Chapitre 35 : De givre et de verre
Bonjour, bonne après-midi, bonsoir et bonne nuit ! (Rayez les mentions inutiles.) Comment allez-vous ? Je devrais m'aplatir au sol et m'excuser pour mon absence mais je ne vais pas le faire, parce que j'ai plein de chapitres d'avance ! (Enfin pleins, disons que j'ai DES chapitres d'avance et ça c'est bien, non ?) Le problème quand j'ai des chapitres d'avance c'est que c'est difficile pour moi d'évaluer s'ils sont bien ou pas, ce qui me fait douter et donc ralentir. Je pense souvent "ce morceau-là manque d'émotions, de poésie" et j'ai envie de tout réécrire, tout en sachant que ce n'est pas parce que la première version ne me plaît pas que la seconde sera une révélation. Et parfois j'ai l'impression que j'en fais trop et que mes chapitres sont lourdingues. Ce qui est certainement vrai pour certains ! Mais bon, tout ça pour vous dire que je publie aujourd'hui comme ça j'aurais vos avis sur ce chapitre et ça me rassura (peut-être) pour la suite. Ce chapitre est un chapitre de transition (lié au précédent) qui fait mention de sevrage/désintoxication dans sa première partie. C'est léger mais si vous êtes sensibles à ce sujet, je préfère prévenir. Ayez un bon moment de lecture !
Tout était sombre autour de Severus, jusqu'à ce que le décor lui apparaisse avec lenteur. Toujours le même endroit. Cette chambre. Dans cette maison pratiquement ensevelie sous les décombres. Désertée pour le moment, mais la partie consciente de son esprit savait qu'elle ne le resterait pas.
C'était un cauchemar. Son cauchemar. Celui qu'il avait fait tant de fois ces derniers temps qu'il se demandait si ce n'était pas là sa vérité. Peut-être qu'il était toujours là-bas, perdu dans la folie et que le reste de son existence avait été inventé pour l'aider à ne pas perdre pied dans sa détresse.
Était-ce possible d'inventer des années entières de souvenirs pour subsister au-delà de la douleur insoutenable qui martelait son cœur ? Le rendant inapte au moindre battement… si ça l'était alors il n'était qu'un lâche. Incapable d'affronter la réalité. Ce soir-là, une partie de lui était morte avec elle.
Il ne pouvait rien faire contre ça. Avec passivité, il laissa son cauchemar recommencer. Il s'avança dans la pièce et le corps de Lily Potter née Evans apparut devant ses yeux. Severus n'eut pas la maîtrise de ses émotions, peu importe le nombre de fois où il y avait été confronté, rien n'épongeait sa peine.
Le temps n'avait aucune emprise sur ses sentiments. Aimer pour l'éternité c'était souffrir jusqu'à la mort. Aimer à sens unique c'était ne rien espérer à l'avenir. Un sentiment beau de l'extérieur et cruel pour celui qui le gardait à l'intérieur. Il n'y pouvait rien. Ils n'y pouvaient rien.
Rien n'arrêterait la douleur de son cœur, les larmes sur ses joues et l'impression de voir son monde plongé dans l'horreur. Rien ne l'apaiserait jamais. Ce soir-là, il pensait n'avoir plus aucune raison de se relever, d'arrêter de pleurer. La mort de Lily était la sienne.
Mourir avec elle paraissait être plus doux que de vivre avec cette culpabilité rongeant son âme. On ne le laissa pas mourir pourtant… comme dans chacun de ses cauchemars quelqu'un le fit arrêter de gémir, de souffrir, était-ce réellement ainsi dans son souvenir ? Il l'ignorait - à son réveil il pourrait démêler le vrai du faux, entre ses souvenirs et ses tourments - ça n'avait que peu d'importance actuellement.
Dans le berceau à côté duquel Lily s'était écroulée, un enfant s'était mis à pleurer plus fort que lui encore. Un petit garçon au front dégoulinant de sang et aux yeux verts remplit de larmes. Comme à chaque fois, il ne sut pas quoi faire, que ce soit dans un songe ou dans la réalité ; Severus ne savait que dire pour rassurer un enfant qui avait vu sa mère être exécutée. Un enfant qui avait les traits d'un homme qu'il avait haï et les yeux d'une femme qu'il avait aimé.
Il ne dit pas un mot, ni cette fois-là ni toutes les autres.
Rogue s'attendait à ce que son rêve prenne fin, qu'il se réveille trempé de sueur dans son lit - où dans n'importe quel autre endroit où il avait pu se permettre de s'endormir - mais ça n'arriva pas. D'habitude il se réveillait toujours à ce moment-là, avec les pleurs du jeune Harry Potter raisonnant encore dans sa tête.
À la place, le corps froid de Lily disparut entre ses bras et le bébé du berceau s'évapora devant ses yeux, le regard empli de terreur. Severus sentit une présence derrière lui et il se retourna, le souffle coupé par la vue d'Agilbert Fontaine qui se tenait contre le chambranle de la porte, le jugeant de par son regard.
— Vous comptez protéger qui dans cet état ?
D'un geste vif mais tremblant, Severus tenta d'essuyer les larmes qui dévalaient ses joues, ce qui fit éclater de rire l'homme devant lui.
— Pitoyable… ce n'était même pas votre femme et il n'est pas votre fils ! Pourquoi pleurer ? Parce que je vais le détruire ? Cet enfant n'en est pas un, le bébé dans ce berceau est mort. Harry Potter est un monstre, un Obscurial et vous le savez.
Rogue essaya de parler, de démentir ce que lui disait son vis-à-vis mais sa gorge était comme prise dans un étau.
Le directeur d'Ilvermorny s'avança vers lui, l'air ravi et il lui susurra à l'oreille.
— Je vais les tuer. Lui et l'autre Seigneur des Ténèbres, quand j'en aurai fini avec eux vous n'aurez plus rien. Plus rien à quoi vous raccrocher pour ne pas sombrer. Il ne restera rien d'elle, rien d'eux et rien de vous.
Le directeur pointa quelque chose du doigt derrière lui et quand Severus se retourna, en lieu et place du corps de Lily, il y avait ceux de Harry Potter et de Tom Jedusor couchés l'un contre l'autre, leurs visages pâles, les yeux grands ouverts dans le vide.
Il se réveilla en suffoquant. Très vite, quelqu'un apparut à ses côtés, des bras l'encadrant, une voix lui expliquant qu'il avait fait un cauchemar, que c'était fini maintenant. Rogue se débattit assez fort pour faire en sorte que l'autre homme le relâche, néanmoins celui-ci resta près de lui pendant qu'il reprenait difficilement son souffle.
