Chapitre 39 : Le chevalier sans couleur
Joli lundi ! Je sais, ça fait un moment que je n'ai pas publié. En réalité j'ai participé au Nanowrimo ce mois-ci avec DISS' mais malheureusement je n'ai pas réussi à écrire les 50 000 mots prévus par le défi ! (C'était vraiment trop difficile avec mes études à côté.) Je me suis contentée d'écrire quand je le pouvais par gros morceaux et sans réellement me relire (c'est un peu le principe du Nano vous allez me dire) et ça m'a permis d'écrire pas mal quand même. Le Nanowrimo se termine demain et pour fêter ça, je vous présente le premier chapitre que j'ai réussi à écrire grâce à lui ! Attention ce chapitre est un peu sombre. Je préfère ne pas en dire davantage pour éviter de vous révéler des éléments du scénario mais ce n'est pas un chapitre joyeux. J'espère qu'il vous plaira quand même, c'est la première fois que j'écris dans le cadre du Nanowrimo et je crains que le rendu ne soit un peu plus précipité que mon écriture habituelle. Je prie pour que les émotions des personnages vous parviennent malgré tout, bonne lecture !
La souffrance. Evan Diggory était persuadé de la connaître plus que n'importe quoi d'autre. La douleur. La sensation de sentir tout son corps trembler de rage, de peur, de peine, d'impuissance. C'était sa constance, vivre dans la douleur lui était si habituel qu'Evan tendait à l'oublier. Elle et tout ce qu'elle impliquait. On oublie à quel point on a mal lorsqu'on vit trop longtemps agrippé à elle. Elle transformait n'importe quel corps, n'importe quel esprit, elle le modelait, lui retirait ses rêves, ses espoirs, son âme.
Pour le détruire et faire d'Evan un être à son image, haletant, désespéré, privé d'avenir et pourtant incapable de céder, de mourir. De laisser la place à un autre.
Le champion de Durmstrang sentit son corps se secouer dans une convulsion violente et il se tourna sur le côté, le visage dans la boue pour vomir un mélange de sang et de salive qui lui donna un nouveau haut-le-cœur.
Il n'y avait rien de beau à mourir. Peu importe de quelle manière vous le faites, vous allez juste disparaître. Il ne restera que des cendres fumantes de votre vie, aussi flamboyante fut-elle.
Comme son frère. Maudit soit Cedric, l'enfant parfait, le héros, le modèle, l'aîné, le douloureusement mort frère qu'il n'avait jamais connu que par le prisme des paroles de leur père.
C'était peut-être la seule chose qu'ils avaient en commun. Un même père. Un père fier, puis désespéré, un père obnubilé par la réussite de son premier enfant puis détruit par sa mort, un père dévoré par le deuil, se laissant aller à une vie déséquilibrée en harcelant sans cesse son unique fils restant.
Lui reprochant de ne pas égaler le premier, le traînant dans une école où il ne voulait pas aller, réduisant ses espoirs et ses rêves à néant. Lui donnant une éducation si stricte, si exempte d'amour et d'attention que l'enfant en question ne put que grandir en haïssant profondément ce frère aîné dont il ne partageait seulement la moitié du sang et aucun véritable souvenir. Ce sang boueux et sale qui l'aveuglait désormais.
Evan n'était pas un héros, il n'était pas et ne serait jamais Cedric Diggory. Et c'est pour cette raison qu'il rattacha les dernières bribes de sa conscience à son corps et qu'il se releva. Le visage barbouillé de sang, il fit quelques pas en avant. Il n'était pas Cedric. Il n'allait pas mourir comme lui. Ce n'était ni un martyr ni quelqu'un de bon. Alors il ne mourrait pas par défaut sans pouvoir choisir le moment, il mourrait par volonté. Parce que c'était son choix.
Evan n'était rien d'autre qu'un gamin dévoré par la jalousie, la volonté d'obtenir ne serait-ce qu'une once de reconnaissance de son seul et unique père pour pouvoir ensuite lui recracher à la figure la haine qu'il entretenait à son égard.
« J'ai gagné ce pour quoi ton si précieux fils est mort, je suis plus fort que lui. J'existe. JE NE SUIS PAS LA PÂLE COPIE D'UN MORT ! »
Désirer la reconnaissance de quelqu'un qu'on hait était une véritable plaie qui faisait prendre des décisions inconsidérées. Comme celle qui s'apprêtait à faire aujourd'hui.
Ce devait être cette souffrance, cette haine qui dévorait ses entrailles, cette fureur qui l'habitait à chaque instant, cette marque affreuse qui déformait l'apparence de son cœur - qui le fit avancer. Titubant, il ne prit pas la peine ni d'essuyer son visage ni de regarder ses plaies.
Blessé ? Il l'était en permanence, que ce soit physique ou non ne changeait rien, la douleur était la même. Il avait déjà tellement mal.
Lorsqu'il fut sûr qu'il tiendrait à peu près debout, il ricana devant le monstre qui lui faisait face et il s'entendit émettre les paroles suivantes.
— Alors… tu ne termines pas ton repas ? Ce n'est pas très poli.
Il savait que ce seraient certainement les dernières paroles qu'il prononçait et il s'en fichait. Evan n'avait plus foi en la vie depuis quelques années et la mort ne l'effrayait pas plus que de voir le jour se lever demain.
Le monstre ne se préoccupait même pas de lui, la bête avait trouvé un meilleur repas, un meilleur jouet. Peut-être avait-elle cet objectif en tête depuis le début et que lui n'était qu'un casse-croûte sur le chemin, un apéritif sur la route.
