CHAPITRE 3 : Ce que l'esprit veut…

- 378, *inspire* 379, *expire*, 380 *inspire*

La tête en bas, les jambes tendues vers le ciel, doit comme un i, un bras plié dans le dos et l'autre soutenant tout son poids, Zoro s'entrainait à faire des flexions. 400 pour chaque bras et il venait déjà de faire une série sur celui de gauche. Dommage qu'il n'eût pas ses altères avec lui, l'exercice aurait été plus intéressant, mais bon après avoir effectué 300 pompes et 200 abdos en préambule, son corps commençait à ruisseler sérieusement. La fatigue s'avérait être un poids différent à porter mais cela contribuait également à l'entrainer à repousser ses limites. Cette soirée qu'il avait passé la veille avait été la goutte d'eau d'un vase trop plein. D'ailleurs il voulait l'oublier. Il ne savait toujours pas ce qui lui avait pris de croire qu'il s'agissait de Nami, et il se sentait incroyablement ridicule, pour ne pas dire complétement con, de sa méprise. En fait non, pas uniquement de sa méprise. Il se sentait con pour se mettre dans un état pareil après une rupture. Bordel ! Il avait été d'accord sur ce fait ! Certes la pilule avait été dure à avaler mais il n'allait pas passer sa vie à tergiverser là-dessus ! Il devait avancer ! Le pire c'était qu'il voulait passer à autre chose, mais quelque chose semblait le retenir en s'agrippant à lui.

Une fois son objectif atteint, il essuya la sueur sur son torse dénudé à l'aide d'une serviette puis s'assit en tailleur, les pieds posés sur le haut des cuisses et les mains sur les genoux, dans une posture méditative. Il ferma l'œil et obstrua son esprit à ce qui l'entourait pour se concentrer sur sa respiration. Pendant plusieurs minutes, Zoro inspira puis expira longuement, son rythme cardiaque s'était ralenti et il se focalisa sur la circulation de l'énergie dans son corps. L'exercice dura un petit moment, puis quand enfin il parvint à cet état de sérénité méditative tant recherchée, il l'entendit :

- ZOROOOO !

Ce fameux hurlement, par lequel tout commençait et qui lui glaçait le sang. Habituellement, il réagissait au quart de tour et bondissait dans l'obscurité pour tenter de rejoindre sa nakama au plus vite. Cependant, cette fois, il resta immobile, toujours assis en tailleur, les yeux fermés.

- AAAAHHHH ! ZO-ZOR-AAAAHHH !

L'interpelé lutta mentalement pour garder son rythme cardiaque à peu près stable. Tout cela n'était qu'un rêve, ce n'était pas réel. Nami allait bien. Il se répéta cela en boucle alors que les appels à l'aide déchirants continuaient inlassablement. Elle était avec Luffy. Il fallait qu'il reste fort, qu'il ne cède pas à sa peur ni au doute, peu importe ce qu'il entendait et même si c'était loin d'être facile. Et lorsqu'enfin il crut que c'était terminé, il reconnut ce son qu'il n'avait entendu qu'une seule fois. Des sanglots, ceux de Nami. Il ne connaissait pas pire son au monde que celui-ci.

- Aide-moi ! pleura-t-elle. Je t'en prie, Zoro !

Il pouvait très nettement entendre la souffrance qui éraillait sa voix habituellement mélodieuse.

- S'il te plait !

C'était intenable tant cela semblait réel. Tout son être mourrait d'envie d'accourir à son secours, et plus cela durait, plus sa raison s'étiolait alors qu'à l'inverse, le doute s'accroissait.

Ce n'était pas Nami ! La Nami qu'il connaissait ne le supplierait jamais de la sorte, elle était trop fière !

- J'ai mal, Zoro ! supplia-t-elle d'une voix rauque entrecoupée de sanglot. Viens m'aider… s'il te plait…

Son point de rupture était proche malgré le stoïcisme dont il faisait preuve. Vraies ou fausses, ses supplications étaient une véritable torture. Il pouvait endurer n'importe quelle souffrance physique, mais ça… un cri de plus et il ne tiendrait plus. Malgré l'effort qu'il avait déployé pour rester calme, son rythme cardiaque s'était emballé et martelait sa cage thoracique

Et puis ce fut le silence. Un silence de mort.

Le bretteur patienta, s'attendant à entendre à nouveau la voix déchirante de Nami. Pendant de longues minutes, la boule qu'il avait à l'estomac continua de peser une tonne, mais il se força à rester concentrer et impassible. Plus aucun son ne filtrait et il se demanda s'il n'était pas devenu sourd. Zoro ouvrit l'œil, s'attendant à se retrouver dans la chambre qu'il avait miraculeusement retrouvé en milieu de matinée. Au lieu de quoi, une lueur aveuglante l'accueillit qui fit aussitôt place à une grande étendue plane de sable blanc, et devant lui, un cercle azuréen où se reflétaient quelques nuages moutonneux. Il jeta un regard circulaire et constata que la plage où il était assis, était entourée d'eau. Un anneau blanc perdu au milieu d'une immensité bleue. Le vent s'était tu, tout comme les vagues, et malgré le soleil rayonnant, il faisait froid.

Pourquoi cet endroit lui paraissait familier et en même temps inconnu ?

Sa question fut mise en suspens lorsque quelque chose attira son regard. Au centre du cercle bleu, à une vingtaine de mètres de lui, se tenait une femme, debout sur la surface de l'eau. Cette femme, il l'avait déjà vue, c'était la même qui lui avait empoigné le cœur et qui apparaissait à la fin de chacun de ses rêves. Les mêmes longs cheveux blond-roux, la même robe blanche, et les mêmes yeux, à la couleur similaire à celle du lagon sur lequel elle marchait.

Etrange comme changement de situation. Zoro chercha la poignée de ses sabres et comme la dernière fois, n'en trouva aucune. Toutefois, contrairement aux autres fois, il contint sa colère et se contenta de l'observer dans un semblant de calme. Cette femme était aussi récurrente que les cris de sa partenaire, et il voulait savoir pourquoi. Pourquoi est-ce qu'elle lui apparaissait alors qu'il ne la connaissait pas.

Elle fit un pas vers lui, puis un autre, ne laissant que des cercles pour seules empruntes. Elle se stoppa à la frontière avec le sable et le toisa froidement. Zoro sentit un poids, comme une force invisible qui le maintenait immobile. Il fixa cette femme avec aplomb. Elle ne l'impressionnait pas malgré tout le mystère qui l'entourait. Il était bien décidé à en savoir plus.

- Il faut beaucoup de volonté pour ignorer les cris d'agonie de la femme qu'on aime.

