Chapitre 43 : Ultimatum pour l'avenir

Bonjour ! :) Me voilà avec un chapitre particulièrement long que j'ai beaucoup retravaillé ! Ça fait tellement longtemps que je suis dessus que je ne suis plus vraiment objective le concernant. Je n'arrive pas à savoir s'il est bien équilibré ou pas. En tout cas, c'est un chapitre assez important pour la suite ! J'espère qu'il vous plaira et j'ai une question à vous poser, n'hésitez pas à me répondre après votre lecture. Comment pensez-vous que Tom va réagir ? Je suis curieuse de savoir comment vous imaginez la suite (même si elle est déjà planifiée de mon côté xD) !


Le salon de la maison des Tiare n'était pas accueillant. Il ne possédait pas de canapé confortable, de jolies tapisseries ni même de fauteuils au coin de la cheminée. Il ne détenait qu'une longue table à l'allure trop sérieuse qui avait certainement servi pour des réceptions trop cérémonieuses. La cheminée était ancienne, large et imposante, située en bout de table, derrière la dernière chaise, comme l'aurait été une porte d'entrée ou de sortie.

C'était là que Severus et Ulrich déjeunaient et dînaient midi et soir. Cette cheminée était la seule reliée au réseau de cheminette de la maison alors elle servait aussi d'échappatoire. C'était un point de ralliement, une fuite salvatrice ou un bienvenu à la maison. Parfois les trois à la fois.

Ce salon adoptait l'image de ses occupants. Dansant entre l'ardeur des braises mourantes de la cheminée et l'aura pesante les étreignant. Le seul élément qui égayait quelque peu l'atmosphère écrasante des lieux était la lumière rampante du chandelier suspendu. L'exception lumineuse dans un univers ombrageux.

Exception témoin de l'échange silencieux de deux ombres qui n'avaient jamais été sur un pied d'égalité. L'une détrônant l'autre inévitablement.

Peu importait comment la situation tournait, ces deux-là étaient toujours emprisonnés dans un rapport de forces. De dirigeant à subalterne. De Maître à serviteur. De Seigneur des Ténèbres à Mangemort.

Ça ne pouvait être autrement pour Lord Voldemort et Severus Rogue. Assis face à face, séparés uniquement par la largeur de la table.

Le Maître des potions avait passé la dernière demi-heure à sermonner Potter et Jedusor pour leur inconscience. Chacun à leur tour, il les avait envoyés se doucher et maintenant, il souhaitait traiter de la raison pour laquelle il était rentré plus tôt aujourd'hui.

Harry Potter était encore sous la douche, ce qui avait créé la situation présente. Severus se trouvait isolé avec le Seigneur des Ténèbres. C'était ce qu'il recherchait.

En temps normal, il aurait évité que cela ne se produise et aurait demandé à Ulrich de rester à ses côtés. Il n'y avait rien de plus périlleux que d'affronter Jedusor sans appui. Sans soutien, sans garde-fou. Rogue savait qu'il se penchait dangereusement au-dessus du vide, sans attache.

Le mage noir n'avait aucune raison de faire des efforts de civilité lorsqu'il n'y avait ni Potter pour le surveiller ni auditeurs pouvant le dénoncer.

Jedusor évoluait en toute liberté. Les crocs à découvert, son aura puant la magie noire et infectant l'air sans retenue.

Rogue commençait à réaliser à quel point ce jeune homme en face de lui deviendrait plus effrayant encore que Voldemort lui-même.

Gaunt était une version du Seigneur des Ténèbres capable de réfléchir et d'agir en conséquence. À tout moment celui-ci pouvait décider que le Maître des potions était une gêne pour Potter et lui, puis le tuer. Facilement, de sang-froid et sans remords.

Jedusor représentait un danger grandissant. Si Potter ne faisait qu'émettre l'idée de vouloir posséder n'importe quoi, un objet, un pays, le monde même, nul doute que Voldemort irait lui offrir sur un plateau d'argent. Peu importe ce qu'il devrait faire pour l'obtenir.

Harry avait demandé à pouvoir parler et voir ses amis. Et Jedusor avait créé une association dangereuse entre un sortilège de communication à distance et des runes particulièrement instables pour contenter les désirs de Potter. Que serait-il arrivé si le Gryffondor lui avait suggéré d'assécher l'océan Atlantique pour pouvoir se rendre à Poudlard à pied ?

Peu importe à quel point l'idée paraissait folle. Il aurait pu lui demander n'importe quoi, le Seigneur des Ténèbres aurait acquiescé et cherché un moyen de le lui donner.

C'était affolant . Potter avait l'équivalent d'une arme de destruction massive entre les mains et il l'ignorait complètement. Gaunt était pire qu'une arme. Puisqu'il avait la capacité de prendre des décisions. De choisir pour deux ce qui serait le mieux. Pour le moment il se tenait correctement, désirant l'approbation de Potter, son affection plus que tout. Mais s'il ne l'obtenait jamais ? Ou jamais de manière aussi totale qu'il le voulait, que se passerait-il ?

Si Potter ne laissait pas Jedusor se repaitre de sa présence comme le monstre assoiffé qu'il était, que deviendrait ce monstre ?

Jedusor dévorerait Potter puis se consumerait de rage.

Voilà comment Severus Rogue voyait le garçon en face de lui. Peut-être son avis était-il faussé par le passé mais il ne pouvait empêcher le constat qui s'imposait à lui. Voldemort n'était plus là. Il s'était fait bouffer par une version plus jeune. Un psychopathe obsessionnel. Instable, désirant amour et affection de la part du seul être ayant de l'importance à ses yeux obscurcis par la violence et la douleur.

Comme c'est romantique…

Rogue se retint de grimacer face au sarcasme de ses propres pensées. Le problème de l'ironie c'est qu'elle ne faisait qu'enrober la vérité sous une couche crasse d'humour.

Se placer consciemment seul face à au Seigneur des Ténèbres c'était comme se tenir debout sur la rambarde de la Tour d'astronomie, le corps penché vers le vide. Rogue avait le choix entre chuter et affronter ce gouffre ou s'enfuir et risquer que le gouffre lui-même ne l'attrape avant qu'il ne puisse se cacher.

Severus choisit la chute.

Actuellement, Jedusor était un jeune homme désirant plus que tout au monde que l'objet de ses attentions le regarde un peu plus longtemps. Juste une seconde. Et encore une. Encore plus. C'était une idée fixe.

Ça pouvait jouer en sa faveur.

Jamais Rogue ne pensait un jour qu'il utiliserait l'obsession maladive de Voldemort pour obtenir quelque chose de lui.

C'est avec cette pensée qu'il demanda.

— Vos recherches ont-elles avancé ?

Jedusor le regarda d'abord comme s'il était un insecte trop bruyant, dérangeant ses pensées. Puis il jugea de l'importance de sa question et lui asséna, froidement.

— Il y a davantage de chances pour que je découvre la formule de l'élixir de jeunesse éternelle.

Ça criait non et c'était censé clôturer la conversation. L'élixir de jeunesse éternelle était une recette de potions mythique, qui n'existait pas et que même Nicolas Flamel n'aurait pas réussi à dénicher. Gaunt n'avait pas envie de lui parler, il comparait la recherche de solutions pour leurs Obscurus à la recherche d'une chimère, du Graal. Cela en révélait assez sur l'état d'esprit du mage noir. Il avait échoué et son désespoir le forçait à vouloir garder un œil constant sur Harry de peur qu'il ne se change tout à coup en Obscurus sans qu'il ne puisse rien faire pour l'en empêcher.

L'absence de Potter ne datait que de quelques minutes. Pourtant il était évident que le Seigneur des Ténèbres s'impatientait. Rogue s'attendait presque à ce que Jedusor décompte à voix haute chaque seconde supplémentaire qu'il passait loin de son double.

Ils n'étaient séparés que par quelques dizaines de mètres. Les laisser continuellement ensemble depuis l'attaque n'avait pas été une bonne idée. Tom Jedusor avait développé une dépendance physique dès leur première rencontre et elle s'était accrue.

