L'ENFANT-DEMON
Auteur : Stingmon. Pas de nouveau surnom pour le moment, mais une amie me dit que je ressemble à un panda TT.
Genre : Action/Adventure. Je vous JURE qu'il y aura un poème dans le prochain chapitre !
Disclaimer : Le manga Naruto s'appelle « Naruto » et pas « Gaara », donc le manga, et avec lui les personnages, ne peuvent logiquement pas m'appartenir. Elémentaire, cher lecteur.
Couple : Shukaku ne s'éprendra pas de sa nouvelle technique Juuinjutsu, ni d'une quelconque autre technique d'ailleurs.
Vote : Seth : 1 voix ; Sekhmet, Satan et Hydre : 2 voix
SEKHMET : J'm'ennuie…J'irais bien tabasser un Illustre.
SATAN : Dis, Hydre, tu crois que c'est bon à manger, les fourmis ?
HYDRE : Essayez de les bouffer par les narines et foutez-moi la paix, Satan-sama.
Réponse aux reviews : Vous savez, les anonymes, vous avez le DROIT de commenter ma fic, je mordrai personne XD. Un grand merci à Thealie, Yune-chan, Dragonwing, Aalynn, Baka-chan, Hitto-sama, Elava La Louve et bien évidemment Nadramon, qui pour une fois a eu suffisamment de charité pour laisser un commentaire à sa frangine !
Nadramon : Ma sœur ! Je t'aime :'-) Même si tu m'as cruellement ignorée pendant deux chapitres d'affilée, tu ne mérites pas le triste sort que tu te réserves : c'est trop gore, franchement. A la place, je vais te condamner à écrire 300 fics sur Gaara avec plein de GaaraXHinata et même un GaaraXDeidara, juste pour t'embêter ! XD Diabolique, n'est-ce pas ? Quant à Kashiwa, tu me comprendras sans doute si je te dis que je suis absolument ravie que son caractère plaise aux lecteurs…XD
Et voilà ! Pour me faire pardonner de mon ignoble silence pendant tout ces mois, et du chapitre tristement court que je vous ai servi, voici mon chapitre « de réserve ». De toute manière, ça devenait vraiment trop frustrant de voir les lecteurs commenter un chapitre que j'avais terminé depuis deux mois. TT Un autre cadeau : le retour de Gaara en fin de chapitre ! Bonne lecture à tous !
Chapitre 12 : De désarroi, quand le sable danse
-Cela fait cinq ans, à présent, avait murmuré Mûya no Kashiwa. As-tu enfin appris à maîtriser ce sort ?
-Depuis six mois, Maître !
Telle avait été la réplique joyeuse de Shukaku. Debout au milieu de la salle fraîche et confortable qui avait été mise à la disposition de l'ensorceleur légendaire, il avait passé le plus clair de son temps à sautiller d'un pied sur l'autre, trop agité et fier de sa performance pour rester en place.
-Tu auras pris ton temps. Mais mieux vaut tard que jamais, je présume…
Une quinte de toux l'avait réduit au silence, cette toux rauque et abominable qui secouait tout son être, de plus en plus fréquemment. Le jeune homme s'était immédiatement approché, avait saisi les épaules tremblantes du vieillard et l'avait repoussé avec précaution contre les larges oreillers qui garnissaient le lit où il était à demi étendu.
-Vous êtes malade, avait-il dit avec reproche, comme si la faute incombait entièrement au moine shintoïste. Ca fait trop longtemps. Quand est-ce que vous comptez guérir ?
Mûya no Kashiwa avait attendu de calmer sa respiration sifflante pour répondre. Il y avait eu un peu de sa paisible ironie dans le ton de sa voix :
-Je suis âgé, Shukaku. C'est une maladie qui frappe tout le monde, humain, animal ou objet. Je suis simplement en train de rendre ce que la vie m'a accordé…
Là, il avait soupiré. Un soupir qui recelait de la satisfaction, de la tranquillité, ainsi que de nombreuses ombres qu'aucun être humain ne pourrait jamais identifier.
-Cependant, il y a encore certaines choses que je dois faire, avant de mourir. Je voudrais terminer ce que nous avons commencé ensemble. Je ne pourrai plus te servir de professeur bien longtemps. Mais je veux partir en sachant que tout ce qui était à faire a été achevé.
-Vous radotez comme un papy, Maître ! Avait rétorqué Shukaku en secouant la tête. C'est pas comme si vous alliez crever d'une minute à l'autre, non plus !
Les épaules de Kashiwa s'étaient soulevées en ce qui avait semblé être un rire difficilement réprimé. Puis, l'habituel éclat dur, sévère, pareil à la lame d'une épée, s'était allumé dans ses yeux d'aigle.
-Te souviens-tu de la salle où tu fus fait officiellement moine-soldat de Suna ?
La question lui avait paru un peu déconcertante.
-Heu…ouais, je crois. La grande salle en forme de théâtre, avec l'arène bizarre au milieu et les fenêtres ? Dans la façade ouest de la falaise ?
-Tu t'y rendras dans deux jours, aux premières lueurs de l'aube. Nous te donnerons ce que les hommes reçoivent. Tu peux partir, à présent.
Il était resté un moment indécis, stupéfait. Que signifiait encore cela ? Mais le regard de son vieux professeur s'était adouci, et il avait maintenant ce rare, si rare visage chaleureux, teinté d'amusement, qui faisait disparaître toute crainte de son âme.
Il avait commencé de tourner les talons, mais s'était ravisé, et un air confus s'était peint sur son visage alors qu'il se tenait à nouveau face au pèlerin.
-Eh, Maître…Vous dites que mon apprentissage est bientôt terminé…Est-ce que ça veut dire que je suis…Enfin, que j'ai…
Il s'était interrompu et avait secoué la tête. Ridicule. Mais un très léger sourire était apparu sur les lèvres craquelées du Chêne du Brouillard :
-Oui, Shukaku, tu as réussi. Tu es un humain.
Ces mots résonnaient encore à ses oreilles, et il y avait en eux une musique inconnue.
Un humain ? Lui, Shukaku ? Quelle drôle d'idée !
