SAIYUKI : REGARDS D'AUTREFOIS, SYMBIOSE : épisode 13.
"Approchez, mesdames et messieurs, approchez !", criait le maître, habile, attirant les joueurs en faisant miroiter les cartes. Quelqu'un veut jouer ? Très facile, trois cartes, une rouge, deux noires… Pariez une piécette sur la rouge, si vous trouvez, vous gagnez le double !"
Un petit garçon sale, le nez froncé, s'avança au premier rang :
"Vous, jeune homme ? Bien, bien, vous commencez tôt, c'est très bien!", l'encouragea-t-il alors que le petit rouquin déposait sur la table sa mise, une grosse pièce argentée.
"Regarde bien les cartes, mon garçon, je vais les faire bouger très très vite.. Voilà la rouge, dit-il en retournant la carte dite, puis commençant à mélanger. Attention, attention… Tu es prêt ? Allez, choisit, maintenant."
L'enfant hésita, avança timidement une main vers une carte, la retira…
"A gauche !", lui criait-on.
"Non, au milieu, lui souffla un homme derrière lui.
"A droite !", cligna de l'œil une jeune femme.
Enfin, l'enfant se décida et désigna la carte du milieu.
Le maître la retourna : l'As de Cœur.
"Bravo, tu as gagné , le félicita-t-il en tendant de sa poche une pièce et la lui donnant. Allez, approchez, mesdames et messieurs, même un enfant a gagné, venez tenter votre Chance !"
L'enfant, joyeux, s'éloigna en sautillant, jouant avec les deux piécettes rutilantes alors qu'une queue s'organisait devant la table du maître.
"Boris ?
-Oui ?
-Rends moi l'argent."
Soupirant, le petit garçon tendit au maître les deux pièces polies.
"Maître ?
-…
-S'il vous plaît, je pourrais avoir à manger ?"
L'homme tourna vers le petit rouquin un regard froid :
"Pas tout de suite, Boris. Nous partons pour la ville voisine. Tu mangeras en route."
L'enfant baissa les yeux et tenta de faire taire les grondements intempestifs de son estomac. Peine perdue.
Le maître se retourna et le fusilla de ses prunelles grises :
"Et fait taire ton estomac, ou je ne te donnerais rien ! Tu n'as pas attiré assez de monde, j'ai à peine égalé la recette d'hier ! Et qui paye ta nourriture ? Tes habits ? C'est moi ! Alors ne demande pas trop !"
Boris ne demandait rien. Les habits… Cela faisait trois ans qu'il portait les mêmes. La nourriture… Le minimum vital chaque jour. Quand aux recettes… Lorsqu'il disait cette phrase, c'était qu'elles étaient meilleures que la veille.
S'il avait été plus vieux, plus fort, il se serait échappé. Seulement voilà.
Boris n'était pas vieux, il avait 6 ans.
Boris n'était pas fort, il était à peine capable de porter la lourde marmite du dîner.
Non. Boris était malin comme un singe et agile comme un serpent.
Des dons qui pourrissaient au fin fond de ses muscles. Il aurait pu s'enfuir, trouver un poste de police et aller en orphelinat…
Pourtant, le maître possédait ses papiers. Sa vie. Il pouvait à tout moment faire irruption et revendiquer ses droits sur lui. C'était déjà arrivé.
Ils marchèrent au bord du macadam, le maître devant, portant un petit sac de voyage, Boris derrière. Parfois, l'homme se retournait et lui aboyait de se dépêcher. Alors, l'enfant accélérait le pas, pour ralentir quelques mètres plus loin, fatigué par un point de côté.
Le maître pestait contre ce boulet que la vie lui avait légué, qu'il n'aurait jamais dû écouter son cœur en acceptant l'enfant d'une pauvre famille.
Il n'était guère mieux loti.
Après une longue, très longue marche, ils arrivèrent enfin aux portes de la ville. Ils trouvèrent refuge dans un vieux théâtre à l'abandon, et, fatigué, le maître s'allongea à même le sol pour dormir.
Boris, quand à lui, regardait fixement une vieille affiche collée au mur, déchirée sans doute après le passage du spectacle.
Un homme, élégamment vêtu d'un smoking noir, tendait la main vers l'enfant, souriant et clignant de l'œil.