Harry Potter avait failli mourir. Forcément, Jedusor était misérable à l'idée qu'on le lui retire encore. Il était exactement comme un enfant privé de son jouet préféré. Si on ne lui rendait pas bientôt sa colère serait inconsolable, incommensurable.

Sauf que cet enfant avait la puissance de raser une ville entière sous l'influence d'une grosse colère.

Rogue voulait que la conversation avance alors il précisa, tentant de se montrer compréhensif.

— Potter ne va pas se dissoudre sous l'eau de sa douche, détendez-vous.

Ça sonnait comme une raillerie et c'en était une dans le but de faire réagir le garçon mais c'était aussi sincère, le Gryffondor n'était pas en danger. Rien n'allait lui arriver entre les murs de cette maison.

La provocation fonctionna, le mage noir lui accorda toute son attention. Il lui siffla quelque chose que Severus ne comprit pas puis il ajouta dans un anglais parfait.

— Devrais-je aller vérifier ?

Pris à son propre piège, Severus faillit s'étouffer avec sa salive. Il pâlit en essayant de ne pas penser à ce que sous-entendait cette phrase dans la bouche du Seigneur des Ténèbres.

C'était de la provocation. Jedusor lui adressa un rictus moqueur puis il précisa plus sérieusement, ses yeux s'assombrissant.

— Il me jetterait dehors. Vous n'avez aucune raison de vous inquiéter, professeur.

Rogue ne savait pas s'il devait s'inquiéter du fait que Jedusor fut sérieux à ce sujet ou être soulagé à la pensée que Potter n'avait vraisemblablement pas cédé aux avances du Seigneur des Ténèbres.

La possibilité que Potter puisse un jour céder au mage noir était complètement exclue de l'esprit de Severus. Il ne l'envisageait pas. Ni aujourd'hui ni jamais.

Comme pour contredire ses pensées, Gaunt ajouta.

— Il ne m'a pas donné de réponse. Ce qui signifie qu'il n'a pas refusé ma déclaration. Je lui ai promis d'attendre.

Était-ce censé le rassurer ? Severus se sentait de plus en plus mal, il n'aimait pas du tout l'orientation que prenait cette conversation. Il ne voulait RIEN savoir de la relation entre Potter et Voldemort.

Savoir que le Seigneur des Ténèbres avait fait une déclaration était déjà trop pour lui. Il ne voulait pas l'imaginer. Il ne voulait même pas savoir ce que Gaunt entendait par déclaration.

Jedusor semblait parfaitement conscient de son état de malaise, il l'utilisait contre lui. Pour occuper son monde terne en l'absence d'Harry.

Ou peut-être que le Seigneur des Ténèbres essayait de lui montrer que Potter lui appartenait. Il défendait son territoire. Lui criant, il est à moi. Tenez-vous à l'écart.

Voldemort était un homme fanatique. Jedusor serait pire.

Rogue ne voulait pas aborder ce sujet avec le mage noir. Il ne voulait même pas y penser. S'il devait avoir cette conversation, il l'aurait avec Potter. Seul à seul de préférence. Pour lui expliquer que laisser Jedusor croire qu'il avait une chance avec lui était une mauvaise idée.

Le Seigneur des Ténèbres le dévisagea un instant puis il ajouta avec mépris.

— Vous êtes un homme borné. Il est inutile de préciser que je ne lui veux aucun mal. Vous semblez persuadé que je lui en ferai quoi qu'il advienne.

Severus fronça les sourcils, voulut rétorquer mais le mage noir ne le laissa pas ouvrir la bouche. Sa présence était écrasante.

— Harry vous apprécie et vous fait confiance. Vous êtes utile alors ça me convient mais je ne vous laisserai pas vous mettre entre lui et moi. Est-ce assez clair, professeur ?

Rogue ne put rien répondre. La magie présente dans la pièce lui permettait à peine de respirer. Il ne réussit qu'à déglutir. Le prénom de Potter sonnait terriblement familier dans la bouche du Serpentard.

Jedusor ne le regardait même plus. Il guettait les escaliers par lesquels le Survivant était censé revenir vers lui. Les secondes s'écoulèrent et Gaunt parut de plus en plus inattentif à sa présence.

Le Maître des potions jugea qu'il devait s'exprimer avant d'être incapable de le faire. Craignant de perdre complètement l'attention du mage noir.

— Dans une semaine tout au plus monsieur Potter aura retrouvé sa mobilité et l'intégralité de ses pouvoirs.

Les yeux sombres du Seigneur des Ténèbres descendirent lentement vers les siens. Celui-ci ne lui répondit rien, attendant. Peut-être même que le mage noir savait depuis le début où les mènerait cette conversation et qu'il ne faisait que retarder l'échéance.

— Lorsqu'il en sera capable, ni vous ni moi ne pourront l'empêcher de les utiliser.

Jedusor ne le contredit pas, Rogue poursuivi.

— D'après vous, que se passera-t-il à ce moment-là ?

L'expression sur le visage du Seigneur des Ténèbres s'assombrit encore et Rogue sut qu'il se déplaçait dangereusement sur la ligne à ne pas franchir. Pour éviter de la dépasser il laissa le mage noir s'habituer à l'idée. Ils connaissaient tous les deux la réponse à cette question.

Une fois qu'un Obscurial avait fait appel à ses pouvoirs le retour en arrière n'était plus possible. La magie de Potter ne serait plus jamais comme elle l'était auparavant. Faire le deuil de cette idée était nécessaire pour eux. Pour qu'il puisse avancer. Jedusor avait fait des recherches infructueuses et ils n'avaient pas de temps à perdre à en faire d'autres. Ils devaient agir. Préparer Potter mentalement pour que le choc ne le détruise pas. Si Harry apprenait sa nature d'Obscurus violemment, il se transformerait et risquerait de mourir dans les heures qui suivraient. Ça ne devait pas arriver.

Rogue y réfléchissait nuit et jour depuis l'attaque. Il n'avait trouvé qu'une solution viable. C'est cette solution qu'il tentait d'exposer à Jedusor. Parce que le Seigneur des Ténèbres était de son côté même si cette idée lui était repoussante. Gaunt sacrifierait n'importe quoi pour garder Potter. Ils étaient dans le même camp.

— Écoutez, je ne suis pas votre ennemi et encore moins celui d'Harry. Vous savez comme moi que fermer les yeux sur la situation et espérer que Potter soit capable de brider ses pouvoirs une fois rétabli n'est pas une solution. Il n'y a aucune chance pour que cela arrive.

Les bougies s'éteignirent, les fenêtres tremblèrent autour d'eux. Severus Rogue prit la décision d'ignorer les signes de la fureur du Seigneur des Ténèbres. Il fallait que Gaunt soit capable d'accepter la réalité. Même si elle lui faisait mal au cœur. Lui aussi souffrait, ce n'était agréable pour personne. Jedusor devait l'accepter.

Le Maître des potions se leva, ferma les yeux un instant et plaça ses mains contre la table pour avoir quelque chose de solide sur lequel s'appuyer et s'acharna, face au sorcier le plus puissant de sa génération.

— Vous avez une semaine. Je vous laisse sept jours pour amener les choses de la manière dont vous le souhaitez. Harry Potter devra connaître la vérité sur sa magie dans une semaine. Si ce n'est pas le cas et qu'il n'est pas conscient de la dangerosité de ses pouvoirs d'ici là. C'est moi qui lui annoncerais et je ne suis pas réputé pour ma clémence. Je lui dirai tout ce qu'il doit savoir et je lui révélerai également votre lien.

C'était une menace. En menaçant Jedusor de révéler leur lien à Potter, Severus savait qu'il franchissait la ligne. Il ne souhaitait pas réellement que Potter sache que Lord Voldemort était son âme-sœur mais c'était un point de pression sur lequel il pouvait appuyer et le Seigneur des Ténèbres le savait.