Au-dessus de sa tête, les étoiles palissaient, masquées par un début d'aurore blanchâtre. Le soleil n'apparaissait pas encore à l'horizon, mais le ciel était d'ores et déjà teint de ces éparses touches de bleu pâle qui marquent le lever du jour. Il faisait sombre, froid et sec. Sous ses pieds nus, le sable crissait et mordait la chair comme des particules de glace. Le désert était plus immuable que jamais, sous l'immobile lumière des astres.
Shukaku avait vingt-quatre ans. Il s'était finalement développé en ce jeune homme élancé, à la démarche sûre, gaie et orgueilleuse. Ses yeux d'or fondu n'avaient pas perdu une once de leur entrain malicieux, ses glapissements de joie étaient plus aigus et insupportables que jamais. En fin de compte, il n'avait pas beaucoup changé.
Il longea la vaste falaise qui abritait l'ensemble des moines shintoïstes de Suna. Ses doigts effleuraient la surface froide et rugueuse, et il songeait à l'inconcevable fourmilière qu'elle abritait, à toutes ces salles, ces terrains d'entraînement, ces lieux de méditation, où il avait passé presque l'intégralité de son existence. Nombre de ces pièces regorgeaient de souvenirs chiants au possible, mais il était parfois amusant de se les remémorer.
C'était également dans les entrailles de cette falaise, à l'écart, qu'étaient creusés les appartements de Mûya no Kashiwa.
Le jeune homme se rembrunit à cette pensée.
Le pèlerin avait demandé à être installé dans les falaises, loin du village. Il n'en était plus sorti depuis un an et quatre mois. Ses entrevues avec Shukaku s'étaient espacées au fil du temps, et à présent il laissait son élève accomplir seul ses entraînements et ses missions. Lui restait là, assis, à lire et à méditer, et à s'affaiblir, encore et toujours.
Car il s'affaiblissait. Shukaku ne pouvait plus l'ignorer. L'éclat perçant de ses yeux d'aigle, s'il restait impressionnant, était comme brouillé par un voile de brume. Les rides qui allongeaient son visage semblaient chaque jour plus profondes, et abriter une plus grande quantité de maladie, de fatigue, de mort. Son corps perdait en force et en agilité, quelque chose paraissait le ronger de l'intérieur.
L'idée le tracassait. Son professeur était âgé, il le savait. Soixante-dix était un nombre considérable, sur la tête d'un homme. Mais se pouvait-il réellement que dix années fussent venues à bout de Mûya no Kashiwa, alors qu'à soixante ans il paraissait invincible ? Lui qui avait tué plusieurs démons, pouvait-il être défait par une poignée d'hivers ?
Des questions sans réponse, et auxquelles, au fond, il ne cherchait aucune explication. Mais la faiblesse croissante de son maître avait tendance à le frustrer.
Il secoua la tête, chassa les nuages qui obscurcissaient son esprit, et poursuivit son exploration. Enfin, ses doigts rencontrèrent le contour métallique d'une lourde porte. Elle était vieille, usée par des années de vent et de sable, de sorte que la seule aspérité sur sa surface lisse était la minuscule serrure, en son centre.
Il porta la main à l'anneau de fer rouillé qu'il avait accroché au pantalon de son kimono et manipula les longues clés rugueuses qui y pendaient. Le trousseau lui avait été remis la veille, sans un mot, par Akasuna no Shinchôsa en personne, ce qui l'avait tout d'abord étonné. Il était rare que l'on confiât de tels objets au monstre du village.
Mais à un humain ?
La porte s'ouvrit en grinçant. A l'intérieur, ce n'était qu'un tunnel obscur, où les yeux du jeune homme ne distinguaient que vaguement le contour des murs. Faisant tourner nonchalamment l'anneau de fer sur son doigt, il s'engagea dans le gouffre sombre.
L'air raréfié avait un goût de poussière, qui emplissait et desséchait sa gorge. Ses pieds nus ne faisaient aucun bruit sur le sol ouaté par une fine épaisseur de sable, et l'on n'entendait que le cliquetis métallique des clés qui s'entrechoquaient. Sa main suivait toujours le mur à sa gauche, alors qu'il repérait les embranchements et se remémorait le chemin à suivre.
Alors, il était vraiment devenu un humain ? Parce qu'il était venu à bout de ce satané sortilège ? Ou pour une autre raison ?
Cela le laissait perplexe. Il se disait qu'en fin de compte, être un humain ne changeait pas grand-chose, et il peinait à comprendre pourquoi les gens accordaient tant d'importance à ces petits détails. Après tout, il avait toujours les mêmes yeux jaunes en losange, le même chakra noir et or, la même force, la même vigueur, la même aisance…
Son maître avait dit qu'un démon était un être humain engagé sur une mauvaise route. Il méprisait cette race pour ce choix odieux qu'ils avaient fait, en abandonnant l'humanité pour le pouvoir, en délaissant le savoir pour le sang. Il avait cru impossible qu'un demi-démon, un être sur lequel le Diable lui-même avait posé sa marque, pût renoncer à ce sang et à ce pouvoir.
Pourtant, il avait dit lui-même que son élève était un humain.
Cela signifiait-il qu'il y était enfin parvenu ? Shukaku sentit son cœur se serrer légèrement, de fierté, de joie, et, chose curieuse, d'émotion. Il avait surpris son maître ! Il l'avait impressionné ! Cette personne qu'il admirait tant était enfin fière de lui !
Il esquissa un petit pas de danse dans le boyau de roche, mais il n'y avait pas de vent pour suivre ses gestes.
-En fait, constata-t-il à haute voix, moi non plus j'aurais jamais cru qu'un humain m'impressionnerait un jour. On s'est tous les deux retrouvés sur le cul !
Il se mit à rire. Mais sa voix s'éteignit vite. Le couloir était trop étroit pour la répercuter, et l'air trop rare pour qu'un son y résonnât.
Il marcha encore quelque temps, sa tête courbée effleurant le plafond inégal, dépassa un certain nombre de couloirs et de bifurcations, avant d'atteindre une petite porte nichée au fond du tunnel. Cette fois, il passa une bonne minute à manipuler son trousseau avant de trouver la bonne clé.