Essayant de se focaliser sur la réalité pour oublier les images imposées par son subconscient, il vit qu'il n'était pas dans son lit mais sur un canapé. Celui de l'appartement d'Ulrich, qui d'autre ? Ulrich était le seul qui oserait s'approcher de lui alors qu'il était dans cet état.
Rogue tenta de considérer l'espace autour de lui avant de faire quoi que ce soit, les appartements de Tiare était un endroit presque familier puisqu'il y passait beaucoup de temps depuis qu'il était arrivé à Ilvermorny.
Après un instant, alors qu'il commençait à mieux percevoir son environnement, il entendit.
— Je ne sais pas quel était l'objet de ton cauchemar mais tu n'es pas en danger ici. Je vais te chercher un verre d'eau.
— Ulrich.
Severus referma immédiatement la bouche, sa voix était faible et il haïssait le sentiment d'être trahi par son corps lorsqu'il voulait rester fort.
Le professeur d'Ilvermorny, à peine levé, se retourna vers son confrère. Se retenant difficilement de revenir à ses côtés. Il savait pertinemment que Severus n'appréciait pas les contacts physiques surtout quand il se sentait démuni, mais il lui était difficile de s'empêcher de le toucher pour le réconforter. Et puisqu'il ne pouvait ni le prendre dans ses bras ni essuyer ses larmes, il s'évertuait à attendre que ça passe en l'aidant avec d'autres attentions dérisoires.
— Oui ?
L'homme hanté par son passé releva lentement la tête vers lui, son visage encore humide changea d'expression pour y afficher un air un peu plus calme, factice, mais meilleur que la panique qui y avait élu domicile quelques instants plus tôt.
— Agilbert Fontaine ne parviendra pas à ses fins.
Ulrich Tiare se maudit alors pour avoir passé la soirée à raconter le passé de Fontaine et ses griefs contre le gouvernement à Severus. Son cauchemar concernait certainement le jeune Potter… et le fait que le directeur veuille l'utiliser pour sa vengeance.
Tiare ignorait ce qui fascinait autant le proviseur chez Harry Potter et sa magie, Rogue n'avait pas voulu lui en dire plus à ce sujet, mais il connaissait le drame qui était survenu dans la famille Fontaine, cette tragédie qui était à l'origine de l'obsession du directeur pour la puissance magique.
Le sujet était tabou et peu de personnes connaissaient tous les détails de cette histoire, moins encore osaient en dire un mot. Lui-même ne connaissait que des bribes de ce qu'avait dû être la réalité mais il en savait assez pour comprendre que le directeur voudrait étudier Potter et Gaunt et probablement les utiliser pour se retourner contre le MACUSA.
Pour rassurer celui qu'il aurait aimé pouvoir écarter de tout ça, il répliqua avec douceur.
— Fontaine est un homme qui se croit tout-puissant dans cette école mais il n'est pas particulièrement fort. Intelligent et minutieux mais pas plus que d'autres. Peu importe ce qu'il projette, on le devancera.
Protéger Potter et Gaunt serait assez pour soulager un peu le poids qui alourdissait l'âme de Severus. Ulrich craignait Agilbert Fontaine pour sa ressemblance avec ceux qui avaient fait de sa jeunesse un abîme infranchissable, mais il pouvait combattre cette peur. De tous les Fontaine vivants, il était peut-être même celui qu'il craignait le moins d'affronter.
Ulrich vit Rogue se relever un peu - sa chemise noire détrempée par la sueur - pour se recoucher sur le dos, cachant son visage de ses mains et expirant un souffle difficile. La marque des Ténèbres était visible sur son avant-bras découvert, ses manches relevées au-dessus de ses coudes. Il était rare de le voir aussi fragilisé.
Ulrich récupéra un verre dans le service qu'il possédait en vitrine et il conjura de l'eau pour le remplir. Ses yeux se perdirent vers l'horloge et il vit qu'il était tard, vraiment tard. Ils avaient parlé longuement puis il avait proposé à Rogue de rester ici pour la nuit, leurs deux appartements étant assez éloignés l'un de l'autre. Severus acceptait de temps en temps, un ou deux soirs par semaine, de rester là. Avec lui.
Les potions de sommeil sans rêve étaient efficaces mais utilisées trop fréquemment elles entraînaient une dépendance et ils s'étaient mis d'accord pour essayer de casser cette dépendance chez Severus.
La guerre rendait dépendant de tout un tas de choses, elle provoquait de mauvaises habitudes et des réflexes épouvantables. La plupart ne partiraient jamais pourtant Tiare était persuadé que ça valait la peine d'essayer de chasser certaines d'entre elles. Celles qui étaient trop dangereuses pour sa santé en temps de paix.
Dès la première nuit qu'ils avaient passée sur le bateau, Ulrich avait remarqué quelques signes qui ne trompaient pas et à force d'insister, Severus avait accepté qu'il l'aide, au moins pour ça. Et depuis plus d'une semaine désormais, ils essayaient de combattre les effets que causait l'arrêt brutal de l'absorption de potions pour dormir. Enfin, Rogue combattait les effets, lui restait à côté lorsqu'il le lui permettait.
Faire cours ensemble aidait et Tiare surveillait étroitement le sommeil de son confrère lorsqu'il passait la nuit ici, autrement il se contentait de vérifier à quel point le potionniste avait l'air épuisé pendant la journée.
Ulrich sourit à Rogue en lui tendant son verre d'eau, reconnaissant à sa manière de se tenir que le professeur était redevenu maître de lui-même.
Celui-ci avala son verre et lui lança un regard sombre.
— Ne me regarde pas comme ça.
Ulrich se sentit sourire davantage.
— Comme quoi ?
Les yeux de l'ancien Mangemort se rétrécirent.
— Tu sais très bien comment.
Ulrich perdit son sourire, s'assit à même le tapis sur le sol et il prononça ces quelques mots à voix basse.
— J'ai l'impression d'être inutile.
Rogue se redressa sur le canapé pour s'asseoir en face de lui, ses mains tremblaient encore un peu, elles ne cesseraient pas de le faire tant que son corps ne se serait pas habitué au manque, Ulrich le savait, mais c'était encore difficile à accepter.
— Je suis capable de m'occuper de moi-même.
Ça aurait sonné plus cassant avec une voix moins éraillée, plus assurée. En l'état ça ressemblait plutôt à un bouclier qu'à une épée. Une protection plus qu'une menace.
— Ce n'est pas la question. C'est moi qui t'ai poussé à-
— Je t'arrête tout de suite, c'est pour moi que j'ai arrêté. Je connaissais les risques.
