Et voilou ! Ecrit dans le Vesoul Paris hier soir … Bizzzzzzzzzzz à toutes !
Je les observe alors qu'ils montent les escaliers menant à mon bureau.
Rodney babille, visiblement nerveux et … non, pas nerveux : qui a jamais vu le grand Rodney McKay nerveux ? Okay, pas nerveux, mais clairement agacé. Cette petite réunion impromptue doit certainement l'empêcher de continuer une expérience esssssentielle. Je vais en entendre parler … Au moins, ça va permettre à Zelenka et au reste de l'équipe scientifique de souffler un peu vu que je doute que le docteur Rodney soit capable de travailler après la petite bombe que je vais lancer.
Je sais que j'ai changé depuis que nous sommes ici, la diplomate championne de la paix dans le monde s'est effacée au point de ne plus être qu'un lointain souvenir, je me demande même parfois si elle a seulement existé. Il y a quelques temps, j'ai donné l'ordre de torturer un homme que je n'apprécie pas, au nom de l'intérêt général. J'ai dansé avec le diable … et une fois qu'il vous a pris par la taille, vous n'en finissez plus de valser. S'ils n'étaient pas là, j'ignore ce qui m'arriverait, jusqu'où je serais capable d'aller. Ce sont mes amis. J'espère qu'ils seront toujours là pour me dire stop, pour m'empêcher de disparaître complètement. Oui, c'est exactement ce qu'ils font : ils protégent la vieille Elisabeth. Je ne suis pas sûre qu'elle soit « sauvable » mais ils ont l'air d'y croire, alors du coup, et bien du coup, j'y crois aussi. La plupart du temps en tous les cas.
Je sais qu'ils sont conscients de mon regard sur eux.
J'ai déjà surpris les levages-de-yeux-au-ciel de Rodney, les sourcils froncés de John … Ils ne comprennent pas. J'ai besoin de les regarder tout comme j'ai besoin de leurs regards sur moi, ces regards qui me renvoient une image de moi que je ne reconnais plus, une image qui n'est plus celle que je vois dans mon miroir chaque matin, le visage d'une amie, pas celui d'une étrangère.
Ils m'aiment, ou du moins, ils aiment Elisabeth Weir, et cet amour les rend sans doute un peu aveugles, tout comme ils le sont en ce qui concerne la nature de leur relation.
Vue, regard, tout semble me ramener à cela.
Je sais au plus profond de moi que ce que je me suis décidée à faire, là, maintenant, est pour moi, autant que pour eux. Je souhaite sincèrement qu'ils soient heureux, qu'ils prennent conscience de ce qu'ils ressentent, mais il y a plus que cela. Je ne suis pas guidée seulement par cette seule pensée charitable.
Regarder, oui, tout est là.
Je veux pleinement être un voyeur, cette « personne qui cherche à assister, pour sa satisfaction et sans être vue, à une scène intime ou érotique » (3). J'ai besoin de plus, j'ai besoin d'eux … j'ai besoin de ça.
J'ai laissé ma porte ouverte, John frappe sur la paroi vitrée, je fais un signe de la tête.
Il est temps d'entrer en scène.
Je leur dit de s'installer. Rodney est mal à l'aise, John, juste curieux. Je décide de frapper fort. J'annonce que j'interdis désormais à Rodney de partir en mission avec la Flag Team. Les réactions ne sont pas nécessairement celles que j'attendais, mais sait-on jamais à quoi s'attendre avec ces deux là !
John hausse les sourcils et serre les dents, Rodney ouvre et ferme la bouche mais aucun son n'en sort. Nos deux rois de la réparties sans voix, qui eut cru cela possible !
Je continue à larguer mes bombes.
Des bombes. Pauvre colombe, tes ailes se sont bien ternies, Elisabeth Weir est peut-être déjà morte en fin de compte, non, ne pas penser à ça, ils … ils vont me sauver, il faut juste que je me concentre, que j'aille jusqu'au bout.
J'ignore Rodney dans son imitation de la carpe et me tourne vers John. Je lui dit que je crois cette décision préférable, compte tenu des relations qui unissent Rodney à un autre membre de l'équipe, le tout sans enrobage, en des termes qui laissent peu de doute sur la personne concernée. Son regard se durcit, il me rappelle un autre regard, celui de l'homme qui a éliminé 60 géniis l'année dernière. Le plus étrange dans tout cela, c'est que ce regard qui m'avait terrifiée à l'époque ne me fait plus peur.
Oui, j'ai vraiment changé.
Je continue à parler, appuyant sur mon rôle de leader responsable, responsable de leurs vies, mais aussi de celles de toutes les personnes sur Atlantis : que se passerait-il si Rodney était capturé ? Pourrais-je compter sur mon chef militaire ? Rodney est toujours silencieux, bien, il réfléchit, en fait, je peux presque voir les rouages de son cerveau, ce cerveau si prodigieux, capable de comprendre la technologie des Anciens, la plus sophistiquée que nous connaissions, et incapable de comprendre que John l'aime, et que c'est réciproque.
Rodney est comme un livre ouvert, tout passe sur son visage, la moindre expression est capturée par un mouvement facial, lèvres pincées, nez plissé, sourcils froncés, et là, je vois quelque chose d'important. L'éclair de la révélation.
Rodney a compris.
