CHAPITRE PREMIER

L'AFFRONT FAIT AU SANG


L'atmosphère était angoissante, le silence de la foret contrastait avec le tumulte de la tempête, le fracas de la pluie et le souffle du vent. Un simple quart de lune enflammait parfois de lumière les hautes cimes avant que l'ombre de la nuit ne reprenne ses droits, couvrant la foret dans la pénombre. Celle-ci était particulièrement effrayante, on ne lui donnait pas de nom et si peu de personne connaissait son existence que les seuls qui l'abordaient craignaient qu'elle soit hantée, qu'elle soit magique...

Pourtant, la lune ne partageait pas seul le droit d'éclairer par alternance le sol, en effet, la foret étalait ses ténèbres tel un cercle grandissant au fil des siècles. Elle abritait en son centre une majestueuse étendue nue où un manoir avait prit possession tel une bougie dans les ténèbres. Il aurait paru inhabité si une faible lumière ne déchirait pas les lieux de façon si indécise qu'on aurait pu croire qu'elle tremblait sur son socle.

Il aurait d'ailleurs fallu être fou pour vivre dans un lieu si angoissant. Le manoir ressemblait à une ombre indistincte sous ce torrent de pluie, la tour du manoir donnait au lieu une allure d'autant plus menaçante, d'autant plus dangereuse... La seule vitre qui baignait sous ce feu rougeoyant n'offrait au manoir que la vision apocalyptique du déluge. Parfois, pourtant, une ombre transperçait cette clarté incertaine, ombre tout aussi incertaine que la source qui l'enfantait.

La pièce était d'une tristesse repoussante, seul deux divans encadraient une cheminée où dans l'âtre brûlant rougissait une flamme qui dansait face à deux individus indistincts. Aucune peinture, aucune tapisserie ne venait dater ou ajouter une légère touche de gaieté dans la pièce. Seul, sur un tapis, dormait paisiblement un chat aussi noire que la nuit en dehors.

Aussi surprenant que cela puisse paraisse, seul une femme avait son visage dans la lumière, son age ne pouvait être déterminé précisément, sa beauté rappelait la grâce d'une vélane tandis que la dureté de ses traits dénonçait l'existence d'une vie mouvementée. Elle devait probablement avoir dépassé les soixante dix ans, ses cheveux blonds retombaient sur ses épaules, tels des flammes tandis que son regard, sévère, s'était tourné vers son conjoint. Celui-ci avait le visage tournait vers l'âtre flamboyant mais, pourtant, ses traits restaient baignés dans la pénombre. En effet, son visage tout comme son corps n'étaient pas éclairé par cette éclat, comme si les rayons ne pouvaient plus le toucher. On ne pouvait distinguer le moindre de ses traits, juste le contour de son visage, tel une brume légère et indistincte. On aurait dit que cette homme avait vu de telles horreurs dans sa vie que son âme avait été marqué à jamais, marque qui s'était répandue dans son être à tel point qu'il était condamné à vivre dans l'obscurité...

-Que comptes tu faire? Demanda alors la femme, sur le ton du reproche, sa voix était aigrie, renforçant l'imprécision sur son age, l'homme se détourna légèrement et ses yeux croisèrent ceux de la femme, ses yeux prirent soudainement la teinte du feu, un feu aussi pure que brillant, contrastant avec son visage, continuellement baigné dans une brume, comme s'il était condamné à la nuit, et que seul cette femme pouvait lui conférer sa clarté.

-A quel propos? Continua t'il, son ton était, tout comme son teint, indistinct, quiconque l'aurait croisé n'aurait pu savoir quel age il avait ou quels traits étaient les siens. Sa question paraissait plus légèrement ironique, mais l'impatience et l'ennui traversait son ton, comme s'ils continuaient une discussion qui avait débuté plusieurs années auparavant et qui continuait toujours inlassablement au fil des années dans leur sinistre retraite.

-Ne fais pas l'ignorant, le réprimanda t'elle d'une voix toujours aussi tranchante, nuée d'exaspération. Tu dois le faire...

-Je n'en ai aucune envie! S'exclama t'il soudainement d'une voix aigre. Sa main sembla se crisper sur son genoux bien qu'on ne pouvait que distinguer les contours de ceux-ci.

Sa saute d'humeur engendra un silence pesant, seul le miaulement du chat, tout aussi sinistre que ses maîtres vint perturber le calme de la pièce.

-Tu as tellement changé! Remarqua t'elle en agitant légèrement un de ses doigt, aussitôt, la flamme rougit plus que jamais dans l'âtre flamboyant, la teinte rougeâtre se refléta sur son visage qui se crispa.

-La mort a transformé à jamais mes traits...

-Je ne parle pas de ce changement, les transformations physiques ont si peu d'importances à mes yeux...

Elle détourna le visage vers la vitre embuée et les larmes se mêlèrent soudainement à la pluie.