Les risques étaient ce qu'ils étaient, tous les Maîtres des potions les connaissaient. Arrêter les potions de sommeil sans rêve après plusieurs années de prises quotidiennes, c'était comme arrêter une drogue, mais continuer d'en prendre c'était rétrécir considérablement son espérance de vie. Ces potions contenaient des ingrédients dangereux, pas létaux à faible dose mais qui pouvaient rendre gravement malade n'importe quel sorcier sur la durée.
L'art des potions était comme n'importe quelle autre forme de magie, dangereuse si mal exécutée. C'était pour ces raisons que Severus avait fait ce choix et Ulrich le savait.
Sachant que répliquer ne les mènerait à rien, Ulrich remplit de nouveau le verre que Rogue avait reposé sur la table basse, se leva, frappa dans ses mains pour éteindre les chandelles et souffla à l'encontre de son ami, à défaut de pouvoir être plus.
— Je retourne me coucher, tu devrais essayer de te rendormir, on va pouvoir se lever tard demain, c'est le week-end.
Une manière comme une autre d'exprimer ce qu'il pensait : dors et récupère un peu, demain tu n'as rien à faire d'autre. Je suis avec toi. Courage.
Severus savait lire entre les lignes, ils le savaient tous les deux. Pas besoin de grand discours. Ulrich pensait parfois que Rogue devait connaître ses sentiments pour lui. Qu'il était assez transparent pour que cela se ressente. Seulement ils n'en avaient jamais parlé, pas depuis qu'ils s'étaient retrouvés. La seule conversation qu'il avait eue à ce sujet dans le passé s'était assez mal terminée pour qu'ils évitent de le faire à nouveau.
Le statu quo lui convenait. Si Severus savait alors tant mieux, il n'aurait pas besoin de lui dire et si celui-ci ne se doutait pas du fait qu'il eût jamais réussi à faire une croix sur ses sentiments pour lui, alors ça ne le dérangeait pas. Tout lui allait, Ulrich ne désirait rien en particulier. Il prendrait ce que Rogue accepterait de lui livrer. Le simple fait d'enseigner à ses côtés - et même si cela ne devait durer que quelques mois - serait plus que tout ce qu'il avait espéré.
Severus était quelqu'un de profondément solitaire, au contraire de lui qui supportait peu la solitude. L'équilibre qui leur permettait de se rapprocher venait du fait qu'Ulrich était un homme insistant et imprudent, aimant et pourtant capable de se retirer dans l'ombre. Capable de ne pas forcer les choses lorsqu'il sentait qu'il ne pouvait pas le faire.
Cet équilibre était le leur, nul besoin de plus. Sans pouvoir les lui rendre, Severus tolérait certainement le fait qu'il puisse éprouver des sentiments pour lui et puisqu'il ne pourrait jamais être rien d'autre que des amis, il lui donnait son amitié. C'était déjà beaucoup pour celui qui pensait qu'être proche de quelqu'un rendait faible.
Lily Evans ne l'aimait pas de la même manière qu'il l'avait aimé, Severus Rogue en avait conscience et Tiare se demandait parfois si sa tolérance pour lui était due à ce fait. Comme il se retrouvait dorénavant à la place de Lily, Severus ne voulait probablement pas le blesser de la même manière qu'elle l'avait meurtri.
Bien. C'était bon. Ce serait suffisant, il serait heureux avec ça. C'était sa perfection, cette relation imparfaite où on ne s'aimait pas de la même manière et où chaque petite conversation représentait une victoire. C'était ce qui faisait battre son cœur. Ce serait son histoire, sa romance malhabile et non conventionnelle.
Ulrich Tiare s'endormit avec le sourire et quelques heures plus tard, il se leva avec, demanda un café bien noir aux elfes de maison, le déposa sur la table basse proche du canapé où Rogue tentait péniblement d'ouvrir les yeux et il s'en alla d'un pas presque dansant vers la salle de bains, lâchant dans le silence de cette fin de matinée.
— Il est presque midi, je t'ai pris un café bien chaud. Je suis sûr qu'il va faire froid aujourd'hui, je vais mettre des vêtements plus épais.
Le grognement qui lui répondit était incompréhensible mais signifiait certainement quelque chose comme : ne me parle pas pour ne rien dire.
Ce qui rendit Tiare plus joyeux encore. Le bonheur prenait des aspects différents selon les gens, le sien était aussi mince que le givre et tranchant que le verre, complètement imparfait mais cela le rendait plus précieux que n'importe quel autre à ses yeux.
Lorsqu'il sortit de la douche, il se retrouva seul dans ses appartements. Sur la table basse, la tasse de café avait été vidée et sur le porte-manteau, la cape de Severus avait disparu.
Ulrich enfila son propre manteau et sortit, persuadé qu'il trouverait l'homme bien assez tôt, certainement quelque part entre son appartement et l'infirmerie à la recherche de ceux qu'ils tentaient de protéger. Au fond, Severus et lui n'étaient pas bien différents de ces deux-là ; des êtres abîmés en quête de paix.
Sur le chemin, il discuta avec quelques portraits et tableaux qui lui annoncèrent que Potter et Gaunt avaient traversé l'école pendant la nuit avant de disparaître dans l'aile des invités où les peintures étaient interdites. Puis ils avaient été revus au matin, d'abord chez les Oiseaux-tonnerre puis chez les Serpents cornus. Et enfin vers la volière, de laquelle ils seraient descendus avec un hibou avant de disparaître de nouveau, réapparaissant comme par magie une heure plus tard à la bibliothèque, plongés dans la section réservée à la cartographie.
Le Maître des potions d'Ilvermorny fronça les sourcils, à moitié amusé et à moitié inquiet de la facilité avec laquelle ces garçons se rendaient insaisissables. Dans leurs intentions comme dans leurs déplacements. Rogue allait être furieux en apprenant qu'ils eussent quitté l'infirmerie avant d'en obtenir la permission.
Tiare passa le message aux tableaux, leur demandant de prévenir Severus que ses protégés étaient sains et saufs à la bibliothèque et il changea de direction. Sûr qu'il trouverait l'ex-Mangemort là-bas. L'homme était sincèrement inquiet pour la santé de ces deux-là. Et bien qu'il risquait de leur donner quelques heures de colle pour avoir désobéi, c'était plus pour se donner bonne conscience qu'autre chose. Juste une excuse pour vérifier que Potter allait bien et que les garçons ne faisaient rien qui puisse leur attirer davantage d'ennuis.
Au même instant, dans une salle poussiéreuse éclairée par une large baie vitrée remplie de cartes et de planisphères datant parfois de plusieurs siècles - un sorcier aux yeux verts essayait de déplier un vieil atlas contenant toutes les cartes de la région sans le déchirer, ce qui n'était pas tâche aisée. Un autre, aux yeux vermeils, parcourait du regard les sections de la partie géographie de la pièce avec intérêt.