Sa voix, d'une froideur polaire, était aussi incisive qu'une lame et se mots aussi insidieux que du poison. Il pouvait entendre clairement tout le mépris qu'elle éprouvait à son encontre.

Ce n'est pas réel.

- C'est pour te donner bonne conscience que tu te dis ça, alors qu'elle est en train de mourir ? demanda-t-il avec une pointe d'ironie.

Zoro la fusilla du regard.

- Je sais que ce n'est pas réel. Qu'elle va bien. Nami ne mourrait pas comme ça ! Elle est bien plus forte que ça !

- Amusant… on croirait que ce n'est pas moi que tu essayes de convaincre, mais toi.

Il s'apprêtait à lui répondre de façon mordante lorsqu'un cri déchira la plénitude de ce lieu. Par instinct, ses sens s'aiguisèrent alors que son cœur faisait de nouveau un bond. L'épéiste lutta intérieurement pour ne pas réagir, se répétant mentalement que ce n'était pas elle. En revanche, sa colère s'accrut envers la femme qui se tenait devant lui et il eut une envie soudaine de meurtre lorsqu'elle afficha un petit sourire de connivence. Il y avait quelque chose qui clochait chez elle depuis le début de ses apparitions, sans qu'il ne puisse savoir quoi.

- Pourquoi ? Gronda-t-il. C'est toi qui fais ça, n'est-ce pas ? C'est pour te divertir ? Tu es toujours là dans mes rêves, pourquoi ?!

- Est-ce par fierté ou par lâcheté que tu l'as abandonné ? demanda-t-elle sans se soucier de ses questions.

Face à l'insulte, Zoro sentit son sang bouillir et lutta contre son envie de se jeter sur elle pour lui faire ravaler ses mots. Pour qui elle se prenait avec ses grands airs ?! Toutefois, il ne fallait pas qu'il rentre dans son jeu. Elle cherchait à le provoquer, à le faire sortir de ses gonds, alors qu'il devait rester calme.

- Au risque de me répéter, rien de tout ça n'est vrai. Tu pourras me montrer autant de choses que tu veux, je ne tomberais pas dans ton petit manège. J'ai fois en mon capitaine, j'ai fois en mes nakama, et surtout j'ai fois en moi, alors je sais que ça n'arrivera pas !

Ce ne devait pas être la réaction qu'elle attendait car une étincelle colérique éclaira ses grands yeux cobalts.

- Fierté. Vanité. Arrogance. Orgueil. C'est toujours pareil, vous n'êtes dictés que par ces sentiments. Vous êtes tous les mêmes, vous pensez être meilleurs que les autres mais au final vous êtes tous égoïstes et aveugles, cracha-t-elle acerbe.

De qui parlait-elle pour en tirer de telles généralités ? D'où croyait-elle le connaitre ?

- Cette voie dans laquelle tu t'es engagé, ne te mènera qu'à deux choses. A la souffrance et au désespoir.

- Tu ne sais rien de moi ! Siffla hargneusement le bretteur.

Le fait qu'elle prétende le connaitre l'agaçait fortement, encore plus quand lui-même ne la connaissait pas. Et avec ça, il était toujours dans l'incapacité de bouger. La mystérieuse inconnue redressa la tête et carra les épaules pour mieux le toiser.

- Au contraire. Je sais tout de toi Roronoa Zoro. J'ai vu ce qu'il y avait au fond de toi, profondément enfouit dans ton cœur. Je connais tes joies, tes peurs, tes souffrances, tes envies, tes ambitions… Je sais pour ta promesse faite à Kuina. Je connais le sacrifice que tu as fait pour que ton capitaine garde la vie sauve. Je sais ce que cachent tes cicatrices. Je sais ton amour et ton admiration pour cette jeune femme qui t'accompagne dans cette aventure. Mais je connais aussi ta rancœur envers elle et ton ami cuisinier…

A la mention de son amie d'enfance, sa colère diminua au profit de sa stupéfaction, et Zoro reconsidéra les paroles de la jeune femme. Il n'avait jamais parlé d'elle à qui que ce soit, même pas à ses plus proches amis, alors comment cette totale inconnue pouvait être au courant ? Peut-être était-elle une manifestation de son inconscient ?

Elle marqua une pause et se calma quelque peu pour reprendre d'un ton plus posé :

- Rien de tout ceci ne t'apportera le bonheur.

- Je n'ai que faire du bonheur… Seul ma promesse et mon rêve comptent à mes yeux. Je ne renoncerais pas et je suis prêt à tout pour y arriver.

- Même à perdre celle que tu aimes ?

Cette phrase lui fit l'effet d'un coup de massue. Il resta silencieux un moment, cogitant sur ce qu'elle venait de dire. Les cris de la jeune femme se répercutèrent dans son esprit puis se superposèrent à l'image de Nami, sans vie dans ses bras. Bien sûr que perdre sa nakama était inenvisageable, mais était-il amoureux d'elle pour autant ? à chaque fois qu'il entendait ce mot, c'était comme si des nœuds se formaient dans son esprit dont il était incapable de se dépêtrer.

- L'amour n'a pas à entrer en ligne de compte. Ce n'est qu'une illusion, comme tout ceci…

Un petit rictus amer se dessina sur ses lèvres carmin et ses yeux se voilèrent le temps d'une seconde.

- Tu lui ressemble beaucoup…, soupira-t-elle.

Son intonation se fit moins hargneuse et il crut percevoir une pointe de tristesse, ou bien était-ce de la mélancolie ? Zoro fronça les sourcils. Ça devenait de plus en plus étrange comme rêve. S'il s'agissait vraiment d'une manifestation de son inconscient, à qui faisait-elle allusion ?

- Qui es-tu ?

Ses grands yeux bleus se mirent à briller et elle eut une expression amusée.

- Tu n'as pas encore compris ?

Argh ce qu'elle pouvait être énervante à jouer les femmes mystérieuses ! Qu'est-ce qu'il était censé comprendre ?! Il avait beau chercher dans sa mémoire, il était certain de ne l'avoir jamais rencontré. La jeune femme leva lentement sa main gauche pour venir écarter la cascade de cheveux ondulés qui tombaient sur son épaule. Tout doucement, sa peau crémeuse apparue à la lumière éclatante du jour jusqu'à ce que ce renfoncement sombre ne se dévoile. L'œil du bretteur s'écarquilla lorsqu'il contempla le trou béant qui creusait sa poitrine, juste au-dessus de son sein, à l'emplacement de son cœur.

- Je pensais que tu m'aurais reconnue.

Sa voix lui parut lointaine, à la fois sous le choc et trop absorbé qu'il était, par cette blessure mortelle. Comment faisait-elle pour être encore debout ? Mais au-delà de ça, cela lui sembla étrangement familier.

