autrefois, cela se ressent dans son attitude.
« Vous commencez à mettre des mots sur vos intuitions, le félicite-t-elle, c'est bien.
– Ne me prenez pas de haut, réplique aussitôt Loki entre ses dents serrées. Douze personnes sont mortes et vous pourriez être la prochaine.
– Ou vous », note Charlotte.
Voilà qui lui coupe le sifflet. Est-ce une menace ? Un avertissement ?
« Les fanatiques sont dangereux, précise-t-elle. Vous avez vu ce dont ceux-là sont capables, vous le savez mieux que moi.
– Donc ce n'est peut-être pas très prudent de votre part de fouiner du côté du Necronomicon, hein, Charlotte ? » relève-t-il, ironique.
Elle ne répond pas tout de suite. Elle boit une gorgée de thé puis dévisage Loki d'un air grave.
« Vous êtes habitué à traquer les criminels, inspecteur, convient-elle, mais cette traque-là pourrait vous mener très loin de ce que vous connaissez. Croyez-vous vraiment y être préparé ?
– « Il y a de redoutables zones d'ombre au bord de nos chemins quotidiens, et parfois quelque âme damnée force la frontière », récite Loki. « Quand cela arrive, celui qui le sait doit frapper avant de se soucier des conséquences. » »
Il ne sait pas trop ce qui lui a pris. Peut-être a-t-il voulu faire un trait d'humour, peut-être en a-t-il assez de ces mots qui lui trottent continuellement dans la tête… Le résultat en vaut la peine car Charlotte Ward ouvre soudain de grands yeux, le souffle court, et manque en renverser son thé.