Forcément, même ici aux portes de la mort, il n'était qu'un second couteau. Il le serait jusqu'à son dernier souffle. Certaines âmes sont à jamais condamnées à disparaître des mémoires comme des images fugaces.
L'ironie de la situation lui convenait. Elle ressemblait à sa vie. Elle n'avait pas le moindre sens.
La créature sembla l'entendre et le prendre en considération et après un instant d'hésitation, elle se retourna lentement dans sa direction.
Son corps de lion, musculeux et lourd se contracta d'un coup alors qu'elle laissait une profonde marque de griffe dans la terre boueuse et son hideux visage d'homme pourvu d'une mâchoire gigantesque et pleine de crocs se tordit dans une expression affreuse alors qu'elle grogna.
— ViVaNt !
La Manticore ricana en le menaçant de son dard, celui d'un scorpion monumental. Puis elle feula en tournant autour de lui comme pour faire passer davantage le temps.
— LA jeUnE SoRcIèrE qUI t'aCCompAgnAit s'est échApPée. ELle avAit l'aIr plUs aPpétiSSante… me coNteNtErai de tOi avANt de dévOrEr mEs prOIEs.
Sa voix était incompréhensible.
La créature désigna la tente qui se découpait dans la brume, à l'orée de la forêt. Elle était à peine visible et probablement protégée mais on pouvait la distinguer d'assez loin, ressentir sa présence à des lieues d'ici. À cause de ceux qui y résidaient.
Evan serra les dents, il la sentait lui aussi, alors le monstre ne pouvait pas l'avoir manquée. La saveur particulière de la magie débridée et indécente qui appartenait à Harry Potter. Cette saveur, comme un arrière-goût écœurant transporté par le vent. Comme un panneau de signalisation clignotant au-dessus de la tête de l'Élu qui criait qu'il était une proie bien plus intéressante, bien plus importante qu'Evan ne le pourrait jamais l'être.
Jaloux de ne pas avoir été choisi, ne serait-ce que par la mort. Ridicule.
Cette magie que Potter exhibait comme un trophée, aussi forte fut-elle, était inutile, le corps des Manticores y était immunisé. Lui aussi ne pourrait rien faire face à elle et cette pensée consola Diggory. La magie n'était pas une porte de sortie, pas ici.
Peut-être que ce monde où tout aurait dû être possible n'était qu'une illusion. La magie ne permettait finalement pas grand-chose. Pas pour lui. Elle ne le sauverait même pas aujourd'hui.
Evan le savait, sa seule chance aurait été de se faire passer pour mort puis de tenter de s'enfuir pendant que le monstre s'attaquait à l'équipe de Potter mais puisque Clara - la première année qui avait été volontaire pour être sa partenaire - avait réussi à s'enfuir, Diggory n'avait plus rien à perdre.
Sa vie ne lui paraissait pas assez précieuse pour faire un effort supplémentaire. La seule chose qui le dégoûtait était l'idée qu'il mourrait certainement comme son frère, pendant ce stupide tournoi. À essayer de protéger Potter sans aucune raison valable. À la différence qu'il savait que ces instants seraient ces derniers. Là où Cedric était mort sans y être préparé, Evan n'attendait plus que ça.
Il le haïssait. Harry James Potter. Son simple nom lui donnait envie de hurler. Depuis la première seconde où il l'avait aperçu dans le journal jusqu'à leur dernière rencontre, Evan l'avait détesté. Ce garçon, cet homme ressemblait bien trop à ce qu'il s'imaginait que son père aurait voulu qu'il soit.
Il ressemblait beaucoup trop à Cedric. Beaucoup trop à l'idée qu'il se faisait de son défunt frère. Tout comme lui, Potter était un héros. Il était probablement né comme ça, certains petits garçons naissaient chevaliers et d'autres palefreniers. C'était comme ça et Evan ne connaissait pas d'histoires où c'était finalement le palefrenier qui sauvait le monde.
Pour que les héros comme Harry Potter puissent vivre, il fallait bien des seconds rôles comme lui, prêt à se faire bouffer. Evan sourit alors que le monstre se préparait à se jeter sur lui.
Être debout lui faisait mal, vivre faisait mal, il se doutait que mourir ferait mal aussi. Sa seule consolation fut d'imaginer la tête que ferait Amos Diggory, son père, lorsqu'il apprendrait son décès. Peut-être qu'il s'en voudrait tellement qu'il mettrait fin à ses jours ? C'est probablement ce qu'il aurait fait s'il ne l'avait pas eu comme souffre-douleur après la mort de son véritable héritier.
Evan essaya de s'accrocher à cette image, pour nourrir sa rage, pour mourir avec elle. Être tué dans la colère et non dans la peur, c'était mieux que rien. Il voulait se rattacher à ça.
Sauf qu'au dernier instant, à la place de la gueule du monstre hideux qui lui faisait face, le visage de sa mère lui apparut. Tendre et doux, beau et bouleversant. Juste une hallucination.
Cette femme que son père n'avait jamais vraiment aimée, qui vivait avec le sourire en attendant patiemment qu'il revienne, lui qui menait une double vie sans honte. Sa mère si fière, si forte, sa passion pour la danse, le ballet, la vie. Sa maman si chère à son cœur qui lui avait appris à danser, à sourire et à aimer avant que tout ne parte en fumée... et durant un instant. Un instant fatidique, Evan douta.
Il eut, pour la première fois depuis ce qui lui semblait être une éternité, envie de vivre. Pour être le petit garçon que sa mère avait tenu dans ses bras encore un instant de plus.