- Ça ne te dit vraiment rien ? Demanda-t-elle d'un ton moqueur. Je t'ai pourtant donné un fragment de mon cœur. Toi que j'estimais digne de le recevoir, car ton âme et celle de cette jeune femme étaient en parfait accord. Parfaite l'une pour l'autre…

En une fraction de seconde, tout lui revint en mémoire. L'histoire que lui avaient raconté Nami ainsi que le bijoutier… c'était de cette femme dont il s'agissait. Quel était son nom déjà ? Zoro farfouilla dans ses souvenirs et ne mit pas longtemps à le retrouver. Calypso. Pourtant ça ne pouvait pas être elle, après tout ce n'était qu'un personnage de fiction, une légende. Est-ce qu'inconsciemment son esprit avait choisi cette forme pour s'adresser à lui et le faire réfléchir sur ses choix ? C'était ce qui lui semblait le plus probable.

- Par-delà les années, beaucoup se sont présentés, en quête de le recevoir pour prouver maintes choses, mais très peu ont eu cette chance. Je ne l'accorde pas comme ça et encore moins à n'importe qui. Puis vous m'êtes apparus, ta camarade et toi, et ce que j'ai vu était si beau ! La naissance d'un amour profond est toujours quelque chose de magnifique, et je voulais vraiment vous aider à le préserver…

Elle porta sa main au-dessus du creux qui lui abimait le torse et baissa les yeux. Ces derniers prirent de la distance, comme absorbés par un souvenir vivace.

- Peut-être te l'ai-je donné aussi parce que tu m'as beaucoup fait penser à lui. Vous me faisiez penser à nous…

Sa voix se fit plus douce, presque caressante à la mention de cette tierce personne.

- Mon aimé. Il avait ce même regard, cette même détermination…, murmura-t-elle avant d'ajouter avec un petit sourire mélancolique : Nous nous aimions tellement. Mais malgré cela, il a choisi de suivre ses convictions et d'honorer l'objectif qu'il s'était fixé… au péril de sa vie.

Ses deux orbes outremer se braquèrent à nouveau sur lui et se durcirent instantanément comme si elle venait de se reconnecter au présent. Son visage de poupée de porcelaine se referma en un masque dur et froid alors qu'une lueur dangereuse s'allumait dans le fond de ses pupilles.

- Je t'ai donné ce fragment pour vous protéger, elle et toi, pour protéger ce lien si précieux qui vous unis. Mais vous avez choisi de piétiner cette chose si spéciale que beaucoup tueraient pour avoir ! Et toi, tu as décidé de te débarrasser de ce que je t'avais offert en le jetant à la mer comme un vulgaire cailloux sans valeur ! cracha-t-elle avec véhémence.

- Tu t'es trompé sur nous. Tu l'as dit toi-même, je te faisais penser à ton fiancé. Ce n'était pas un choix impartial, se défendit Zoro.

La remarque ne plut pas tellement à Calypso qui fit un pas en avant pour se pencher vers lui. Leur visage n'étant plus qu'à quelques centimètres il eut tout le loisir de contempler la profondeur de ces deux abîmes bleutés, comme des eaux tempêtueuses. Sa petite main au touché glacé s'enroula autour de son cou et l'étreignit dans une poigne de fer. Elle avait bien plus de force qu'elle ne le laissait suggérer.

- Tu as bafoué ma volonté et tu crois pouvoir t'en tirer sans conséquence, siffla-t-elle entre ses dents.

Comme la fois où elle lui avait transpercé la poitrine pour lui broyer le cœur, le froid s'insinua dans tout son corps, courant dans ses veines comme du poison. Zoro essaya de lutter contre son emprise mais il y avait toujours cette force invisible qui l'immobilisait. Il la défia du regard, certainement pas impressionné par une projection mentale.

- Je croyais… que… tu étais… bienveillante, fit-il remarqué non sans difficulté à cause de la main qui l'étranglait.

Un sourire perfide derrière lequel se dévoilèrent une rangée de dents blanches pointues et acérées comme des lames de rasoir, fendit son visage. Ses ongles s'enfoncèrent dans la peau de son cou, lui arrachant une grimace de douleur.

- Je l'étais, du temps où mon cœur était encore intact. Mais après ces longues années de souffrance où le deuil me fut impossible, la rancœur et l'amertume ont fini par gagner mon âme…

Sa voix était douce, presque caressante, ce qui contrastait drastiquement avec la poigne qui lui lacérait la gorge et la lueur de folie qui dansait dans ses yeux. D'ailleurs, il jura que les pupilles de ces derniers venaient de s'étrécir pour former deux minuscules fentes noires transversales, comme les yeux d'une vipère.

- Pourquoi serais-je bienveillante ? S'enquit-elle faussement naïve. C'est vrai que j'oubliais cette légende…

Elle eut un petit rire sardonique et son sourire s'élargie un peu plus, donnant l'impression de lui manger la moitié du visage. Le visage de la jeune femme ne paraissait plus aussi joli et innocent. Elle avait l'air d'une créature surnaturelle pas franchement amicale, bien loin de l'image épurée que dépeignait la fable.

- Vous vous arrêtez tous au même passage… celui qui dit que j'assurerais la protection de votre amour… hihihi. Vous pensez tous que ce cadeau que je vous fais, est sans contrepartie. Quelle naïveté ! Figure-toi que tu n'es pas le seul à avoir reçu un fragment de mon cœur et à avoir voulu t'en débarrasser… Il y en a eu d'autres… Malheureusement, aucune de ces personnes n'est encore de ce monde pour avertir les éventuels prochains héritiers. AHAHAHAH

Zoro serra les dents. Quelle garce !

- Ça n'a rien d'un cadeau… c'est une malédiction, gronda-t-il.

- Appelle ça comme tu veux… de toute façon tu vas les rejoindre toi aussi. J'aurais pu achever le travail la première fois que tu m'as vue… mais je te l'ai dit, tu me fais tellement penser à lui… Du coup, je me suis amusé à te torturer durant ces derniers jours…

Cette femme était complètement cinglée ! Il le voyait clairement maintenant. Elle était bien à l'origine de tous ces cauchemars, ce n'était pas lui qui déraillait. D'une certaine façon, cela le rassura.

- Mais toutes les bonnes choses ont une fin. Et la tienne arrive maintenant. Je pourrais te dire que tu ne sentiras rien et que tu ne souffriras pas… mais ça serait te mentir. Ne t'en fais pas, les gens croiront que tu es mort dans ton sommeil, lui assura-t-elle d'un ton jovial.