Tout à coup, un cri brisa la quiétude des lieux, perturbant la concentration du second sorcier qui se retourna vers le premier.
— Aïe ! Zut…
— Tu t'es coupé ?
Tom lui attrapa d'autorité la main, observant d'un air critique la blessure sur son doigt. Avec incrédulité, il lui souffla à voix basse.
— Comment peut-on survivre à une guerre entre sorciers et derrière ça se couper avec un bout de papier ?
Ce à quoi le Gryffondor répondit, avec un sourire discret.
— Faut croire que le Seigneur des Ténèbres de cette guerre était moins dangereux que du papier.
Faussement vexé, le Serpentard lui lâcha la main et lui susurra de manière inquiétante.
§ Dans ce cas, j'imagine que tu n'as pas besoin du Seigneur des Ténèbres pour trouver toutes les cartes disponibles du Mont Greylock ? § Puis il s'éloigna en précisant en anglais.
— Soigne cette coupure. Je vais jeter un œil aux livres traitant des sortilèges runiques pour le calcul des coordonnées géographiques.
Levant les yeux au ciel, le Gryffondor murmura un sort de soin pour sa coupure et fut satisfait quand il ne resta d'elle qu'une petite trace rectiligne.
Il lança un coup d'œil au dos de Jedusor, de nouveau absorbé par le déchiffrage de titres sur les reliures des livres les plus proches. Le mage noir avait l'air dans son élément partout où il y avait des ouvrages incompréhensibles pour le commun des mortels.
C'était étrangement divertissant de le voir se passionner pour tout ce qui se présentait à ses yeux. Plus que de chercher des cartes où apparaissait le Mont Greylock. Bien qu'Harry comprenne l'utilité de dénicher celle qui serait la plus complète de toutes, le travail de recherche n'avait jamais été son fort.
L'Élu du monde sorcier se fit pensif en glissant une main dans sa poche, attrapant dans sa main la petite boîte contenant le cadeau d'Hermione, Drago, Neville et Luna. Il l'avait ouvert. Il savait ce qu'était ce cadeau et il comprenait pourquoi Hermione lui avait recommandé de ne pas l'ouvrir avant Ilvermorny. Ça ne fonctionnerait qu'une seule fois. Il pourrait le porter dès maintenant mais le risque qu'il s'active pour le protéger d'un danger dérisoire était grand. Mieux valait qu'il le garde pour une occasion spéciale où il serait incapable de se défendre autrement. À moins que…
Son regard revint sur le dos du Serpentard. Celui-ci dû le sentir puisqu'il se retourna à ce moment-là. Ce qui força Harry à détourner le regard, brusquement gêné de s'être laissé distraire par ses pensées. Il manquait de concentration, ce n'était pas nouveau.
Pour se redonner du courage, il pensa qu'une fois cette carte trouvée, il pourrait tenter de transmettre un message à Hermione autrement qu'avec un hibou. Peut-être même qu'il pourrait la contacter de manière à lui parler de vive voix, ce serait mieux qu'une lettre. Encore fallait-il trouver des sortilèges capables de réaliser cet exploit mais il était confiant à ce sujet. Ça prendrait certainement du temps à mettre en place mais avec un peu de chance, ce serait suffisant pour passer à travers les mailles du filet du directeur.
Ça aussi, c'était une idée de Tom. Harry n'y aurait pas pensé spontanément, tout comme il se serait contenté de préparer offensivement son ascension du Mont Greylock plutôt que d'étudier la géographie du lieu en amont. Voilà pourquoi Hermione et Ron lui avaient permis de passer à travers ces années mouvementées à Poudlard sans trop de difficultés. Seul, il n'était capable que de s'empêtrer dans des situations impossibles d'où il se sortait comme par miracle. Accompagné, il se sentait plus en sécurité.
Quand bien même ce compagnon devait être le Seigneur des Ténèbres en personne.
— J'espère pour vous que vous n'avez pas passé la nuit ici, monsieur Potter.
Harry sursauta brutalement, se retourna dans la direction d'où venait la voix et vit Severus Rogue à l'entrée de la pièce, sa silhouette sombre se découpant de manière menaçante dans l'embrasure de celle-ci. Comme prévu, celui-ci était furieux…
Le Gryffondor déglutit difficilement et chercha une excuse valable à sa désertion de l'infirmerie. Au moment où il pensait avoir trouvé quelque chose, la présence de l'héritier Gaunt se fit sentir à ses côtés et il l'entendit dire, un volume épais traitant de runes entre les mains.
— C'est moi qui ai pris la décision de quitter l'infirmerie.
Le mage noir referma le volume dans un claquement sourd, releva la tête vers le Maître des potions et poursuivit avec politesse.
— Bonjour professeur, comment allez-vous ?
Ledit professeur s'avança dans la pièce, l'air encore plus menaçant si possible en leur sifflant.
— Ne jouez pas à ça avec moi Gaunt. Vous aviez l'interdiction de quitter l'infirmerie sans permission, ce que vous avez fait. Et je me moque de savoir lequel d'entre-vous a eu cette brillante idée. Vous irez en retenue tous les soirs avec moi jusqu'à ce que je décide que vous avez retenu la leçon. Me suis-je bien fait comprendre ?
Le Seigneur des Ténèbres lui adressa un sourire lent et sarcastique alors qu'il lui répondait.
— Très bien, professeur.
Severus dut se faire violence pour supporter l'insolence du garçon. Comme pour détourner son attention du Seigneur des Ténèbres, Potter prit la parole à ce moment-là.
— Je suis désolé. Je sais que ce que nous avons fait était imprudent et irrespectueux envers les infirmiers et vous, mais la première tâche approche et nous devons nous y préparer. Ne serait-il pas possible de nous coller quand celle-ci sera passée ?
Le sale petit… Rogue se retint de secouer le lion qui se comportait comme un serpent en essayant de le prendre par les sentiments - bien qu'il le fasse sans arrière-pensée et prit la décision que sa patience ne le supporterait pas plus longtemps, il déclara en se détournant.
— Il n'en est pas question. Vous viendrez dès lundi dans mon bureau pour faire vos heures de retenue, avec ou sans Tournoi des Trois Sorciers. Si cette épreuve est si difficile pour vous qu'il vous faut la préparer une semaine à l'avance alors je vous conseille de déclarer forfait.
Le potionniste ajouta, en son for intérieur. Ça nous épargnera quelques nuits blanches.
Après son départ, Jedusor siffla du bout des lèvres, en parcourant de nouveau son livre des yeux.