Pour pouvoir la retrouver - où qu'elle soit en cet instant - et lui dire qu'il était désolé, désolé d'avoir suivi ce père horrible dans ce monde de magie plutôt qu'être resté avec elle dans ce monde empli de simplicité et de joie. Sans magie mais bien plus merveilleux à ses yeux maintenant âgés. Eux qui avaient appris à distinguer la beauté.
À cet instant fatidique, Evan eut un mouvement infime de recul, et au même moment il entendit une détonation. De la magie pure et vive, qui se ruait vers eux, une magie qu'il reconnut sans mal, accompagnée d'une voix qui criait quelque chose qu'il ne comprit pas mais qu'il devina être un avertissement. Envers le monstre qui avait essayé de mettre fin à ses jours.
Une voix inespérée. Celle d'un héros. Du Héros.
Harry Potter venait de sortir de son refuge, il ne tremblait pas. Pourtant Evan était certain qu'autant que lui, Potter connaissait la souffrance. Qu'il y avait autant de rage et de peur dans leurs deux cœurs. Il était capable de la reconnaître comme une amie qui lui aurait fait une infidélité en s'acoquinant avec l'ennemi.
Ils étaient si différents et pourtant si similaires. Lui, Potter et la douleur.
Evan Diggory s'écroula, la Manticore se dirigea vers Potter. Attirée par lui, par son manque de tremblements, par sa magie furieuse et inutile, par sa force et son courage, par son cœur certainement bien meilleur. Et Evan ne put que rester là, le visage dans la boue fraîche, à regarder Harry James Potter se battre pour les sauver, pour les protéger, lui et Thomas Gaunt.
Dans la neige à moitié fondue, dans la terre molle et dégoûtante, sous ce ciel brumeux et sale, il n'y avait rien de beau. Pourtant Evan Diggory avait envie de sourire. Une envie nerveuse et irrépressible de sourire d'une façon dont il ne l'avait jamais fait.
Il était toujours en vie. Et quelque chose dans la manière dont Potter, sans arme, se démenait lui disait qu'il le resterait. Parce que la manière dont Potter se battait ressemblait au ballet.
Comme celui qu'il avait vu au premier et dernier spectacle où il avait aperçu sa mère danser en tant que ballerine. Ce même jour où, après la mort de son fils légitime, Amos était venu le chercher en Russie. Ce jour sinistre où sous la lumière crue des projecteurs de la salle de spectacle, il avait abandonné sa seule véritable famille pour découvrir une magie qui n'avait définitivement rien à envier à la vie qui en était dénuée. À la danse, au bonheur simple d'une vie moldue.
Rien à envier aux esquives et aux attaques précises que portait Potter face à une créature infatigable qui n'attendait qu'une faiblesse de sa part pour planter ses crocs et ses griffes dans sa chair et la déchirer, la dévorer.
Ce jour-là, Evan Diggory resta conscient presque contre sa volonté, il vit sans comprendre chaque chose qui se déroula sous ses yeux. Il comprit que Potter n'avait rien du chevalier en armure rutilante que le monde voyait en lui. Potter était un monstre, sombre et torturé, l'habituel méchant, qu'on s'était amusé à enfermer dans un carcan brillant, un costume qui s'effritait à mesure du temps qui passait.
Harry était un monstre qui se battait pour ne pas en être un aux yeux des autres. Pour rester ce chevalier illusoire qu'on aimait à imaginer combattre le mal. Mais c'est probablement parce que l'horreur, la haine, la terreur et le mal lui-même l'habitait que Potter était capable de l'affronter sans même trembler. Le Diable n'avait pas peur de quelques démons. Surtout s'il devait se mesurer à lui-même chaque jour qui passe pour vivre parmi les anges.
Épaulé par ce qui semblait être un autre démon, le Diable ne pouvait que réduire les diablotins qui se présentaient à lui à des corps froids et sans vie.
Evan comprit la valeur de celle-ci, de la vie. Il comprit la valeur de la force qu'on pouvait déployer pour la conserver. Il fut témoin de tant de violence, de douleur et de souffrance qu'il eut l'impression que la sienne fut aspirée hors de son corps et réduite à rien. À néant. Laissée sur le banc, quelque part entre l'orée de la forêt et les pentes âpres et rugueuses du Mont Greylock. Sa douleur à lui, après avoir été témoin de la leur, n'était rien. Il en était libéré.
Il la voyait à présent comme une déraison. Une hérésie, une folie qu'il n'aurait plus jamais la prétention de pouvoir brandir comme excuse pour vouloir mourir. S'il avait eu un jour mal, alors il n'imaginait pas à quel point ils devaient souffrir.
Gaunt et Potter. Ceux qui, pendant qu'il était resté inactif et inapte à subir son existence, souffraient pour vivre.
De ce jour jusqu'à son dernier souffle, Evan Diggory associerait à jamais la notion d'être en vie à ces images. Elles le hanteraient et grâce ou à cause d'elles, il pourrait se détacher et cesser de vivre dans l'ombre du spectre qu'était Cedric Diggory.
Se comparer à un mort était difficile, le faire à des êtres vivants était plus dur encore. Cependant, Evan ne pourrait plus faire autrement, pour aller de l'avant, il lui fallait une raison de se battre. Et il l'avait. Vivre et les dépasser, eux. Rejoindre sa mère et s'excuser. Avouer à son père ce qu'il pensait de lui et de ses idées.