Gaunt voulait que Potter n'ait pas peur de ce lien entre eux, peut-être même souhaitait-il en donner une image positive à Harry avant de lui dire la vérité. C'est pour ça que le potionniste le menaçait en utilisant ce point de pression.

Jedusor voulait être aimé par Harry. Si Potter prenait conscience de leur lien dans de mauvaises conditions, Thomas Gaunt le perdrait. Jamais Harry Potter ne se permettrait de tomber amoureux d'une version antérieure de sa propre âme si on lui exposait la situation aujourd'hui.

Si vous lui dites pour l'Obscurus vous pouvez garder le lien secret. Sinon, je lui dévoile toute la vérité d'un coup. Sans le ménager.

Le sous-entendu était clair.

Severus reprit son souffle, terrifié par ses futures paroles et leurs répercussions.

— Croyez-moi, vous préférez que ce soit vous plutôt qu'Aglibert Fontaine. Il est libre. Le MACUSA a décidé qu'il n'était pas responsable de la présence de cette Manticore. Ils reprennent les rênes du tournoi des Trois Sorciers et ce seront eux qui choisiront où et comment se dérouleront les prochaines épreuves, c'est la seule peine qu'a obtenue Fontaine après son procès.

Les fenêtres explosèrent en un millier d'éclats, le chandelier s'écroula sur la table qui se brisa en deux comme une brindille et Severus Rogue se retrouva cloué au sol, Tom Jedusor se tenait au-dessus de lui, sa baguette contre son front brillait d'une couleur verte particulièrement désagréable à regarder.

Le salon de la famille des Tiare était plongé dans les ténèbres où la lueur de la mort miroitait, réfléchie par les centaines de morceaux de verre et de cristal qui jonchaient le sol.

Tom transperça l'esprit du Maître des potions avec une menace sifflée dans la langue des serpents. Rogue comprit qu'il avait été trop loin, qu'il s'était laissé emporter et que la fragilité mentale du mage noir ne lui permettait pas d'être brusqué comme il l'avait fait. Il risquait sa vie sur ce coup-là. Il serait mort pour Potter il y a quelques mois, sa résolution restait inchangée.

Il ferma les yeux pour oublier les reflets verdâtres et déclara, tentant péniblement de ne pas céder à la peur de mourir.

— Ma mort ne vous apportera rien. Ça ne changera rien.

Potter risque de perdre son contrôle plus vite, voilà tout ce que vous gagnerez. Il ne comprendra pas pourquoi vous m'avez tué, il va s'éloigner de vous. Pour ne pas le perdre vous lui avouerez toute la vérité. Il perdra la maîtrise fragile de ses pouvoirs en l'apprenant et vous n'aurez rien gagné. Vous allez tout perdre. Nous sommes dans le même camp, j'essaie de vous aider.

Rogue laissa ses pensées transparaître, abattant ses boucliers d'Occlumens. Jedusor devait accepter de ne pas avoir le contrôle de la situation. Il devait accepter l'inévitable. Harry Potter ne pouvait continuer à brider ses pouvoirs pour l'éternité, ce n'était pas une solution viable. Ça ne faisait qu'augmenter la puissance déjà abyssale de son Obscurus. Il courait à sa perte.

Dans le silence angoissant, Severus sentit des gouttes d'eau tomber sur son visage et se figea. Il savait pertinemment d'où elles venaient et quel goût elles auraient sur sa langue.

Les larmes du Seigneur des Ténèbres étaient pire qu'une menace de mort. Elles lui laissèrent des traînés brûlantes sur le visage comme si elles étaient faites d'acide.

Il n'eut pas de sanglots étouffés. De paroles entrecoupées, de hoquets. Il n'eut rien d'autre que des larmes acérées et le silence trop épais. La magie du sorcier noir avait arrêté ses ravages, le chaos ne pouvait plus le consoler.

Rogue resta immobile, les yeux douloureusement fermés refusant d'apercevoir encore le visage du monstre de son passé, trop humain lorsqu'il exprimait ses peines.

L'instant parut durer des heures entières avant que le Seigneur des Ténèbres ne le relâche et se relève.

Le Maître des potions n'osa faire aucun mouvement, il n'expira ni n'inspira pas. Figé dans l'attente, les yeux clos.

Finalement Jedusor lui siffla, un sifflement bas et rauque, à peine sur la bonne fréquence.

— S'il doit l'apprendre, ce sera par ma bouche.

Rogue lâcha un souffle tremblant. Il avait réussi. Il avait gagné. Il ignorait si ce serait suffisant pour protéger Potter. Il ne savait même pas si c'était une bonne idée de prendre le directeur de revers et de révéler la vérité au Survivant en douceur plutôt que de le laisser la découvrir et la haïr. Mais c'était leur seule chance. La seule voie qui ne paraissait pas mener Harry Potter vers la mort.

Si Potter savait quel était son ennemi, il pourrait apprendre à le combattre. Il ne deviendrait pas un Obscurial dépourvu de conscience s'attaquant à chaque forme de vie existante.

Première étape, faire accepter la réalité en douceur à l'Obscurial. Deuxième étape, faire en sorte que l'Obscurial en question apprenne à maîtriser ses pouvoirs sans les laisser dévorer sa force vitale. Troisième et dernière étape, empêcher le reste du monde d'apprendre l'existence de cet Obscurial.

Le plan de Severus Rogue était d'une simplicité déconcertante et il avait toutes les chances d'échouer mais c'était le seul plan valable en leur possession. Ils devaient agir.

Lorsque Harry Potter revint de sa douche, la pièce avait repris une allure normale. Jedusor avait insonorisé le salon avant de se jeter sur lui et le Maître des potions était prêt à parier que le mage noir aurait même eu des explications convaincantes à donner à Potter pour expliquer sa soudaine disparition s'il l'avait tué ce soir.

C'était sa réalité, son quotidien. Danser avec le Seigneur des Ténèbres en priant pour revenir vivant.

Tant que la musique continue. Cette mélodie n'avait pas de nom, certains auraient aimé l'appeler prophétie mais Severus trouvait cela aussi bête que de croire au destin. C'était son choix. Cette musique, cette danse, il avait fait le mauvais choix et désormais il en affrontait les conséquences.

Fussent-elles mortelles.

À son arrivée, Harry examina consciencieusement Jedusor. Lorsqu'il avait ressenti un torrent d'émotions d'une violence édifiante déferler à travers leur lien, il s'était dépêché de terminer de s'habiller, ce qui n'était pas facile avec son bras gauche immobilisé.

Il s'attendait à découvrir qu'un événement horrible était advenu mais Tom se tenait debout en face de Rogue et les deux hommes étaient parfaitement silencieux. Comme des statues de cire, figée l'une en face de l'autre. Ils ne paraissaient pas blessés. Seulement un peu secoués. Comme s'ils s'étaient disputés sans le son. Sans même bouger.

— Vous n'êtes pas en train de vous battre ?

Suspicieux, le Gryffondor contourna le Maître des potions pour regarder la pièce, rien ne paraissait cassé ou en désordre, il lança un regard inquiet à Jedusor, en fit de même envers Rogue et celui-ci se racla la gorge et grinça.

— Pourquoi vouliez-vous que nous soyons en train de nous battre ? Vous êtes parti un quart d'heure, Potter. Nous pensez-vous incapables de tenir quinze minutes seuls à seuls sans nous menacer ?

Harry plissa les yeux avec méfiance, Rogue était un très bon menteur mais le lien ne le trompait jamais, Tom s'était senti menacé et y avait réagi.

L'Oiseau-tonnerre retourna son attention vers le mage noir, pas convaincu par le potionniste. Le lien lui transmettait encore de la colère mêlée à une forme de résignation emplie de rage. Ça fait mal.

Tom lui retourna son regard et le lien s'apaisa un peu. Jedusor s'approcha de lui jusqu'à ce qu'il puisse poser une main dans ses cheveux en sifflant.

§ Ils sont humides. Tu risques d'attraper froid. §

La seconde suivante, Harry sentit un courant d'air chaud sécher ses cheveux et sa peau. Il n'avait pas pris la peine de le faire, il ne pouvait utiliser ni sa magie ni ses deux bras alors il se débrouillait sans.