La porte était minuscule, songea-t-il. Marrant. A son arrivée, il y avait dix-neuf ans de cela, elle avait paru immense, grouillante de ténèbres et d'inconnu. Mais il ne se souvenait pas en avoir jamais eu peur. Il la repoussa en s'arcboutant contre le mur, car elle était profondément incrustée dans la roche.
La salle dans laquelle il déboucha était de taille restreinte, mais le haut plafond en forme de voûte lui permit de se redresser. Elle était circulaire, vide à l'exception des bancs qui avaient été grossièrement taillés à même la roche. De part et d'autre de la porte se trouvaient deux hautes tiges de métal, surmontées d'anneaux de la même matière. Ce dispositif visait à éclairer les lieux, mais aucune torche ne brûlait dans les anneaux de fer, et la salle demeurait plongée dans la pénombre.
En face, il y avait une grande porte sculptée. Une troisième clé, longue et droite, s'engouffra dans la serrure, et les battants s'ouvrirent en silence.
Un souffle d'air frais lui caressa le visage. Des ouvertures ovales avaient été aménagées sur toute la longueur du plafond voûté, de sorte qu'une faible clarté commençait à pénétrer la salle. Celle-ci était immense. D'interminables tribunes de roche emplissaient tout l'espace, descendaient, descendaient, jusqu'à cerner la vaste arène, au centre. Devant lui, un large escalier se déroulait, fendait les gradins vides jusqu'à la plate-forme de pierre polie.
Il n'y avait personne.
Shukaku descendit lentement les marches. Sous ses pieds nus, il sentait les rainures des sceaux et des sortilèges qui y avaient été gravés, et qui protégeaient le lieu. Les rangées de bancs, gris et lisses, se succédaient autour de lui. La pâle lumière de l'aube, qui n'entrait qu'à grand peine par les hautes fenêtres, ne suffisait pas à éclairer ce vaste espace.
Nombreuses étaient les ombres tapies dans les tribunes.
-Ils ont l'air d'être en retard… Fit le jeune homme.
Il avait atteint l'arène de pierre, envahie par de gigantesques sceaux. Il parcourut la salle du regard. Rien ne bougeait.
Sauf l'obscurité blottie parmi les tribunes, mais celle-ci est toujours en mouvement. Shukaku s'assit en tailleur, scrutant les ténèbres qui l'encerclaient.
-Pas sympa, de me faire attendre.
Pourquoi parlait-il tout seul ? D'ordinaire, il ne le faisait que par nervosité. Mais aujourd'hui, il était devenu un être humain, il avait rendu son maître fier de lui, il y était parvenu ! Il n'avait aucune raison d'être nerveux.
N'est-ce pas ?
L'aurore se levait doucement. La salle était faite de telle manière que l'arène, au centre, fût la première à s'éclairer, tandis que les gradins demeuraient enveloppés de ténèbres. Shukaku commençait à distinguer les écritures gravées autour de lui. Elles étaient multiples. Pensivement, il en suivit le tracé à l'aide de ses orteils. Froid était le contact de la roche ensorcelée.
« Te souviens-tu de la salle où tu fus fait officiellement moine-soldat de Suna ? »
Oui, il s'en souvenait. La même obscurité, la même appréhension, les mêmes sortilèges qui envahissaient les lieux et parcouraient son échine de longs frissons glacés.
Mais, la première fois, étaient-ils réellement aussi nombreux qu'aujourd'hui ?
«Nous te donnerons ce que les hommes reçoivent. »
De quoi s'agissait-il ? Il connaissait le caractère énigmatique de son maître, et s'était gardé de demander des explications. Ce que les hommes reçoivent…
Et puis, qui était ce « nous » auquel il avait fait allusion ?
Son regard fit rapidement le tour de la salle. L'arène se distinguait presque nettement, à présent. Les tribunes, cependant, s'abritaient toujours derrière un voile mouvant d'obscurité. Le silence était si profond qu'il devenait un son lui-même, un long et furtif murmure.
«Je veux partir en sachant que tout ce qui était à faire a été achevé. »
Qu'est-ce que ce charabia était sensé vouloir dire, de toute manière ? Et pourquoi ces phrases résonnaient-elles avec tant d'insistance ? Cela commençait à l'irriter.
« …Tout ce qui était à faire a été achevé. »
« …Achevé. »
Pourquoi ces mots avaient-ils un accent si…froid, tout à coup ?
Et depuis quand retenait-il ainsi son souffle ?
« …Achevé. »
Il se redressa vivement et arpenta l'arène. Ses yeux ne quittaient pas le sol, les longues colonnes de sortilèges.
« …Achevé. »
Il en était sûr : elles étaient plus nombreuses que de coutume.
« …Achevé. »
Tel un long chemin qui prend fin à l'endroit même où il a commencé. Tel un animal traqué, pris au piège, qui gémit et qui tourne en rond, en rond, en rond. La seule voie existante. Le même commencement, la même fin, pour un résultat semblable. Achevé. Mortellement froid, perçant comme les yeux du chasseur.
-Celui-là n'est pas un sort de protection. L'autre non plus…
Seul un mince filet de voix s'échappait d'entre ses lèvres. Il y avait au moins un sortilège d'immobilisation, peut-être davantage. Beaucoup de sorts résolument meurtriers. Et ces sceaux de camouflage…Il redirigea son regard vers les tribunes obscures, mouvantes, où les ombres couraient et se croisaient dans un faible froissement.
Que se passait-il ?
Ce ne pouvait pas être le silence. Il y avait bel et bien un murmure, une lente rumeur d'un gradin à l'autre, que se communiquaient les formes rampantes. Des sons sans parole –ou alors il en ignorait le sens ? qui glissaient, se faufilaient, l'entouraient comme des voiles de satin noir.
N'y avait-il pas une légère, très légère odeur de sang ?
Bien qu'elle semblât toujours n'émettre aucun bruit, la rumeur s'amplifiait. Il pouvait sentir l'air vibrer autour de lui, résonner avec force sous l'effet d'un chant dont il ne percevait que l'écho assourdi.
Il écoutait.
Encore teintés de rose, les rayons du soleil l'éclairaient presque distinctement, alors que le reste de la salle demeurait plongé dans la pénombre. C'était anormal, et il le savait. Un unique cylindre de lumière le capturait, lui et les gravures à ses pieds, comme on piège un papillon nocturne dans le faisceau d'une lampe.