Son petit monocle renvoyait l'éclat d'un spot imaginaire, dissimulant la seconde pupille. De la main gauche, il tenait une longue baguette noire et blanche. Au dessus de lui s'étalaient en lettres rouges : « Le dimanche 23 décembre 1976, à 20h, le Grand Baal se produira sur scène, au Théâtre Magnifique. Venez nombreux admirer ses spectaculaires tours de magie ! »
23 décembre. On était en juillet. Juillet 1990.
Il y a bien longtemps que ce magicien était parti.
Se recroquevillant contre le sac de voyage, Boris finit par s'endormir.
"Boris ? Boris…"
Une voix chantante l'appelait…
"Réveille-toi, enfin, je n'ai pas tout mon temps…"
Cela changeait du réveil du maître…
"Ah, tu as été trop long, Boris… Ton maître se réveille… Je reviendrais demain !"
Non, non, attendez !
L'enfant ouvrit les yeux, et aperçut la main du maître qui s'approchait de son épaule pour le secouer rudement :
"Bon, ben t'es en progrès. Y a plus besoin de te réveiller. Allez, dépêche. Je veux pas rater ma journée."
"Approchez, mesdames et messieurs, approchez !"
Encore une sale journée passée à escroquer tous ces gens qui se pressaient autour de la table.
Le soir, Boris, épuisé d'avoir parcouru toute les rues de la ville qui s'avérait immense, s'affala sur un maigre canapé, rescapé des pilleurs.
"Et tu penses t'installer là ? Tu rêves, Boris, bouge.", grogna son maître en lui désignant un coin de la pièce.
Soupirant, l'enfant lui céda le canapé et s'installa sur le sol.
Ils mangèrent sobrement, puis, après avoir de nouveau contemplé l'affiche, Boris s'endormit.
"Boris ? Comptes-tu te réveiller aujourd'hui ?"
Encore cette voix.
"Dépêches-toi, Boris ! Ou je vais encore devoir partir…"
Ouvrir les yeux, ouvrir les yeux, vite !
"Réveille-toi !"
Et il se réveilla.
"Ah, enfin."
Se retournant pour voir qui parlait ainsi, Boris croisa le regard d'un homme ressemblant trait pour trait à celui de l'affiche. Celui-ci posa un doigt sur une aiguille d'une antique horloge, et la remonta.
"Minuit, ça te va ?"
Ignorant de ce qui lui était demandé, Boris se contenta d'acquiescer.
Le doigt ganté de blanc poussa la grande aiguille, qui s'arrêta sur le douze. Le carillon sonna autant de fois, alors que l'homme invitait le garçons à le suivre.
Boris remua la tête. Non, pas possible, cet homme était fou. Il était six heures lorsqu'il avait posé le doigt sur la pendule, et il s'imaginait qu'en la poussant un petit peu, il allait pouvoir reculer toutes celles de la ville, celles du monde entier ? Il divaguait.
Comme pour le contredire, douze énormes coups de cloche retentirent dans l'air :
"Ah, l'horloge de la gare… Toujours en retard, celle-ci.", sourit l'inconnu en descendant un escalier.
Médusé, Boris suivit l'inconnu dans le théâtre. Ils parcoururent les rangées de sièges, l'estrade, puis débouchèrent dans les coulisses. Enfin, ils s'arrêtèrent devant une porte de loge, vieillie, rongée par les termites.
"Alors, Boris, tiens-tu à rencontrer ton maître ?", sourit l'inconnu en lui désignant la porte.
-Mon… maître ?
-Ah, tu te décide enfin à parler. Oui, ton maître. Pas cet escroc qui vole les plus honnêtes que lui, mais l'homme de l'affiche.
-Vous !
-Moi.
-Mais vous… Vous êtes une affiche ! Une image !
-Crois-tu, Boris ? Comment alors est-ce que je connaîtrais ton nom ?"
Très bonne question.
"Alors, veux-tu ? Je peux encore te ramener avec ton ancien maître, tu sais.
-…
-Je prends ça pour un non…, sourit le magicien en toquant à la porte.
-Entrez.", dit une voix cassée par l'âge.
Stupéfait, Boris regarda le magicien qu'il savait maintenant être Baal : il n'était plus là.
"Entrez, voyons !", reprit la voix.
Timidement, Boris poussa la porte et déboucha sur une loge remplie d'accessoires de magie.
"Bonjour, gamin… Comment t'appelles-tu ?", demanda un vieil homme, assis dans un siège de velours, vêtu d'un habit noir..
