Chapitre VI : La clé du bonheur
Le septième secteur des quartiers inférieurs de la ville n'avait jamais eu bonne réputation. Rufus put s'en rendre compte après avoir dû occire une demi-douzaine de fois des voleurs qui s'attaquaient au trio trop bien vêtu pour être du coin. Reno haussait les épaules à chaque fois que le blond lui faisait remarquer que les informations glanées de manière un peu cavalière chez Don Cornéo pouvaient fort bien être aussi fiable que lui en pom-pom-girl. Ce qui fit sourire Reno qui se représentait son coéquipier en jupette, agitant des pompons colorés en scandant un hymne aussi ridicule que la moyenne.
Rude observait son équipe avec anxiété, ne disant rien comme il en avait pris l'habitude récemment. La désagrégation de l'esprit d'équipe était palpable. Enfin pas vraiment l'esprit d'équipe, mais l'entraide envers des camarades en difficulté, chose qui lui avait semblé impensable dans l'optique des Turks. Mais qui venait de se produire d'après ce qu'il avait compris. Il était en train de se demander s'il ne valait pas mieux renoncer quand il s'aperçut que Reno le dévisageait avec perplexité. Quand son rouquin de camarade lui demanda s'il était soucieux, Rude se contenta d'hausser les épaules et d'avancer encore et toujours vers leur destination. Reno soupira et signala qu'il avait activé la radio qu'il avait « malencontreusement » oubliée dans la salle où Don Cornéo les avait reçus. Que tout l'Etat-major Shinra allait donc être aux petits oignons pour ce client si particulier et si « attentionné » envers les membres féminins du personnel de la Shinra. Légèrement rassuré sur l'éthique de son camarade, ils reprirent tous les trois leur route.
Le lieu indiqué par Don Cornéo était situé dans un ensemble d'entrepôts gardé par une milice privée qui en interdisait l'accès. Tout le monde savait que c'était Red Death qui les finançait, légalisant le racket qu'il infligeait aux possesseurs des hangars. S'ils payaient, ils ne pouvaient pas se plaindre de racket, la milice les protégeait efficacement et fermait les yeux sur les trafics louches, les salles de jeux clandestines, les hôtels de passe et tout ce qui faisait le « charme » de l'endroit. Sinon les entrepôts étaient régulièrement pillés jusqu'à ce que les pertes financières des propriétaires ou locataires soient largement supérieures aux bénéfices qu'auraient pu engendrer la protection de Red Death. La dîme affluait donc, la milice grossissait, son équipement était neuf pour tous maintenant. Les miliciens étaient aisés à reconnaître, un imperméable vert bouteille et une casquette bleue. Ils étaient la plupart du temps en équipe de quatre ou cinq, un avec une arme à feu, les autres avec des battes ou des crosses de hockey, l'ultime reconversion de cet instrument qui survivait à la disparition de son sport des siècles plus tôt par l'absence de glace généralisée. Le quartier était ceint d'une épaisse couche de barbelés électrifiés, laquelle était régulièrement surveillée par des patrouilles. Il n'y avait que quatre portes, chacune gardée par deux équipes. Restait donc à rentrer dans le lieu pour pouvoir en extraire la cible.
Rufus grommelait, la pluie venait de commencer à tomber, et selon les propos de ses deux compagnons, cela allait durer. Les nuages bas s'engageaient bien sous la plaque, mais restaient coincés car en se vidant par pluviosité de l'eau qu'ils contenaient, ils auraient du s'élever et donc être entraînés par les vents d'altitude, mais l'épaisse couche de métal et de béton les maintenaient en bas, les obligeant à épuiser leur stock de pluie sur la ville. Cela était rare, mais la pluie qui arrivait alors durait parfois plusieurs jours, transformant les ruelles de terre battue en tranchées boueuses. Le pardessus immaculé du fils du grand patron allait donc bientôt ressembler à un vrai désastre. Celui-ci soupira, et demanda à Reno de se masquer le visage.
Pourquoi , répliqua son acolyte étonné.