La mélopée indiscernable se poursuivait. Des sceaux s'activèrent, et il lui sembla qu'une mince volute de fumée s'élevait des écritures. Son sang se glaçait dans ses veines. La fumée des sortilèges glissait autour de lui, brûlant sa chair et gelant la moelle de ses os. Une unique goutte de sueur coula le long de son dos.
Il savait qu'il fallait fuir. Maintenant. Le piège se refermait, se refermait encore, se refermait toujours, tandis que le cylindre de lumière se rétrécissait autour de lui, l'exposant comme une cible à ses opposants invisibles. Mais à mesure que les sceaux s'enclenchaient, les voix devenaient plus distinctes, presque identifiables.
Et il voulait savoir.
Il demeurait immobile, alerte au moindre soupir alentour, laissant le Juuinjutsu monter le long de son cou et de ses membres comme une créature griffue et sinueuse. Il analysait chaque voix, chaque intonation, reconnaissait çà et là un moine ou une parole. Incapable de diriger ses pensées sur le danger qui croissait, il écoutait, cherchant ce qu'il ne voulait à aucun prix découvrir.
Il devait savoir. Il fallait qu'il sache !
-Lumière de l'eau, dragon, serpent, chien, tigre…Murmuraient les dizaines d'ombres à l'unisson.
Les dizaines de symboles s'allumèrent, noyant soudain la salle sous une violente lumière blanche. Shukaku poussa un cri clair, bref, et tomba à genoux.
Cela brûlait, brûlait…
L'aveuglante clarté lacérait sa chair de sa seule existence. Des flots de plomb fondu arrachaient sa peau. Il serrait convulsivement ses avant-bras, pour se protéger de cette affreuse sensation de brûlure, mais aussi dans le vain espoir de réchauffer l'intérieur de son corps meurtri, congelé par le Juuinjutsu.
Le feu qui rongeait son être n'y changeait rien. La glace continuait de paralyser ses os, de figer son sang, et de faire couler dans son dos cette sueur glacée, fiévreuse.
Son chakra se consumait lentement.
Les ombres se redressèrent dans un léger froissement, se rapprochèrent. Elles devenaient des silhouettes reconnaissables où l'on devinait, dans un brouillard, les kimonos des moines shintoïstes de Suna. Les mains bougeaient dans une coordination parfaite, reproduisant de longues séries de signes.
Il n'aimait pas être à genoux au milieu d'eux.
Leur incantation devenait plus distincte. Shukaku identifiait un grand nombre d'entre elles, à présent. Akasuna no Shinchôsa était là, ainsi que quelques autres ensorceleurs qu'il connaissait bien. Mais nulle trace de la voix qu'il appréhendait.
Un nouveau cri lui échappa. Non loin de son poignet, une fine coupure s'était ouverte, éclaboussant ses doigts de ce sang presque brûlant qui est propre aux démons.
Mauvais.
Pour les êtres démoniaques, le Juuinjutsu est le plus redoutable des acides : seule leur immense quantité de chakra les en protège. Mais si leurs réserves viennent à faiblir, les sortilèges rongent, rongent, jusqu'à les détruire entièrement.
Son organisme ne tolérerait pas longtemps une si cruelle intrusion d'acide.
Il se recroquevilla sur lui-même, un sourd gémissement s'échappant d'entre ses dents serrées. Pas assez de chakra. Du moins, pas assez en s'imposant un handicap. Pas assez en gardant cet élastique de griffes beiges qui retenait sa force prisonnière. Sa main remonta lentement vers sa nuque. S'il libérait l'intégralité de son énergie, alors il pourrait repousser ces sorts qui pénétraient sa chair et le lacéraient…
Son geste s'interrompit à mi-parcours.
Il ne fallait pas retirer son élastique lors d'un combat contre des manipulateurs de Juuinjutsu. Il l'avait promis à Mûya no Kashiwa.
Il s'était agenouillé, il avait juré.
C'était un serment.
Nouveau cri. Une autre plaie s'était ouverte. Une longue ligne diagonale sur sa nuque et son omoplate. Un filet de sang descendit le long de son dos, se mêlant à la sueur, et ce fut comme si on frottait au sel sa chair à vif.
Les incantations se poursuivaient. Trop de bruit. Trop de lumière. Trop de sang, trop de haine, trop de malveillance, trop de faiblesse. Il ne pouvait que rester prostré sur le sol, brisé, à souffrir et à espérer que tout cela prît fin.
« Merde…Je vais vraiment finir par crever… »
Son sang coulait le long de ses doigts et dégoulinait sur le sol avec une régularité presque apaisante. Le sang sur ses mains. La douleur. Les incantations. La maladie. Le serment. Les sorts. Le sang. Les écritures. Ses doigts glissaient doucement contre la pierre, esquissaient un signe, un autre, l'ébauche d'une longue suite de sortilèges.
Une plaie s'ouvrit au niveau de son genou.
Le sang et la douleur. Le Juuinjutsu et le serment. Le handicap et le sortilège. Un sortilège qui signifiait douleur, mais qui permettait de lutter contre les manipulateurs de Juuinjutsu. Ses doigts retraçaient machinalement ces symboles appris par cœur. L'appel du Juuinjutsu des défunts. Kasuka na kioku. "La Réminiscence".
Il pouvait rappeler et déchaîner sur ces gens les sortilèges de leurs propres maîtres, de leurs plus illustres ancêtres. Ce sortilège interdit que lui avait enseigné Mûya no Kashiwa. Il pouvait les tuer.
Les écritures commençaient à prendre la forme d'un sceau. Du sang coulait à profusion des coupures qui ne cessaient de s'ouvrir sur ses doigts. La tête lui tournait. Ses forces décroissaient, décroissaient, se déversaient en une marée écarlate sur le sol, prenaient la forme du sort qui rappelait le pouvoir passé en rongeant le pouvoir présent, qui offrait la mort en arrachant la vie, la vie, la vie...
Ses doigts s'immobilisèrent, et il balaya l'ébauche de sceau du plat de la main.
Vu l'état dans lequel il se trouvait, en appeler à Kasuka na kioku signifiait mourir. Et c'était ce qu'ils voulaient.