Malgré les nombreuses rides qui couraient sur son visage, les lunettes qui avaient remplacé le monocle, Boris reconnut tout de suite l'homme de l'affiche. Estomaqué, il ouvrit et ferma la bouche comme un poisson qui s'asphyxie.
Riant, le magicien leva un doigt, et, bien qu'il soit à l'autre bout de la pièce, Boris ferma la bouche.
"Allons, tu veux me dire ton prénom ?
-Bo… Boris., murmura le petit garçon, impressionné.
-Joli, sourit le vieillard. Moi, c'est Baal…
-Vous êtes le magicien de l'affiche ? Celui qui est venu me chercher ?
-Pour celui de l'affiche, oui, je pense… Quand à celui qui est venu te chercher… Ma foi, je n'en sais rien…Que fais-tu ici à une heure pareille ?
-Je… Celui qui est venu me chercher, il vous ressemble… En fait, on dirait que l'homme de l'affiche s'était décollé du papier ! Il voulait que je vous rencontre, Maître.
-Très bien, Boris. Tu veux donc que je t'enseigne la magie ?"
A l'annonce de sa future occupation, Boris battit les mains, joyeux.
"Oh oui, s'il vous plaît !
-Et bien c'est entendu… Commençons tout de suite, veux-tu ?"
Ils commencèrent.
"Réveille-toi, gamin !"
La voix rude du maître.
"Oh, tu te réveilles ? Ou je vais devoir te frapper ?"
Oui, oui, j'arrive…
Boris ouvrit un œil et découvrit le maître penché sur lui.
"Fausse alerte pour hier, t'es toujours aussi paresseux", grommela l'homme en endossant le sac qui contenait la table pliante et les cartes.
Boris se frotta les yeux, et se demanda s'il n'avait pas rêvé. Puis, afin de s'assurer qu'il ne s'agissait pas d'une autre de ses lubies, il s'empara d'une carte qui était tombée du sac, et la fit prestement disparaître dans sa manche.
Puis, d'un mouvement souple et rapide, elle revint entre ses doigts.
Il ne rêvait pas.
"BORIS, AMENES TOI TOUT DE SUITE !"
Ah non. Il ne rêvait pas.
Encore une fois, ils passèrent leur journée à escroquer. Encore une fois, Boris passa la nuit dans la loge du magicien, apprenant mille gestes. Comment charmer une foule avec une balle de ping-pong, comment faire apparaître ou disparaître foulards, billes, lapin en peluche… Très doué, il apprit rapidement, retint tout, et devint au bout de quelques semaines un excellent magicien.
Un jour…
"POLICE, ARRETEZ TOUT DE SUITE !"
Le maître jeta un regard affolé à ses clients, un sourire crispé, et ramassa à toute vitesse la table pliante :
"Boris, on s'arrache !"
La foule médusée le vit commencer à courir, et le petit enfant entamer lui aussi une course.
"Boris ?
-Baal ?", murmura-t-il en regardant la foule autour de lui.
-Boris, il serait peut-être temps que tu songes à arrêter de fuir…"
L'enfant fit alors face à son maître et s'arrêta ostensiblement.
"BORIS AMENES TOI !", cria celui-ci au bout de la rue.
L'enfant prit une grande inspiration, et, à la stupéfaction générale, cria longuement :
"NOOOOOOOOOOOON ! Je ne viens pas ! J'en ai assez de vous voir voler ces gens ! Assez de vous suivre et de fuir la police ! Assez que vous vous fichiez de moi ! Je me moque de ce qu'ils vont me faire, me mettre en prison, n'importe ! Je ne veux pas être comme VOOOUUUS !
-C'est toujours moi qui ais tes papiers, Boris, je reviendrais te chercher !", cria l'escroc en disparaissant dans un coin de rue.
-JE NE VIENDRAIS PAAAAAS !", cria l'enfant en avançant vers les policiers.
"Monsieur…
-Oui, gamin ?
-Je suis l'apprenti de l'escroc qui vient de fuir. Je ne veux pas être comme lui.
-Tu…
-Je veux bien vous emmener là où nous dormions. Si vous pouviez me rendre mes papiers, il les porte toujours sur lui…", sourit innocemment l'enfant.
Dans la foule, un vieillard, appuyé sur une canne blanche et noire, sourit : il avait fait du chemin, le petit apprenti…
L'escroc fut arrêté, mis sous les verrous, et lorsque Boris passa devant lui, il ricana :
"Tu ne sais rien faire… Tu regretteras de m'avoir vendu lorsque tu n'auras rien à te mettre sous la dent !"