Parce que j'ai l'intention de louer un hangar. On me connaît non ?
Tu l'as vu chez Don Cornéo…
Alors, on va pouvoir entrer. Je vais louer un entrepôt sur le champ, cela sera notre couverture.
Mais comme je suis un ancien de Red Death, tu veux pas que j'attire l'attention.
Exact. Toi, Rude, tu seras mes yeux, vérifie que rien de louche ne se trame dans mon dos.
Le plan conçu présentait une énorme faille, que tous savaient. Si Cornéo avait prévenu Red Death, ils ne leur resteraient plus qu'à se préparer à séjourner entre des planches de pin en attendant leur réincarnation. Mais Reno fit remarquer l'absence de lignes de téléphone dans les environs, ainsi que l'éloignement de l'antenne relais pour le réseau PHS. Ils n'auraient pu être prévenus que par un messager, personnage qu'ils auraient forcément croisés. Et parmi ceux qui avaient eu la maladresse de les voir, la plupart était occis, ou touchés assez sévèrement. Bref, de ce côté-là, il n'y avait presque pas d'alerte à avoir. Ils s'approchèrent calmement, un sourire serein servant de façade à Rufus. L'un des deux quintets de gardes les intercepta avant qu'ils ne soient au portail métallique. L'homme de tête, la cinquantaine, petit, maigre, au visage couvert de multiples cicatrices, salua respectueusement Rufus, prouvant à ce dernier que son identité lui servirait bien, et lui demanda ce qu'il venait faire dans les parages, surpris de trouver le tout nouveau numéro deux du consortium Shinra en train de déambuler dans les quartiers les plus mal famés de la ville basse.
Je voudrais louer un entrepôt… Tout de suite si possible.
Bien, bien. Vous connaissez nos tarifs ?
Non, on m'a parlé de vous, votre système m'intéresse grandement.
Vingt milles gils par an. Si ce n'est pas indiscret, pourquoi voulez-vous un de nos locaux ?
Oh, vous savez, la ville haute est peuplée de vieux rabougris qui se couchent avec le soleil. Nous, la jeunesse de la citadelle, nous voudrions nous amuser, mais voir débarquer la milice pour nous enjoindre au calme, cela coupe l'envie de faire la fête. Ici, je ne pense pas que cela gêne quiconque.
Non, mais il faudra que l'on sache qui sont vos hôtes à chaque fois.
Oh bien évidemment ! Je vous enverrais un modèle de l'invitation que recevra chaque participant, et vous serez bien évidemment dédommagés pour les nuits que vous passerez à veiller sur nous.
La perspective de bonus fréquents rendit le chef des vigiles plus affable qu'à l'accoutumée. Il dirigea lui-même Rufus vers les hangars les plus grands, ce dernier ayant précisé que les fêtes seraient très fréquentées. En fait, vu que Gast était un généticien, si Red Death se servait de ses talents, il lui faudrait de vastes locaux, et du personnel. Ce dut le hangar D-17 qui leur parut être le lieu des activités du génie fugueur. Des cris d'animaux jaillissaient lorsque les portes étaient entrouvertes pour laisser passer des hommes qui se pressaient avec cartons, cages et autres. Rufus se dirigea paisiblement vers le hangar D-18. Dans le fond de l'ensemble des entrepôts, proche de l'autoroute, il était calme, paisible. Il était la planque parfaite pour le fêtard qu'il voulait paraître aux yeux de ces crétins.
Celui-là sera parfait. Pour vous régler ?
Un virement bancaire à ce numéro, annonça le chef des miliciens en tendant un bout de papier jaunâtre.
D'accord, mon homme de main va s'en charger.
Rufus lança son portable à Reno qui s'éloigna histoire d'être hors de portée de voix. Sur l'écran, un message était tapé, l'enjoignant de contacter la cavalerie, c'est-à-dire Tseng. Il composa le numéro correspondant et attendit deux tonalités avant d'entendre une voix qui ne trahissait aucune émotion lui répondre.