Il se redressa en chancelant, et dévisagea les moines qui l'encerclaient, chacun de ces visages de marbre, froids et impassibles. Ses yeux de démons luisaient ironiquement, et il eut un rire bref. Le Juuinjutsu avait dû déchirer sa lèvre inférieure, car il avait dans la bouche un âcre goût de sang.
-Vous devez savoir que je tiens toujours mes promesses, bande de salauds, gronda-t-il d'une voix rendue rauque par la douleur. Bah je vous jure que je vais rester en vie aujourd'hui, rien que pour vous faire chier.
Il dut s'interrompre, car une plaie s'était formée dans son cou et gênait sa respiration. Mais pas question de retomber à genoux. Les sceaux gravés sur le sol brûlaient la plante de ses pieds. Il s'en élevait une vapeur froide, ardente, dont la morsure le rendait fou de douleur. L'arène de pierre le tuait à petit feu. C'était cela qu'il fallait détruire.
Il voulut esquisser un sortilège, n'importe quel Ninjutsu, n'importe quel Fûton, juste une technique ayant suffisamment d'impact pour fendre la pierre. Mais ses mains ne se rappelaient plus le tracé des signes. Dans leur mémoire, il ne restait que le sang et l'agonie.
Taijutsu, alors ?
Sans réfléchir, il concentra l'intégralité de son chakra dans son bras droit. Sa peau non protégée s'ouvrit de toute part. Des milliers de guerriers invisibles dansaient autour de lui et le lacéraient de leur multitude de sabres, tandis que son bras nimbé de noir et d'or se purgeait de sa moindre égratignure. Aveuglé par la souffrance, il se laissa tomber à terre et frappa la roche.
La pierre ensorcelée, destinée à résister aux assauts ennemis, ne put rien contre la tempête d'énergie pure qui s'acharna sur elle. Elle se fendit, vola en éclats énormes qui propulsèrent les assiégeants de tous côtés. Des rangées entières de gradins s'effondrèrent. Le plafond vibra dangereusement. Et le Juuinjutsu s'éteignit.
En un instant, le théâtre de l'incantation, avec ses lumières surnaturelles et ses chants résonnants, ne fut plus qu'une hécatombe rocheuse faiblement éclairée par le soleil matinal.
Shukaku resta un moment à terre, à savourer le goût de la poussière et du sang qui maculaient son visage. Purgé de sa fumée ensorcelée, le contact du vent de l'aube était délicieux contre sa peau. Il l'appela doucement à lui, et un souffle d'air glacé s'enroula entre ses doigts. Ses multiples plaies se refermaient une à une, très lentement.
Des voix. Des mouvements au milieu des blocs de pierre fendue. Le démon grogna et se redressa à contrecœur. Il ne devait pas rester énormément de survivants, il ne devait plus leur rester énormément d'énergie. Il pouvait les vaincre. Le vent sifflait autour de lui. Il était libre. Il allait les vaincre.
Alors, pourquoi avait-il si peur ?
Il considéra avec agacement la poignée de combattants qui se rangeait devant lui. Leur état était presque aussi piteux que celui de leur adversaire, et nombre d'entre eux tenaient à peine debout. Ils n'étaient plus que quinze : outre les morts, de nombreux moines avaient profité de l'explosion et du désordre pour s'enfuir.
Parmi les survivants, il y avait le vieil Akasuna no Shinchôsa, l'œil gauche crevé par la profonde blessure qui allait de son front à son épaule. Son regard froid et borgne rappela à Shukaku la raison de sa terreur, et ce fut comme une douche glacée le long de ses os.
Mûya no Kashiwa.
Il fallait qu'il sache.
Les moines esquissaient le plus vite possible, compte tenu de leur état, un nouveau sortilège. D'un mouvement de bras, l'esprit du sable balaya la majorité d'entre eux par le Fûton. Une brusque montée d'adrénaline fortifiait son chakra et guérissait ses blessures. Trois ennemis encore vivants. Et la peur continuait de lui serrer le ventre.
Il se jeta en avant et brisa les cervicales de l'un d'entre eux. Un autre chercha à lutter au corps à corps, mais la confrontation ne dura que le temps d'un battement de cils. Akasuna no Shinchôsa était le seul moine encore en vie. Shukaku le saisit à la gorge et le souleva à demi du sol. Sa respiration saccadée le gênait pour respirer, et le visage impassible du vieil homme ne l'aidait pas à conserver son calme.
-Je ne souhaitais pas mourir sur un échec…Constata simplement celui-ci, sans tenter un geste pour se libérer.
-Explique-toi maintenant ou crève la gueule ouverte.
Sa voix rauque lui labourait la gorge. Il gardait ses yeux noirs et or plantés dans ce regard borgne et glacé. L'œil unique de Shinchôsa était gris comme le brouillard. Un gris affreusement impersonnel qui le figeait sur place. Trompeur comme le Chêne du Brouillard…Il frissonna. C'était lui qui tuait, et c'était lui qui tremblait de peur ?
-Les explications t'ont déjà été données, jeune démon, fit l'autre avec un mince sourire. Nous t'apportions ce que les hommes reçoivent : la mort.
Son regard se reporta pensivement sur le plafond voûté et craquelé.
-Quel dommage de n'avoir pas pu respecter la dernière volonté de Mûya no…
Sa voix s'éteignit dans un craquement sinistre. La main du démon s'était refermée sur son cou et avait broyé ses vertèbres.
-TU MENS !
Le corps s'affaissa comme une loque. Shukaku tremblait. De rage, de peur, de souffrance. C'était impossible. Ce ne pouvait pas être ainsi.
« Nous t'apportions ce que les hommes reçoivent : la mort. »
-TU MENS ! VOUS MENTEZ ! VOUS NE FAITES QUE CA, MENTIR ! TOUS LES JOURS, TOUTES LES SECONDES DE VOTRE PUTAIN DE VIE HUMAINE !
Sa voix mourut sur ses lèvres, et il lui fallut reprendre son souffle. Toutes ses plaies sur son cou et son visage gênaient sa respiration.
-Tu mens…Reprit-il plus calmement, peut-être pour se convaincre lui-même.