Bizarrement, à la réalisation qu'il ne se parlait pas à lui-même mais bien à une entité, ennemie de surcroît, le fit sourire à son tour. Calypso fut déstabilisée par sa réaction, plutôt inattendue.

- Qu'est-ce que tu trouves d'amusant à cela ?

Il la transperça de son œil encore intact, sentant l'adrénaline affluer dans ses veines avec l'excitation d'un combat à venir, et lui hérisser les poils.

- Au final, tu n'es ni plus ni moins qu'un vulgaire parasite. Alors maintenant que je sais qui tu es et ce que tu me veux… je vais enfin pouvoir me défendre.

- Tu n'as aucune chance ! J'ai le contrôle total sur ton esprit ainsi que sur les agissements de ton corps, tu ne peux rien faire !

Il se mit à rire malgré la strangulation et il vit clairement l'incompréhension se dessiner sur le visage de la créature avant qu'elle ne se transforme en une grimace de colère. Il n'était pas né celui qui prendrait le contrôle sur lui !

Elle leva l'autre main en l'air d'un geste sec, ses doigts se rétractèrent et de longues griffes apparurent à la place de ses ongles. Calypso n'avait plus rien d'une humaine. Sa peau blanche était devenue translucide et laissait entrevoir des veines bleutées. Par endroit, elle prenait une teinte verdâtre qui tirait vers le noir, comme une nécrose sur un corps longtemps plongé dans l'eau. D'ailleurs, le trou béant dans sa poitrine suintait d'un liquide poisseux et la chair autour se disloquait par petits morceaux. Ses longs cheveux à l'allure soyeuse avaient pris une teinte terne et semblaient rêches comme de la paille. La douce et jolie jeune femme avait laissé place à une créature hideuse, avec une bouche beaucoup trop grande, des dents bien trop nombreuse et trop pointues. Ses beaux yeux au couleur de l'océan étaient à présent d'un blanc laiteux avec une minuscule pupille fendue, cernés de grosses marques noirâtres, comme du maquillage charbonneux qui aurait coulé.

Le cri qu'elle poussa lorsqu'elle plongea la main vers son cœur, était strident et animal, pouvant rappeler celui d'une harpie. Zoro serra les dents et suivit du regard, les griffes acérées, filer droit sur sa poitrine pour le transpercer. Pas question qu'il meurt aujourd'hui, dans des circonstances pareilles !

Les griffes arrivèrent à quelques millimètres de sa peau lorsqu'il saisit brusquement le poignet la créature et l'empêcha de l'embrocher. La pointe tranchante de ses ongles égratigna sa chair mais il serra de toutes ses forces la prise qu'il tenait sur elle. Les yeux vitreux de Calypso s'écarquillèrent de stupeur et il en profita pour se saisir de la main qui l'agrippait à la gorge. L'effort mental était conséquent car la pression intangible et invisible qu'elle exerçait sur lui était impressionnante.

Il avait l'impression qu'une chappe de plomb lui couvrait tout le corps, ou bien que des chaines invisibles étaient enroulées tout autour de ses membres et de son torse et venaient s'ancrer dans le sol. Le bretteur se dégagea de sa prise en la balançant loin de lui, puis il tenta de se relever. Bouger une jambe lui sembla beaucoup plus dur qu'agiter les deux bras en même temps, mais il n'abandonnerait pas ! Zoro se força à se concentrer et puisa dans toute sa force mentale pour réussir à prendre appuie sur sa jambe gauche avant de faire de même pour la droite.

Tout doucement et difficilement, l'épéiste se redressa et se tint enfin débout devant une Calypso ébahie. Sa respiration était saccadée et il sentait ses muscles protester au moindre mouvement. Pourtant il devait lutter pour rester concentrer car s'il se relâchait ne serait-ce qu'un peu, il savait qu'il se retrouverait à terre dans la seconde.

Etendue sur le sol blanc sablonneux, Calypso se redressa sur ses avant-bras et l'observa, les yeux et la bouche, grands ouverts.

- Comment ? souffla la créature sous le choc. Comment est-ce possible ? Tu ne devrais même pas être capable de remuer le petit doigt !

- Il n'y a qu'une seule personne capable de contrôler mon esprit et mes gestes… ET C'EST MOI !

Dans sa tête et son corps, il était le seul maître des lieux. Rien ni personne ne lui ôterait ça car sa détermination pour accomplir son rêve était au-delà de ça.

La créature siffla rageusement et se releva rapidement avant de se mettre en position d'attaque, les jambes fléchis et les griffes pointées sur lui.

- Je dois reconnaitre que tu m'impressionnes. Personne encore n'avait réussi à me résister. Ta force mentale est incroyable… mais cela ne t'assurera uniquement une mort lente et atrocement douloureuse.

A peine eut-elle fini de parler qu'elle bondit sur lui, et il ne dût son esquive de dernière seconde qu'à ses excellents réflexes. Zoro roula au sol, puis se remit très vite sur pieds pour tâcher de garder ses distances avec les dix petites lames qui pointaient au bout de ses doigts. Combattre sans épée n'était pas la chose qu'il préférait le plus, mais cela ne signifiait pas qu'il ne pouvait pas se débrouiller. Serrant le poing, il replia un bras contre sa poitrine…

- Mutoryu…, gronda-t-il de façon menaçante.

Puis pivota brusquement en relâchant son bras.

- Tatsu maki !

Un cyclone souleva le sable blanc et les lames d'air foncèrent droit sur Calypso. Elle ne chercha pas à esquiver, mais préféra se protéger la tête derrière ses avant-bras qu'elle avait croisé en guise de bouclier. Avec les pieds bien ancrés dans le sol, le souffle ne fit que la bousculer, en lui portant quelques égratignures superficielles. Dès que l'intensité se mit à faiblir, elle s'éclipsa à une vitesse fulgurante, et sans ses fameux réflexes, il avait fort à parier que sa tête aurait roulé au sol. Son temps de réaction était bien plus lent dans cet espace onirique que dans la réalité, ce qui était assez dérangeant. Zoro l'intercepta de justesse tandis qu'elle avait tenté de l'attaquer par derrière. Il l'attrapa par les poignets alors que les griffes sifflaient à quelques millimètres de ses yeux et son cou. Elle réagit avec une étonnante agilité en se servant de sa prise comme d'un appuie et elle se recroquevilla pour lui assener un puissant coup de pied en plein dans la poitrine. Le choc lui coupa momentanément la respiration et l'envoya valser sur plusieurs mètres. Sa concentration vacilla légèrement, et comme il s'y attendait, la pression exercée sur son corps s'accrut pour le bloquer au sol.