-Jamais je n'aurai cru que le si grand courage de l'homme que j'ai connu il y a si longtemps est mort.

Soudain, l'homme se redressa avec une si grande grâce qu'il aurait pu être un fantôme, la violence de sa voix contrastait avec la douceur de ses gestes. La magie qui l'habitait semblait sans limite, et la brume qui le noyait apparaissait soudainement comme le reflet de cette puissance, une si grande puissance que l'aura qui émanait de lui était un mur invisible à la lumière, mur sur lequel s'étalait mille ténébreux remords. Il tenait dans ses doigts une fine baguette, instrument et idéalisation de sa puissance.

-Ce courage est mort avec moi! Hurla t'il. La coupe de cristal emplis d'un liquide argent et cireux se fissura alors sur la cheminée sous les vibrations qui semblaient émaner du spectre blanchâtre, la potion qu'elle contenait glissa lentement telle une couleuvre sur le rebord de la cheminée avant de plonger courageusement dans le feu qui s'embrasa soudainement comme alimenté par une force inconnu, ce phénomène n'arracha pourtant qu'un souvenir aux deux sorciers.

-Je n'en crois rien, il faut plus que du courage pour faire ce que jadis tu as accompli! Comment un tel courage, une telle force aurait t'elle pu disparaître...

Elle lui détourna vivement le dos, attrapant le jeune félin à ses pieds et s'avança vers la fenêtre, observant son reflet dans la nuit.

-Tu dois l'aider, il est jeune, il a besoin de ton aide...

-Il ne me connaît pas, il n'a jamais entendu parler de moi! Personne n'a jamais entendu parler de moi! Avoua t'il avec une pointe d'amertume. Il a tout fait pour que personne n'entende parler de moi!

-Parce que tu lui as demandé, tu n'as jamais accepté et assumé ta puissance, tu as toujours préféré rester dans son ombre malgré toute ta puissance! Tu as toujours aimé ta liberté, tu as toujours favorisé la solitude à la sociabilité!

-Je ne peux pas l'aider... Je ne DOIS pas l'aider!

-Pourtant tu en seras obligé, tu as juré sur l'honneur et le souvenir de ceux que tu aimes, de ceux que tu as aimé que tu fera tout pour le vaincre, que tu fera tout pour que ses ennemis puissent l'emporter! Tu l'aideras parce que seul toi le peux, parce que seul toi as quelque chose qui puisse l'aider!

-Je ne peux pas l'aider dans sa tâche... Je ne dois pas l'aider dans sa tâche... Insista t'il, sa force témoignant de son trouble, par ses affirmations, il essayait de se convaincre lui-même plus que sa compagne

-Et lui, ton vieil ami, ton si vieil ami dont tu ne cessais jamais de me vanter les mérites, le courage, la force morale... N'est il plus rien pour toi...

-Je ne cesserai jamais de le respecter, de l'aimer... Nous étions jeunes, nous étions puissants, nous étions frères... Notre route s'est séparé... Point! S'écria t'il avec une voix brisée, douloureuse.

-Pourtant, toi seul peut reprendre le flambeau de la lutte, toi seul peut le mener où il a en vain tenter de le conduire...

-Je ne suis pas professeur... J'ai toujours agis seul, traite moi d'égoïste, qu'importe? Je ne veux pas l'aider, il l'a quitté alors qu'il aurait du l'accompagner! Il l'a délaissé alors qu'il aurait du l'aider! Il l'a ignoré alors qu'il aurait du le mener...

-Pour son souvenir, pour sa mémoire, pour la mémoire de l'être que tu as tant estimé, tu dois aider son plus jeune disciple... Même si tu restes dans l'ombre, tu n'as pas le choix, tu devras l'aider...

Elle se leva, lentement, la mine sombre, les larmes aux yeux, la voix douloureuse, lasse de dépenser son énergie et se quereller avec son marie sur un sujet déjà traité de trop nombreuses fois...

-Pourquoi n'ais je pas le choix?

-Tu possèdes quelque chose dont il aura besoin...

-Comment veux tu qu'il y parvienne alors que moi même j'en fus incapable?

Elle se retourna et lui sourit.

-Tu es puissant mais ne sous-estime pas la force de l'âge, le courage de la jeunesse, la fougue de l'adolescence, la détermination de l'amour...

Elle continua sa route, monta lentement les escaliers et arriver sur la dernière marche, elle le fixa dans les yeux, ceux-ci s'illuminèrent un instant et la brume qui l'entoura sembla se dissiper face à l'ardeur de la flamme que dégageait l'âtre flamboyant. D'une voix fatiguée, elle murmura avec tristesse.

-Il est censé tuer que tu t'es jurer de vaincre...

Sa voix s'étouffa un instant avant de continuer:

-Il est censé détruire celui qui a détruit ton fils et tué ta belle-fille...