Pour ne pas avoir à rougir face à Potter et Gaunt. Il les dépasserait. Pas en matière de magie, de force ou même de courage, pas pour devenir un chevalier ou le monstre qu'il combattait - fut-il à l'intérieur de lui-même - mais pour dépasser ça. L'image de l'amour qu'ils avaient l'un pour l'autre. Leur volonté de vivre, de survivre. Pour pouvoir prétendre aux mêmes valeurs. Celles qui permettaient à Harry de se relever même quand tout était perdu, à Thomas de croire en lui, même lorsqu'il était en proie à la terreur.
Ce jour-là Evan fut le premier témoin de la véritable nature des pouvoirs d'Harry Potter. Un être rongé de l'intérieur qui, au comble du désespoir laissait sa rage l'envahir et détruire ce qui le menaçait. Retenu seulement par la main secourable d'un semblable.
Potter était bien un chevalier mais il était aussi son propre monstre.
Et à ses côtés trônait probablement un autre monstre qui, désespéré, essayait de protéger le chevalier qui leur permettait de conserver une part d'humanité.
Evan était heureux d'être né palefrenier et non chevalier. Lui n'avait aucun monstre à abattre, il pourrait tout quitter demain et vivre en paix. Il était libre. Mais pour qu'il puisse vivre libre et en paix, il fallait bien quelques démons en armure, fiers et aventureux pour le sauver et combattre ceux d'entre eux qui étaient nés ni palefreniers ni chevaliers. Les monstres qui n'avaient pas le cœur d'être également des héros.
Ceux qui osent jeter sans honte une Manticore à l'encontre d'innocents.
Témoin de tout ceci sans en comprendre un tiers, Evan Diggory ne put qu'observer l'histoire se dérouler de la même manière que nous pouvons le faire.
Pour eux, tout commence quelques instants plus tôt.
§ Tom. Tom, réveille-toi ! Il y a quelque chose dehors. §
Lorsque Tom Elvis Jedusor ouvrit les yeux dans les bras d'un Harry Potter inquiet, son attention capturée par un ennemi nébuleux dont il ne ressentait que maladroitement la présence au-delà de la tente, il fut aussitôt sur ses gardes.
Contrairement à Harry, Tom avait la capacité et la sensibilité lui permettant de reconnaître une force ennemie.
Cela le percuta à l'instant même où il s'éveilla. Confus et parasité par la présence d'Harry auprès de lui, le mage noir comprit malgré tout le danger qui se profilait à l'horizon. Alors lorsqu'il entendit Potter lui dire qu'il y avait quelque chose dehors, il se redressa et siffla.
§ Ce quelque chose est une créature magique, une bien plus dangereuse que celles qu'on a affrontées hier. §
Pour une raison ou pour une autre, Potter ne le laissa pas s'éloigner de lui, ce qui provoqua chez Tom des émotions contradictoires. Le bonheur de pouvoir rester auprès de lui un instant de plus se confronta à l'insatisfaction qu'il ressentait envers la volonté claire qu'Harry affichait - sans même sans rendre compte - de le défendre.
De toute évidence, peu importe l'ennemi qui les attendait dehors, Potter avait pris la décision qu'il était celui qui se battait et lui, celui qui était protégé. Tom n'appréciait qu'à moitié l'idée. Son incapacité à se servir de sa magie ne faisait pas de lui une poupée de porcelaine. Il n'y avait aucune chance pour qu'il se brise en mille morceaux. Même si la pensée qu'Harry veuille le protéger était satisfaisante, elle l'irritait.
Le jeune Seigneur des Ténèbres décida de profiter de la situation, principalement car l'idée qu'Harry ait ce comportement inconsciemment l'amusait.
Il se pencha vers le Gryffondor et il lui souffla à voix basse alors que l'attention de celui-ci était toujours détournée par ce qui se passait au-dehors.
§ Tu comptes me tenir dans tes bras jusqu'à ce que je demande autre chose qu'un câlin ? §
Potter sursauta et le relâcha presque immédiatement, il balbutia dans un fourchelang à demi-conscient.
§ Je ne… Tu ? Ce n'est pas ce que… C'était pour que tu ne- §
Il se stoppa net, puis grogna en passant une main dans ses cheveux déjà complètement emmêlés. Les yeux plissés et l'air mécontent.
— Tu te moques de moi.
Tom ne put retenir un sourire de lui échapper, Harry était facilement perturbable au réveil. Même si ce n'était pas le moment de le taquiner, difficile de ne pas en avoir envie.
Harry regarda le mage noir se lever et continuer de lui sourire, visiblement de bonne humeur. Ou plutôt de cette humeur joueuse et infernale. Humeur qui se manifestait à chaque victoire que Jedusor remportait, contrebalançant bien souvent une crainte ou une appréhension. Sa manière à lui de se rassurer à ses dépens.
Ici, il était évident que Tom appréhendait ce qui les attendait à l'extérieur, tout comme lui. Et pour l'empêcher de rentrer dans le schéma de pensées qui l'avait tenu éveillé toute la journée d'hier, le mage noir tentait, à sa manière, de lui montrer qu'il n'était pas effrayé. Qu'il n'avait pas besoin de sa protection.
Bien qu'en définitive ce soit le cas. Tom aurait besoin de lui jusqu'à ce que ses bracelets anti-magie lui soient retirés. Potter s'était enfoncé cette réalité dans le crâne et rien ne pourrait la lui retirer.
Harry laissa de nouveau son regard se diriger vers l'entrée de la tente et il demanda, autant pour lui-même que pour avoir une réponse.
— Qu'est-ce qu'on fait ?
Jedusor lança un coup d'œil lui aussi puis il lui indiqua.
