Attention, ce chapitre contient des passages qui pourraient s'avérer choquant.
Beta-reading : Shinory
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CHAPITRE 2 : A moth to the flame
- ZORO ! Le cri perça à travers l'obscurité pour parvenir à ses oreilles.
Cette voix ! Zoro vira la tête, cherchant frénétiquement d'où elle provenait mais tout ce qui l'entourait n'était que noirceur.
- ZORRROOOO !
Son cœur fit une embardée. Cette fois, le hurlement lui glaça le sang. Jamais il n'avait entendu une telle exclamation de souffrance et de terreur dans la voix sa nakama. Pourtant il s'agissait bien de la voix de Nami, mais impossible de la localiser correctement. On aurait dit qu'elle se réverbérait tout autour de lui et dans ce noir d'encre il n'y voyait strictement rien. Il aurait dû percevoir sa présence, d'habitude l'obscurité ne le dérangeait pas mais là il se sentait impuissant et cela l'énervait.
- NAMI ! cria-t-il à son tour.
Ses deux katanas étaient déjà hors de leurs fourreaux, et ses mains étranglaient fermement leurs poignées à s'en faire blanchir les jointures. Où était-elle bordel ! Et où étaient les autres ?!
- AHHHH !
Il détourna vivement la tête et fonça sans perdre de temps dans une direction qu'il espérait être la bonne. De toute façon, il ne supportait plus d'être immobile. Nami était en danger et avait besoin de lui. Il n'avait aucune idée où il mettait les pieds mais il fallait qu'il avance. Son cœur tambourinait douloureusement dans sa poitrine, pompant à toute vitesse l'adrénaline dont il disposait. Zoro refusait de céder à la panique, il allait la retrouver !
- Zoro aide-moi ! s'écria la voix de Nami bien plus haut perchée qu'à son habitude.
Elle venait par la droite. Enfonçant brusquement les talons dans le sol, Zoro pivota et poussa sur sa jambe pour le propulser dans la nouvelle direction. Il fonçait tête baissée, le souffle court et les dents serrées, prêt à découper tout ce qui se mettrait en travers de sa route et surtout, prêt à détruire celui ou celle qui osait s'en prendre à leur navigatrice. A sa navigatrice.
L'obscurité était toujours totale et cela commençait à lui peser. Alors qu'il courait le plus vite possible, son œil scannait tout autour de lui, fouillant les ténèbres, et il essayait de faire abstraction de la petite voix perfide qui lui disait qu'il passait peut-être juste à côté d'elle sans la voir. Cette voix prit de plus en plus d'ampleur dans son esprit au fur et à mesure que les secondes s'égrainaient et que ses recherches s'avéraient toujours vaines. Puis soudain, la texture du sol changea sous son pied et il entendit un flop caractéristique, suivi de beaucoup d'autres à chaque fois qu'il avançait. De l'eau ? Zoro s'arrêta et tendit l'oreille. Sa respiration laborieuse semblait être la seule source de bruit dans cet environnement.
- Putain de merde ! jura-t-il pour lui-même avant de s'écrier, NAMI ! PARLE-MOI !
Le silence qui accompagna les secondes qui suivirent, fut si lourd qu'il crut que son palpitant allait exploser sous la pression.
- Zo-Zoro !
Sa voix était nettement plus faible, comme si elle puisait dans ses dernières forces pour l'appeler, mais il ressentit une vague d'espoir car elle ne semblait plus très loin. Zoro s'élança à nouveau, flanqué du clap-clap à chaque foulée qu'il faisait.
Tout à coup, un faible halo de lumière apparut droit devant lui et en son centre, un éclat orangé. L'espoir déferla dans son système, remontant jusqu'à son cerveau dans une explosion. Il fonça vers la silhouette allongée au sol, dos à lui. En quelques enjambées, Zoro fut rapidement à ses côtés.
- Nami !
Mais la jeune femme ne répondit pas, toujours immobile au sol. Il se laissa tomber à genoux, sentant immédiatement l'eau lui tremper ses vêtements, mais cela n'avait pas d'importance. Ses deux katanas reposèrent également par terre et il attrapa le corps de la jolie rousse pour la retourner face à lui, dans le creux de ses bras.
Son souffle s'étrangla aussitôt dans sa gorge lorsque son regard tomba sur son visage blême, couvert d'entailles et de sang. Cependant, ce qui l'alerta le plus, ce fut le trou béant sur son flanc gauche, qui mangeait une partie de son ventre et de ses côtes, comme si un animal avait planté ses dents dans la chair tendre et avait tiré d'un seul coup. Sa main, tremblante, survola l'immense plaie, voulant toucher pour savoir si c'était bien réel mais le son de sa voix l'interpella.
- Zo-Zoro ? souffla faiblement Nami.
Son œil remonta vers son beau visage désormais gâché par les diverses ecchymoses. Ses lèvres habituellement si roses et envoûtantes n'étaient plus que deux lignes fades d'un violet sombre qui juraient sur une peau bien trop blafarde. Intérieurement, Zoro étouffa. Il avait échoué. Il était arrivé trop tard. Pourtant, son naturel combatif le poussa à croire qu'il y avait encore une chance.
- Hey, croassa-t-il. Je suis là.
Il leva la tête et chercha de l'aide autour de lui.
- CHOPPER ! NAMI A BESOIN D'AIDE ! CHOPPER ! LAW ! QUE QUELQU'UN VIENNE L'AIDER !
Il détesta entendre le désespoir dans sa voix, ça ne lui ressemblait pas. Mais personne ne répondit. Zoro allait s'époumoner une nouvelle fois, quand une main froide se posa sur sa joue et l'appel à l'aide mourut sur ses lèvres. Nami le fixait de ses grandes orbes marron, ternies par l'anémie et la fatigue. L'épéiste couvrit sa petite main de la sienne et la serra doucement, avec le faible espoir que cela la réchaufferait un peu.
- Les autres ne viendront pas… Chopper… Brook… Sanji… Luffy… ils… ils sont tous morts, expliqua-t-elle péniblement.
Un vent glacial surgit de nulle part, l'enveloppa et son sang se figea.
- Bi-Big Mom… Elle… nous a tous eu…
- Non, souffla Zoro incrédule. Non. Non ! Luffy ne peut pas perdre ! ajouta-t-il avec fermeté.
Ça ne pouvait pas arriver. Il avait trop confiance en leur capitaine. C'était impossible, pas comme ça ! pas alors qu'ils étaient séparés. C'était ensemble qu'ils devaient faire face à la mort ! Et jamais il ne laisserait quelque chose arriver à Nami. Et pourtant… c'était bien elle qui gisait dans ses bras.