§ Bien tenté. Il est de plus mauvaise humeur que d'habitude ou c'est mon imagination ? §
Harry lui répondit en regardant la porte derrière laquelle le Maître des potions avait disparu.
§ Non, tu as raison. Il avait l'air complètement hors de lui, j'imagine que c'est à cause de cette histoire avec le directeur. Je m'en veux un peu de l'impliquer dans tout ça, il a déjà largement fait sa part durant la guerre. §
Au-delà de cette porte, un peu plus loin dans la bibliothèque, un Maître des potions américain salua un anglais de la main, en s'exclamant.
— Tu les as collés jusqu'à la fin des temps ?
— J'aurais dû.
— Ça aurait été plus efficace pour veiller sur eux.
— Je ne suis pas venu ici pour veiller sur eux.
Ulrich secoua la tête de droite à gauche, amusé par l'obstination dont faisait preuve Severus. Jamais il ne reconnaîtrait à voix haute vouloir protéger Potter et le jeune Seigneur des Ténèbres, pourtant il n'y avait rien de plus vrai.
Tiare lâcha alors, en s'éloignant un peu de Rogue.
— Bien sûr et moi je suis venu ici pour emprunter un livre sur les trolls des montagnes.
Puis il se mit à courir pour sortir de la bibliothèque avant de recevoir un Avada Kedavra - ou pire - de la part de son confrère et lorsqu'il passa devant les deux vieilles responsables de la bibliothèque, elles lui crièrent en chœur.
— Professeur Tiare ! Vous avez passé l'âge de courir partout, tenez-vous tranquille pour l'amour de la magie !
Il leur adressa un sourire plein de dents et répliqua, en les saluant d'une petite révérence, avant de s'engouffrer dans les couloirs.
— Je suis devenu professeur spécialement pour pouvoir continuer à courir partout, mesdames.
Lorsque Rogue arriva à la hauteur des dames en question, celles-ci se sentirent obligées de lui transmettre leurs pensées sur le professeur Tiare, chacune à leur tour.
— Il ne faut pas lui en vouloir, il agit parfois sans réfléchir mais c'est un bon garçon !
— Ça fait plaisir de le voir si joyeux, c'est certainement parce qu'il a retrouvé un ami. Vous êtes bien le garçon qui étudiait avec lui il y a quelques années, n'est-ce pas ?
Rogue se contenta de hocher la tête, salua les deux vieilles bibliothécaires sans pour autant lâcher le moindre mot, l'expression sévère, et sortit de la bibliothèque d'un pas égal.
La plus vive des deux, celle qui était un peu plus grande, s'exclama en signant le registre des sorties de la bibliothèque.
— Le jour et la nuit ! L'un trop bruyant et l'autre trop taciturne.
Et la plus calme, svelte et maniérée, répliqua alors, en tamponnant le registre derrière la première.
— Tu trouves ? Pour ma part j'ai eu l'impression qu'ils avaient beaucoup en commun.
Elles rangèrent alors le registre et se mirent à ordonner les étagères de la bibliothèque à l'aide de quelques sortilèges. Elles avaient l'habitude de voir beaucoup de profils de sorciers et de sorcières différents se présenter aux portes de leur sanctuaire.
Si Severus Rogue et Ulrich Tiare n'étaient pas vraiment le genre d'hommes qu'on croisait souvent à la bibliothèque, il arrivait parfois que ce soit le cas et généralement cela présageait quelques changements dans l'équilibre des choses. Tout comme voir les élèves de la maison Puckwoodgenie hors de la bibliothèque, eux qui aimaient tant étudier, présageait souvent quelques complications.
Aujourd'hui était un jour comme ça, où les Puckwoodgenie levaient timidement la tête de leurs fiches pour s'intéresser au monde extérieur et où, paradoxalement, les autres élèves, des Oiseaux-tonnerre et des Womatou pour la plupart, entraient à la bibliothèque avec la drôle de sensation de la découvrir pour la première fois.
Midi était passé depuis quelques heures lorsque Therence Legrand, le plus Oiseaux-tonnerre de tous les Oiseaux-tonnerre, fit son entrée. Accompagné par une Gabrielle Delacour enjouée, l'incarnation parfaite d'une Womatou, forte et réfléchie, dans la bibliothèque d'Ilvermorny. Croisant le chemin de quelques Puckwoodgenie, éblouis par le soleil de ce début d'après-midi d'automne.
La fille de Beauxbâtons demanda au garçon d'Ilvermorny.
— Comment sais-tu qu'ils sont ici ? Ils t'ont dit qu'ils viendraient hier soir ?
Legrand nia d'un geste de la main et précisa.
— Pas du tout. Je m'en doutais un peu mais maintenant j'en suis sûr.
Gabrielle le regarda avec curiosité avant de jeter un œil aux alentours.
— Comment peux-tu en être sûr ? La bibliothèque est immense et je ne les vois nulle part.
Elle se retourna et regarda tout autour d'eux, comme si elle allait découvrir à tout moment Potter et Gaunt cachés derrière une étagère.
Legrand paru un peu gêné de cet aveu mais il déclara tout même.
— Ce sont leurs magies. Surtout celle d'Harry, j'arrive à la percevoir.
Puis, craignant tout à coup que ça ait l'air bizarre, il ajouta avec précipitation.
— Je n'avais jamais réussi à faire ça avant ! Je ne sais pas du tout comment c'est possible et je ne pense pas pouvoir le faire tout le temps, c'est juste que…
Gabrielle éclata de rire, ce qui décontenança un peu le pauvre Oiseaux-tonnerre mais il fut rassuré lorsque celle-ci lui sourit avec douceur.
— Ne t'en fais pas. Moi aussi j'arrive à la sentir quand je suis à côté de lui, ça n'a rien d'étrange, c'est juste qu'elle doit perturber notre perception assez pour qu'on puisse la ressentir. Un peu comme une odeur qu'on arriverait à identifier précisément !
Therence pensa que c'était une bonne comparaison, la magie n'avait pas d'odeur mais il pouvait la percevoir de cette manière-là, comme quelque chose qu'on sentait transporter dans l'air. La plus jeune des Delacour reprit la parole.
— Par contre, c'est assez impressionnant que tu puisses la ressentir et l'identifier d'aussi loin. Tu as peut-être un don ! Tu sais, comme les personnes qui ont une très bonne vue ou un odorat incroyable.
Elle le devança et continua de lui sourire, ajoutant en faisant de grands gestes avec les bras.
— J'adorerais pouvoir faire ça !