La main que Tom avait glissée dans ses cheveux descendit jusqu'à sa nuque et le mage noir le tira à lui. Il agrippa sa taille de son autre bras et enfouit son visage contre son cou.

Harry, surprit, perçut sans mal les tremblements infimes qui le parcouraient. Il lui rendit maladroitement son étreinte et sentit la présence de Rogue s'effacer.

L'homme avait décidé de les laisser seuls. Peut-être fuyait-il parce qu'il se sentait coupable ou ne voulait-il pas les voir si proches l'un de l'autre. Le lion ne savait pas laquelle de ses deux possibilités était la plus probable.

Lorsque la présence de leur professeur s'estompa complètement, il siffla.

§ Tu veux m'en parler ? §

Harry savait qu'il s'était passé quelque chose mais il ignorait quoi, il s'était dit que Tom voudrait peut-être lui expliquer. Rogue avait fui, il ne lui restait que cette solution pour comprendre ce qui se passait. Il se demanda si ça avait un rapport avec la bêtise de cet après-midi ? Le Maître des potions leur en voulait-il à ce point pour le sortilège de communication ? Ou était-ce en lien avec ce qui s'était passé sur le Mont Greylock ? Cette attaque dont cauchemardait Tom chaque nuit depuis qu'ils étaient ici…

Jedusor ne lui expliqua rien, il le garda contre lui et souffla dans son cou.

§ Restons comme ça encore un moment. §

Leur lien n'était qu'un mélange confus de peine, de colère, de désespoir et de peur. Sa poitrine lui faisait mal. Harry souffla la seule réponse capable d'apaiser leurs deux cœurs.

§ D'accord. On reste comme ça. §

Ils demeurèrent immobiles dans ce salon, jusqu'à ce que leurs corps s'engourdissent et ne soient plus capables de les garder debout.

Le lendemain matin, Ulrich Tiare les découvrit endormis dans le coin entre le mur et la cheminée. Potter assis dos au mur, Jedusor pendu à son cou comme un naufragé. Ils dormaient si profondément que son arrivée par cheminette ne les réveilla même pas. Potter fronça seulement les sourcils dans son sommeil et Jedusor se déplaça de manière à entraver les jambes du Gryffondor.

Tiare soupira en laissant un sourire sans joie lui échapper. Il devina sans mal que Severus avait mis son plan à exécution. Ce qui n'expliquait pas pourquoi les garçons dormaient dans le salon.

Ils paraissaient sains et saufs, c'était déjà ça.

Il hésita à les réveiller puis décida qu'il n'avait aucune envie de devenir l'ennemi public numéro un sur la liste de Thomas Gaunt alors il les laissa dormir. S'arrangea pour que la cheminée dégage assez de chaleur pour qu'ils n'aient pas froid et il partit à la recherche de son confrère pour lui demander des explications. Croisant les doigts pour ne pas retrouver Severus inconscient ou blessé dans un coin de la maison.

— Dis-moi, tu aimes la magie ou tu la détestes ?

Harry entendait une voix enfantine dans sa tête. Une voix qu'il avait déjà entendue auparavant. Elle lui demandait sans cesse s'il aimait la magie. C'était la voix d'un petit garçon. D'un enfant encore très jeune. Puisqu'il n'obtient aucune réponse de sa part, le petit garçon lui dit.

— Je l'aimais beaucoup mais elle ne m'aimait pas. Elle ne m'a jamais aimé. J'ai essayé très fort mais la magie ne voulait pas de moi. J'étais triste. Papa était furieux. Je suis tombé malade… et j'ai disparu. Tout est de ma faute. J'aurai dû l'aimer plus fort. Je la déteste. J'aurai dû l'aimer plus fort.

La voix se tut, les phrases s'embrouillèrent et puis elle répéta encore.

— Tu aimes la magie ou tu la détestes ?

Harry ne savait pas si on lui posait la question ou si la voix ne faisait que se questionner soi-même. Il tenta de répondre mais lorsqu'il ouvrit la bouche, ce sont ses yeux qui s'ouvrirent et il se réveilla.

Les yeux grands ouverts sur le salon, haletant, il inspira et expira profondément. Une silhouette floue quitta la table et s'approcha de lui, elle lui tendit quelque chose et lui siffla.

§ Tu as fait un cauchemar ? J'aurais dû te réveiller quand je me suis levé. §

Harry attrapa l'objet, qui se révéla être ses lunettes et la première chose qu'il vit nettement fut les yeux de Tom qui le détaillait avec attention. Derrière lui, la lumière des fenêtres du salon brillait, grisâtre mais rayonnante.

Le visage de Tom et la lumière rassurante de l'extérieur lui fit oublier son étrange rêve et le lion s'étira en baillant. Son corps tout entier était fourbu, comme s'il avait passé la nuit dans une machine à laver.

Toutefois la douleur à son épaule était de moins en moins handicapante. Potter se demanda s'il ne pouvait pas lever le sort d'immobilité sur son bras, il avait hâte de pouvoir le bouger de nouveau. Ça le démangeait.

Il tenta de se relever sans l'utiliser, en déclarant.

— C'est déjà le matin, on a passé toute la nuit ici.

Pas étonnant qu'il ait mal partout, dormir sur le parquet n'avait jamais été une bonne idée, ici comme ailleurs. Peu à peu, les souvenirs d'hier lui revinrent en tête et la raison de cette nuit passée sur le sol le percuta et il retourna son attention sur le jeune Seigneur des Ténèbres, le dévisagea attentivement et lui demanda.

— Comment tu te sens ?

Les yeux de Jedusor passèrent successivement du noir au rouge sans jamais vraiment se stabiliser et Harry eut sa réponse. Pas besoin d'en obtenir une à l'oral. Le visage de Tom était assez expressif pour Harry qui commençait à connaître par cœur chaque variation de ses expressions. Il n'allait pas mieux.

Se sentant démuni, l'Oiseau-tonnerre ne sut quoi dire ou faire pour que cela s'arrange. Il se décida à ne pas aborder le sujet pour le moment et il proposa.

— Petit-déjeuner ?

Jedusor lui adressa un sourire imperceptible et se décala. Derrière lui, le petit-déjeuner était déjà préparé et les attendait.

Ils s'installèrent côte-à-côte face aux fenêtres et mangèrent dans le silence jusqu'à ce qu'Harry tente de sortir le mage noir de ses sombres pensées.

— J'imagine que Rogue est parti et que Tiare le remplace ici ? Je vais en profiter pour écrire à Hermione et lui envoyer ma lettre avec le hibou du professeur Tiare.

Rogue ne lui aurait peut-être pas refusé mais Harry n'aurait pas osé le lui demander après le sermon de la veille sur son irresponsabilité. Il n'était pas irresponsable. C'était un concours de circonstances qui avait mené à une petite imprudence, c'est tout.

En plus il n'y avait même pas eu de blessés, franchement pas de quoi se mettre en colère. Rogue était trop sévère. Harry lança un coup d'œil aussi discret que possible à son voisin et remarqua que Tom avait les yeux rivés sur lui, la tête posée entre ses bras croisés sur la table.

Harry se mit à tousser, s'étouffant avec la tartine qu'il était en train de manger à grandes bouchées. Il reprit son souffle après avoir vidé son verre.

— Tu sais que ça ne se fait pas de fixer les gens quand ils mangent ?

Jedusor sembla trop sérieux en lui sifflant.

§ Je ne regarde que toi. §

Harry sentit son cœur rater un battement dans sa poitrine et il abandonna, soupira profondément et termina son petit déjeuner. Puis il voulut se lever pour aller chercher de quoi écrire pour pouvoir envoyer sa lettre mais au moment où il s'y apprêtait, le petit-déjeuner disparut pour laisser place à son matériel.

Tom était resté complètement immobile. Il venait de réaliser plusieurs informulés simultanément sans faire le moindre mouvement et il le regardait de la même manière qu'auparavant comme si ce n'était pas lui qui avait réalisé les sorts, la patience du lion s'effondra. Il gronda.