Soudain, il releva la tête pour les appeler lorsque le désespoir le heurta de plein fouet, comme un uppercut dans l'estomac. A deux pas de lui, par terre, le très distinctif chapeau de paille était complètement déchiré, souillé d'une substance rouge luisante. Tout autour, les corps de ses amis jonchaient le sol. L'obscurité avait reculé de quelques mètres, laissant un rond d'une dizaine de mètres de diamètre. Tous étaient couvert de blessures et baignaient dans leur propre sang. Une affreuse réalisation lui vint alors à l'esprit, et il baissa les yeux. Ce n'était pas de l'eau qui avait imbibé le bas de son pantalon, mais bien la texture poisseuse du sang de ses nakamas.
- Nami… je…,
Mais le reste de sa phrase s'étrangla dans sa gorge sous l'émotion. Du coin de l'œil, il l'aperçut à quelques pas de là. Son visage était encastré dans le sol, mais ses longues mèches dorées, dont les pointes baignaient dans le sang, témoignaient de son identité. Avec sa chevelure blonde, on aurait dit une balise ballotée par les courants dans un océan écarlate.
- Je t'avais dit de ne pas y aller. Je vous avais dit de le laisser…
Malgré cela, la mort de Sanji lui était tout aussi difficile à accepter que celle des autres. Cependant, l'amertume qu'il éprouvait pour le cuisinier était d'autant plus grande que tout cela ne serait jamais arrivé s'il n'était pas parti.
- On est une famille, Zoro. On doit être là pour les uns et pour les autres.
- Je ne peux pas te perdre, Nami. Je ne le veux pas !
- Pourquoi ? En quoi est-ce différent des autres ?
- Tu sais parfaitement pourquoi !
- Non, tu ne me l'as jamais dit.
- Mais tu aurais dû le savoir ! Tu aurais dû le comprendre ! Tu aurais dû voir que nous deux ce n'était pas que… que… !
Il avait crié la dernière phrase avec un désespoir étouffant. En cet instant, il lui en voulait tellement ! Il lui en voulait, d'être venu à lui, de l'avoir embrassé, de lui avoir fait éprouver de nouvelles sensations ! Il lui en voulait d'avoir rompu brusquement sans plus d'explications ! Il lui en voulait d'être partie! Il lui en voulait d'avoir rejoint l'équipage en premier lieu ! Il lui en voulait pour son attitude autoritaire, pour ses sautes d'humeurs, pour son avidité pour l'argent ! Il lui en voulait de la voir sourire, rire, pleurer… de vivre… mais surtout, et par-dessus tout, il lui en voulait de devoir la regarder mourir. Parce qu'il ne se faisait plus d'illusion, Nami mourait dans ses bras, il pouvait voir très clairement la vie quitter ses yeux sans être capable de la retenir. Tout comme il n'avait pas pu la retenir de partir pour récupérer Sanji. Finalement, celui à qui il en voulait le plus, c'était lui-même.
Ses lèvres bleuies tremblèrent avant de s'étirer lentement dans un sourire triste. Il sentit la main sur sa joue le caresser de son pouce alors qu'il voyait l'étincelle dans ses yeux mordorés s'affaiblir de plus en plus.
- Tu aurais dû voir que je… que je… je
Sa langue buta contre son palais, comme un disque rayé. « Qu'il » quoi, hein ? La frustration s'empara de lui alors qu'il cherchait désespérément comment finir cette phrase.
Une faible esquisse de sourire, presque indétectable, flotta sur ses traits fatigués. Il était empli de tristesse et de déception. Le regard de la jeune femme perça une dernière fois à travers son âme, avec cette lueur faiblarde, s'accrochant à lui dans un ultime effort. Puis celle-ci s'éteignit progressivement, et il ne put que la contempler, impuissant, avec pour seule compagnie, la douleur qui lui broyait les tripes. Un immense vide se creusa dans sa poitrine lorsqu'il sentit la main froide qu'il tenait de la sienne contre sa joue, glisser pour retomber mollement entre eux.
- Nami ? appela-t-il doucement, presque naïvement avec l'espoir qu'elle allait revenir à elle.
Ses grands yeux si pétillants, étaient désormais ternes et ne fixaient plus rien de concret. Ils étaient vides et froids, comme le cœur du bretteur. Ce dernier approcha sa main de son visage inerte et passa délicatement ses doigts sur les paupières, refermant pour l'éternité les deux fenêtres qui ne donneraient plus sur aucune âme.
Zoro se pencha et enfouie son visage dans le cou de la jeune femme tout en l'étreignant. La réalisation que Nami était morte était d'autant plus frappante qu'elle ne répondit pas à son étreinte. Il avait juste l'impression de serrer une poupée de chiffon à la peau froide. Il ferma l'œil et serra les dents de toutes ses forces pour ravaler le sanglot qui lui écrasait la poitrine. Mais ce fut peine perdue.
Bondissant de son lit comme le clown sorti de sa boite, Zoro se réveilla en sursaut. Il haleta fortement et peina à retrouver une respiration normale alors que son cœur martelait sa poitrine de l'intérieur. Les draps étaient enchevêtrés à ses pieds, signe qu'il avait dû pas mal remuer dans son sommeil et son corps était trempé de sueur. Il plaça sa main au-dessus de son cœur, le sentant toujours s'affoler sous ses doigts, puis remonta à son visage où il essuya les gouttes de transpiration qui perlaient abondamment. D'ailleurs, il y en avait une forte concentration sous son œil droit, et ce dernier le piquait de façon désagréable…
Il ferma l'œil et prit une profonde inspiration par le nez. L'image de ses compagnons, complètement amochés et couverts de sang, s'incrusta derrière ses paupières, et Zoro eut bien du mal à la balayer. Il fallut qu'il se répète pendant plusieurs minutes, que tout ceci n'était qu'un cauchemar grotesque, et que ses amis ne mourraient pas si facilement. Et lorsque que son rythme cardiaque fut enfin calmé, l'horrible vision de Nami, la moitié du corps arraché, vint à nouveau chatouiller son esprit chamboulé, une vive sensation de froid le saisit au niveau de la poitrine. Son corps froid et désarticulé qu'il tenait maladroitement dans ses bras, sa pâleur morbide, le sang rouge vif qui maculait sa peau, ses yeux qui s'éteignent progressivement au fur et mesure que la vie l'abandonnait… Son œil se remit à picoter.
Sa main réagit pour lui, en se recroquevillant rapidement en un poing qui vint s'encastrer brutalement dans sa mâchoire. Sa tête partit sur le côté tandis que son monde vacillait tout autour de lui et que la douleur commençait à se diffusait au niveau de l'impact. Il n'y était pas allé de main morte, mais au moins, ça avait eu le bénéfice de chasser cette vision d'horreur. Zoro secoua la tête énergiquement comme pour remettre de l'ordre dans tout cela.
Mais qu'est-ce qui lui arrivait, bordel ?! Jamais il n'avait fait de cauchemar de cette intensité, avec autant de noirceur.