Les humains trompaient. Ils l'avaient toujours fait, et ils continueraient tant qu'il leur resterait un souffle de vie. Mais pas lui. Son maître avait ce regard clair, cette sincérité tranchante, la voix et les yeux de ceux qui affrontent la vérité en face ! Etait-il seulement possible de mentir à ce point ? « Je crois en toi, Shukaku. » avait-il dit.
-Tu mens…
Il ne savait plus à qui il s'adressait.
Et il ne pouvait même pas fuir la réalité qui le hantait, comme aimaient à le faire les humains. Non, décidément, il n'arrivait pas à réfléchir comme eux. Il ne parvenait pas à se satisfaire d'une vérité amputée. « Tu es un humain » avait-il encore affirmé. Cela aussi, c'était un mensonge ?
De rage, il asséna un coup de pied au corps inerte, devant lui. En quelques bonds, il atteignit l'une des fenêtres ovales à moitié détruites, et se retrouva dehors. Le ciel était presque clair, à présent. Le vent se levait.
-Ca va te faire chier, Mûya no Kashiwa, mais il va encore falloir que tu expliques deux trois trucs à ton abruti d'élève…
Il s'élança en avant, sans sentir la douleur de ses pieds écorchés contre la pierre.
Ses réserves de chakra avaient drastiquement diminué, aussi lui fallut-il plusieurs minutes pour atteindre le trou circulaire qui menait aux appartements du vieux pèlerin. D'ordinaire, l'entrée était gardée par de puissants sceaux restaurés chaque nuit. Mûya no Kashiwa avait dû se montrer distrait, car les écritures étaient presque entièrement effacées. Shukaku les élimina d'une bourrasque, et s'élança dans le couloir qui menait aux appartements de son maître.
La porte qui se présenta au bout du boyau de roche était faite de bois sculpté, une manière des moines shintoïstes de témoigner leur admiration à leur plus illustre ancêtre. Sans méditer un seul instant sur la richesse dont témoignait une matière si rare, Shukaku enfonça la porte d'un vigoureux coup de pied.
Il y avait dans la salle un curieux désordre : des feuilles de parchemins couvertes d'écritures et tâchées d'encre jonchaient le sol, ainsi que quelques coussins. Le lit était dérangé et vide, il planait une vague odeur désagréable.
Mûya no Kashiwa était assis, le dos tourné, une plume à la main, penché en avant comme s'il se fût endormi sur son bureau de chêne (encore une marque de dévotion). Il ne leva pas la tête au bruit brutal du battant contre le mur de pierre.
Shukaku s'avança d'un pas.
-Je suis toujours vivant. T'es déçu ?
Sa voix demeura sans réponse. Le démon sentit une nouvelle vague de fureur l'envahir. Il se jeta sur lui pour l'arracher à son bureau. Pendant une fraction de seconde, son cerveau enregistra plusieurs faits anormaux : tout d'abord, son maître tenait la plume dans sa main droite, bien qu'il eût toujours été gaucher, aussi loin que Shukaku pût s'en souvenir. Ensuite, cette main était si crispée sur la penne que son outil avait été brisé en deux. Enfin, l'odeur nauséabonde qui hantait la pièce était une odeur de chair brûlée.
Mais il ne se donna pas la peine de prendre ces informations en compte : il avait déjà saisi le pèlerin à la gorge.
-QU'EST-CE QUE CES TYPES FOUTAIENT AVEC LEURS SORTILEGES DANS CETTE FICHUE SALLE ?
Le corps resta flasque sous ses doigts. Les yeux du Chêne du Brouilard demeurèrent paisiblement clos, quoique ses traits fussent légèrement crispés par la souffrance.
Hors de lui, Shukaku le projeta contre un mur.
-REPONDS, MÛYA NO KASHIWA !
La masse inerte heurta le mur, puis le sol, et le pèlerin resta sans réaction. Cependant, sa manche gauche s'était légèrement soulevée pendant sa chute.
Le démon écarquilla les yeux.
Sa main et son bras étaient déformés, ratatinés par d'hideuses marques violacées qui semblaient s'étendre jusqu'à son cœur. Elles entouraient ses doigts et son poignet, rongeaient l'os, brûlaient la chair. De par leur forme, elles ressemblaient à l'étreinte d'une petite main d'enfant.
Shukaku recula en chancelant.
-Il…Il est MORT ! CE SALAUD EST DEJA MORT !
Le sortilège qui bloquait la malédiction d'Ashura avait disparu. Mûya no Kashiwa n'avait probablement plus trouvé la force de restaurer les sceaux, et le pouvoir démoniaque avait repris son oeuvre.
Des années plus tard, l'Enfant-Démon avait pris sa revanche et achevé son meurtrier.
L'esprit du sable demeura un long moment immobile, paralysé par la rage et la confusion. Et puis son regard se porta sur la feuille, un peu froissée et à moitié remplie, sur laquelle il avait trouvé penché Mûya no Kashiwa. L'écriture était tremblante, presque illisible puisqu'elle avait été faite de la main droite. Le démon s'en saisit lentement, et le parcourut des yeux :
« Cet écrit s'adresse à Shukaku, démon de Suna, esprit du sable, etc.
« Ce qui est parfaitement ridicule d'ailleurs, sachant que si toutes mes directives ont été respectées, tu es mort à l'heure qu'il est. J'en doute, cependant. L'instinct de survie des demi-démons est extrêmement développé, il est probable…(illisible)…dans le brouillard. Si tu survis, donc, nul doute que tu viendras me trouver ici, et peut-être ne serais-je déjà plus en état de répondre à tes vociférations. C'est une de tes manies les plus assommantes : il faut toujours que tu hurles et que tu trépignes, quand la réalité commence à t'effrayer.
« Imaginons que tu sois en vie. C'est fâcheux, indiscutablement, mais je ne crois pas avoir perdu toutes mes cartes. A la vérité, je m'attendais à ce que tu finisses par remporter cette manche : le Juuinjutsu m'a trop rongé d'énergie vitale pour que je puisse encore vaincre un démon dans une bataille, ou même une embuscade.
« Oui, tu es un démon. Oui, je t'ai menti. Cesse de trépigner, je peux presque t'entendre pousser tes hurlements de dément, et je suis suffisamment fatigué sans…(illisible)…ou la couleur de tes yeux ? Si j'avais vraiment voulu faire de toi un homme, il m'aurait fallu t'arracher les yeux, la langue et chacun de tes méridiens. Pour tout t'avouer, je n'ai aucune envie de perdre mon temps à ce genre de tâche.