En une fraction de secondes, elle était à nouveau sur lui et cette fois, ses longues griffes se plantèrent dans ses côtes. Un petit cri de douleur passa ses lèvres avant d'être étouffer. Le bretteur eut juste le temps de bifurquer la tête sur le côté pour éviter d'être égorgé, et la main de la créature lacéra le sable. Avec ses ongles profondément enfoncés dans son flanc gauche, Zoro sentit son contrôle sur son esprit, s'étioler et ses muscles s'alourdir. Calypso était juchée sur lui, un genou dans le creux de son thorax pour le maintenir allonger, et la main qui avait failli le décapité s'enroula autour de son cou. A croire qu'elle aimait bien cette place. La douleur était vraiment semblable à celle qu'il pourrait ressentir dans la réalité, aussi lancinante et déchirante.

- Tu n'as pas vraiment de chance…, minauda la créature d'une voix mielleuse. La douleur, ça s'apprend… et il semblerait que tu ais été un très bon élève dans ce domaine. A exploiter ton corps comme tu l'as fait, repousser tes limites, ainsi que les nombreuses blessures que tu as accumulé au fil de tes combats… Toute cette souffrance, ton esprit l'a gardée précieusement en mémoire, elle est inscrite dans chaque fibre de tes muscles. Et là où je te dis que tu n'as pas de chance, c'est que plus la personne sous mon emprise a été confronté à la douleur physique au cours de sa vie, plus les dommages que je lui inflige dans son psychique, sont douloureusement atroces.

Pour illustrer son explication, elle remua lentement ses griffes qui lacérèrent les muscles interne de son côté gauche. Un flash blanc l'aveugla momentanément alors que la douleur semblait irradier jusque dans ses os. Ce fut plus fort que lui, plus fort que sa résolution, il eut l'impression que sa poitrine allait exploser et il sentit l'air remonter rapidement le long de sa gorge, pour fuir ses poumons. Le cri qu'il poussa, lui aurait surement arraché les cordes vocales si la main qui serrait sa trachée ne lui bloquait pas partiellement la respiration. Seul un pauvre gargouillis guttural passa à travers ses lèvres tordues. Dans un coin encore lucide de son esprit, il se demanda brièvement si ce cri était allé jusqu'à se manifester pour de vrai, au travers de son corps en repos méditatif. Elle n'avait pas tort quand elle disait que la douleur était décuplée.

Si seulement il avait ses katanas avec lui…

- Sache que je vais prendre plaisir à te tuer très lentement.

La pression sur sa gorge disparut, et au lieu de ça, il sentit cinq lames lui caresser le torse, émaillant la chair pour y tracer un sillon vermeil. Cependant, il n'eut presque pas mal car la douleur que provoquait son autre main supplantait tout le reste.

Puis la solution lui apparut comme un flash. Ils étaient dans son esprit… la seule limite qu'il pouvait y avoir, c'était celle qu'il s'imposait lui-même.

Cette nouvelle approche insuffla en lui un nouvel élan de motivation. Mais avant toute chose, il allait devoir retrouver sa concentration afin de se débarrasser de l'emprise mentale de Calypso. Au prix d'un sérieux effort, il parvint, non sans difficultés, à ignorer les griffes qui continuaient de se frayer un chemin à travers ses muscles. Quoiqu'ignorer n'était pas tout à fait le terme exact. C'était plus de l'acceptation. Il acceptait et accueillait la douleur à bras ouverts, tout comme il l'avait fait cette fois-là, lorsqu'il avait dû absorber cette immense bulle, ce condensé de souffrance et de fatigue, que Kuma avait extirpé au corps de Luffy. Ce n'était qu'à partir de ce moment qu'il pourrait enfin riposter.

Il ferma la paupière de son seul œil valide et laissa la douleur inonder son système nerveux.

- Tu acceptes enfin la fatalité de ton sort ? C'est bien, roucoula la créature.

Toutefois, il n'y prêta pas attention. Il était uniquement focalisé sur la sensation brulante qui engourdissait son corps. Il attendit qu'elle atteigne son apogée pour s'y habituer, et lorsque ce fut le cas, elle commença à décroître, pour n'être qu'une sensation diffuse.

Il tendit son bras droit par côté, la paume de main ouverte vers le ciel, et se concentra sur ce qu'il possédait de plus cher. L'image d'une petite fille aux cheveux bleu foncé et au sourire revanchard dansa derrière ses paupières closes, le temps d'une fraction de seconde. C'était tout ce dont il avait besoin. Un sourire similaire releva le coin de ses lèvres et il ouvrit l'œil pour le braquer sur la créature perchée à califourchon sur lui.

Le temps qu'elle réalise le changement de situation, les doigts de Zoro venaient déjà de se refermer autour de la poignée de Wado, et il se servit de celle-ci pour lui asséner un bon coup sur la tempe. Avec la force du choc, elle fut éjectée de son promontoire et dans sa chute, il sentit les griffes glisser hors de son flanc. L'épéiste ne perdit pas de temps, et se remit sur ses pieds.

Son regard couva un instant son katana à la soie blanche dans sa main. Il le détenait depuis tellement longtemps, si bien que son esprit savait parfaitement recréer son poids ainsi que son équilibre, tout comme il connaissait chaque contour, jusqu'à la moindre aspérité. Ce n'était pas une simple lame, elle faisait partie de lui.

Son autre main rejoignit son homologue et se referma à son tour sur la soie. L'éclat de la lame rayonna de la pointe jusqu'à la garde et se refléta dans sa pupille solitaire, tandis qu'il la positionnait à la verticale devant son visage.

Calypso se releva, visiblement un peu déboussolée et resta figée sur place quand elle prit note de l'arme entre ses mains ainsi que de sa posture.

- Ittoryuu…

Grimaçant de rage, elle se précipita vers lui, les doigts bien écartés et maintenue vers le sol, sans doute pour parer son attaque. Zoro leva les bras et au moment où le pommeau de Wado passa juste au-dessus de la ligne de son front, il bondit en avant. Calypso fut surprise par le geste et se stoppa dans sa course. Une soudaine lueur apeurée brilla dans son regard, incapable de soutenir la détermination accablante du bretteur. Elle fit un pas en arrière et voulu se protéger le visage en parant de son avant-bras, mais il était trop tard.

- Daishinkan !

Le tranchant de la lame fondit sur elle et son éclat argenté se refléta dans ses prunelles laiteuses tétanisées par la peur. Lorsque sa pointe arriva près du sol, Zoro vit l'avant-bras de Calypso se détacher de son corps et tomber au sol, avant de voir apparaitre une longue transversale rouge écarlate sur sa peau clair. Elle émit un gargouillis lugubre et s'effondra en tenant étroitement contre elle son bras amputé.