Pourquoi est-ce qu'une fois de plus, la conversation qu'il avait avec Nami tournait autour de leur rupture ?!
Ça faisait la deuxième nuit consécutive qu'il rêvait d'elle, et il allait falloir que sa cesse ! S'il avait décidé de l'oublier le temps qu'ils étaient éloignés, c'était pas pour qu'un foutu rêve vienne tout gâcher ! Et son subconscient avait intérêt à capituler ! Roronoa Zoro n'était pas du genre à être tourmenté par quoique ce soit et il aimait à croire qu'il maîtrisait son corps ainsi que son esprit. Et c'était pas cette putain de sorcière qui allait briser cela !
Qu'est-ce qui lui prenait aussi de rêver que Luffy mourrait ?! Il avait une confiance absolue en lui ! Il avait promis qu'il reviendrait avec tout le monde et il n'en doutait pas une seule seconde. Jamais il ne laisserait quelque chose arriver à ses compagnons, il se battrait bec et ongles pour les protéger. Monkey D Luffy était celui qui allait devenir le Roi des Pirates, il ne mourrait pas là-bas, alors que leur équipage était scindé en deux !
Zoro se leva, n'aillant aucune idée de l'heure qu'il était, en tout cas, il faisait encore nuit. De toute façon, il ne trouverait plus le sommeil. Alors quoi de mieux qu'une bonne séance de musculation pour se défouler ? Il sortit les bras de ses manches et noua ces dernières autour de sa taille avant d'entamer une série de pompes, à même le sol. Oui, il allait devoir user physiquement son corps pour reprendre le contrôle sur son esprit auquel il s'attaquerait ensuite par une séance de méditation. Le contrôle. Il n'y avait que cela de vrai !
...
La journée s'écoula lentement et tranquillement comme les précédentes. L'atmosphère plutôt paisible de la ville avait relégué son cauchemar à l'état anecdotique d'un écho lointain. Car oui, même si le pays était sous l'emprise d'un pirate à la réputation terrifiante et d'un dirigeant tyrannique, la Capitale des fleurs restait un endroit très agréable à vivre. Il l'avait longuement arpenté pour repérer de temps à autre les fameux tatouages des partisans de la résistance sur quelques chevilles d'inconnus qu'il croisait dans les rues. Ils étaient très minoritaires mais Zorojuro ne désespérait pas pour autant.
Le soleil déclina lentement, signalant au ronin qu'il était temps de rejoindre, comme tous les soirs, son point de ralliement : La taverne. Ce brave Kin'emon leur avait fourni à chacun, une somme rondelette, récupérée dans une cachette secrète, à l'intérieur des entrailles des ruines du Château d'Oden, pour leur permettre de mener leur nouvelle vie. Somme que Zoro dépensait par ordre de priorité dans des besoins de première nécessité, tel que l'alcool, la nourriture et accessoirement, un logement.
Durant ces derniers jours, il n'avait aperçu personne de son équipage mais comme tout était calme, il supposa qu'il n'y avait pas de quoi s'alarmer. C'était étrange de se retrouver de nouveau seul après tout ce temps passé ensemble sur un navire, à se côtoyer du matin au soir. Mais quelque part, ça lui faisait du bien, même si l'ambiance du Thousand Sunny lui manquait un peu.
Il entra dans ce lieu devenu son repère, huma les doux effluves de saké qui embaumait la petite taverne et alla s'asseoir au comptoir. Il n'y avait rien de mieux pour finir une journée qui n'avait pas commencé de la meilleure façon qui soit. La nuit à venir serait sûrement meilleure.
...
- ZOROOO !
Son cœur bondissait furieusement dans sa poitrine alors que sa tête vrombissait à cause de l'afflux sanguin. L'obscurité était toujours présente et il ne percevait uniquement son souffle laborieux dans cet abyme. Son regard sonda l'étendue l'abyssale.
- AAAHHHH ! ZOROOO ! A l'AIDE !
Son sang ne fit qu'un tour et Zoro bondit en avant, une épée dans chaque main. Il ne savait pas où il allait. Il courait. Il courait aussi vite que ses jambes pouvaient le porter. Le cri de Nami restait encré dans ses tympans. Il devait la retrouver rapidement, car au fond de lui, il avait un mauvais pressentiment.
Le sol changea subitement dans un bruit éclatant. De l'eau. Mais il ne s'arrêta pas, quelque chose le poussait à continuer. Puis il la vit, étendue, inerte.
- Nami !
Il se jeta sur elle, attrapant son corps désarticulé entre ses mains tremblantes. Une multitude de plaies profondes poinçonnaient l'ensemble de corps et des flots de sang s'écoulaient abondamment de ses blessures. Des blessures causées par une lame, remarqua-t-il. Un médecin ! Il fallait qu'il trouve un médecin et vite.
- CHOPPER ! hurla-t-il à plein poumon.
Cependant, une poigne d'une force étonnante le saisit au poignet. Il baissa le regard vers la jeune femme qui le fixait avec des yeux écarquillés, luisant de larmes.
- Aide-moi. Ne me laisse pas…, supplia-t-elle entre ses dents serrées à cause de la douleur.
Un immonde gargouillis remonta de sa gorge et une coulée vermeille s'échappa d'entre ses lèvres violines. La prise sur son poignet se resserra encore plus et Zoro se retrouva incapable de prononcer le moindre mot. Il voulait lui dire qu'il ne l'abandonnerait pas, qu'il resterait toujours à ses côtés, qu'il était là pour elle, mais rien ne vint. Les sons restèrent bloqués dans sa gorge. Nami convulsa, les yeux révulsés mais les pupilles immanquablement braquées sur lui. Ses ongles se plantèrent dans la chair de son poignet, et pendant une horrible seconde il sentit la panique monter en lui sans pouvoir rien faire. Puis elle se raidit d'un seul coup. Un dernier souffle passa ses lèvres ensanglantées, son regard se figea et son corps retomba mollement. Ses doigts se déroulèrent de leur prise et glissèrent le long de son poignet pour tomber au sol.
Non. Non. Non. Pas encore ! Ça ne pouvait pas être vrai ! Il n'avait même pas eu le temps de lui dire… De lui dire quoi ? « Je suis désolé » ? « Je suis là » ? Tout ce qu'il voyait, c'était qu'il n'était pas arrivé à temps.
Il ferma étroitement l'œil alors que son impuissance et son désarroi l'accablaient.
Lorsqu'il le réouvrit, le corps de Nami avait disparu. Hébété, sa paupière cligna puis il releva la tête pour la chercher. L'obscurité avait de nouveau repris ses droits et il eut soudain l'impression que l'atmosphère s'était alourdi, la rendant oppressante.
- Nami !
