Ce chapitre a été écrit pour la 144e Nuit du FoF autour du thème «fissure». Le FoF est un forum ouvert à tous les francophones de ffnet où l'on peut discuter, demander de l'aide ou participer à des jeux. Le lien est dans mes favoris !


Décembre (1)

Les guirlandes clignotent, les sapins agitent leurs aiguilles dans le vent et des Pères Noël barbus hantent les trottoirs ; l'humeur générale est à la fête, pourtant Loki se sent plus proche que jamais de basculer dans la folie. La faute au manque de sommeil et à cette histoire qui n'en finit pas. La faute à Charlotte Ward. Et avant tout, bien sûr, à ces cinglés d'adorateurs de Cthulhu.

Il y a bien eu de nouvelles victimes, tout compte fait, à Halloween et en novembre : il fallait juste que quelqu'un découvre leurs corps. Loki en a tellement assez qu'il ne veut même plus penser aux détails de ces derniers meurtres. En fait, il voudrait qu'on le dessaisisse de l'affaire, mais il n'ose pas le demander à sa hiérarchie. Le compteur est à quinze désormais ; à combien de morts en sera-t-on à la fin de l'année ? Loki mise sur dix-huit, au feeling, et il se pourrait bien qu'il ait raison puisque, apparemment, telle est sa destinée.

« Vous en êtes un », a soufflé Charlotte Ward après avoir redressé de justesse sa tasse de thé.

Un Gardien, voulait-elle dire. Tout comme elle-même, évidemment. Ils se reconnaissent en citant des passages de Lovecraft, en particulier celui qui hante les nuits de l'inspecteur. Eh ben, voyons. En dépit de son allure bon chic bon genre, Charlotte se révèle aussi fêlée que la défunte Penny Halliwell. Encore une déception.

« Vous ne me croyez pas », a-t-elle deviné.

Fêlée mais perspicace. Quoique la tête de Loki devait exprimer assez clairement son sentiment.

« À part leur aspect sacrificiel, rien ne relie à première vue ces meurtres entre eux, lui a-t-elle fait remarquer. Pourtant vous avez toujours su qu'ils étaient l'œuvre d'un même groupe de personnes. Pourquoi, à votre avis ?

– Parce que les constatations du légiste vont dans ce sens, a-t-il laconiquement répondu, peu désireux de lui livrer des détails tenus secrets, tel le fait que toutes les victimes ont été assommées avant d'être tuées. Et je ne suis pas le seul à le penser : mon chef, les agents qui ont travaillé sur les scènes de crimes, tout le monde est d'accord là-dessus.

– Peut-être font-ils confiance à votre instinct ? »

Loki n'a pas réagi. Ces temps-ci, l'idée même d'instinct lui hérisse le poil. Mais il doit bien admettre que c'est surtout à l'intuition qu'il fonctionne.

« Vous rêvez, n'est-ce pas ? lui a-t-elle alors demandé d'une voix douce, et l'inspecteur en a eu la chair de poule.

– Comment… Pourquoi vous me demandez ça ? a-t-il balbutié, trop nerveux pour cligner des paupières.

– Vos rêves, a insisté Charlotte sans répondre, ne sont pas de simples rêves, vous le savez. Ce sont des fissures dans l'espace-temps. »

Comme elle semblait vraiment le croire, il a préféré en rester là. Sentir son propre esprit se fissurer sous l'effet de la fatigue et d'un stress bien terrestre est déjà assez perturbant pour qu'il n'ait pas besoin d'y ajouter des failles spatio-temporelles !

Si Charlotte croit aux Gardiens, aux Grands Anciens et au pouvoir du Necronomicon, sa dernière déclaration n'est pas surprenante. Après tout, certains Anciens sont censés résider dans des dimensions étranges ou des univers parallèles : il faut bien qu'ils trouvent moyen de se faufiler jusqu'à nous. Et les rêves, dans le mythe de Cthulhu, sont effectivement bien plus que de simples rêves.

« Vous êtes un Gardien. Vous avez été choisi pour les combattre, pour leur faire obstacle, que vous le vouliez ou non. C'est votre destinée. »

Les mots de Charlotte le hantent encore, les mots et ce qui s'est passé ensuite. Comme il se levait pour partir, fatigué de ces élucubrations, elle lui a demandé de l'attendre deux minutes avant de disparaître dans le couloir. Il l'a entendue farfouiller puis revenir aussi rapidement qu'annoncé. Une lueur de triomphe dans le regard, elle a posé sur la table de la cuisine un grand et mince volume à la couverture noire dont le titre était écrit à la main sur une étiquette comme en utilisent les écoliers.

Un exemplaire du Necronomicon.