— En temps normal, il aurait été plus prudent d'attendre à l'intérieur en renforçant les protections.
Puis il se tourna vers lui et ajouta.
— Mais je me doute que ça ne te convient pas. Tu ne perçois certainement pas sa présence mais un autre sorcier fait face à la créature en ce moment et il est en posture difficile.
À peine Tom avait-il fini sa phrase qu'Harry était déjà habillé, prêt à y aller, baguette au poing, l'expression déterminée. Jedusor l'arrêta une seconde avant qu'il ne franchisse l'entrée de leur refuge. Il précisa en saisissant son épaule.
— Ce qui est dehors pourrait être un piège, cette créature a peut-être reçu pour consigne de nous traquer et de nous attaquer. Le sorcier au-dehors n'est pas un allié.
En ces lieux, il n'y avait personne qui fût de leur côté mais comme il s'y attendait, le jeune Seigneur des Ténèbres obtint pour toute réponse.
— Et alors ?
Et Harry lui adressa ce regard déterminé et inflexible qu'il avait parfois et qui signifiait qu'il ne le ferait pas changer d'avis, que sa décision était prise et qu'il allait combattre même s'il devait le faire pour un ennemi. Énervant lion sans peur qui préfère foncer tête baissée dans les ennuis sans même regarder derrière lui.
Alors Tom n'ajouta rien, il regarda le dos Potter alors qu'il s'éloignait pour faire face au danger et lui emboîta le pas. Quittant la tente où ils avaient dormi avec une sensation désagréable au cœur et au corps. Un frisson qu'il ne réussit pas complètement à associer à un sentiment précis. Un regret ? Une vieille appréhension qui lui soufflait chaque instant de bonheur précède ta souffrance.
Le Seigneur des Ténèbres l'ignora et ne ralentit pas. Les combats d'Harry Potter seraient les siens aujourd'hui et jusqu'à la fin.
Même s'ils paraissaient perdus d'avance.
Deux sorciers, dont un dénué de ses pouvoirs, face à une créature cruelle… une créature de légende, la Manticore. Réputée invulnérable.
Harry eut moins d'une seconde d'ahurissement face à l'ennemi avant de relâcher la magie qu'il peinait à retenir pour la propulser face à elle et détourner son attention du jeune Diggory, champion de Durmstrang, qu'elle comptait dévorer.
— RELÂCHE-LE !
Le monstre se tourna vers eux et leur adressa un sourire rempli de dents, longues et pointues, couvertes d'un liquide qui ressemblait à un mélange écœurant de salive, de sang et de venin.
La bête ignora complètement sa dernière victime pour se diriger vers eux et le vent tourna à cet instant précis pour apporter avec lui la puanteur qui se dégageait de l'immense lion décharné au visage d'homme et à la queue de scorpion qui venait dans leur direction.
Malgré son apparence squelettique et affamée, le lion, la Manticore plutôt, se rappela Harry en se souvenant d'un cours, paraissait posséder des muscles puissants et le moindre de ses pas marquait une profonde empreinte dans le sol où la neige qui était tombée dans la nuit avait commencé à fondre pour former un amas boueux et glissant où se déplacer paraissait difficile.
Encore sous le coup de la surprise, Harry agit par instinct en se déplaçant presque immédiatement pour que le monstre n'ait pas accès à Tom qui était derrière lui.
Les Manticores n'étaient pas réputées pour abandonner facilement leur repas et bien qu'elles soient douées de parole, Harry se doutait qu'entamer une conversation avec le monstre pour le persuader de rebrousser chemin ne le mènerait nulle part alors il fit la seule chose qu'il se sentait capable de faire.
Attaquer avant qu'on ne s'attaque à lui.
Se battre était instinctif pour le Survivant bien qu'il aspire à ne plus le faire, son corps agissait par intuition dans un combat et il se retrouva rapidement emporté, incapable de penser à autre chose qu'à la prochaine attaque, à la prochaine esquive, au prochain sortilège qu'il essaierait pour neutraliser l'ennemi.
La seule pensée à peu près consciente qu'il conserva fut qu'il devait éloigner le monstre de Tom qui n'avait aucun moyen de se défendre.
Protéger. C'était son fer de lance et l'Élu ne permettrait plus jamais qu'on prenne quelqu'un de cher à son cœur.
Au début du combat, il réussit. Probablement parce que le monstre le testait sans y aller trop sérieusement, probablement parce qu'il s'était souvenu que les Manticores n'étaient pas sensibles à la magie et que pour les atteindre, il devait utiliser sa magie sur son environnement, ce qui l'entourait, plutôt que sur la créature elle-même.
Si bien qu'il réussit, en affaissant le sol, en renversant quelques arbres, en utilisant métamorphose et d'autres formes de magie moins directes que celles qui lui étaient plus instinctives, à se maintenir à distance. À maintenir un périmètre de sécurité entre la bête et Tom.
Le monstre semblait avoir parfaitement compris que le jeune Seigneur des Ténèbres ne pouvait pas se servir de sa magie et il avait jeté son dévolu sur lui plutôt que sur Harry qui ne pouvait qu'essayer de l'en éloigner.
Sauf que la Manticore était infatigable et qu'elle ne peinait pas à franchir les obstacles qu'il lui destinait, même un glissement de terrain ne lui faisait rien, si bien qu'Harry sentit sa magie réagir. En conséquence au danger qui se rapprochait inexorablement, elle se fit plus présente autour de lui, plus instable. Le temps passait et elle redevenait ce qu'elle avait toujours été. Une abomination instable qui le dévorait de l'intérieur.