— Tu comptes être comme ça toute la journée ? Tu ne vas rien me dire sur ce qui s'est passé ?

Harry était patient. Il avait consolé Jedusor une bonne partie de la nuit, il s'était même écroulé de fatigue et avait dormi dans le salon. Il était patient mais il avait ses limites. Si Jedusor comptait ne rien lui dire alors il n'avait pas le droit de le regarder comme ça. Comme s'il détenait le pouvoir de l'aider mais ne faisait rien.

Bien sûr qu'il ne pouvait rien faire puisque Tom ne lui avait même pas expliqué quel était le problème !

Son petit éclat sembla secouer un minimum l'ex-Seigneur des Ténèbres puisque celui-ci lui demanda tout à coup.

— Tu étais content lorsqu'on t'a appris que tu étais un sorcier ?

Harry fit les yeux ronds, ne comprenant pas vraiment d'où sortait cette question. C'était soudain et ça ne pouvait pas avoir de rapport avec la dispute entre Rogue et Jedusor, si ?

Il se souvint avoir fait la promesse à Tom de répondre à toutes ses questions sur son passé alors il n'eut pas le choix.

Potter se remémora sans mal son onzième anniversaire. Les lettres de Poudlard explosant dans la cheminée des Dursley, la folie qui avait pris son oncle, leur voyage pour nulle part, dans l'unique objectif de perdre l'expéditeur des lettres. La cabane au milieu de la mer. Le cadran phosphorescent de la nouvelle montre de Dudley qui indiquait minuit et Hagrid, le demi-géant qui, dans la tempête, était venu jusqu'à lui en barque pour abattre la porte de la cabane, lui annoncer qu'il était un sorcier et bouleverser son existence.

C'était le plus bel anniversaire de sa vie. Jamais il n'avait été aussi heureux que ce jour-là.

Harry répondit sans la moindre hésitation, souriant en se souvenant de cette journée particulière.

— Mon oncle et ma tante me l'avait caché. Je l'ai appris peu de temps avant ma rentrée à Poudlard, c'était le jour de mon anniversaire. Le plus beau jour de ma vie. J'étais tellement heureux d'être un sorcier.

Le regard de Tom se fit si intense qu'Harry se retint d'avoir des mouvements parasites. Comme gigoter sur sa chaise ou se frotter le front. Au lieu de ça, il soutint le regard du mage noir jusqu'à ce que celui-ci ne lui demande en se redressant.

— Et aujourd'hui ?

Potter fronça les sourcils. Aujourd'hui, quoi ? Gaunt précisa et dans ses yeux des lueurs rouges flambaient les ténèbres.

— Tu as dit que tu étais heureux d'être un sorcier. Ce n'est pas le cas aujourd'hui ?

Harry sentit quelque chose de froid se répandre dans ses veines et geler son corps. Sa bouche s'assécha et s'ouvrit, il voulut crier qu'il était toujours content d'être un sorcier mais rien ne sortit. Sa voix n'obéit pas à sa volonté.

La voix enfantine de son rêve revint le harceler.

— Tu aimes la magie ou tu la détestes ?

À l'intérieur de sa cage thoracique, sa magie le griffa comme une bête enragée. Comme scandalisée, insultée par son silence. Harry sentit brusquement ses yeux le brûler. Comme s'il allait se mettre à pleurer et il se leva tout à coup.

Au prix d'efforts monstrueux, il réussit à retrouver assez de calme pour dire, en regardant partout sauf vers Tom.

— La magie est merveilleuse, le monde magique est… c'est chez moi. Je…

Harry ne réussit pas à dire qu'il était heureux d'être sorcier. Cela fit naître un sentiment de panique chez lui et sa magie commença à réagir. Il sentit ses doigts picoter, comme si de l'électricité s'y accumulait mais il savait que cette électricité n'en était pas. C'était les particules colorées de sa magie instable. Une main saisit l'une des siennes alors qu'il les regardait, ce qui eut le don de stopper l'escalade de sa perte de contrôle.

§ Excuse-moi. Je n'aurais pas dû demander. Tout va bien, ce n'est pas un problème. Essaie de ne plus y penser. §

La chaleur des mains de Tom lui fit l'effet d'un électrochoc et Harry ferma douloureusement les yeux. Il déclara en tentant de contrôler ses pouvoirs. Physiquement incapable de mentir, à lui-même comme aux autres.

§ Je n'aurais pas voulu être autre chose que sorcier. §

Il se devait la vérité.

C'était différent de dire qu'il était content d'en être un mais c'était la vérité. La plus honnête qu'il pouvait donner. La magie et le monde des sorciers ne lui avaient pas apporté que des joies mais il n'aurait échangé son existence pour aucune autre. Même les pires moments. C'était ce qu'il était. Un sorcier.

Tom parut le comprendre sans qu'il n'ait à s'expliquer puisqu'il siffla avec douceur en gardant sa main entre les siennes.

§ Je comprends. Lorsque j'ai su que je n'avais pas ma place dans le monde des sorciers, je l'ai haï. J'ai haï ma condition. Mon sang, mon nom, ma magie. J'ai haï tout ce que j'étais et tout ce que je n'étais pas. Je détestais les moldus. J'exécrais le monde dans lequel j'étais né et l'espoir que j'ai eu lorsqu'on m'a permis de le quitter n'a fait que renforcer ma déception envers le rejet de ceux que j'avais imaginé être mes semblables. Personne ne t'oblige à être heureux d'être né sorcier. §

Jedusor attrapa son bras plus fermement et le guida vers leurs chaises puis lorsqu'ils furent de nouveau assis, il lui désigna les parchemins et l'encre. Pour l'inviter à écrire sa lettre, se changer les idées. Oublier sa question.

Harry jugea que c'était ce qu'il avait de mieux à faire, il s'efforça de se concentrer sur le contenu de la lettre pour éviter que les mots de Tom ne tournent encore et encore dans sa tête.

Il n'était pas content d'être sorcier. Pourquoi ? Il aimait la magie. Il aimait ce monde. Il s'y sentait chez lui et, contrairement à Tom, les autres sorciers ne l'avaient pas rejeté. Non. Il l'avait adulé. Élevé au rang de héros. Qu'est-ce qui clochait chez lui ? S'il n'avait pas été un sorcier il serait resté chez les Dursley. Ça aurait été difficile. Mais, peut-être que… s'il n'était pas né sorcier, les Dursley l'auraient aimé ?

Il n'aurait pas eu à se battre. À souffrir. Il n'aurait pas vu ses parents et ses amis mourir. Sa magie n'existerait pas. Et ce qui n'existait pas ne pouvait plus lui faire de mal.

Harry aimait la magie mais n'aimait pas sa magie. Lorsqu'il le réalisa, sa plume lui échappa, il renversa l'encrier sur le papier et les crépitements colorés furent de retour autour de ses mains.

Il resta paralysé un long moment, sa main droite était complètement recouverte d'encre noire et les particules multicolores paraissaient, elles aussi, se parer de noir. Comme si l'encre déteignait sur sa magie.

Ou était-ce sa magie qui déteignait sur son corps ?

Avec brusquerie, Jedusor lui cacha les yeux avec son bras, le tira en arrière et entreprit de lui nettoyer la main. Il était pâle et paraissait encore plus désemparé que la veille au soir.

C'est à ce moment-là que Diligitis apparut.

Le petit serpent fut sur eux en un éclair. Babillant sur sa journée, leur racontant une chasse épique où il aurait failli attraper une buse à lui seul. Mais finalement l'oiseau avait réussi à lui échapper et il avait été obligé de faire demi-tour puisqu'il s'était trop éloigné de la maison. Sans attendre de réaction de leur part, il demanda comment avait été leur propre journée. Grimpant sur les épaules de Gaunt pour frotter sa tête triangulaire toute froide contre sa joue. Affectueux et vif.