L'échos de sa voix s'étouffa aussitôt comme s'il était pris au piège dans une pièce close et insonorisée. Toujours à genoux, Zoro tourna la tête à droite, puis à gauche, puis derrière lui. Les ténèbres étaient partout et l'opprimaient de plus en plus. A tâtons, il chercha ses deux sabres qu'il avait laissés au sol mais ne rencontra que de l'eau (ce n'était plus du sang car la consistance était plus légère), qui lui échappa entre les doigts. Par réflexe, il porta une main à sa ceinture, espérant trouver la présence rassurante de Wado Ichimonji. Rien. Ses trois sabres s'étaient volatilisés et il ne les percevait nulle part.
- Merde !
Soudain, l'air se modifia et le bretteur sentit enfin une présence. Il se retourna et son regard tomba sur la silhouette élancée d'une jeune femme qui se tenait debout à quelques pas de lui. Elle portait une longue robe blanche, vaporeuse, maintenue par deux fines bretelles sur ses frêles épaules aussi blanches que le lait. Ses cheveux blond vénitien étaient aussi longs que sa robe et ondulaient tout autour de sa silhouette longiligne.
- C'est toi qui lui as fait ça ? gronda le pirate.
Son visage que d'aucun aurait trouvé magnifique et d'une perfection incroyable, n'exprima rien. Seuls ses grands yeux à la couleur de l'océan le transperçaient sans la moindre émotion.
- EST-CE QUE C'EST TOI QUI L'AS TUE ?! hurla Zoro de toute sa rage.
Sa tristesse s'était muée en colère sourde. Il voulait tuer, mutiler, massacrer, égorger. Et tant pis s'il n'avait plus d'arme, ses mains étaient toujours là, elles. Il avait soif de sang qui pourrait étancher sa peine. Il voulait faire souffrir ceux qui avait fait ça, tout comme Nami avait souffert et tout comme lui souffrait. Peu importait s'il s'agissait d'une femme. Il la ferait payer pour ses crimes.
Soufflant de rage comme un taureau sur le point de charger, Zoro voulut se jeter sur elle mais ses genoux restèrent désespérément cloués au sol. Son corps tout entier refusait le moindre mouvement et le bretteur éructa dans un mélange de jurons et d'onomatopées. La femme aux longs cheveux s'avança tout doucement vers lui d'un pas souple, tout en légèreté, ses pieds effleuraient la surface de l'eau alors que lui y était plongé jusqu'aux genoux. Il s'arrêta de profaner, respirant lourdement et grognant comme une bête sauvage prise au piège. Toute sa haine et sa rage, il les fit passer dans son regard mais cela ne parût pas la perturber. Elle s'agenouilla devant lui, soutenant sans mal cette colère débordante avec une expression de curiosité sincère. Ses grands yeux bleu saphir à la profondeur insondable fouillaient dans le sien à la recherche d'il-ne-savait-quoi et cela le fit bouillir encore plus.
Une petite main pâle vint caresser son visage, examinant ses traits déformés par la fureur bestial qui rugissait en lui. Malgré toute son animosité envers elle, il trouva ses doigts à la fois d'une extrême douceur mais aussi d'une froideur macabre, tandis qu'ils parcouraient son front, son nez, ses yeux, ses pommettes, ses lèvres… Elle l'étudiait silencieusement, profitant de son immobilité forcée.
Tout à coup, quelque chose de glacé se posa sur son pectoral au niveau de son cœur et il constata qu'elle venait d'y placer son autre main, à plat. Sa chaleur corporelle se mit à disparaître progressivement, remplacée par un venin froid qui lui gela les entrailles. Il ne comprenait pas ce qui lui arrivait, ni ce que cette femme lui voulait. Zoro replongea son regard dans ces deux orbes abyssaux, puis soudain, les doigts sur sa poitrine commencèrent à s'enfoncer dans sa chair. Il voulut crier mais ses lèvres restèrent scellées et la jeune femme le dévisagea comme si elle s'abreuvait de sa douleur. Les doigts traversèrent ses muscles, creusant plus profondément dans sa poitrine avec une aisance effarante, jusqu'à trouver ce qu'ils cherchaient. Ils effleurèrent l'organe bondissant qui s'affolait à leur approche, à l'image d'un oiseau coincé devant une vitre, se débattant de plus en plus vivement alors qu'il était sur le point d'être capturé. Le bretteur refusa de céder à l'angoisse provoquée naturellement par la douleur. Il n'avait pas peur d'affronter la mort en face, c'est pourquoi Zoro la transperça de son regard solitaire alors que les doigts glacés se refermaient sur son cœur. Ils l'étreignirent à la façon d'un citron que l'on presse et son œil s'écarquilla. La douleur était terrible et insoutenable. A cet instant, le bretteur pensa sincèrement que son heure était venue, bien qu'il fut totalement contre, mais il ne pouvait pas lutter. Des points noirs apparurent progressivement dans son champ de vision et au moment où il se dit que son cœur allait exploser sous la pression, celle-ci disparut aussitôt. Les doigts firent marche arrière et ressortirent de sa poitrine.
Son palpitant se remit à battre comme un forcené, et Zoro bascula en avant, la bouche grande ouverte pour aspirer le plus d'air qu'il pouvait afin d'apaiser le feu dans sa cage thoracique.
Ignorant son désarroi, la main qui se trouvait sur son visage, vint couvrir ce dernier avant d'appuyer fort. Il se sentit basculer en arrière et en un rien de temps, l'eau le submergea. L'obscurité l'enveloppa entièrement et le liquide s'infiltra par sa bouche et son nez pour s'engouffrer dans ses poumons. Il tenta de se débattre pour remonter à la surface, mais ses efforts furent vains car une force l'entrainait désormais vers le fond. La dernière chose qu'il vit, fut la silhouette blanche qui ondulait au-dessus lui, ainsi que les grands yeux saphirs qui l'observaient disparaître dans les ténèbres.
Au beau milieu de la nuit, Zoro se redressa dans son lit, la bouche ouverte et aspirant désespérément l'air qui semblait lui manquer. Il toussa, cracha, pantela. Il lui fallut plusieurs minutes pour retrouver un semblant de normalité et se reconnecter à la réalité. Sa poitrine le lançait et il avait toujours cette sensation de froid, comme si la main de cette femme était encore agrippée à son cœur.
Mais putain c'était quoi encore ce rêve ?!
C'était la deuxième fois qu'il faisait le même rêve, à quelques variantes près. Et puis cette femme ?! D'où est-ce qu'elle sortait ?! Son esprit déraillait sévère ! Nami était toujours mourante, mais cette fois, le reste de ses nakamas étaient indemnes. Mais c'était lui qui succombait…
Zoro bondit sur ses pieds, tout en ignorant sa tête qui semblait prise dans une centrifugeuse. Il était en colère et cela devenait une habitude de se lever ainsi. Ce n'était pas franchement une habitude qu'il voulait garder !