« Toutes ces affirmations te remplissent sans doute de fureur, tu as toujours réagi avec stupidité. Non, je ne tiens pas mes promesses. N'ai-je pas dit moi-même que j'avais déjà surpris un grand nombre de demis de cette façon ? Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même d'être tombé dans un piège si peu original.
« …(illisible)…
« Mais même si tu m'échappes aujourd'hui, n'aies pas la naïveté de prendre cela comme une victoire sur moi. Le résultat de cette embuscade n'a aucune espèce d'importance. Je t'ai déjà fait subir le sort que j'avais prévu, et tu m'y as grandement aidé. Kasuka na kioku, la nommée « Réminiscence », est un sortilège de Juuinjutsu majeur. Elle a la capacité unique de rappeler une âme défunte, et de s'approprier l'intégralité de son Juuinjutsu le temps d'un combat. Tu ne peux pas utiliser un sortilège d'un tel niveau sans y laisser la vie. Qu'importe si tu survis aujourd'hui, ou si je n'ai plus la force de te tuer. Cela signifie simplement que j'ai accompli ce que j'avais à accomplir. T'éliminer sera la tâche d'un autre. Namida-sama s'en chargera, probablement. Pour ma part, je t'ai déjà apposé ma propre malédiction…(illisible)…
« Des légendes racontent que tous les démons se rassemblent entre les mondes et s'abritent derrière une forteresse, dont ils interdisent l'accès aux humains. As-tu jamais entendu parler de louves qui renient leurs enfants si elles y décèlent une odeur humaine ? Voilà ma malédiction. Ce Juuinjutsu que tu as appris, et que les démons craignent tant, te poursuivra toute ton existence et te fermera les portes de cette fameuse forteresse. Damné chez les humains comme chez les démons, il ne te restera plus qu'à mourir. Je t'ai déjà supprimé.
Le reste de la feuille était illisible.
Le parchemin glissa lentement des doigts de Shukaku, et retomba sans bruit sur le sol. Ses yeux étaient écarquillés, les losanges d'or réduits à deux fentes de lumière au milieu des orbes noires. Ses lèvres remuaient imperceptiblement, formaient des mots qui auraient pu être « salaud » ou encore « merde », mais il restait silencieux.
Sur le bureau, il y avait entre autres un petit miroir qui reflétait l'intégralité de la pièce, et qui avait dû servir à Mûya no Kashiwa pour repérer une intrusion dans ses appartements, dans le cas où ses autres sens lui auraient fait défaut. Le regard du démon se posa dessus, et il contempla son visage pâli par le choc et l'odeur de mort qui planait dans la pièce, son air hagard. Plus loin, il pouvait voir le corps affaissé du Chêne du Brouillard, la légère grimace de souffrance, et son bras gauche bleuâtre et recroquevillé. Shukaku sentit un son bizarre lui échapper, un son qui ressemblait à un rire.
En effet, la scène avait un côté franchement ridicule.
Son rire se prolongea, d'abord nerveux et voilé, et puis de plus en plus fort et incontrôlable à mesure que toute l'ironie absurde du moment s'imposait à lui. Il se mua bientôt en un véritable fou rire, presque joyeux, et le jeune homme se mit à danser dans la salle chaotique. Le vent s'engouffra par l'unique fenêtre, l'enveloppa, dansa à ses côtés.
-Il me reste plus qu'à crever, alors ? Fit-il gaiement, sans s'arrêter de tourner ni de décrire des arcs souples dans le vide. Ca a l'air marrant, je veux bien faire le pari ! Allez, le cadavre ! Ouvre grand tes yeux tout morts et regarde un peu ce que devient l'Esprit du Sable !
Il se remit à rire à gorge déployée, et quitta l'appartement de son ancien maître d'un pas sautillant.
Six humains en sacrifice pour les six Fondateurs, un don de sang, un sortilège et un serment de haine, c'est ça ?
Gaara déchira une bande de tissu, prélevée à l'habit d'un des chasseurs de démon. Ceux-ci n'en feraient de toute manière plus aucun usage.
Il la plongea dans le petit ruisseau qui murmurait non loin de là, constatant avec un certain intérêt que ses doigts devenaient douloureux et engourdis quand ils restaient plongés dans l'eau froide. Il appliqua la compresse improvisée sur le front brûlant du démon endormi, et guetta sa réaction. Voyant que les marmonnements inintelligibles de Shukaku devenaient plus faibles, et que sa respiration s'apaisait, il hocha la tête avec satisfaction et s'assit le dos contre un tronc d'arbre.
On était presque à midi, mais l'air était toujours froid et humide, une expérience étrange pour le garçon du désert. Il avait allongé Shukaku sur un tapis de mousse, dans une forêt à flanc de montagne. De hauts sapins se dressaient autour d'eux, capturant dans leurs branches décharnées les restes effilochés du brouillard matinal. Gaara pouvait sentir leur écorce froide et rugueuse contre son dos. Mis à part le bruit apaisant de la source, tout était silencieux. Il n'y avait que de rares pépiements d'oiseau, et aucun insecte.
Un vent froid souffla sur les épaules du garçon, et il serra son manteau autour de lui en frissonnant.
L'hiver approchait.
On pouvait le voir à la température, mais aussi au jour qui se faisait blafard et laissait de plus en plus tôt l'ombre le succéder. Il y avait même, çà et là sur le parterre de mousse, de délicates fleurs de givre qui apparaissaient. Ces conditions n'étaient pas idéales pour soigner un malade. Cependant, Shukaku semblait reprendre des forces, au fil des jours.
Gaara observa pensivement le ciel à travers le feuillage, où les nuages effleuraient la crête des montagnes. Quatre jours qu'il veillait sur le sommeil de son démon.
Une situation inhabituelle.
Il ne savait pas trop pourquoi il avait été si furieux, ce jour-là. Le sortilège l'avait atteint, il s'en souvenait. Il était resté figé sur le sol, à goûter toute l'étendue de son impuissance tandis que le tanuki se faisait maîtriser par ses adversaires. En entendant les chasseurs de démons parler « d'exorcisme », il avait compris que son démon et lui allaient mourir. Plus exactement, il avait compris qu'on allait l'arracher à son démon.