Tseng.
Ici Reno Sinclair. On a ferré le gros poisson, du moins l'aquarium. Les hangars de Red Death dans le septième inférieur. On aura besoin de renforts.
Est-ce que la cible est encore sur place ?
Impossible de le dire, mais son labo semble tourner à plein régime. Ca doit grouiller de bestioles dedans.
Bien, je vous envoie Jéricho.
Jéricho ? Connais pas…
Un élément sûr, qui ne laissera pas de traces de votre passage. J'imagine qu'il doit éliminer quelques cibles.
Tout ce qui est vêtu d'un imper vert et d'une casquette bleue.
Il sera là dans dix minutes.
Et Tseng raccrocha, laissant Reno perplexe. Un seul homme, même un Turk en renfort, cela ne suffirait sûrement pas. Il composa ensuite les codes demandés pour le virement bancaire qui s'effectua. Il était affiché que la confirmation de l'envoi serait reçue par le client d'ici un quart d'heure. Il rapporta le téléphone à Rufus qui montra le message à l'homme qui le regardait avec envie, sans doute les liasses de billets que représentait sa venue dans ce lieu.
Un quart d'heure et ce sera bon, je prendrais les clés de notre nouvel Eden festif.
Bien. Plus qu'à attendre alors. Au fait, reprit le cinquantenaire, vos deux compagnons ne sont pas très bavards…
Ils ne sont pas du coin. Ce sont mes gardes du corps, on les recrute dans un lieu bien spécifique.
Ah ? Ils viennent d'où ?
Je ne vais pas vous le dire, vous risqueriez de perdre vos emplois, sourit Rufus.
Sa phrase fit rire les autres mafieux. Ils estimaient être l'élite des vigiles de Midgar, donc en quelque sorte du monde, de simples nounous ne pouvaient pas être assez efficaces à leurs yeux pour remplir leurs offices. Ils échangèrent quelques propos pendant une dizaine de minutes, jusqu'à ce que le talkie-walkie d'un des miliciens se mit à grésiller, demandant de l'aide à l'entrée Nord pour canaliser un intrus. Le chef du quintet blêmit, faire un étalage de problème devant un aussi important client n'était pas un bon point. Il se reprit et composa un sourire de circonstance.
Oh, sans doute un perdant de l'une des salles de jeux du coin qui veut se venger ne la pillant.
Beaucoup de soucis de ce genre ?
Parfois. Des mauvais perdants, de trop gros joueurs. Ils pensent qu'ils peuvent venir la journée parce que la surveillance sera plus lâche. Mais ils se trompent.
Visiblement, ils ont besoin de vous, je vous attends ici, ne soyez pas trop long….
Rufus avait fini sa phrase avec froideur, laissant supposer que si l'attente était trop importante, il ne serait plus sur place au retour du quintet. Les autres prirent donc la poudre d'escampette pour rejoindre la porte qui requérait de l'assistance. Au loin commencèrent à retentir des cris et des détonations, visiblement une attaque. Les occupants du hangar voisin ne se firent pas prier pour détaler. Reno, Rude et leur camarade aux poches débordantes de liasses ne laissèrent pas passer l'occasion. Ils pénétrèrent dans ce qui semblait être un laboratoire, si on en croyait les multiples paillasses qui s'ornaient d'un microscope pour la plupart. Divers documents traînaient, vite raflés par le trio. Ils erraient, allant de surprises en surprises, découvrant dans le fond du hangar une importante réserve de fûts scellés soigneusement et indiquant qu'ils contenaient du Mako, ainsi qu'une importante réserve de bestioles en tout genre.
Un bruit de pas les mirent aux aguets. Avisant quelques caisses qui traînaient par là, ils se disposèrent de façon à préparer une embuscade. Au bruit, l'intrus était seul. Ce fut Reno qui avisa le premier le nouvel arrivant, apercevant derrière une étagère des chaussures soigneusement cirées, détonnant avec un cache-poussière beige tirant sur le brun. Il se risqua quelques secondes plus tard à lever la tête pour découvrir devant lui une immense silhouette carrée, massive. La grande brute cachait ses yeux derrière une paire de lunettes noires, masquant ainsi son expression. Devant le visage de Reno se trouvait un canon scié d'un fusil. L'homme était très fort pour l'avoir ainsi repéré… Il devait être la cavalerie.