...
Le verre, vide, rejoignit la table, comme il l'avait fait des dizaines et des dizaines de fois en cette soirée. La petite taverne n'était pas très fréquentée, il y avait tout au plus cinq ou six clients, dont certains, en plus de boire, c'étaient vu servir un plateau de sushis. L'ambiance était calme et le bruit des conversations flottait légèrement sans être dérangeant. Zoro appréciait cet établissement. Le tenancier était un homme dans la quarantaine, d'un tempérament agréable et qui ne posait que très rarement des questions, ce qui lui allait très bien. Cerise sur le gâteau, le saké était délicieux ici et pas cher !
Malgré tout cela, le samouraï n'arrivait pas à se satisfaire de sa soirée. Il fit signe au tavernier de lui en servir un autre. Ce dernier hésita le temps d'une seconde alors qu'une lueur d'inquiétude traversa ses petits yeux. Zoro plaça la monnaie sur la table et l'homme apparut comme par magie à ses côtés, tenant une nouvelle carafe de saké dans les mains. Il s'apprêtait à le servir mais l'homme aux cheveux verts le stoppa.
- Laissez la carafe, grommela-t-il d'une voix bourrue.
- Quelle décente ! Je n'ai jamais vu quelqu'un boire autant sans en être rendu à se rouler par terre, commenta le tavernier avec admiration.
- Humpf.
L'homme repartit sans d'autres commentaires, embarquant l'argent et laissant Zoro seul avec son nouveau ravitaillement. Il était de mauvaise humeur, comme tous les jours de cette semaine. Malgré toute sa volonté, les cauchemars persistaient toutes les nuits et le poursuivaient même en journée. Son esprit se retournait contre lui, ôtant les rares petits moments de plaisirs que lui offraient sa sieste. Bordel ! Il ne pouvait même plus piquer un roupillon après une séance d'entraînement sans se réveiller suffocant et en sueur, la chair de poule courant sur toute sa peau ! Le rêve était quasiment toujours le même. Il était dans le noir complet, et Nami hurlait, l'appelant à l'aide. Il arrivait toujours trop tard et à chaque fois, peu importe ce qu'il faisait, elle succombait de ses blessures, qui soit dit en passant, étaient différentes d'une fois sur l'autre. Il n'avait pas revue ses compagnons mourir (c'était déjà un point positif), en revanche, l'étrange femme à la longue chevelure apparaissait toujours à la fin de son rêve. Elle ne l'avait pas retouché depuis la première fois qu'il l'avait imaginé mais elle le regardait toujours sombrer dans les eaux noires sans possibilité de refaire surface tandis que l'eau emplissait douloureusement ses voies respiratoires. « Douloureusement » car il ressentait sa noyade, et lorsque tout s'éteignait et qu'il pensait être enfin mort, il se réveillait en sursaut, le souffle ronflant et la cage thoracique en feu.
Est-ce que les rêves étaient capables de tuer ?
Il aurait aimé affirmer que non, mais aujourd'hui, il n'en était plus très sûr. Cela ne signifiait pas non plus qu'il se laisserait faire. Hors de question de mourir bêtement pendant qu'il dormait ! et ce n'était pas un foutu rêve qui allait avoir raison de lui !
Autant dire qu'avec tout ça, il était à cran et ça ne lui ressemblait pas. Si ça continuait, cela allait influer sur sa mission et mettre en péril leur infiltration. Il devait être au top de sa forme pour affronter Kaido. Alors c'était pas le moment de se retrouver avec des problèmes de conscience !
La méditation et l'effort physique n'avait rien donné. L'alcool ? pas plus d'effet non plus, mais cela ne l'empêcherait pas de retenter à nouveau. Ce soir, il voulait boire ! et pas parce que ça lui faisait plaisir. Il voulait s'assommer l'esprit pour espérer retrouver un sommeil paisible, car la privation commençait à se faire sentir. Ce n'était peut-être pas très glorieux mais c'était une solution comme une autre. Malheureusement, il avait une tolérance à l'alcool assez élevée, et si en d'autre circonstance, il en était plutôt fier, ce soir, ça le faisait grandement chier ! Le comble dans toute cette absurdité ? il appréhendait de s'endormir ! Si c'était pas pathétique ! Ce n'était pas tant la crainte de se voir mourir que d'entendre le hurlement déchirant très réaliste de Nami, ainsi que de voir la vie s'éteindre dans ses yeux sans qu'il ne puisse rien faire. Ces visions cauchemardesques le remuaient bien plus qu'il ne voulait l'admettre. Pourtant, il était confiant, il savait qu'elle allait bien. Elle était forte, bien plus qu'elle ne laissait supposer et il avait une confiance aveugle en tous ses compagnons. Alors il ne devrait pas faire ces stupides rêves !
D'un geste sec de l'avant-bras, il s'envoya directement dans le gosier, un verre entier de saké, l'engloutit d'une seule traite, reposa son verre, le remplit puis recommença. Encore et encore…
Lorsqu'il émergea enfin de la petite taverne, la lune était déjà haute dans le ciel. Il était le dernier client à partir mais cela n'avait pas paru déranger le tenancier, qui avec un peu de chance, aurait accepté de le servir jusqu'au petit matin. C'est un choix que Zoro avait envisagé, mais les effets de l'alcool commençaient à se faire sentir et si jamais il piquait du nez sur l'une des tables, il n'avait pas envie de se réveiller en suffocant sous le regard inquiet et curieux du propriétaire des lieux. Très peu pour lui.
Maintenant, il n'avait plus qu'à retrouver où il logeait. Le bretteur tourna la tête à gauche, puis à droite. La rue était déserte et tous les volets étaient fermés sur les façades des maisons floues, sans compter que le sol paraissait en mouvement. Il se gratta la tête un instant. C'était par où déjà ? Rrrr la poisse ! tout se ressemblait ! Bon et bien ce serait à droite. Zoro fit deux pas et la terre tangua dangereusement.
*hips*
Voilà maintenant qu'il avait le hoquet… Lui qui voulait s'enivrer, son objectif était atteint. Mais à présent que c'était fait, il n'était pas très sûr d'apprécier d'être dans cet état. Déjà que c'était coton pour se repérer dans cette ville, alors quand les maisons se mettaient à bouger et à se superposer, il y avait de quoi rendre fou. Pourquoi les autres ne le croyaient jamais lorsqu'ils disaient que les rues se déplaçaient ? Là il en avait la preuve !