L'ancien chasseur de pirates s'avança vers sa victime, la pointe de sa lame survolant le sol, prêt à l'achever. Toujours sur ses gardes, il s'attendait à ce qu'elle résiste, qu'elle se démène pour arriver à ses fins, comme elle l'avait fait jusqu'à présent. Mais à son grand étonnement, Calypso resta allongée et fixait un point invisible dans le ciel. Quand il arriva à son niveau, la dominant de toute sa hauteur, elle ne broncha pas et garda son regard rivé droit devant elle. Son expression enragée avait quitté son visage et le laissait désormais complètement vierge d'animosité. Il irait même jusqu'à dire qu'un faible petit sourire flottait sur ses lèvres bleuies. Les longues griffes qui ornaient sa main restante s'étaient rétractées et étaient redevenus de simples ongles. D'ailleurs, son apparence entière se modifia pour redevenir la belle et jolie jeune femme qu'il avait vu la première fois. Ses yeux perdirent cette tinte laiteuse pour retrouver la couleur de l'océan et sa peau recouvra sa carnation crémeuse. Seule demeurait la longue entaille qui la scindait en deux dans sa diagonale, lui rappelant sa propre cicatrice.

Pourquoi ne luttait-elle pas ? Elle aurait pu être en mesure de continuer de se battre, mais elle avait choisi d'abandonner. Elle avait l'air sereine. Il l'observa silencieusement, sans trop savoir quoi dire. De toute façon, il sentait que ce n'était pas à lui de s'exprimer, et elle lui donna raison au bout de quelques instants :

- Je me suis toujours demandé quand ce moment arriverait… Quand est-ce que cette folie cesserait… Au début, je voulais vraiment aider et protéger les détenteurs des fragments de mon cœur, c'était ma volonté la plus chère.

Ces grands yeux se mirent à briller, comme s'ils s'emplissaient de larmes, sans pour autant qu'aucune ne s'échappe.

- Mais j'ai échoué sur toute la ligne… J'ai échoué à protéger mon île, et j'ai échoué à protéger l'amour de ma vie en l'empêchant de partir.

Elle se tut un instant tandis que ses lèvres tremblaient à l'évocation de ses souvenirs.

- Ce sentiment de vide… de douleur permanente comme si l'on vous broyait le cœur et qu'on vous serrait la poitrine sans relâche. Je ne le souhaitais à personne… vraiment. Et je voulais que cette volonté perdure même après ma mort…

Sa main lâcha son bras amputé pour venir survoler le trou qui creusait sa poitrine.

- Une partie de mon âme s'est retrouvée enfermée dans ces fragments de pierres. Alors quand la première personne à avoir trouvé un morceau de mon cœur l'a offert à sa moitié, c'était comme si on m'avait sorti d'un long sommeil sans rêve. L'obscurité avait disparu et tout ce que je voyais, c'était l'amour de ces deux personnes… Je les ai protégés pendant de longues années. La maladie, la distance, les coups du sort… je les ai tenus éloignés de tout ça. Mais je n'ai pas pu les tenir éloignés de la fatalité du temps qui passe, pas plus que de la vieillesse. La mort a fini par emporter l'un, laissant son âme sœur orpheline. Après ça, je me suis aperçue qu'il m'était possible d'interagir avec ceux qui étaient sous ma protection, par le biais des rêves. C'est aussi là que je me suis rendue compte que je pouvais influer sur leur condition physique, lorsqu'elle m'a demandé d'abréger ses souffrances pour rejoindre son aimé.

Qu'est-ce qu'ils avaient tous à vouloir mourir pour ne plus ressentir le chagrin ? Mourir pour venger quelqu'un, il comprenait, mais mourir pour suivre l'autre dans le trépas… c'était un concept qui lui était étranger. Mais peut-être parce qu'il n'avait pas encore été confronté à ce cas de figure. Il avait perdu sa meilleure amie et model lorsqu'il était jeune, mais continuer de vivre était un moyen de faire perdurer ceux qu'on a aimé au travers de nos souvenirs.

- Contrairement à ce que tu pourrais penser, je ne voulais pas le faire, et je ne l'ai pas fait. Cela a duré plusieurs jours, puis les jours se sont transformés en semaines. C'était elle qui m'appelait dans ses rêves pour me redemander encore et encore la même chose. Et un jour, j'ai fini par lui accorder ce qu'elle voulait. C'était la première fois que je prenais la vie de quelqu'un. Elle est morte paisiblement dans son sommeil et je suis retournée au mien, mais quelque chose avait changé. Lorsque je fus à nouveau réveillée, c'était un couple qui avait entendu parler d'une légende et ils avaient fait le chemin jusqu'à mon île pour voir si elle s'avérait vraie. Je les ai trouvés touchant alors je les ai laissé repartir avec un fragment. Tout allait très bien, je veillais sur eux… et puis un jour un évènement a remis en question tout ce en quoi je croyais. L'homme avait juré son amour pour sa femme sur ce morceau de cœur que je leur avais offert, pour finalement la trahir et partir avec une autre. J'ai essayé de le raisonner au travers des rêves, j'ai manipulé ces derniers pour lui montrer son erreur, mais il ne m'a pas écouté. Au lieu de ça, il a cru devenir fou… et s'est donné la mort.

L'ombre de la culpabilité passa devant ses orbes marines. Zoro continuait de l'écouter calmement pour tenter de comprendre où elle voulait en venir avec toute cette histoire, mais aussi par respect. Il avait encore quelques doutes sur la véracité de ce qu'il expérimentait, mais plus elle parlait, plus il lui sembla difficile que ce soit le pure produit de sa propre imagination. Il n'était pas aussi créatif que ça.

- Le sort se répéta encore et encore… je me réveillais pour découvrir de nouvelles personnes qui finissaient toujours par trahir les promesses qu'ils avaient faites ou les sentiments qu'ils éprouvaient… et sans le vouloir, je les poussais à la folie et au suicide. A chaque fois que j'entrainais la mort de quelqu'un… je sentais mon âme se noircir. J'éprouvais de nouveaux sentiments. La rancœur, la haine, l'aigreur, la vengeance… la jalousie… tout cela je l'ai appris au contact de ces personnes. Je n'avais connu que la joie, l'amour, puis la douleur et la tristesse… mais les émotions humaines sont bien plus complexes que cela… Si bien qu'elles sont devenues ma malédiction. J'ai commencé à tuer ceux que j'avais moi-même choisi comme digne héritiers, à la moindre difficulté que traversait le couple, car j'y voyais une trahison et je savais pertinemment comment ça finissait. Le pire, c'est que j'ai pris plaisir à le faire, pour devenir le monstre que je suis aujourd'hui.