La raison pour laquelle Harry ne voulait plus se battre était qu'il savait que le combat changeait sa magie en une boule sombre et opaque qui palpitait comme un second cœur dans sa poitrine.
Ne pouvant la restreindre alors qu'il était contraint à s'en servir, le Gryffondor se retrouva bientôt à user de sortilèges et de malédictions qui, sur la peau épaisse des Manticores, n'avaient pas d'effets.
Sa magie corrompue ne pouvait que lancer des sortilèges bruts et sans subtilités.
Même s'ils étaient d'une violence inouïe, ils ne lui servaient à rien. Si ce n'est qu'à surprendre la Manticore, peu habituée à voir tant de magie être utilisée.
Très vite la distance qui le tenait hors de portée de la bête disparue et leur face à face se fit plus périlleux et mortel. Harry fut rapidement à la portée des griffes et des crocs de l'animal.
Animal qui avait compris que pour dévorer la proie inoffensive, il se devait déjà de blesser celle qui pouvait se débattre.
À partir de ce moment tout alla très vite, Harry combattit en utilisant ses réflexes plus que sa magie mais si face à un autre sorcier sa condition physique était avantageuse, face à une créature beaucoup plus grande et forte que lui, elle ne faisait que retarder l'échéance.
Un seul coup était suffisant, la Manticore n'avait aucune pitié et dans un assaut d'une rapidité inégalable, elle fonça, tête la première vers sa proie. Harry fut renversé, le choc était si fort qu'il sentit une douleur fulgurante lui traverser la poitrine alors qu'un craquement sinistre témoignait qu'un de ces os venait de se casser net.
Le Gryffondor se retrouva prisonnier sous le monstre, qui, la gueule béante, s'apprêtait à lui porter un coup fatal.
Le cœur battant, étourdi par la douleur, Harry était à peine assez conscient pour avoir peur, mais il le fut assez pour entendre le cri qui suivit.
— HARRY !
La voix du Seigneur des Ténèbres eut pour effet de chasser tout étourdissement de son corps, Harry se débattit et réussit, au prix d'une blessure qui le ralentit aussitôt, à se libérer de l'emprise du monstre.
Trébuchant, le sorcier constata sans mal qu'il souffrait d'une profonde griffure quelque part entre son épaule gauche et sa gorge, ce n'était pas passé loin.
La Manticore s'arrêta, le jaugea du regard puis se détourna de lui, se dirigeant vers sa seconde proie, celle qui ne pouvait pas se servir de sa magie. Elle préférait dévorer celui-là le premier, pour faire souffrir puis courir le second qui avait les capacités de se défendre.
Le monstre, de nature particulièrement cruelle, était content de la manière dont les choses se déroulaient. Persuadé que la perte de sang et la peur qu'il avait infligées au sorcier derrière lui, lui laisserait assez de temps pour s'attaquer au second, il se mit à chantonner en avançant vers son futur repas.
Jusqu'à ce que quelque chose d'inhabituel ne le perturbe.
La Manticore jeta un coup d'œil lent derrière elle, cessant toute chanson à l'instant où elle vit quelque chose qu'elle n'avait jamais vu.
Le sorcier derrière elle se tenait toujours debout, dans la même posture où elle l'avait laissée, mais sa magie… ou ce qui ressemblait à de la magie, émanait librement de son corps dans une aura colorée et envahissante.
Brusquement oppressante, menaçante et si colorée, si lumineuse, que dans le paysage gris, sombre et poisseux, elle paraissait rayonner avec tant d'énergie qu'elle en devint aveuglante, effrayante.
Tom sut à cet instant, malgré sa situation alarmante - lui qui avait essayé en vain de détruire ses bracelets anti-magie durant le combat entre Harry et la Manticore - que son compagnon était à deux doigts de perdre la maîtrise de sa magie. Blessé et inquiet, Harry perdait le contrôle de ses restrictions. Les précieuses barrières qu'il avait érigées pour diviser sa magie trop puissante.
Malgré la menace qu'était la Manticore, pour Jedusor la priorité était que son âme-sœur garde une certaine maîtrise, pour ne pas franchir le point de non‐retour. Il craignait d'être blessé mais il avait davantage peur de ce qu'il se passerait si cette bête devant lui en réveillait une autre, une que rien ni personne ne pourrait stopper.
Il était impuissant, pour la première fois depuis sa petite enfance, Tom se sentait désarmé, faible et incapable.
Alors il siffla, puisqu'il ne pouvait faire que ça pour que Harry retienne sa magie.
§ Ne la laisse pas te dominer, tu n'as pas besoin d'elle ! §
Elle ne te sauvera pas. Pas ici, pas aujourd'hui.
La Manticore se retourna vers lui en penchant la tête, n'ayant pas compris l'étrange langage dans lequel le second sorcier s'était adressé à celui qui était anormal.
Potter releva la tête vers lui et Tom sentit quelque chose de froid et rugueux se répandre dans ses veines, un sentiment de panique… Les yeux d'Harry n'étaient pas verts, ni sombres comme il avait l'habitude de l'être lorsqu'il était soucieux, ils abordaient un éclat blanchâtre, pâle et effrayant.
La Manticore, qui n'avait que faire de la situation et qui ne comprenait ni le fourchelang ni l'enjeu de ce qui était en train de se dérouler, se décida à tuer le plus jeune et le plus faible des deux sorciers, comme elle l'avait prévu de prime abord et elle se jeta sur le garçon dépourvu de magie.