*hips*
Le petit air frais qui caressait la Capitale des fleurs était le bienvenu alors que l'alcool réchauffait son sang. Zoro erra un bon moment. Combien de temps ? Difficile à dire vu que sa perception était quelque peu biaisée. Lui, aurait tendance à dire des heures, mais il ne pouvait aussi s'agir que de quelques minutes. Finalement, au bout d'un certain temps, le paysage ne tanguait plus aussi violemment et son hoquet avait fini par disparaitre. Sa tête s'était même un peu éclaircie mais sa vision semblait toujours embrumée. En revanche, la bicoque où il créchait demeurait introuvable et pas moyen de demander le chemin à quelqu'un. Ils se couchaient tous avec les poules ou quoi ? Y'avait vraiment personne pour veiller en pleine nuit ?!
Il en était là de ses réflexions lorsqu'il aperçut des lueurs sur la façade d'une maison.
Comme un papillon attiré par la lumière, le bretteur se laissa guider et arriva devant un immeuble assez imposant. Toutefois, il fronça les sourcils quand il constata que toutes les lumières aux fenêtres disparaissaient au fur et à mesure qu'il approchait, pour finalement se regrouper en un seul et même point lumineux à l'angle de la maison. Une petite lanterne en papier suspendue au toit du perron, diffusait sa douce lueur pour les quelques insectes nocturnes qui virevoltaient de-ci de-là et qui venaient se taper frénétiquement dessus. L'endroit n'était pas plus occupé que le reste de la rue.
Exaspéré par sa solitude et son ébriété, Zoro tourna les talons et prit une direction qu'il pensa être la bonne. Le bruit feutré d'une porte shoji qui s'ouvrait, résonna dans son dos, suivi par le claquement sec d'une paire de getas sur le plancher en bois.
- Attendez, Samouraï-sama ! Le héla cette personne.
Il se figea et retint sa respiration. Cette voix… il devait rêver. Un frisson le parcourut tout entier alors que son esprit lui repassait le son de cette même voix qui lui hurlait de l'aider et qui le suppliait de ne pas l'abandonner. Le bretteur se tourna lentement vers celle qui venait de l'interpeller, avec une certaine méfiance, de peur que son esprit ne lui joue encore des tours. Dire qu'il fut stupéfait était un bien faible mot. Elle se tenait là, à la balustrade qui ceinturait le pourtour de la maison, vêtue d'un long kimono vert aux motifs floraux, et ses longs cheveux aux couleurs de ses mandarines, rassemblés dans une coiffure traditionnelle. Est-ce qu'ils avaient des visions en plus d'être bourré ? Un éclair d'inquiétude passa dans ses grands yeux.
- Est-ce que tout va bien, Samouraï-sama ?
Un frisson lui dévala l'échine à l'entente de ce nouveau surnom qu'elle semblait s'amuser à faire rouler sur sa langue à la façon d'une sucrerie dont on se délecterait lentement. Le pire c'était qu'entendre ce titre formel dans sa bouche avec sa voix enjôleuse ne le laissait pas indifférent. Soudain, il entrevit un nouveau contexte dans lequel ce titre pourrait être employé, et il sentit aussitôt un fourmillement familier au niveau de son bas-ventre. Maudite soit-elle !
- Je vous ai vu passer plusieurs fois devant cette maison…
Ses pieds bougèrent par eux-mêmes, mus par une volonté qui leur était propre, et il eut l'impression d'être l'un de ces papillons, attiré fatalement vers sa lumière. Belle et incandescente, voilà ce qu'elle était.
- Vous êtes perdu ? demanda-t-elle avec un demi sourire qu'il jugea malicieux, et le ton narquois qu'elle venait d'employer le conforta dans son idée qu'elle le taquinait.
Comme le ferait Nami…
- Je ne me perds jamais ! argua-t-il par habitude.
A s'entendre, il trouva sa voix un peu plus bourrue et plus lente que d'habitude… encore un effet pas franchement agréable de l'ébriété. Elle émit un petit rire discret qu'elle cacha derrière sa main. Zoro s'approcha des marches mais resta à leurs pieds tandis que la jeune femme venait se placer en haut et l'observait avec douceur. Il la détailla un peu mieux et ne put s'empêcher de ressentir un certain soulagement à la voir, bien vivante.
- Qu'est-ce que tu fais là ?
Elle haussa les sourcils, surprise de sa question, avant de retrouver une expression calme et amusée.
- Je travaille ici.
Zoro leva le regard vers l'établissement plutôt imposant, qui lui sembla familier, mais pas facile de se souvenir avec le brouillard qui persistait dans son esprit, puis il le reposa sur la jolie rousse. Elle l'observait toujours en souriant dans sa tenue qui lui faisait penser à celle de Robin. Au-delà du fait qu'elle soit très jolie mais étonnamment couverte (elle qui aimait toujours dévoiler un peu trop de peau). Et puis soudain cela fit tilte.
- Il t'a aussi demandé d'être une courtisane ? demanda-t-il rhétoriquement.
La rouquine lui adressa un sourire faiblard, presque désolé
Ce vieux pervers de Kin'emon, avait aussi envoyé Nami pour qu'elle use de ses charmes afin d'infiltrer les rangs du Shogun…
Pourquoi est-ce que l'idée qu'elle séduise des hommes ne lui plaisait pas, mais alors vraiment pas ? Il ne devrait plus rien en avoir carré ! Il lui avait dit qu'il lui foutrait la paix, non ? Alors qu'est-ce qu'il fichait là ? Il voyait qu'elle allait bien, il n'avait donc plus de raison de rester à la contempler. Oui, il devrait tourner les talons et partir. Mais pauvre insecte qu'il était, ses pieds le firent gravir les marches, gravitant vers ce soleil nocturne, pour s'y brûler les ailes.
Son regard brun le fixait avec une intensité presque hypnotique tandis qu'il venait se poster juste devant elle, l'observant de toute sa hauteur. Non, il ne la toucherait pas, même s'il en crevait d'envie, même si chaque cellule de son corps appelait à la serrer contre lui, à enfouir son nez dans sa chevelure pour se laisser envelopper par son parfum. Parce qu'après une semaine éprouvante, où son esprit s'était amusé à la faire mourir encore et encore, le besoin de se rassurer le tenait aux tripes. L'alcool avait beau le désinhiber, il ne céderait pas. Même si ses grands yeux étincelants le sondaient sans retenue, avec une douceur infinie et une part d'envie.
Combien de temps restèrent-ils ainsi, à s'observer mutuellement, en haut des marches du perron ? ça aurait très bien pu être des minutes comme des heures. Le temps n'avait plus de sens commun, jusqu'à ce qu'elle rompe ce contact et glisse ses petits doigts au creux de sa main pour la saisir.