Et cette idée avait été insupportable.
En cet instant, la rage lui avait fait tout oublier. Oublier ce pourquoi il avait entamé son périple à Iwa. Oublier qu'il était lui-même un être humain. Oublier qu'il était allongé au milieu de cadavres. Oublier qu'un sortilège l'entravait et lui interdisait tout mouvement. Shukaku était en danger. Il tuerait quiconque lui ferait du mal.
Il s'était relevé, avait suivi les échos de chakra affaibli, avait interrompu la cérémonie d'exorcisme et massacré tous les chasseurs de démons qui s'y trouvaient. Il découvrit avec une légère surprise qu'à aucun moment il n'avait regretté son acte.
Lentement, il porta la main à son cou et sortit l'Ankh de Sekhmet, qui n'était plus qu'un morceau de bois calciné. On pouvait encore sentir sur elle les vestiges d'un chakra d'une rare puissance. Gaara avait entendu parler de légendes, selon lesquelles les présents des démons détenaient un grand pouvoir. Ces présents existeraient pour tenir la promesse qui aurait été faite au moment du don. Qu'avait dit Sekhmet, déjà ?
« Là d'où je viens, l'Ankh symbolise la vie. Même s'il s'agit d'un simple bout de bois, certaines personnes se sentent davantage en sécurité avec qu'en portant la plus solide des armures. Qui sait ? Peut-être que cette chose te sauvera la vie, un jour. »
L'ombre d'un sourire plana sur les lèvres du jeune shinobi. Il rangea précieusement le morceau de bois tiède sous son kimono.
La fonction de l'Ankh était donc de lui « sauver la vie un jour ».
Un marmonnement du côté de Shukaku le fit lever la tête et s'approcher lentement.
Il avait retrouvé le démon dans un état critique, sévèrement atteint par le Juuinjutsu dont il avait été victime. Des jours durant, Shukaku était resté la proie de fièvres et de délires, où il récitait d'une voix hachée des phrases sans cohérence. Quand ses forces décroissaient brusquement, le Juuinjutsu l'envahissait à nouveau, et dans ces moments des dizaines de plaies se formaient d'elles-mêmes sur sa peau, parfois superficielles, parfois profondes.
Gaara n'était pas un medic-nin, et ses connaissances en matière de baumes ou de plantes médicinales étaient réduites, sinon totalement inexistantes. Il ne pouvait que nettoyer une à une chacune des blessures qui s'ouvraient, et imiter de son mieux les gestes qu'il avait observés chez sa sœur, les rares fois où Kankurô était tombé malade.
Parfois, quand sa fièvre retombait, Shukaku parlait longuement dans son sommeil, d'une voix intelligible et presque nonchalante, comme s'il débattait sur sa propre existence. Ses récits avaient été tout d'abord décousus et entrecoupés de délires, puis de plus en plus raisonnables, si toutefois un tel mot pouvait qualifier l'exubérant démon des sables.
En s'apercevant que son démon racontait des épisodes de plus en plus significatifs de sa jeunesse humaine, Gaara avait hésité à s'éloigner, pour le laisser à ses divagations. Il arrivait, cependant, que Shukaku prononçât le mot « gamin » et semblât s'adresser à lui. Le possédé en avait conclu que sa présence était tolérée, et il s'était attelé à sa tâche de gardien sans plus se poser de questions.
Il s'accroupit auprès du jeune homme endormi, qui donnait des signes d'agitation et alignait des mots sans suite. Gaara lui toucha le front avec précaution. Il lui semblait que la fièvre avait baissé, mais il n'était pas très doué pour déceler ce genre de choses.
Shukaku grogna au contact des doigts sur sa peau et marmonna quelque chose. Un léger sourire ironique apparut sur son visage en sueur, et il dit plus ou moins distinctement :
-…Tu sais que les démons mentent ?
Le shinobi fronça ses invisibles sourcils. Une sorte de rire souleva brièvement la poitrine du démon.
-…Que des hypocrites…Les humains, les démons…y a rien qui change, on se carapate tant qu'on peut…nous…n'importe quoi…on se targue de ne jamais mentir, d'être balèze et tout ce qu'on veut…Que des hypocrites…On sait pas comment mentir, alors on ferme notre gueule…Pareil… La vérité…Personne veut d'un truc aussi lourd, en fait…Baku, Seth, les Fondateurs, Sekhmet, Ying Long…
Un autre éclat de rire l'interrompit momentanément. La morsure du froid le fit légèrement frissonner, mais il reprit tout de même, sa voix rendue pâteuse par l'inconscience :
-Même Ifrit…Pas un qui ait pas essayé au moins une fois de devenir un humain…J'ai pas le sens de la Vérité Absolue, mais je vois ça…Que des hypocrites…Abysses…On s'est tous retrouvés là-bas parce qu'on s'est enfui…Si on avait pu redevenir humains…Si ça avait été possible…J'te crois qu'il y aurait pas eu trois guignols pour peupler Abysses…Alors ils se taisent…Pas un qui ait affronté la vérité une deuxième fois…Pas un qui soit revenu vers les humains après avoir mesuré l'étendue de leur haine…Que des hypocrites…Des lâches…
Sa voix mourut sur ses lèvres, et sa respiration se fit plus régulière. Gaara crut un moment que son démon s'était rendormi, mais il parla à nouveau, avec davantage de douceur.
-…Ce jour-là…Ce doit être pour ça…Gaara…Que je t'ai pas dévoré…Tu essayais…
Gaara resta un moment abasourdi. Sans qu'il sût trop pourquoi, peut-être parce qu'il avait obtenu la réponse à une question qu'il se posait depuis un certain temps, ou parce que c'était la première fois que Shukaku l'appelait par son prénom, l'enfant du désert sentit comme un poids quitter son cœur, le laissant apaisé et pensif.
Lentement, il retira le manteau qui le protégeait du vent, et s'en servit pour couvrir le corps grelottant de son parrain. Après quoi il s'assit à ses côtés, les bras autour des genoux, et il reprit sa veille silencieuse.