L'enfant, agitant ses papiers en règle, les glissa dans sa poche, et demanda poliment à un policier s'il voulait bien s'agenouiller devant lui.
Une fois qu'il se fut exécuté, l'enfant tourna vers son maître un regard narquois, et commença :
"Monsieur, vous avez quelque chose dans l'oreille !
-Quoi !
-Attendez, je vais vous l'enlever…"
Boris approcha le doigt du pavillon auditif du policier, et en tira une ribambelle de foulards de mille couleurs. Attrapant l'un des paquets de carte de son maître, il fit rapidement quelques tours de passe-passe, impressionnant tout le commissariat.
"Vous voyez, je sais en faire, des choses… Maintenant que j'ai des papiers, j'irais dans un orphelinat, où, tous les soirs, j'amuserais mes copains avec un jeu de cartes. J'irais à l'école et j'apprendrais à lire. Et plus tard, je deviendrais un grand magicien, comme Baal."
Sur cette déclaration, l'enfant tourna le dos à son passé, et s'engagea vers demain.
"Quelques mois plus tard, j'étais adopté par ceux qui sont aujourd'hui mes parents. J'ai légèrement modifié mon nom et poursuivi mes études, autant scolaires que magie.
-Tu peux nous montrer ?", demanda timidement une fillette.
-Oui, un tour !", crièrent les enfants autour du feu.
Borislav sourit, et se pencha vers un petit garçon.
"Tu as quelque chose dans l'oreille…, sourit-il. Mais… ça gigote ! Attends, toi, je vais t'avoir… Aha , je la tiens, la petit bête !", cria-t-il triomphalement en montrant Hakaryu, perché au bout de son poignet.
Hakkai, surpris, regarda près de lui : le dragon, qui s'était endormi sur ses genoux, était à présent bien réveillé, piaillant joyeusement sur le poing dressé de l'adolescent.
"Mais… C'est pas Hakaryu !", dit Borislav en approchant de son visage le petit reptile, et le grondant d'un index tendu. "T'es qu'un imposteur, toi ! Allez, montre-nous qui tu es réellement !", dit-il en l'emprisonnant dans un foulard.
L'ancien humain, un peu inquiet, le vit plier le tissu une fois, deux fois, trois fois… Puis le jeter au feu, qui s'éleva, les flammes montant à l'assaut des étoiles.
"Aha, je préfère…", sourit Borislav en tendant son poing serré, offrant au nouvel arrivant qui émergeait des éclats de feu un perchoir.
"Woï, c'est Woï !", hurlèrent les enfants en reconnaissant la silhouette de l'oiseau gigantesque.
-Et le dragon, il est où ?", demanda une petite fille, un peu inquiète de la disparition du reptile.
"Mais… Il est avec son maître…", sourit le magicien en désignant Hakkai, qui, stupéfait, baissa à nouveau les yeux vers ses genoux : Hakaryu y dormait, paisible.
"Alors là, applaudit Gojyo, chapeau. Très, très impressionnant."
Il fut aussitôt rejoint par la totalité de l'auditoire, alors que le magicien s'inclinait, saluant son public.
"Il reste Lidy.", dit-il en demandant d'un geste de la main le silence, alors que l'Antillaise s'avançait , restant tout de même à une distance respectueuse du feu, "et croyez moi, les petits tours que je viens de vous montrer ne sont que pacotille devant ses talents."
La petite noire éclata de rire, et commença son histoire par sa traditionnelle formule.
"Yé crick ?
-YE CRACK !", hurlèrent les enfants, déjà captivés.
Bon…
La remarque de greynono sur ce chapitre m'a poussée à le retravailler, mais… Je n'arrive pas à mieux Donc je vais donner une explication au cas où…
En fait, Borislav ne rêve pas de son maître… Baal habite toujours au théâtre, depuis son dernier spectacle. L'apparition de la figure de l'affiche, le six heures qui devient minuit… Ce sont les brumes du sommeil, mais le magicien était bien réel, et il a bel et bien appris la magie…
Quand au tour de la fin… Et bien croyez-le ou non, j'ai déjà vu quelqu'un le faire, en remplaçant une perruche par un ara… Bon, ils étaient tous les deux hyper dressés, aussi...Impressionnant !
Voilà !
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