Tom sentit à cet instant précis une chaleur se répandre dans son cou, puis le collier qu'il portait se brisa en repoussant le corps gigantesque et bestial du monstre loin de lui. Sonnée, la bête eut besoin de quelques secondes pour se relever, feuler, grogner et cracher.
Sauf qu'à cet instant un autre hurlement, qui ne venait pas de la Manticore, raisonna dans la forêt. Un cri qui était à peine compréhensible, dans un mélange étrange de fourchelang et d'anglais.
§ NE lE ToUChe pAs ! §
Harry ne savait plus vraiment ce qu'il faisait ou disait, sa magie lui échappait complètement et ça lui faisait tellement mal qu'il ne ressentait même plus la douleur qui aurait dû être la sienne, il ne savait pas où il était blessé, il avait mal à l'intérieur. Et la vue du collier brisé aux pieds de Tom, alors que celui-ci avait l'air effrayé, eut le don de faire sauter les limites qu'il imposait à ses pouvoirs.
Il les sentait bouillir en lui, trop longtemps retenu, cela faisait presque vingt-quatre heures qu'il peinait à les maintenir à l'intérieur. C'en était trop. Une partie encore légèrement consciente de lui, lui ordonnait d'arrêter cette folie, de cadenasser sa magie et de s'écrouler comme l'aurait fait n'importe quel autre sorcier. Une autre hurlait qu'il pouvait agir, qu'il en avait le pouvoir et cette autre partie entrait en résonance avec sa volonté de protéger Jedusor.
C'était son rôle, dans cette épreuve, dans ce monde, il n'y avait que lui pour le protéger, il n'y avait que lui qui ait le droit de juger ou condamner ses actes. Tom Elvis Jedusor, Lord Voldemort n'avait que lui, il était sous sa responsabilité et si Harry appartenait au Seigneur des Ténèbres alors Voldemort était à lui et il ne permettrait à quiconque ni à quoi que ce soit de lui faire du mal. Il était le seul à en avoir le droit.
Ces pensées embrouillées et obsessives ne semblaient pas être les siennes tant elles étaient intenses et pourtant il ne pouvait s'en débarrasser, s'en détacher. Elles le possédaient, l'empêchaient de récupérer le contrôle qu'il savait avoir perdu.
La Manticore, confuse mais furieuse et butée, retourna à l'attaque, bondissant une seconde fois vers Jedusor.
Tom garda les yeux ouverts, rempli d'horreur et d'appréhension, pas par peur de mourir, pas face au monstre qui l'attaquait, son regard était dirigé derrière la bête. Là où Potter se tenait encore il y a quelques secondes.
Celui-ci était dorénavant devant lui et le temps que Tom constate la disparition et la répartition d'Harry, c'était arrivé. La Manticore avait profondément planté ses crocs dans le corps de l'Élu.
Le mage noir était juste derrière, à quelques centimètres à peine de la gueule du monstre, Tom comprit que cette mâchoire l'aurait dévoré vif si Harry n'était pas intervenu. S'il n'était pas actuellement penché contre lui, couvert de sang, entre les mâchoires d'un monstre mangeur d'hommes. S'il n'avait pas pris ce coup à sa place, c'est lui qui serait mort.
Plusieurs craquements et bruits de mastication, d'effusions de sang, rendirent son esprit paralysé et abruti par l'horreur. Tom n'osa pas croiser le regard de son âme-sœur, par peur d'y trouver l'incarnation de sa plus grande peur. La mort elle-même.
Cependant, Harry Potter n'était pas mort.
La Manticore tenta d'arracher le bras de celui-ci pour le dévorer en extirpant ses crocs de son épaule déjà broyée par l'attaque.
Et comme dans un cauchemar, un traumatisme qu'il revivrait certainement des milliers de fois après celle-ci, Tom vit une magie multicolore, magnifiquement et affreusement présente épouser leurs deux corps avant de se teinter de noir. Cette couleur affreuse qu'il se jura de haïr.
Elle s'assombrit de plus en plus. Manifestant la vie qui coulait toujours dans les veines du héros, du chevalier qui avait perdu ses couleurs et qui n'avait désormais plus qu'une arme pour se battre.
S'il faut mourir aujourd'hui, alors je préfère mourir libre. Déchargé de ses liens qui m'emprisonnent, qui me font souffrir. Si pour te sauver, je dois être un monstre, je préfère ça que de te voir périr.
La magie pure et instinctive, belle et cruelle, s'incarna et se déploya dans la forêt qui les entourait. Les flux se mêlèrent les uns aux autres, comme des milliers de parties distinctes retenues par des barrières invisibles qui auraient cédé. Pour se fondre les unes dans les autres. Pour prendre une ampleur inimaginable. Déferlant dans le vent devenu silencieux.
Le monstre comprit à cet instant qu'il n'était plus le chasseur mais la proie, la proie d'une chose beaucoup plus néfaste. Une chose que nulle créature ne voulait provoquer.
Il la relâcha et se tapit dans l'ombre, les oreilles à l'arrière et l'air apeuré, il tenta de fuir ce qui ressemblait à peine à un être humain et qui se tenait devant lui mais peine perdu, il n'y avait pas d'ombre où se cacher face à l'incarnation même de l'obscurité.
La Manticore hurla et supplia l'anomalie qui se dressait devant elle.
— PITIÉ !
La chose ne le laissa pas partir, un hurlement affreux, mélange d'agonie et de rage traversa la bouche de l'Obscurial et la seconde d'après la Manticore s'écroulait au sol, morte. Le corps recouvert de marques particulièrement reconnaissables.