Hep, on est dans le même camp Jéricho, maugréa Reno.
De toute façon, je n'aurais pas tiré, tu n'as pas d'imperméable vert et de casquette bleue.
Bon, tu as d'autres directives ?
Une fois que Rufus et Rude l'eurent saluer, silencieusement, Jéricho disposa diverses charges d'explosifs qu'il amorça, laissant un décompte de cinq minutes. Puis il ressortit de l'entrepôt, suivi des trois aspirants, pour se diriger vers une vieille décapotable jaune, à la peinture défraîchie et aux flancs couverts de rayures. L'odeur du sang flottait dans l'air, acre.
Bougez-vous, je suis pas sensé faire la nounou trente-six ans, râla Jéricho.
Une fois tout le monde monté, l'homme appuya sur l'accélérateur, démarrant en trombe. Une fois le trio arrivé à la gare du secteur trois, la plus proche de l'endroit où Jéricho devait ensuite se rendre, ils observèrent le panache de fumée et digéraient les informations que leur sauveur avait donné. Gast avait quitté Midgar, prenant un navire direction Utaï, selon toute vraisemblance. Ils parlèrent peu dans le wagon, sachant tous que chacun avait été impressionné par les cadavres qu'avait accumulés leur compagnon provisoire pour arriver au hangar. Visiblement aucun survivant n'avait été laissé. Reçus en grande pompe, ils apprirent avec joie leur nomination au poste de Turk. Ils remirent aussi les documents qu'ils avaient trouvés puis sortirent, histoire de faire une dernière fois la fête tous les trois, Rufus ayant à reprendre son éducation d'héritier de l'empire économique familiale. C'était donc la dernière fois qu'ils avaient été en mission ensemble.
Dans le bureau du président, un homme faisait face au dirigeant. Vêtu d'une blouse blanche, aux cheveux noirs et au teint blafard, les yeux cachés en partie derrière d'épais verres à la propreté douteuse, il se dégageait de lui une certaine folie, un manque total d'éthique ou de respect pour autrui. Même sur son mécène, son regard ne semblait pas différent de celui qu'il aurait porté sur l'étalage d'un boucher. Les rumeurs le disaient fou, au regard qui s'allumait seulement quand il disséquait des cadavres de spécimens intéressants. Il n'en restait pas moins le meilleur scientifique à la disposition du consortium, dans le domaine de la biologie cellulaire, maintenant que la doublette des Gast avait fui. Sur le bureau du président, un épais dossier bleu attendait d'être récupéré.
Gast a encore fui ?
Et oui docteur Hojo… Il a échappé de peu aux Turks.
Un fiasco alors… Pourquoi m'avoir convoqué si c'est pour dire que rien n'a changé, que nous devons continuer ses expériences du départ ?
Parce que ce n'est pas le cas. Une équipe d'aspirants Turks a mis la main sur un laboratoire clandestin…
Il avait donc continué ses manipulations , coupa Hojo, donc le regard étincela soudain.
Oui, voici les résultats, lança Shinra en donnant le dossier bleu.
Alors ?
Vous allez pouvoir bientôt passer à l'expérimentation humaine.
Excellent…
Hojo prit alors congé, serrant le dossier comme s'il s'agissait d'un trésor précieux. Après avoir dénaturé les recherches du premier Gast sur les Cetras et avoir donné naissance à son fils, s'accaparant ainsi la célébrité de son prédécesseur, le voilà qui mettait la main sur les résultats de recherche du second Gast, préparant ainsi le terrain à une révolution, la mise au point de l'amélioration des capacités des soldats via l'utilisation d'injection de Mako. Il allait changer la face du monde il le savait…