Zoro entendit une petite voix hurler dans les tréfonds de son esprit, lui crier de la lâcher, de s'éloigner et très vite, mais elle était bien trop faible et ne perçait pas à travers l'épais nuage brumeux provoqué par l'alcool. La jeune femme en kimono capta à nouveau son regard et recula doucement sans lâcher sa prise. Dans un premier temps, il ne bougea pas et observa son bras qui se levait lentement à mesure qu'elle s'éloignait, puis hésita lorsqu'ils se tendirent à leur maximum. Elle ne donna aucune impulsion, elle attendit qu'il se décide tout en continuant de le couver d'un regard chaud. Chaleur qu'il ressentit dans la paume de sa main là où sa peau douce rencontrait la sienne rugueuse, apaisante comme un baume. Cette sensation de froid qui le maintenait depuis plusieurs jours se dissipa quelque peu, tout ça grâce à ce simple contact.
Et il n'avait plus envie d'avoir froid.
Son pied avança, suivi du second, et Zoro s'abandonna à son sort en se laissant entraîner par cette magnifique enchanteresse. Tout semblait flou autour de lui à part la silhouette de la jeune femme et cette couleur vibrante de l'orange dont étaient fait ses cheveux. Il se sentait flotter, complètement obnubilé par elle. La petite voix s'offusquait toujours, en sourdine dans un recoin de son esprit, mais il l'ignora. L'appel de sa sirène était bien plus envoutant et mille fois plus alléchant.
Tout en reculant, elle ouvrit une porte shoji et ils pénétrèrent dans une petite pièce illuminée faiblement par de petites lanternes dans une ambiance feutrée. Le tatami au sol absorba le bruit de leurs pas, et Nami le lâcha le temps de refermer derrière eux. Zoro darda un regard alentour. Il y avait un petit futon au fond de la pièce, les mûrs étaient faits de ces papiers beiges, dont sur certains pans, une estampe représentant un paysage floral ou des vagues tumultueuses. Toutefois, le bretteur n'eut pas le temps d'examiner plus amplement la chambre car la jeune femme réapparut devant lui, plus proche que précédemment. L'espace entre eux était réduis mais pas assez pour que le tissu qui la couvrait, effleure son torse.
Elle le regarda par-dessous ses longs cils, cherchant une quelconque forme d'hésitation, puis leva ses deux petites mains qui survolèrent son poitrail avec pudeur. Il la laissa faire, détaillant ses gestes sans esquisser le moindre mouvement. Un délicieux frisson le parcourut quand elle les posa délicatement sur ses pectoraux qui paraissaient dans l'échancrure de son kimono. Tout doucement, ses doigts caressèrent sa peau balafrée et se glissèrent sous le tissu pour continuer leur exploration. Une douce chaleur se diffusait sur sa peau, là où ils passaient, puis ils remontèrent vers les épaules et entrainèrent le vêtement dans leur suite. Sa cape tomba mollement au sol tandis que le haut de son kimono fut retenu à sa taille. Zoro subit silencieusement ses caresses, sans oser bouger. Une part de lui, aussi ténue soit-elle, luttait encore pour qu'il garde la raison, pour qu'il se conforme à la promesse qu'il s'était faite sur l'île de Zo.
Ses petites mains douces retracèrent chacun de ses muscles, de la lisière dont son haramaki jusqu'à ses bras. L'une d'elles remonta vers son visage et toucha sa cicatrice sur l'œil dans sa longueur. La rouquine semblait captivée par son exploration, avec ses lèvres légèrement entrouvertes et le haut de ses pommettes voilés d'une teinte rose. D'un geste tendre, elle épousa la courbe de sa joue de sa main et Zoro ferma l'œil. C'était tellement agréable que s'en était presque douloureux. Comment avait-il pu se passer de cela ?
L'image de Nami couverte de sang, livide et sans vie, reposant dans ses bras comme une poupée de chiffon, s'imposa tel un flash dans son esprit et il fronça les sourcils. Cette vision lui était insoutenable, elle l'écœurait, même si elle n'avait rien de réelle.
Soudain, il sentit un pouce venir lisser les plis entre les sourcils et il ouvrit la paupière pour découvrir qu'elle le fixait soucieusement. Nami attrapa sa main droite qui pendait le long de son corps et la porta à son cou aussi délicat que celui d'un cygne. Elle le guida pour que ses doigts épais caressent cette peau douce dessous laquelle battait son pouls. Il sentait chaque impulsion qui lui assurait qu'elle était bien vivante, mais ce n'était pas assez. Ce contact, il le redoutait autant qu'il le désirait, et maintenant qu'il venait d'être initié, le semblant de volonté qui lui restait, vola en éclat. Il s'affranchit de son aide et enfouie sa main dans sa chevelure pour l'attirer à lui.
Une fois… rien qu'une fois. Ce serait la seule fois qu'il s'autoriserait à rompre sa promesse. Il avait juste besoin de la sentir, de la serrer dans ses bras, de l'entendre soupirer de plaisir, pour chasser les images lugubres persistantes qui souillaient son esprit. Il voulait la voir vivre et s'animer sous ses caresses.
Ses lèvres plongèrent sur elle, alors qu'il voyait l'excitation qui brillait dans ses grands yeux noisette, pour finalement venir l'embrasser à la commissure de sa bouche. Même s'il en mourrait d'envie, il refusait de l'embrasser à cet endroit, de peur de ne pas pouvoir retenir ses émotions. Ce geste représentait un peu trop, pour un simple écart de volonté.
Elle émit un petit soupir à mi-chemin entre l'exaltation et la frustration, puis se colla contre lui tandis qu'il dérivait sur sa joue, sa mâchoire, son oreille, laissant l'empreinte humide de ses lèvres à chaque passage. Sa peau douce glissait agréablement sous ses lèvres comme de la soie. Son autre main se logea entre ses reins, dans le bas de son dos pour la maintenir au plus près de lui. Il pouvait presque sentir sa douce odeur sucrée/acidulée de l'agrume et réalisa à quel point cela lui avait manqué malgré tout ce qu'il avait pu en penser.
L'obligeant à basculer la tête en arrière, Zoro s'attaqua à sa gorge avec plus d'impétuosité tandis qu'elle frémissait sous ses attouchements. Du côté de Nami, ses petites mains parcouraient son dos, ses doigts s'enfonçant dans ses muscles, comme si elle cherchait à s'agripper à lui pour se maintenir à la réalité. Le ronin remonta sa main que se trouvait dans le dos de la jeune femme vers le nœud de son obi et entreprit de le défaire.
Ses visions se dissipèrent enfin, remplacées par la formidable sensation de la sentir s'animée sous ses doigts, de sentir sa chaleur se mêlée à la sienne, de sentir son souffle saccadé sur sa peau, de sentir son cœur s'affoler un peu plus à chaque baiser qu'il déposait, de la sentir vivre tout simplement.
Son obi céda enfin et desserra l'emprise de son kimono sur son corps svelte pour dévoiler le sillon de la naissance de sa poitrine. Méticuleusement, il poursuivit son chemin sur sa clavicule, longea les bords du tissu et se dirigea vers cette vallée tentatrice. Tout ce dont il avait besoin, c'était d'un peu plus de place, le vêtement était encore trop présent à son goût.
