Ce chapitre a été écrit pour la 145e Nuit du FoF autour du thème «glorifier». Le FoF est un forum ouvert à tous les francophones de ffnet où l'on peut discuter, demander de l'aide ou participer à des jeux. Le lien est dans mes favoris !


Décembre (2)

À la demande de Charlotte, Loki a emporté le livre chez lui. Il contient des secrets épouvantables, l'a-t-elle averti, mais aussi des armes contre les Grands Anciens, les seules que possède l'humanité pour s'en prémunir. Maintenant que quelques jours ont passé, alors que décembre s'écoule au son des chorales de Noël, il se décide enfin à l'ouvrir. Dehors la nuit est tombée, il neige à gros flocons ; dans l'appartement, il fait sombre, sauf sous la lampe que l'inspecteur a allumée pour éclairer sa lecture.

En fait de livre, il s'agit plutôt d'un cahier couvert à la main, sans doute par Charlotte elle-même. Les pages sont remplies d'une écriture nette à l'encre bleue que Loki n'a aucun mal à déchiffrer. Pour autant, il ne comprend pas un traître mot de ce qu'il lit, et pour cause : cela ressemble à du latin, avec parfois des mots étranges, voire d'étranges caractères, grecs, arabes, hébreux ou autre. Certains passages sont en lettres capitales comme pour souligner une importance particulière. Il y a aussi des diagrammes auxquels Loki ne comprend rien.

« Mon instinct de Gardien doit s'être émoussé », remarque-t-il, ironique, à l'adresse du silence.

Où Charlotte a-t-elle été pêcher tout ça ? A-t-elle une ou des sources extérieures, des textes qu'elle aurait recopiés au petit bonheur la chance, ou tout cela est-il sorti de son propre esprit dérangé ? Loki secoue la tête. Pauvre femme, encore plus fêlée que la pauvre Penny Halliwell. Elle cache beaucoup mieux son jeu, pourtant. Et lui, que va-t-il faire de ça ? Le lui ramener ou le jeter à la poubelle ?

Avec un soupir, il tourne une page, déchiffre lentement un paragraphe. Les mots dansent devant ses yeux fatigués. Du latin. Autrefois, quand il était adolescent, il en a fait pendant quelques années, mais il ne lui en reste plus rien aujourd'hui. Presque plus rien.

Le pseudo-Necronomicon sur les genoux, il attrape son ordinateur portable, cherche un dictionnaire en ligne. Par jeu ? Par défi ? Pour tromper l'ennui ?

Pour suivre son instinct ?

Il l'ignore et ne s'interroge guère. Convoquant ses souvenirs de grammaire latine, il cherche les mots qu'ils ne connaît pas jusqu'à parvenir à une traduction maladroite du passage qu'il a choisi :

« Gloire à toi, Yog-Sothoth, la Porte sans clé, tout en un et un en tout !

Gloire à toi, Shub-Niggurath, le Bouc aux mille chevreaux, que ta descendance soit féconde !

Gloire à toi, Nyarlathotep, le Chaos Rampant, messager et serviteur des Autres Dieux !

Gloire à toi, Cthulhu le Grand, qui rêves et attends sous les mers mouvantes !

Gloire à toi, Azathoth, Sultan des démons, qui danses au son de la flûte éternelle !

Gloire à vous, ô Autres Dieux de l'univers multiple ! Gloire ! Gloire ! Gloire !

Et contre eux : le nœud descendant »

Suit, en majuscules, une série de caractères sans la moindre signification latine, peut-être la transcription d'une autre langue : « OGTHROD AI'F GLEB'-EE'H YOG-SOTHOTH 'NGAH'NG AI'Y ZHRO ».

Tous ces noms, il les connait : ils sont issus des fictions de Lovecraft. Quant aux derniers mots, une rapide recherche sur internet l'informe qu'il s'agit d'une conjuration tirée de L'Affaire Charles Dexter Ward, un texte que Charlotte doit avoir lu plus d'une fois.

Loki repousse l'ordinateur, laisse le cahier glisser de ses genoux et tomber sur le tapis. Il ferme les yeux et se laisse aller contre le dossier du canapé. Charlotte est complètement cinglée. Elle a dû rassembler dans son manuscrit toutes les citations bizarres dont Lovecraft et ses continuateurs ont émaillé leurs œuvres, y en ajoutant peut-être de son propre cru. Il n'est pas impossible qu'elle se prenne à la fois pour une Gardienne et une prêtresse des Grands Anciens, si sa folie est un peu schizophrène.

Merde. Loki se sent vidé de ses forces. Il en a plus qu'assez de toutes ces conneries.

En plus, il mettrait sa main à couper qu'il rêvera cette nuit.

Merde.