C'est à ce moment que ma radio se met en marche – merveille de la technologie que l'on peut pré programmer – je m'excuse et les laisse seuls pour rejoindre la passerelle et répondre à ce soi-disant urgent appel.
Je les observe. Ils me tournent le dos, mais je sais que Rodney est en train de parler, doucement, comme s'il se trouvait face à un enfant ou à un animal apeuré. Je devine que les mâchoires de John sont serrées, il ne dit rien.
Je sais ce que Rodney est en train de faire.
Le connaissant, il ne dénie pas ce que je viens, sans grande finesse je le reconnais, de lui faire comprendre, à savoir que son Team Leader est amoureux de lui, non, pas de dénégation, juste des questions. Rodney est un assoiffé de connaissances, sa vie entière se résume à chercher des réponses et pour ça, il faut savoir poser les bonnes questions. Pourquoi moi ? Pourquoi ne jamais me l'avoir dit ? Pourquoi avoir perdu tant de temps ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi … Je me demande comment était le Rodney de quatre ans, lors de cette phase si terrible de l'enfance où les parents commencent toutes leurs phrases par « parce que ! ».
Là, Rodney secoue la tête, signes que les questions le submergent, que le silence de John le déroute. John qui visiblement n'a toujours rien dit, John qui s'emmure dans le déni. Oh, oui, je les connais si bien, je savais que malgré les apparences, il serait plus facile de convaincre Rodney. John, et bien John est américain, et en plus, il fait parti de l'Air Force, bref, pas vraiment les conditions idéales pour reconnaître que l'on aime son partenaire ... un partenaire mâle. John résiste. Je souris, je sais que cela ne va pas durer longtemps.
Ils ne se regardent pas, fixant chacun quelque chose, Rodney ses mains posées sur ses genoux, John un point sur le mur face à lui.
Rodney est devenu silencieux. Je sais que c'est ridicule mais je peux entendre ce silence, je peux, de la passerelle toujours pleine de bruits, entendre la respiration saccadée de Rodney, encore sous le choc de ce qu'il vient de demander, je peux entendre le grincement des dents de John, le craquement de ses articulations lorsqu'il serre les poings. J'ai ajouté l'ouïe à la vision. Si seulement, si seulement je pouvais toucher, juste une fois … mais je sais que ce bonheur là n'est pas pour moi.
Raclement de chaise. Brutal. Rodney vient de se lever, sans doute exaspéré par le silence de John. Et ça se produit …
Il a des mains brunes, oh, pas à cause de sa peau non, John a une peau blanche, mais ses bras et ses mains sont recouverts d'un duvet noir, et je sais que son torse est couvert de ce même duvet. La main couvre celle de Rodney, non, elle ne la couvre pas elle l'enserre, et si j'en crois les articulations blanches, la poigne de John va laisser de jolies marques sur la peau de Rodney. Des marques que je pourrais regarder …
Dans mon bureau, le temps a suspendu son vol. Rodney ne bouge plus, ses yeux fixés sur la main qui l'empêche de sortir. John fixe toujours le mur, puis je les vois bouger, ses lèvres, ses lèvres bougent. Enfin.
Je sais ce qu'il lui dit. Il reprend toutes les questions que Rodney lui a posées et y répond, méthodiquement. Puis c'est fini, le silence règne à nouveau, je m'approche, je suis sur la passerelle qui mène à mon bureau, face à la porte vitrée.
John se lève, Rodney ne bouge pas comme paralysé, comme s'il n'y croyait pas vraiment en fin de compte. Mon pauvre Rodney, qu'a-t-il pu se passer pour que tu sois si peu sûr des sentiments que tu fais naître autour de toi ?
Ils sont face à face, seuls. Je suis presque là, près d'eux, mais ils sont seuls. Atlantis n'existe plus, les techniciens, les gardes, envolés, disparus. Les amoureux sont toujours seuls au monde, j'ai lu ça quelque part un jour.
Je vois une main brune se poser sur une joue pâle, de longs doigts tracer le contour d'une bouche un peu tordue, d'un petit nez en trompette. Rodney ne réagit toujours pas. La main arrête son voyage et c'est une bouche qui la remplace.
John embrasse Rodney.
Le baiser est lent, comme pour toutes les premières fois, presque maladroit. Un baiser de découverte. Et c'est aussi le baiser du Prince Charmant parce que soudainement Rodney, tel la Belle aux bois dormant, revient à la vie. Il penche la tête et rend le baiser.
Ces lèvres unies emplissent tout mon champ de vision, elles sont en cet instant mon seul univers.
Le baiser est fini, mais pas pour moi, pour moi, il continue, comme incrusté sur mes rétines, gravé à jamais dans mon esprit. Peut-être ne suis-je pas un voyeur après tout mais juste une voleuse, une voleuse d'instants précieux, d'instants qui me sont refusés.
John serre Rodney dans ses bras, Rodney a passé ses bras autour de John.
John et Rodney. Rodney et John. Notre couple star est enfin un couple.
Je suis devant la porte. Rodney me tourne le dos mais John, John lui me sourit.
Fini (pour de bon) ! Mon Elisabeth peut paraître moins sympathique dans ce dernier chapitre, mais en fait, disons plutôt qu'elle est plus honnête avec elle-même !
(3) Le Petit Robert, Dictionnaire de la Langue française.