Sans arrêter d'honorer chaque parcelle de peau, Zoro abandonna la chevelure soyeuse pour passer sa main sous le pan du kimono, juste au-dessous de l'épaule avant de le faire glisser de celle-ci. Ses doigts rugueux caressèrent la peau lisse sur l'arrondis de son épaule gauche, pendant que sa bouche dérivait vers la vallée de sa poitrine.
Puis quelque chose le fit tiquer.
Malgré l'épais nuage brumeux de sa passion, alimenté par les encouragements de sa partenaire, il hésita. Ses lèvres prirent le chemin inverse pour s'arrêter à l'endroit où se trouvait sa main. Il se recula légèrement et dans une sorte d'état second, observa la peau satinée sur laquelle ses doigts traçaient des dessins invisibles.
Elle était douce, d'une blancheur laiteuse, et sans imperfection. Son pouce appuya un peu plus fermement sur la surface de sa chair, comme pour essayer de l'essuyer, ou d'enlever un quelconque artifice, mais rien n'apparut.
Tout à coup, la brume se dissipa. Il n'y avait pas d'encre. Pas de tatouage en forme de mandarine et d'hélice, pas plus que ce léger renflement qu'il cachait, là où la chair avait été martyrisée, labourée par la lame d'un poignard à de nombreuses reprises. Non, elle était vierge de toute histoire.
Zoro s'écarta doucement. La jeune femme qu'il tenait dans ses bras avait toujours les yeux clos, encore bercée par les affres du désir naissant, mais elle n'avait rien de sa nakama. Ses cheveux étaient d'un roux plus terne et plus foncé, son visage, bien que très agréable, n'était en rien semblable à celui de Nami mais à celui d'une inconnue dont il ignorait tout jusqu'au prénom. Il jeta à nouveau un regard circulaire à la place et il réalisa pleinement la situation. L'ébriété et la fatigue lui avaient joué un mauvais tour, agitant sous son nez, le doux mirage de la présence de Nami, celle qui, après tant d'horribles visions, désirait plus que tout, revoir saine et sauve. Cette jeune femme était juste une courtisane, sans doute la même qu'il avait dû apercevoir le jour où ils étaient arrivés en ville.
Sentant qu'il ne faisait plus rien, la belle inconnue ouvrit les yeux et lorsqu'elle vit le regard qu'il posait sur elle, ils se voilèrent de confusion.
- Qui y'a-t-il, samouraï-sama ? s'enquit-elle doucement.
Même sa voix était différente. Comment avait-il pu autant se fourvoyer ?! Était-il à ce point désespéré pour transposer l'image de Nami sur une inconnue ?!
Inquiète de son manque de réaction, la jeune femme prit son visage entre ses mains avec une délicatesse qui ne ressemblait en rien à la navigatrice qu'il connaissait, et l'incita à la regarder dans les yeux. Ces yeux qui n'avaient rien de chocolaté, mais plutôt comme deux pierres d'émeraude.
Idiot, voilà ce qu'il était, complètement idiot. Ce n'était pas la première fois qu'il se sentait aussi bête et bizarrement, cela avait toujours un lien avec Nami. Cette femme lui avait intoxiqué l'esprit, elle l'avait affaibli, fait vaciller sa volonté alors qu'elle n'était même pas présente physiquement. Jamais le surnom de sorcière ne lui avait mieux convenu qu'en ce jour.
Zoro s'écarta de la jeune femme et lui attrapa les poignets qui maintenaient son visage. Il les éloigna doucement pour les replacer à ses côtés alors que la confusion devenait plus intense dans ses yeux de jade. Il détourna le regard pour le poser sur sa silhouette fluette et entreprit de recouvrir l'épaule dévêtue de la jeune femme avec son kimono. Elle était visiblement perdue par son changement d'attitude, et il s'en voulut immédiatement. L'idée de poursuivre leur échange, de retrouver la chaleur d'un autre corps, d'assouvir un de ses plus bas instincts, lui traversa l'esprit mais il la chassa aussitôt. Il refusait de céder une nouvelle fois à ses pulsions, il ne deviendrait pas comme l'abruti de pervers de Sourcil-en-vrille.
- Je suis désolé, je ne peux pas, souffla-t-il.
La jeune femme serra d'une main les pans de son habit traditionnel, alors que ses yeux se mettaient à briller d'une façon qu'il détesta instantanément. A son tour, il repassa ses bras dans les manches de son vêtement puis récupéra sa cape verte à ses pieds.
- Est-ce que j'ai fait quelque chose qui ne fallait pas ? demanda-t-elle d'une voix chevrotante.
L'air parut s'épaissir et il eut la sensation d'étouffer. Il voulait sortir d'ici pour s'enfuir comme un misérable et ne plus jamais remettre les pieds dans cet endroit. Il était le seul fautif. Zoro recula tout en plongeant la main dans l'intérieur de son kimono pour en sortir de l'argent. Il le déposa sur un des petits meubles présents dans la pièce.
- Tu n'as rien fait de mal, c'est moi qui ne devrait pas être là.
La porte glissa sur le côté et il s'apprêta à sortir, voulant s'éloigner au plus vite.
- Attendez !
Il s'arrêta dans l'encadrement, la main sur le montant et le dos tourné vers elle.
- Je sais que c'est contraire au règlement, que je ne devrais pas poser de question mais, puis-je au moins savoir votre nom ?
Le bretteur marqua un temps d'hésitation. Devait-il lui dire son nom ? Devait-il tout simplement lui en donner un ? Vraisemblablement. Après tout, c'était le moindre dédommagement qu'il pouvait faire. Mais il avait une couverture à préserver, et même si cette pauvre fille ne méritait pas ça, c'était mieux que rien.
- Zorojuro, fit-il sombrement.
Puis, sans lui adresser un regard, il referma le shoji derrière lui. Le nom de cette jeune femme ne l'intéressait pas, il aurait été la preuve de son moment de faiblesse, et ce n'était pas quelque chose qu'il voulait garder. L'image de son regard luisant et de ses lèvres tremblantes était déjà suffisante pour le plonger dans la honte.
Il quitta l'établissement et s'enfonça dans la nuit. Ironiquement, toute trace d'alcool avait quitté son organisme… Comme si cela n'avait pas pu se produire plus tôt ! Mais désormais, seule sa détermination prendrait le relais. Il ne dormirait pas cette nuit et il allait employer toute sa volonté à ne plus céder à de vulgaires chimères. Et cela commençait d'abord par ne plus faire de cauchemar.
A suivre…
N'oubliez pas de laisser un petit commentaire pour dire ce que vous avez pensé de ce chapitre. On se retrouve bientôt pour la suite !
Prochaine publication : début du mois prochain.