Surpris, Therence oublia sa gêne. Quelques préjugés lui faisaient parfois penser que parce qu'il venait d'une famille de non sorciers - les Sang-pur comme Gabrielle ne voudraient pas reconnaître sa valeur. Ce qui, avec le temps, l'avait fait s'habituer à dévaloriser ses capacités. Les masquer, en faire quelque chose de presque honteux, en tant que né de parents non-magiques il devait faire profil bas, c'est ce qu'on lui avait beaucoup répété.
Et même maintenant, alors qu'il était en dernière année et qu'il représentait les Oiseaux-tonnerre, qu'il gérait l'équipe de Quidditch et qu'il faisait même souvent partie des dix meilleurs élèves du classement, il n'arrivait pas à se trouver légitime dans ce monde. Pourtant il avait dû abandonner sa famille pour y étudier, les sorciers n'ayant pas le droit d'avoir des contacts avec des Non-Maj aux États-Unis…
C'est pour ces raisons-là que la réaction de Gabrielle le toucha beaucoup. Il eut presque envie de pleurer et il dut se retenir de toutes ses forces pour ne pas le faire. Et dans une preuve de courage discrète, il confirma, la voix un peu enrouée.
— C'est vrai, c'est chic de pouvoir faire ça.
Ça l'était, percevoir la magie était une belle chose et Therence s'autorisa à penser que peut-être avait-il un don particulier pour ça et qu'en le travaillant un peu, il pourrait même percevoir d'autres formes de magie que celles brutes et primaires que Potter et Gaunt laissaient flotter partout derrière eux comme un parfum entêtant.
C'est, justement, en suivant ce parfum entêtant qu'ils arrivèrent devant une porte où était inscrit le nom de la section réservée à la cartographie et à la géographie. Soit certainement l'une des sections les moins consultées d'Ilvermorny en raison du peu d'intérêt que les sorciers accordaient à ce genre de choses.
Therence frappa à la porte, il n'était pas censé le faire car les sections de la bibliothèque appartenaient à tout le monde et qu'il n'avait besoin d'aucune permission pour rentrer ou sortir d'une pièce mais, puisqu'il savait que derrière cette porte se tenaient certainement Potter et Gaunt et que ces deux-là étaient en train d'étudier, il ne voulut pas les déranger sans s'annoncer au préalable.
Après une petite seconde, un "Entrez !" retentit, et Therence reconnut la voix d'Harry. Il ouvrit donc la porte, la tint à Gabrielle pour qu'elle puisse y entrer la première et la referma derrière eux.
Lorsqu'il se retourna pour poser les yeux sur cette partie de la bibliothèque, il se figea un instant. Il n'avait vu cette pièce qu'une seule fois, malgré les années qu'il avait passées à Ilvermorny et la seule fois où il l'avait vue, elle lui avait paru dénué d'intérêt. Silencieuse et inutilisée, malheureuse parmi les salles qui quant à elles accueillaient chaque jour de jeunes sorciers passionnés de magie.
Un peu comme désœuvrée par le temps qui était passé et l'avait laissée se détériorer. Il ne l'avait pas retenu, ne lui avait pas prêté beaucoup d'attention. Elle lui parut complètement différente aujourd'hui.
Elle était métamorphosée. Désordonnée et méconnaissable. Therence se fit la réflexion qu'il y avait des gens qui passaient sans laisser la moindre trace de leur existence nulle part et d'autres qui, au contraire, n'avaient qu'à occuper un lieu quelques heures pour lui rendre la vie. Pour en faire le témoin de leur histoire. Harry Potter et Thomas Gaunt étaient de ceux-là.
Sans même le vouloir, ils laissaient leurs empreintes. On aurait pu les suivre à la trace avec facilité, retracer chaque événement de leurs existences sans effort. Paradoxalement, certaines histoires ne figureraient jamais dans les livres, Legrand songea que celle-ci était de celle-là. Il se promit de s'en souvenir, lui. D'avoir en mémoire tous ces détails qu'on oublierait de raconter. Sa mémoire lui appartenait et il y graverait autant d'histoires futiles qu'il le souhaiterait.
À sa gauche, il y avait un pan de mur rempli de planisphères et de cartes, recouvert d'inscriptions magiques brillantes, en suspension dans les airs comme pour pouvoir s'arranger d'elles-mêmes et former de toutes nouvelles indications. Ces inscriptions avaient été laissées par Gaunt, Therence pouvait ressentir en elles sa signature magique.
À sa droite, il y avait des rayonnages contenant des grimoires de sortilèges et de vieux atlas. Des rayonnages complètement vidés de leur contenu habituel. Les livres qui y étaient normalement avaient été regroupés par catégories arbitraires et certains laissés-pour-compte avaient été déposés sur le côté, empilés sur plus d'un mètre de hauteur. Ils penchaient dangereusement vers le sol sans pour autant s'y écrouler.
En face de lui, la lumière d'une baie vitrée laissée entrouverte faisait courir dans toute la pièce un courant d'air frais accompagné de faibles rayons de soleil. Et sur le sol alors qu'il s'était enfin décidé à faire quelques pas dans la pièce - Therence vit des inscriptions, comme des runes qu'il ne reconnaissait pourtant pas, inscrites à la craie à même le parquet.
Et au milieu de tout ça, autour d'une grande table, il y avait d'un côté Harry Potter penché sur une carte immense, occupé à y tracer de petites croix à la craie alors qu'en face de lui, tout aussi penché sur la carte, Thomas Gaunt pointait du doigt des lieux en sifflant des indications incompréhensibles.
Relevant parfois la tête soit pour consulter un ouvrage qui avait été abandonné grand ouvert, flottant à côté de lui, soit pour laisser ses yeux s'égarer sur Potter qui semblait ne pas s'en rendre compte et continuait de parcourir la carte avec application.
À tout ça, Legrand ajouta à ses sens noyés d'informations, les deux magies envahissantes des sorciers, rendant l'air difficilement respirable pour quelqu'un qui y était aussi sensible que lui.
Therence, qui était resté immobile à mi-chemin de la salle, fut sorti de son hébétude par Gabrielle qui s'avança sans avoir l'air intimidée.
Lui l'était. Potter et Gaunt étaient intimidants. Savoir se comporter face à l'un d'entre eux lorsqu'il était seul était complètement différent de les affronter tous les deux en même temps, alors qu'ils paraissaient si absorbés par la présence de l'autre. Dans leur bulle, là où le reste du monde ne semblait avoir que peu d'influence. Là où il était insignifiant.
Toutefois, comme Gabrielle s'était avancée, il la suivit et en entendant sa voix, il se sentit un peu plus à l'aise. Moins étouffé par l'ambiance.