Sa présence fit fondre l'angoisse qui ne faisait que rebondir entre les cœurs d'Harry et Tom.

Harry entreprit de raconter à Diligitis leur voyage astral à Poudlard ce qui eut pour effet de provoquer une excitation sans précédent chez le jeune serpent qui passa le reste de la matinée à leur demander des détails sur Poudlard. Y avait-il des serpents là-bas ? Était-ce plus grand qu'Ilvermorny ? Y avait-il des endroits pour chasser ?

Tom lui parla de la forêt interdite et toutes les créatures qui l'habitaient et Diligitis l'écouta avec fascination. Pendant ce temps, Harry réussit à écrire sa lettre et lorsqu'il eut fini, il entendit Diligitis siffler.

§ Diligitis viendra aussi ! Aller à Poudlard ensemble ! §

Jedusor tenta de calmer l'ardeur du jeune serpent.

§ Poudlard est une école. Une école pour apprendre la magie et à la fin de l'année scolaire Harry et moi serons diplômés nous n'aurons plus besoin d'aller à école. §

Diligitis parut affreusement déçu, il déclara en tournant son attention vers Harry, persuadé que celui-ci prendrait son parti.

§ Aller à l'école avec Harry ! §

Le Gryffondor ne put s'empêcher de sourire, il précisa.

§ Je suis sûr qu'on pourra y aller même lorsqu'on aura nos diplômes. Ne serait-ce que pour passer le bonjour à Hagrid et aux autres professeurs. Poudlard restera ma maison même si je n'y suis plus étudiant. §

Diligitis se rua vers lui pour s'enrouler autour de son cou en sifflant à quel point il était content et avait hâte d'y aller. Pour voir la forêt interdite et toutes les autres choses incroyables que Tom lui avait décrites.

— Si je ne savais pas ce que je sais, je serais probablement terrifié de voir ce serpent se jeter sur vous pour siffler de manière inquiétante comme il le fait.

Ulrich Tiare entra dans le salon en les saluant d'un signe de main, toujours souriant. Harry le salua en retour.

— Bonjour, professeur. Nous parlions de Poudlard et Diligitis nous faisait part de son envie d'y aller un jour.

— Oh ! Je vois, vous avez le mal du pays ? Severus m'a exposé votre petite expérience d'hier. Il était furieux !

L'homme éclata de rire, comme si la colère de Rogue était quelque chose de particulièrement amusant, avant d'ajouter.

— Vous allez passer vos diplômes à Ilvermorny et vous aurez une équivalence à Poudlard en rentrant, c'est bien ça ?

Potter acquiesça, Ulrich prit la décision de s'installer à table devant les garçons. Ignorant le regard noir du Seigneur des Ténèbres l'invitant à partir. Tiare commençait à s'habituer à l'hostilité de Gaunt. C'était presque amusant de le voir le fusiller du regard. Tant que Potter semblait vouloir converser avec lui, le Seigneur des Ténèbres ne le pousserait pas réellement dehors.

Le crotale quitta le cou de Potter pour venir s'enrouler autour du bras de Gaunt, sifflant dans sa direction.

Potter sourit et lui fit la traduction.

— Il dit que vous vous sentez bizarre mais qu'il aime bien vos écailles.

Ulrich rit et s'exclama.

— Un serpent intelligent ! Avec la traduction ça paraît moins effrayant, j'avais plutôt l'impression qu'il demandait : puis-je le mordre ?

Gaunt lui adressa un bref coup d'œil et précisa.

— Il ne vous mordra que si vous empiétez sur son territoire.

Ulrich reçut le message cinq sur cinq. Jedusor ne voulait pas qu'il s'approche davantage.

Potter comprit intuitivement que c'était le moment pour changer de sujet puisqu'il reprit la parole. Ulrich se demanda si l'Oiseau-tonnerre voyait clair dans le comportement de Gaunt ou si son instinct lui dictait la marche à suivre. Comme une boussole. Guidant l'ex-Seigneur des Ténèbres sur un chemin plus doux.

— Nous n'aurons plus beaucoup d'occasions de nous rendre à Poudlard une fois nos diplômes obtenus.

Tiare fronça les sourcils et demanda.

— Est-ce un problème ?

Potter sembla ne pas pouvoir répondre, il baissa les yeux vers la lettre qu'il venait d'écrire puis il dit, le regard rivé sur le papier noirci.

— Je ne sais pas. Je ne me suis jamais imaginé quitter l'école. C'est pour ça que j'ai accepté de faire une année supplémentaire lorsqu'on me l'a proposé.

— Je vois. Mon histoire est un peu différente mais tout comme toi je ne m'étais jamais imaginé quitter Ilvermorny un jour.

Potter releva les yeux vers lui et Ulrich sentit que c'était le bon moment pour lui dire, souriant de toutes ses dents.

— Depuis j'ai passé ma maîtrise, je suis devenu professeur et j'ai pu rester à Ilvermorny.

Potter le regarda avec de grands yeux et Ulrich comprit sans mal que le Sauveur du monde sorcier n'avait jamais imaginé ce qu'il pourrait faire après la guerre.

L'Oiseau-tonnerre n'avait probablement aucune idée du métier qu'il pourrait exercer, de l'endroit où il pourrait aller.

Tiare aboya presque.

— C'est bien joli d'avoir son diplôme mais ça ne sert pas à grand-chose si vous ne savez pas quoi en faire.

Harry Potter le détailla du regard et demanda.

— Vous voulez dire que je pourrais devenir professeur ?

Il n'y avait jamais pensé. Harry se rendit compte qu'il n'avait aucune idée du métier qu'il pourrait faire plus tard. En réalité, il s'imaginait toujours lutter pour vivre et jamais il ne se projetait vers l'avenir. Passer une maîtrise en Défense contre les forces du mal et devenir professeur à Poudlard ne lui était même pas venu à l'esprit.

Tiare lui adressa un grand sourire en faisant apparaître une tasse qu'il remplit de café.

— Ça ou autre chose. Vous en avez largement les capacités. Professeur, Auror, Langue de plomb et même Médicomage ou Magizoologiste. Vous pourriez même vous diriger vers la politique et faire carrière. Ou ouvrir une boutique ! Tout est possible. Faites ce qui vous attire le plus. L'important c'est que ça vous plaise. La famille Potter ne manque pas de fonds, vous pourriez certainement vivre sans avoir à travailler alors peu importe le métier, tant que votre activité vous plaît.

Ulrich fit un clin d'œil au garçon et plongea dans sa tasse de café. Après un moment, Potter s'exprima, semblant réfléchir à haute voix.

— Je ne suis pas sûr. J'ai l'impression que peu importe quel métier je choisirais le monde sorcier s'attendra à ce que je fasse autre chose. Qu'on me demandera toujours de… enfin vous savez…

Pauvre gamin. Sa vie lui a été dictée et il ne s'imagine même plus capable de liberté.

Ulrich perdit son sourire mais se força à rester optimiste en expliquant.

— Les gens autour de nous essayent toujours de penser à notre place ce qui serait le mieux pour nous. Ils jugent nos actes et parfois on a l'impression que quoi qu'on fasse, ils seront déçus. Je pense qu'il ne faut pas y prêter attention. Peut-être que le monde sorcier écrira deux ou trois articles si vous devenez… palefrenier dans une écurie à Hippogriffes ! Mais ils se lasseront bien vite et un jour ils ne penseront plus à Harry Potter le Survivant mais à Harry Potter le palefrenier et tout sera pour le mieux.

Le Maître des potions fit disparaître sa tasse et se leva avec le sourire. Époussetant la poussière invisible sur sa robe aux motifs extravagants et il les quitta en concluant.

— On affronte tous ces questions et ces problèmes un jour ou l'autre. Ne vous tracassez pas trop avec ça. L'important c'est de faire les choses pas à pas et de s'écouter. Et vous verrez, vous aurez mon âge en un clin d'œil et vous pourrez regarder le passé avec nostalgie.

— Vous n'êtes pas aussi vieux que ça.

Ulrich trouva la réplique particulièrement amusante.