- Est-ce que ça veut dire que tu t'en es aussi prise à Nami ? gronda soudainement Zoro.

Son regard croisa le sien et le bretteur resserra sa main autour de la poignée de Wado. Il garda son inquiétude pour lui, mais si elle avait tenté de la tuer, il l'achèverait sur le champ.

- Non. Il n'y a qu'avec toi que j'ai pu entrer en contact, car elle n'a pas touché la pierre. Dès lors qu'une ou les deux personnes concernées, que j'ai choisi, ont touchés un morceau de mon cœur, je suis liée à elles. Si elles viennent à mourir, ou si la pierre n'est plus en leur possession, elle redevient un simple caillou ordinaire.

- Pourquoi me l'avoir donné à moi, et pas à Nami ? C'était elle qui la cherchait et qui était au courant de cette légende, pas moi. Et ne me dis pas que c'est parce que je ressemble à je-ne-sais-pas-qui !

Un sourire fatigué fendit son visage exsangue.

- C'est vrai que j'aurais pu la lui donner. Mais tu étais celui que me paraissait en avoir le plus besoin.

- Hein ? ça veut dire quoi ça ?!

Soudain sa silhouette devint de plus en plus pâle, comme si elle se dématérialisait.

- Hey ! Qu'est-ce qu'il se passe ?

- Je ne sais pas…, avoua-t-elle. C'est la première fois que ça fait ça. Peut-être as-tu trouvé un moyen de briser cette malédiction et de me libérer de ce cercle infernal.

- Quoi ?!

- Je te l'ai dit, tu es le premier à lutter contre mon pouvoir et à prendre le dessus. J'ignore tout de la suite, mais j'ai bon espoir que ce soit enfin terminé, pour ne plus avoir à me réveiller. Après tout, bonnes ou mauvaises, toutes les choses ont une fin, Zoro, et la mienne, cela fait tellement longtemps que je l'attends… Alors, si tel est le cas, je te remercie, déclara-t-elle sincèrement.

Elle était presque translucide et il commençait à voir le sable à travers elle.

- Je suis contente de t'avoir rencontré Roronoa Zoro, et j'aurais aimé connaitre Nami. Pas pour lui faire du mal, mais parce qu'elle a l'air d'être une personne formidable…

- Elle l'est, souffla le jeune homme.

Son corps n'était plus qu'un vague miroitement, mais ses yeux restèrent encore bien visibles et pénétraient son âme.

- Ne laisse pas la fierté et l'orgueil te priver du bonheur que tu mérites…

Sa voix persista comme un écho alors qu'elle disparaissait dans une envolée de sable blanc soulevé par la brise venue de nulle part. Zoro se retrouva seul au milieu de ce grand espace vide et épuré. Son regard se posa sur le lagon, dont la surface étincelait sous la lumière blanche. Il fixa un moment, l'eau paisible au centre de ce cercle de sable avant de fermer lentement la paupière et de faire disparaitre ce monde fantasmagorique pour de bon.

Le silence dans la pièce était quasiment religieux et empli de respect, autant pour l'art que cette cérémonie représentait que pour celle qui la présidait. Les gestes étaient rigoureux, méthodiques, sans mouvements inutiles et à eux seuls, symbolisaient la perfection. Tout devait être parfait pour que le corps et l'esprit soient en harmonie. Assise sur le tatami, les jambes repliées sous elle, O-Robi observait attentivement le déroulement de la cérémonie du thé, tout comme les jeunes femmes à côté d'elle. Elles étaient toutes là en temps qu'élève, pour apprendre de leur doyenne, dans la plus pure tradition du pays de Wa. La jolie brune l'avait très vite compris au cours de sa nouvelle vie de geisha : maitriser l'art de cette cérémonie était l'une des bases de sa fonction. Elles devaient toutes observer, retenir pour pouvoir reproduire les mêmes gestes avec le bon rythme. Ne pas être trop rapide, ni trop lente, s'incliner au bon moment, laver les ustensiles après chaque utilisation, la bénédiction, le mouvement du poignet pour fouetter la poudre de thé diluée avec de l'eau… tout cela était codifié et tout avait son importance.

Pour une archéologue et historienne comme elle, cette mission d'infiltration allait au-delà du simple recueil d'informations. Elle apprenait la culture de ce pays si fermé et malgré le contexte politique conflictuel, toutes ces traditions étaient incroyablement enrichissantes.

La petite doyenne s'arrêta de fouetter le thé et reposa délicatement le chasen dans un coin, puis se saisit du bol d'où émanait une douce odeur. Elle le tourna entre ses petites mains fripées avant de se pencher pour le déposer vers la première geisha de la rangée. Leur hôte s'inclina respectueusement et elles l'imitèrent toutes. La jeune femme s'empara du bol sans s'empresser, une main dessous et l'autre par-côté pour le porter à ses lèvres. Elle en but une gorgée, puis essuya le bord d'un fin chiffon de soie avant de le faire passer à sa voisine.

Il y avait encore une jeune femme avant elle, lorsque O-Robi sentit de la chaleur se diffuser de plus en plus intensément contre sa poitrine. Au début il s'agissait d'une douce sensation mais plus elle perdurait et plus cela commençait à être gênant. Ça ne la brulait pas vraiment, mais le point chaud irradiait entre ses seins et commençait à lui donner chaud. Sous la surprise, O-Robi baissa les yeux vers le point de nuisance, bien qu'elle ne pût voir quelque chose avec son kimono qui la couvrait chastement. Elle chercha mentalement d'où cela pouvait provenir. Serait-il possible que ce soit la petite boite dans laquelle était enfermé la bague qu'elle avait récupéré sur Zo ? Elle ne voyait que ça, étant donné qu'elle la gardait constamment sur elle, dans l'attente du moment propice. Mais pourquoi se mettait-elle soudain à chauffer ainsi ? Et même si elle mourait d'envie de la sortir de son décolleté pour l'examiner, elle avait encore un rôle à tenir. Cela allait devoir attendre la fin de la cérémonie et qu'elle soit seule. D'ailleurs, le regard méfiant et réprobateur que la doyenne braquait sur elle en cet instant, lui indiqua qu'elle devait prêter un peu plus attention à ce qui se passait dans cette pièce.

