Elle s'éveilla avec un sac en toile sur les yeux qui laissait filtrer la faible lumière des torches. Sa tête l'élançait encore du coup qu'elle avait reçu pendant l'infiltration des renégats au Château. Elle essaya de bouger ses mains mais des entraves les maintenaient liées au-dessus de sa tête, probablement à une poutre ou quelque chose de ce genre. Ce constat lui arracha une grimace de frustration, doublé d'un puissant sentiment d'indignation. L'amère réalité venait brusquement de lui faire face et l'acceptation à laquelle elle refusait de consentir lui laissait un goût amer en bouche. Vexée, la prisonnière laissa échapper un sifflement aigu de frustration. Un petit rire indulgent lui fit écho.
– Il n'est pas nécessaire de vous débattre ainsi, miss Almerade, l'informa une voix masculine non loin d'elle. Vous ne parviendrez qu'à irriter vos poignets : le crin de centaure est un peu rêche quand il n'est pas travaillé. Votre tête va-t-elle mieux ? Nous avons fait en sorte de la désinfecter et de vous poser un bandage pendant que vous étiez inconsciente. À ce sujet, je m'excuse de la violence dont vous avez victime.
Elle se figea dans une posture roide. Depuis combien de temps cet individu se trouvait-il ici à la regarder se donner en spectacle ? Elle entendit l'intrus se lever du siège en bois qui émit un léger craquement. Le mince filet d'air qui lui parvint lui apprit que l'individu suspect se déplaçait dans la pièce et se rapprochait. Et effectivement, il s'agenouilla en face d'elle:
– Ne craignez rien miss Almerade, nous ne vous ferons pas de mal ici… Pardonnez ma rudesse, mais je ne peux pas vous détacher… pour le moment, du moins. Je vais vous poser des questions, miss Almerade, et je voudrais que vous m'écoutiez attentivement avant de me donner votre réponse.
Cette voix… Alena était persuadée de l'avoir déjà entendue quelque part quoique, à bien y réfléchir, la voix qui titillait ses souvenirs était légèrement différente de celle qui irritait ses oreilles en cet instant présent. Il y avait néanmoins d'indéniables similitudes… des membres d'une même famille ? Elle secoua la tête, peu convaincue.
– Je comprends votre irritation, enchaîna l'homme en se grattant la nuque avec une certaine gêne. Votre réputation vient d'en prendre un coup et ça n'est jamais agréable mais, si cela peut vous consoler, vous nous avez donné bien du fil à retordre et avez sollicité bien plus de moyens que ce à quoi nous nous étions attendu. Pour tout vous dire, nous avons presque hésité à abandonner la mission et à repartir sans vous.
– Oh, je m'excuse d'avoir été si discourtoise, c'est vrai, si vous me l'aviez demandé gentiment je vous aurais naturellement suivi, ironisa l'épéiste avec un sourire narquois que son interlocuteur ne pouvait pas voir.
– Je ne peux pas vous dire que cela n'avait pas été envisagé, lui fut-il répondu très sérieusement. Nous n'aurions pas risqué cette escapade au Château si nous avions eu la possibilité d'agir autrement… En réalité - et c'est là que je veux que vous m'écoutiez attentivement -, en réalité nous n'avons pas eu le choix. Nous avons impérativement besoin de vous, miss Almerade.
Alena ne put s'empêcher de renifler avec rancœur sous son sac de toile. Si ces renégats s'imaginaient réellement pouvoir s'octroyer ses services simplement en le lui demandant, ils allaient devoir se montrer sacrément convaincants ! Cependant… Sa raison ne pouvait s'empêcher de tourner à plein régime et de lui rappeler qu'on n'enlevait pas le meilleur soldat de la Garde Royale pour lui demander de simplement commettre un crime. Personne au monde n'était assez fou pour tenter sa chance à ce point…
– Qui êtes-vous, au juste ? demanda-t-elle subitement d'une voix sévère. Et qu'est-il arrivé à Miraz ?
– Vous le saurez bien assez tôt, pour la première question. Quant à la seconde, je n'en ai aucune idée, vous étiez notre cible exclusive aussi avons-nous fait en sorte de ne pas perdre plus de temps que nécessaire sitôt que nous vous eûmes saisie.
Il y avait quelque chose qui la gênait dans ce raisonnement, quelque chose qui sonnait comme faux.
– Je ne peux pas vous aider, vous le savez très bien : j'ai juré de protéger le roi et son royaume.
– Dans ce cas, miss Almerade, vous n'aurez pas d'autre choix que celui de m'aider à récupérer mon trône.