— C'est vrai, je compte bien vivre deux siècles au moins ! D'ici là, je file préparer mes affaires pour la relève, Severus ne devrait pas tarder à rentrer.

Potter lui demanda s'il pouvait emprunter son hibou pour envoyer du courrier à Poudlard et Ulrich accepta, son oiseau risquait d'être absent pendant un long moment pour faire l'aller-retour mais ça ne le gênait pas, il n'envoyait jamais de courrier. Il avait acheté Rutilant, son hibou grand-duc, avec Severus l'année où ils avaient étudié ensemble dans l'objectif d'avoir un moyen de rester en contact lorsqu'ils se sépareraient. Ça ne s'était pas passé exactement comme convenu. C'était les aléas de la vie.

Tiare espérait que Potter cesserait de penser qu'il ne pouvait pas se tourner vers l'avenir. Pour qu'il puisse faire la paix avec son passé, peut-être fallait-il que le héros du monde sorcier puisse penser au futur. Ça paraissait être un bon début.

De loin et d'une oreille distraite, Ulrich Tiare entendit les sifflements reprendre. Ceux-ci l'accompagnèrent jusqu'à ce qu'il arrive dans son bureau. L'homme devina sans mal que le jeune Seigneur des Ténèbres et Harry Potter avaient une conversation sur ce qu'ils pourraient faire à l'avenir. Le professeur de potions souhaita qu'imaginer leur devenir les aiderait à affronter le présent avec moins de craintes. Que ces deux jeunes hommes qu'il tentait d'aider et de protéger auraient un futur empli de moments de joie et de paix. Qu'ils vivraient au moins un siècle et mèneraient une existence heureuse.

Peut-être était-ce un souhait irréaliste mais Ulrich comptait faire son possible pour le voir se réaliser.

Il fallut attendre le lendemain et la neige pour que les garçons sortent enfin de la maison. Sous une impulsion de Potter. Avec le désaccord de Jedusor.

Harry sentit un sourire incontrôlable le gagner. Ça arrivait de plus en plus souvent en ce moment. C'était la faute de Tom. Parce que le Seigneur des Ténèbres était malencontreusement quelqu'un d'attachant. Qui prenait trop de place. Dangereux et un peu effrayant mais touchant.

Parce qu'il l'avait accompagné dehors alors qu'il n'en avait pas envie. Qu'il se tenait devant lui, sous la neige, sa baguette à la main, son souffle formant des nuages de brumes éphémères devant sa bouche, envoyant des regards noirs à tout ce qui les entourait, comme s'il pouvait intimider les éléments naturels par sa simple présence. Ce qui était probablement le cas, à la réflexion.

Comme pour confirmer ses doutes, le mage noir lança un coup d'œil agacé au ciel lorsque le vent redoubla de fureur autour d'eux et tout à coup, il suspendit l'air. Comme on bloque le souafle au Quidditch. Comme si le vent n'était rien d'autre qu'une vulgaire balle qu'on venait de leur lancer à la figure. Créant autour d'eux une bulle de silence, douce et tiède. Anéantissant l'air froid sans difficulté.

Harry sentit son sourire se faire plus franc, Tom était du genre à passer ses journées à l'observer du coin de l'œil, comme s'il veillait constamment à ce qu'il ne soit pas trop loin de lui, persuadé qu'il s'évanouirait dans la nature s'il le quittait du regard plus de quelques minutes. Avec n'importe qui d'autre ça aurait été énervant au plus haut point et Harry était énervé, la plupart du temps. Mais être en colère contre Jedusor était parfaitement inutile, c'était comme verser une goutte d'eau dans l'océan. Ce qui l'avait mené à prendre la décision de ne plus s'énerver inutilement.

Il commençait à s'y faire. À la surveillance attentive du mage noir, à sa présence corrosive. Par la force des choses. Ce n'était pas naturel. Rien ne l'était entre eux. Tom l'aurait à l'usure.

C'était comme se battre avec les yeux, les gestes, les paroles échangées. Harry savait que les murs qu'il avait érigés entre lui et l'ex-Seigneur des Ténèbres n'étaient pas impénétrables. Tom s'amusait à les démonter brique par brique. De manière non conventionnelle. En réduisant en poussière les défenses, les barrières qui n'étaient pas censées être sautées.

Jouer dans la neige en faisait probablement partie. Ça devait être quelque part en haut de la liste. Celles des choses qu'il ne devait pas faire avant de mourir.

Ne pas inviter le Seigneur des Ténèbres à faire un bonhomme de neige.

Harry contrôla son envie de rire et agglutina davantage de neige de son côté en tournant le dos au jeune homme grincheux derrière lui.

Celui-ci continua de le regarder silencieusement, se retenant probablement de faire fondre toute la poudreuse visible sur un rayon de plusieurs kilomètres pour le forcer à rentrer. Harry paria avec lui-même que Tom avait déjà listé un nombre indécent de malédictions douteuses capable de réduire en cendres sa nouvelle activité. Allant du banal Incendio au Feudeymon en passant par le sortilège de Tempêtes de feu.

Après un moment, le mage noir siffla, mécontent.

§ Je ne comprends pas ce que tu trouves amusant là-dedans. §

Harry sentit son sourire revenir, il s'exclama, en frottant les flocons collés sur ses gants.

— Ça l'est. C'est parce que tu utilises la magie que tu ne trouves pas ça drôle.

— Je pourrais faire apparaître une statue de glace n'importe où, n'importe quand. Tu n'as pas besoin de faire ça.

— J'en ai envie. C'est justement parce que je n'en ai pas besoin que c'est amusant. On est restés enfermés pendant des jours, ça me fait plaisir de sortir.

Hier encore, ils avaient passé la journée à l'intérieur de la maison, d'abord pour écrire et ensuite pour s'interroger sur le métier qu'ils pourraient faire un jour. Y penser était libérateur. Même si ce n'était que des plans sur la comète. Songer au futur était nouveau pour lui, pour eux, et Harry trouvait cela stimulant.

Dans un geste large, il ramena la neige qu'il avait amassée contre lui, de manière à tenter de constituer une boule en utilisant son seul bras disponible, ce qui fut peu concluant puisque la neige s'écrasa contre son manteau et s'émietta en un tas informe qui ressemblait à tout sauf à une boule.

Il sentit le regard brûlant du mage noir sur sa nuque mais il l'ignora complètement en recommençant du début la manœuvre qu'il tentait d'exécuter depuis cinq bonnes minutes.

Beaucoup de neige s'était accumulée dans l'arrière-cour du jardin, il pourrait essayer une dizaine de fois sans problème. Il précisa, en sachant que c'était inutile.

— Tu peux rentrer si tu veux, je ne te force pas à rester. Je rentrerai dès que j'aurai fini.

Leur lien lui transmit une frustration grandissante et Harry y bouscula sans vergogne tous les sentiments positifs qu'il ressentait en étant au grand air, en train de faire quelque chose de lui-même, sans qu'on ne lui ait demandé au préalable. Juste parce qu'il s'était mis à neiger la nuit dernière et que c'était l'excuse parfaite pour enfin sortir de la maison.

Le Gryffondor savait que Tom ne rentrerait pas sans lui, même s'il lui demandait alors il s'était fait à l'idée que le Serpentard resterait derrière lui jusqu'à ce qu'il ait terminé même si celui-ci haïssait l'idée d'être dehors à ne rien faire. Ça l'amusait presque à vrai dire. Cela paraissait être une vengeance tout à fait satisfaisante pour les nombreux moments que Jedusor passait à le détailler du regard de façon déplacée.

Harry aimait l'idée de retourner les mauvaises habitudes de Gaunt contre lui. Tout en sachant que cela ne changerait rien, parce que Jedusor n'arrêterait pas pour autant d'agir comme il le faisait mais au moins, le lion s'accordait quelques victoires puériles. De celles dont il ne pourrait se vanter devant personne d'autre.