À cet instant, le silence qui survint fut assourdissant. Tom avait la vue brouillée, il se rendit compte après un instant qu'il n'entendait plus rien d'une oreille et en y posant sa main, il vit avec horreur que celle-ci était pleine de sang, sang qui ne lui appartenait pas. Il ne souffrait pas. Presque pas, si la douleur affreuse liée à la terreur et à la panique sourde et froide qui venait de faire repartir les battements de son cœur comptait pour quelque chose.
Il releva la tête avec lenteur, laissant sa main couverte de sang retomber contre son flanc. Et il essaya de ne pas complètement perdre la raison en voyant la silhouette sombre, à peine humanoïde qui se tenait debout de dos quelque part devant lui.
L'Obscurial n'était pas sous sa forme complète et totale d'Obscurus, il semblait à mi-chemin entre deux. Comme si malgré le manque complet de contrôle, il restait une partie consciente d'Harry capable de conserver une forme presque humaine. Concentrant la part la plus grande de la magie qui lui échappait en cette forme instable.
L'Obscurial se pencha au-dessus du cadavre de la Manticore et il tendit le bras vers elle, ce qui eut pour effet immédiat de réduire le cadavre encore à peu près reconnaissable à un tas de membres informe.
Après ça, il resta là à regarder le cadavre démembré comme s'il attendait qu'il se relève pour attaquer.
Tom, à moitié conscient, ne sut pas ce qui le poussa à agir mais ses cordes vocales s'agitèrent pour siffler les mots suivants.
§ Elle est morte. Elle ne peut plus te faire de mal. Ni à toi ni à moi. §
Harry, ou ce qui restait de lui, se tourna vers lui à ce moment-là, ses yeux blancs le dévisagèrent un instant, puis tout à coup l'Obscurus se plia en deux en sifflant.
§ Mal... ! §
Ensuite le lien entre eux s'ouvrit avec une brusquerie et une violence inégalée, Tom n'avait jamais ressenti les émotions de Potter que faiblement, comme s'il y avait un voile qui les rendait plus fragiles, plus tenues que ses propres émotions. Ce n'était plus le cas du tout. La douleur était insoutenable.
Il se tordit lui-même de douleur, c'était plus douloureux, bien plus, qu'un Doloris. Ça faisait autant mal que lorsqu'il avait arraché et découpé son âme en deux. Mais cette douleur n'était pas complètement sienne et il le savait.
Malgré sa propre instabilité, il savait qu'il devait faire quelque chose pour ramener Harry, avant que ce ne soit trop tard et qu'il ne puisse plus agir. Déjà la douleur de leur lien l'empêchait de réfléchir, si ça empirait, il ne pourrait le supporter. Et laisser Harry seul, dans cet état, était inenvisageable.
Il tenta de se rapprocher, l'Obscurial le laissa faire, se redressant pour le regarder, impossible de savoir si Potter était conscient de l'état dans lequel il était ou s'il agissait seulement par instinct, entièrement contrôlé par la fureur de ses pouvoirs libérés.
Jedusor s'écroula près de lui, terrassé par la douleur, la terreur et l'horreur, il tenta d'abord de faire parvenir par le lien l'assurance, fausse et fabriquée de toutes pièces, que tout irait bien. Parce que, avec incohérence, le Seigneur des Ténèbres se dit que transmettre un sentiment de sécurité, qui dirait qu'ils n'étaient plus en danger, pourrait aider Harry à reprendre un minimum le contrôle, sauf que ça ne fonctionna pas.
Les émotions factices ne fonctionnaient évidemment pas et Tom était bien incapable de rendre réaliste un sentiment qu'il n'éprouvait pas réellement. Il n'était pas rassuré, il ne se sentait pas en sécurité, il avait peur et il avait mal et il voulait que ça cesse. C'étaient ses émotions véritables et dans un moment d'égarement, c'est celles-ci, fortes et effrénées, sans limites, qu'il retransmis à travers le lien.
Ce genre d'émotions qui pourraient nourrir et faire grandir n'importe quel Obscurus et c'est peut-être ce qui serait arrivé, si l'Obscurial en face de lui n'avait pas été Harry.
La masse sombre à forme humaine se pencha vers lui, s'accroupit à sa hauteur et tendit une main vers lui, vers son visage et Tom entendit être sifflé.
§ Mal… ? §
Le Seigneur des Ténèbres se rendit compte qu'il pleurait et que l'Obscurial tentait de faire cesser ses larmes en posant sa main, instrument mortel, sur sa joue.
Tom sentit son cœur être réduit en miettes et ses pleurs empirèrent malgré lui, et brusquement, alors qu'il se sentait complètement impuissant, la magie assombrie qui se dégageait du corps d'Harry commença à retrouver des couleurs, à se dissoudre. Elle se résorba progressivement et retourna à l'intérieur de la poitrine de son possesseur. Possesseur qui retrouva complètement et intégralement visage et forme humaine.
Tom regarda avec ébahissement Harry se pencher vers lui et déposer ses lèvres contre les siennes en lui soufflant d'une voix éteinte.
§ Je hais te voir pleurer. §
Puis il chuta dans ses bras, son haut déchiqueté et les plaies encore béantes qui déchiraient son épaule finirent de tâcher ses vêtements mais Tom n'y prêta pas attention. Harry était inconscient et grièvement blessé mais vivant. Ensanglanté mais entier. Comme si l'Obscurus ne s'était jamais manifesté. Le Seigneur des Ténèbres ne put que le serrer dans ses bras et sangloter sans pouvoir s'arrêter.
À suivre…