— Bonjour les garçons ! On ne vous a pas vu au réfectoire alors on s'est dit qu'on pouvait venir vous chercher. Vous travaillez sur la première épreuve ? C'est impressionnant, on dirait que vous préparez un plan de bataille. Avec des stratégies militaires et de grandes cartes pour la conquête des territoires ! Ça me rappelle les jeux de chasse aux drapeaux qu'on organisait à Beauxbâtons il y a quelques années.
Elle avait l'air honnêtement ravie et même un peu nostalgique en évoquant ces jeux d'enfance. Therence se détendit davantage, si une partie non rationnelle de lui était effrayée et fascinée par la simple présence de Potter et Gaunt, le reste demeurait ancré dans la réalité et tentait à tout prix de conserver sa cohérence.
Combattre l'irrationnel faisait partie de son quotidien, il était un enfant né de Non-Maj ayant développé des pouvoirs magiques. L'irrationnel était une astreinte dans sa vie.
Potter se redressa le premier, sous le regard persistant de Gaunt. Puis il se tourna vers eux en leur adressant un petit signe de la main, la manche de sa robe d'uniforme était complètement blanche de poussière de craie. À ce moment-là, les yeux de Gaunt quittèrent brièvement Harry pour se poser sur eux.
Therence sentit son souffle se faire plus court alors que le jeune homme le dévisageait, puis celui-ci se désintéressa complètement de son existence et attrapa le livre abandonné près de lui.
Le responsable des Oiseaux-tonnerre pensa que cela signifiait qu'il ne leur accorderait pas d'attention comme il l'avait déjà fait à plusieurs reprises, mais à sa grande surprise c'est Gaunt qui répondit à Gabrielle, sans pour autant lui accorder un regard.
— On aura peu de temps pour préparer la première tâche, je veux terminer la partie repérage aujourd'hui.
Du repérage ? Gaunt avait une définition toute particulière de repérage s'il pensait que ça consistait à connaître dans les moindres détails la géographie d'un lieu.
La plupart des champions du Tournoi se contenterait d'apporter une boussole magique et peut-être d'autres artefacts du genre ainsi que la carte que le directeur leur donnerait sur l'itinéraire à suivre. Certains d'entre eux iraient peut-être sur le terrain regarder vite fait à quoi ressemblait le village de Goldenkey mais rien de plus. Une étude approfondie des lieux paraissait superflue mais peut-être était-ce lui qui se méprenait sur la difficulté réelle d'une tâche lors du Tournoi des Trois Sorciers.
Après cette déclaration de Gaunt, Potter s'étira, faisant craquer son épaule droite. Il lança un dernier regard à la carte étalée devant lui et déclara en leur adressant un sourire.
— On a presque fini. Tom est perfectionniste, si je le laisse faire il va y passer toute la journée.
Ledit Tom leur lança un regard sombre avant de reposer les yeux sur le dos de Potter. Il posa son livre sur la table et s'approcha de l'Oiseau-tonnerre en lui murmurant.
— Je ne suis pas perfectionniste. J'aime faire les choses correctement.
Les yeux d'Harry dérivèrent sur Gaunt et il lui adressa un sourire franc en répliquant.
— Ce n'est pas ce que j'ai dit ?
Gaunt lui attrapa le bras, il avait l'air à moitié courroucé à moitié amusé. Il utilisa un sort pour nettoyer la poussière de craie sur l'uniforme de Potter et le relâcha après ça, sans pour autant s'éloigner. Et lui siffla quelque chose que ni Gabrielle ni Therence ne purent comprendre et le sourire de Potter se fit plus vif. Le fait qu'il lui réponde en fourchelang comme s'il n'avait pas fait la différence entre les deux langues prouvait que les garçons passaient fréquemment d'un langage à l'autre.
Une douceur toute particulière se dégageait de leurs échanges. De leur proximité. Gabrielle leur proposa de manger à l'extérieur, de l'autre côté de la baie vitrée, pour qu'ils puissent reprendre leurs recherches juste après le repas. Potter accepta la proposition en déclarant qu'une pause déjeuner ne leur ferait pas de mal. Gaunt ne le contredit pas et ils descendirent tous les quatre au réfectoire pour aller chercher de quoi manger.
Potter et Gaunt avaient les capacités pour transplaner et revenir en un instant mais aucun des deux ne le fit. Probablement parce que le premier aimait l'idée de se balader un peu dans l'école et que le deuxième était du genre à vouloir marcher à ses côtés sans se soucier de la destination.
Par la suite, cela devint une habitude pour Gabrielle Delacour et Therence Legrand de déjeuner avec ces deux-là.
Ils passèrent la semaine selon un schéma assez précis, tous les matins, bien avant que les premiers cours ne commencent, Therence voyait Potter quitter le dortoir des Oiseaux-tonnerre, probablement pour rejoindre Gaunt on ne sait où dans l'académie. Ils se préparaient pour la première tâche, c'est tout ce qu'Harry lui avait confié à ce sujet.
Les Serpents cornus avaient répandu la nouvelle que depuis l'incident où il avait fait renvoyer cinq des leurs, Gaunt n'allait plus à leur salle commune ni à leur dortoir. Il passait la nuit dehors et revenait au petit matin, Potter derrière lui, pour récupérer quelques affaires et aller en cours. La moitié des élèves pensaient que Gaunt passait ses nuits chez les Oiseaux-tonnerre, l'autre moitié savait que ce n'était pas le cas.
Certains prétendaient qu'il quittait l'école chaque nuit pour pratiquer la magie noire. D'autres se contentaient de l'éviter en lançant des regards sombres aux tableaux des scores où, quoi qu'il arrive, Gaunt demeurait premier.
Depuis l'incident, Potter n'avait plus jamais obtenu la tête du classement. Il se contentait d'être quelque part dans les dix premiers, sans sembler s'en inquiéter. Le fait qu'il ait les capacités pour être au sommet mais se contentait de laisser sa place à Thomas rendait furieux la plupart des professeurs. Severus Rogue était de ceux-là.
Après son départ des Oiseaux-tonnerre à l'aube, Therence croisait Harry au premier cours de la matinée. L'ex-Gryffondor arrivait généralement un peu en retard et souvent essoufflé et dès que la sonnerie retentissait, à la fin de chaque cours, Gaunt apparaissait comme par magie à ses côtés.
Au début, les professeurs sursautaient à chaque fois, ce qui était assez drôle. Puis ils s'y étaient habitués et, à la fin de la semaine, les plus courageux se contentaient d'envoyer des regards désapprobateurs à Gaunt pour son comportement.
Les Oiseaux-tonnerre s'y étaient très vite accoutumés et certains d'entre eux saluaient même Gaunt de temps en temps. Seulement lorsqu'il était avec Potter, bien entendu. Seul, Gaunt était inaccessible. Terrifiant et dangereux. Avec Harry près de lui, il était moins asocial, plus avenant. Enfin c'était relatif, Gaunt pouvait autant se montrer charmant qu'effrayant. Souvent les deux en même temps.