Ces derniers temps, Tom était tourmenté. Ça s'était empiré le soir où il l'avait laissé seul avec Rogue. Son attention sur lui était compulsive, Harry s'en était rendu compte et tentait à sa manière de communiquer des tout va bien. Pour améliorer la situation.

Parce que c'était le cas. Son épaule ne lui faisait plus mal du tout et même sa magie n'était plus douloureuse. Elle l'inquiétait parfois parce qu'elle paraissait ne plus être la même qu'auparavant mais elle ne le faisait plus souffrir. C'était plutôt agréable. Ça paraissait être une amélioration positive.

Il n'aimait pas sa magie mais elle ne lui faisait plus de mal. C'était honnêtement moins horrible que lorsqu'il se persuadait devoir l'aimer alors qu'elle le torturait.

Tout allait bien. Hermione allait certainement recevoir sa lettre bientôt, il était loin d'Ilvermorny et du directeur et par conséquent, des ennuis, il n'avait pas de cours, pas d'obligation, personne pour décider s'il était légitime d'être ou non le héros du monde sorcier.

Ici et maintenant, il était juste Harry, et il avait envie de faire un bonhomme de neige. Puis il prendrait un bain bien chaud et peut-être même qu'il pourrait proposer un jeu de société à Tom cette après-midi. Autre chose que les échecs, parce qu'il était lassé de perdre contre lui. Il était incapable de choisir une stratégie et de s'y tenir, Jedusor gagnait chacune de leurs parties sans le moindre effort.

Harry n'était pas naïf. Il savait que ces instants de paix ne dureraient pas toujours et c'est peut-être pour ça qu'il était déterminé à en profiter tout de suite. Sans attendre. Demain la neige aura fondu et il ne pourra peut-être plus jamais faire de bonshommes de neige.

C'était ce qu'il s'était dit en se levant ce matin.

Il ne se souvenait pas de la dernière fois qu'il avait pu en faire un. Peut-être était-ce lors de sa première année à Poudlard avec Ron et Hermione, transis de froid sous les yeux bienveillants du directeur. Ou alors en troisième année après avoir appris que Sirius Black était son parrain ? Ils s'étaient battus dans la neige, il s'en souvenait.

C'est en essayant de se remémorer comment il avait fait pour en faire un sans magie qu'Harry fut surpris de voir une paire de mains supplémentaires dans la neige.

Il releva la tête vers le possesseur de ces deux mains avec surprise, pour croiser les yeux flamboyants de Tom. Ils restèrent figés l'un en face de l'autre un instant avant que la bulle sans vent, sans bruit, à la température faussement tempérée, ne s'écroule autour d'eux. Comme s'effondre un château de cartes lorsqu'on cesse de le surveiller du regard.

Tout en manipulant la neige, Tom lui siffla.

§ Je n'utiliserai pas la magie. Montre-moi. §

Son bonhomme de neige devint le leur et Harry fut surpris de remarquer que Jedusor était probablement aussi mauvais avec ses deux mains que lui avec une seule. C'était la première fois de toute sa vie qu'il jouait dans la neige. Tom avait vécu plus de seize ans sans avoir passé un seul hiver à jouer dehors. Il avait vécu dans un orphelinat sans jouets ni jeux et il n'avait jamais eu le droit de s'amuser dans la neige. Aujourd'hui ils y remédiaient.

L'Oiseau-tonnerre guida Tom en lui indiquant la marche à suivre et leurs échecs répétés les firent rire, la neige semblait plus difficile à manipuler que la magie. Lorsque Jedusor fit mine d'utiliser ses mains alors qu'en réalité il utilisait un sortilège Harry se sentit obligé de l'en empêcher en le bousculant, le mage noir trébucha et s'écroula, réduisant leurs efforts à rien.

Harry avait éclaté de rire et Tom s'était vengé en lui envoyant une boule de neige en pleine figure, ils s'étaient battus un moment avant de tenter une nouvelle fois de réussir leur sculpture de neige.

Ils finirent complètement trempés et épuisés mais Harry ne se débarrassa pas de son sourire de toute la matinée. Voilà comment Tom malmenait ses résolutions, en passant l'intégralité de sa matinée couvert de neige, les joues rougies par le froid à l'aider sans raison valable. Autres que celles qui le poussaient à le poursuivre partout où il allait.

Ce matin-là, Tom aurait pu rester à côté de lui à attendre, enfermé dans ses pensées comme il l'était souvent. Il aurait pu faire fondre la neige pour obtenir gain de cause. Il aurait pu rentrer à la maison et le surveiller de la fenêtre comme le faisait probablement Rogue en ce moment.

Il aurait pu faire n'importe quoi d'autre sans qu'Harry ne lui en tienne rigueur mais il s'était agenouillé, avait échoué un nombre incalculable de fois à faire une boule de neige satisfaisante, avait triché, trébuché, s'était battu avait ri et le lien entre eux vibrait de chaleur et de joie d'une façon qui faisait dérailler sans cesse le rythme cardiaque du Gryffondor.

Ils avaient joué dans la neige comme des enfants et cela le rendait heureux au-delà de la raison.

Tom s'était tenu à ses côtés lorsque Harry s'était un peu éloigné pour contempler leur bonhomme de neige, qu'il trouvait tout à fait correct, finalement.

— Il est pas mal ! grogna le rouge et or en tirant sur son gant humide pour s'en débarrasser avec les dents.

Gaunt s'était rapproché de lui, les avait entourés d'une nouvelle bulle de chaleur factice et, avait répondu, jetant d'abord un coup d'œil à leur réalisation avant de river son regard sur lui. Son manteau et ses cheveux détrempés lui donnaient l'apparence de quelqu'un qui venait de se rouler dans la neige et Harry savait qu'il avait l'air encore pire.

— Parfait.

Parlait-il du bonhomme de neige ?

Harry décida que ça n'avait pas la moindre importance.

Il sourit en secouant sa main libre pour chasser la sensation de fourmillement, souffla et ajouta, comme pour marquer le point.

— Tu vois, c'était amusant !

Tom lui sourit en retour, un de ses sourires rares et sincères qui paraissaient toujours disparaître trop vite.

§ Effectivement. §

Lorsqu'ils rentrèrent, Rogue les dévisagea comme s'ils étaient des créatures particulièrement étranges qui se seraient échappées d'une réserve magique pour échouer dans son salon.

L'homme ouvrit plusieurs fois la bouche sans pour autant réussir à prononcer le moindre mot et Harry songea avec amusement que le Maître des potions ne pouvait décemment pas les réprimander parce qu'ils venaient de jouer dans la neige.

Il se retint de demander à l'ancien espion s'il trouvait leur bonhomme de neige réussi.

Néanmoins Severus les toisa avec fureur et consternation jusqu'à ce que l'heure du déjeuner arrive et qu'Ulrich se moque gentiment de l'expression sombre de son confrère.

L'homme fut le seul à apprécier à sa juste valeur leur chef-d'œuvre. Chef-d'œuvre qui resta intacte même après que la neige ait complètement fondu. Possessif, Tom avait enchanté leur réalisation pour qu'elle ne fonde que lorsqu'ils l'auraient décidé.

Le bonhomme de neige nargua Severus Rogue par sa simple existence des jours durant. Devenant une blague récurrente dans la bouche de Tiare qui l'avait surnommé avec humour le bonhomme de neige qui ne voulait pas disparaître.

Harry se sentait étrangement à sa place. Avec Tom, sous le regard amical d'Ulrich et celui plus strict mais tout autant bienveillant de Rogue. À l'abri des yeux indiscrets. Libre. En paix.

Cette sensation était vouée à s'effondrer. Il n'était pas libre et il ne serait jamais en paix. Harry le comprit pleinement le soir même. Lorsque, persuadé qu'il pouvait le faire sans problème désormais, il utilisa sa baguette malgré les avertissements répétés que lui avaient livrés les habitants de la maisonnée.

À suivre…


Réponses aux reviews des invités :

Cloptre : Merci beaucoup ! J'aime particulièrement écrire les sentiments et les ressentis de mes personnages. J'espère que cette suite t'aura plu ! :D