Harry quant à lui brillait particulièrement lorsqu'il s'agissait de pratiquer la magie. Et durant les cours de duels magiques, il avait presque toujours le droit, si on pouvait appeler ça un droit, d'affronter le directeur. Leurs duels étaient d'une violence rare pour des duels d'apprentissages et ils se terminaient bien souvent de manière abrupte, lorsque le directeur prenait la décision qu'il en avait assez vu.
Therence ignorait si l'homme agissait de la même manière avec Gaunt mais après avoir vu les visages pâles des Serpents cornus qui sortaient d'un des cours du directeur, il s'était dit que ça devait être le cas. Sauf que Potter était certainement bien plus mesuré en matière de violence que ne l'était le mage noir. De là devait venir la rumeur selon laquelle Gaunt n'utilisait que la magie noire et le fourchelang pour se battre. Le "mage noir" était devenu une manière commune d'appeler Thomas. Un surnom approprié. Que Potter détestait un peu plus chaque jour.
Tout comme il détestait les murmures incessants dans les couloirs alors qu'il les traversait. Si on appelait Gaunt le mage noir, Potter avait le droit à d'autres surnoms. Plus nombreux et changeant ça allait du "sorcier instable" à "la bête noire du directeur" en passant par "le premier du classement". Un surnom se moquant du fait que même en ne figurant pas premier sur le tableau, il restait le numéro un à battre pour beaucoup. Certains s'amusaient à l'appeler le mage gris, en référence au fait qu'il représentait la lumière en Angleterre tout en côtoyant Thomas, qui ne pouvait que l'entacher.
Gaunt n'était pas du genre à se soucier de ce que les autres pouvaient penser de lui. Potter s'en souciait pour deux. Il semblait vouloir que Thomas ne soit pas mal vu, peut-être le voulait-il dans un souci de protection. En tout cas, si Thomas Gaunt était plutôt craint, les élèves le respectaient. Il semblait même avoir quelques admirateurs et admiratrices, et personne ne semblait le haïr ostensiblement.
C'était différent pour Harry, si pour Thomas la grande majorité des élèves était unanime, pour Potter il y avait plutôt deux camps.
Ceux qui l'aimaient et ceux qui le détestaient. Les premiers l'adulaient carrément et les seconds se retenaient de lui cracher des horreurs à la figure. Il n'était pas rare que des bagarres éclatent entre les partisans de Potter et ses détracteurs. Quant à Harry, ils semblaient fuir les deux camps avec passion, sans faire de différence.
Après avoir déjeuné avec eux, Therence passait un moment avec Gabrielle. En se tenant proches d'Harry et Thomas, ils s'étaient un peu mis à l'écart des autres, malgré eux. Et si Therence avait toujours été doué pour conserver de bonnes relations sans pour autant avoir d'amis proches, Gabrielle avait dû faire face à quelques querelles avec des amies à elle.
L'après-midi se passait selon le même schéma, si ce n'est qu'après le dernier cours, c'était Potter qui disparaissait tout à coup. Terence le revoyait alors tard le soir, en compagnie de Jedusor qui le raccompagnait sans faute, chaque nuit, à sa salle commune. Il savait que les deux garçons étaient en retenue avec Severus Rogue tous les soirs et il se demandait si Rogue les retînt réellement jusqu'à minuit passé ou si les deux bravaient le couvre-feu pour traîner dans les couloirs ensemble jusqu'à tomber de fatigue.
La deuxième option lui paraissait plus probable. Quoique… Rogue avait l'air encore plus fatigué que ces deux-là au petit matin, ce qui le laissait penser qu'il devait se coucher au moins aussi tard.
Puis le lendemain tout recommençait et Harry était le premier levé. Therence s'était demandé à plusieurs reprises si ses deux amis prenaient d'autres repas que celui du midi et un jour, lorsqu'il avait évoqué cette inquiétude à Gabrielle, elle lui avait répondu qu'elle avait croisé Harry et Tom devant les cuisines tôt le matin et qu'il n'y avait rien à craindre à ce sujet. Puisque s'ils allaient aux cuisines tôt le matin pour avaler quelque chose, nul doute que Rogue devait s'occuper de les faire dîner le soir.
Therence avait été dubitatif à ce sujet, Rogue ne semblait pas être du genre à se préoccuper de ce genre de choses. Surtout si on considérait le fait que le professeur Tiare était pratiquement obligé de le tirer chaque jour au réfectoire. Néanmoins, durant les cours de potions il avait remarqué à plusieurs reprises les regards que s'échangeaient Potter et Rogue. Peut-être que le sévère Maître des potions avait réellement à cœur la santé et la sécurité de son élève. En tout cas, c'était ce que pensait Gabrielle et elle ne se trompait jamais.
Tout allait bien. Ilvermorny s'était retrouvé sens dessus dessous après l'arrivée d'Harry Potter et de Thomas Gaunt mais après quelques semaines d'acclimatation, tout était revenu à la normale. Qu'ils se fassent la guerre il y a une semaine de ça pour obtenir la première place ou qu'ils s'associent dans l'espoir de gagner la première tâche du tournoi, ça paraissait évident.
C'est ça. Associer Potter et Gaunt était devenu une évidence. Pour lui, pour Ilvermorny. Dans un monde de magie, l'extraordinaire devenait quotidien et plus le temps passait plus Harry et Tom étaient acceptés parmi leurs semblables.
Si bien qu'au jour où la première tâche fut lancée, la grande majorité des élèves de cette école était persuadée qu'ils la remporteraient. Qu'ils seraient les premiers à franchir la ligne d'arrivée. Potter était un sorcier doué et Gaunt paraissait capable d'affronter n'importe quel danger, avec ou sans sa magie. Les autres champions aussi étaient respectés et certains avaient même des supporters convaincus. Cependant entre Chul, Evan, Gabrielle et Harry, il y avait une majorité écrasante d'étudiants pensant que Potter serait le gagnant.
Seul Agilbert Fontaine et son fils savaient que Harry James Potter et son Seigneur des Ténèbres n'avaient aucune chance de terminer l'épreuve les premiers. Dans le meilleur des cas, ils s'en sortaient derniers et sains et saufs. Dans le pire… le directeur d'Ilvermorny serait affreusement déçu par la mort de Lord Voldemort et de son Survivant.
À suivre…
Réponses aux reviews des invités !
Noname : Je te remercie pour ta review ! C'est vraiment gentil, je fais de mon mieux en tout cas. J'aime écrire et je souhaite m'améliorer encore !