Une fois fini, le groupe de geisha sortit de la pièce et se dirigea, toujours en silence, vers leur prochaine activité. O-Robi, qui s'était placée en queue de peloton, profita d'une intersection au détour d'un couloir, pour s'éclipser discrètement. Après avoir inspecté ce qui l'entourait et s'être assurée qu'elle était bien seule, elle plongea la main dans son décolleté. Ses doigts rencontrèrent très vite la surface douce de la boite. Celle-ci était encore chaude, et cela n'avait rien à voir avec sa propre chaleur corporelle, elle pouvait sentir la chaleur émaner de l'intérieur de l'écrin. Délicatement, elle l'ouvrit pour l'inspecter, s'attendant à voir la magnifique pierre avec son éclat unique, mais lorsque ses yeux se posèrent sur la bague, ils s'écarquillèrent sous l'effet de la surprise. Elle ne l'avait vue qu'une seule fois et par respect pour Zoro ainsi ce qu'elle représentait, Robin n'avait pas réouvert l'écrin.

La pierre étincelait encore plus ardemment que dans son souvenir, si bien que l'on aurait dit qu'elle était illuminée de l'intérieur. Plus étonnant encore, la lueur au cœur de la pierre palpitait comme si elle suivait un rythme cardiaque. Captivée par ce phénomène étrange, Robin approcha sa main et elle pouvait sentir la chaleur qui s'en dégageait. Le bout de son doigt effleura brièvement la surface lisse de la pierre et elle le retira aussitôt accompagné d'un petit sifflement. La gemme était brulante. L'archéologue chercha un sens à ce phénomène étrange et surprenant. Qu'est-ce que cela signifiait ? Qu'est-ce qui provoquait cela ? Est-ce qu'il y avait un lien avec son précédent détenteur ? Toutes ces questions sans réponses affluèrent dans son esprit vif, et elle regretta de ne pas être aux côtés de Zoro pour s'assurer qu'il allait bien. Même si le bretteur était une force de la nature, et qu'il pouvait parfaitement mener ses combats seul, elle ne pouvait se départir d'un mauvais pressentiment en observant la bague qui brillait de façon surnaturelle dans son écrin.

Après l'avoir bien étudié, la légende ne faisait mention d'aucun maléfice ou malédiction, mais dans un monde comme le leur, on ne pouvait affirmer de rien.

Peut-être devrait-elle demander à la doyenne un quartier-libre pour aller vérifier que son nakama se portait bien ?

Au moment où elle élaborait un plan pour demander son congé, l'intensité de la lumière que produisait la pierre diminua progressivement et la chaleur sembla s'atténuer également. Les couleurs si vives du saphir, de l'émeraude et du cuivre se ternirent dans le cœur de la gemme quand la lueur fut presque éteinte. Cette dernière ne formait plus qu'un point de la grosseur d'une tête d'épingle au centre même de la pierre, palpitant faiblement, comme si quelque chose s'accrochait pour survivre quelques secondes de plus. Puis elle disparut et le reste de la pierre devint noir, sans ses reflets magnifiques qui la caractérisaient. Cela ne ressemblait plus qu'à une pierre, tout ce qu'il y avait de plus banal. Un peu perplexe, Robin retenta l'expérience de toucher la gemme. Celle-ci était froide à présent. Sans vie.

Il s'était passé quelque chose.

- Qu'est-ce que tu as fait, Zoro ? souffla-t-elle.

Combien de temps s'était-il écoulé entre le temps où il avait commencé sa petite introspection spirituelle et maintenant ? Difficile à dire. En tout cas, il se sentait lessivé, aussi bien physiquement que moralement. Bien sûr, il y avait l'accumulation des insomnies des jours précédents, la fatigue de ses entrainements réguliers, mais ce dernier rêve lors de sa méditation, l'avait éreinté. En revanche, il se sentait étrangement léger, comme délesté d'un poids, et cela faisait bien longtemps qu'il ne s'était pas senti ainsi.

Quelle étrange conversation qu'il avait échangé avec cette femme.

Calypso. Est-ce que tout ceci était finalement son œuvre ?

Plus son rêve s'éloignait avec les secondes qui s'égrenaient, plus son expérience lui paraissait surréaliste. Pourtant, il ne pouvait s'empêcher de croire que ce qu'il avait vécu à travers son inconscient était bien réel. C'était étrange, mais il avait senti sa présence, alors il y avait peut-être une chance pour qu'il ait bien rencontré Calypso et que son histoire s'avère vraie.

Il passa une main sur son flanc, là où dans son rêve, elle l'avait transpercé. Le bretteur avait l'impression que la douleur était toujours là, mais il n'y avait aucune blessure à cet endroit, la peau y était tout aussi lisse que quand il avait débuté sa séance de méditation. Il aurait pu y rester… il l'avait bien senti, elle n'avait pas menti.

S'il avait bel et bien conjuré le sort, désormais il allait pouvoir piquer un somme sans être importuné par des images cauchemardesques. Zoro étira ses bras en les levant au ciel et déplia les jambes pour finalement se laisser tomber en arrière. Dormir à même le sol ne le dérangeait pas, et puis il se sentait trop crevé (ou trop flemmard) pour rejoindre son futon qui n'était qu'à deux pas de là. Sa tête reposa sur ses avant-bras croisés et il fixa le plafond de son œil qui papillonnait lourdement.

La petite araignée était toujours là, ou bien en était-ce une autre ? un autre insecte s'était pris dans sa toile et cela devait être relativement récent car le pauvre se débattait vigoureusement dans ce piège de toile blanche. La maitresse des lieux s'approchait lentement, avec une aisance presque narquoise et le moucheron redoubla d'effort pour se dépêtrer. Soudain, Zoro eu une sensation de déjà-vu et se revit assis, incapable de bouger pendant que Calypso se rapprochait de lui en flottant sur l'eau. L'histoire de la jeune femme était regrettable mais il espéra un instant que plus personne n'ait à subir les effets de la pierre.

De fil en aiguille, son esprit l'amena à repenser à ce fameux soir sur l'île déserte, à son escapade nocturne avec Nami. Depuis qu'ils avaient rompu, Zoro avait tout fait pour ne plus songer à ce passage beaucoup trop idyllique, mais en cet instant les images affluèrent malgré lui et il sentit sa poitrine se comprimer. Naïvement, comme un adolescent qui connaissait ses premiers émois, il avait souhaité que ce moment s'éternise, allant même jusqu'à penser être tombé amoureux. C'était cette foutue île, cette foutue ambiance qui lui avaient fait miroiter monts-et-merveilles, qui lui avaient donner l'illusion que Nami en avait quelque chose à faire de lui. Idiot qu'il était.

« Ne laisse pas la fierté et l'orgueil te priver du bonheur que tu mérites » résonnèrent les dernières paroles de Calypso comme un chuchotement dans le fond de son esprit.

Elle avait raison. Nami l'avait blessé dans son orgueil, ébréché sa fierté, et s'il voulait avancer, il allait devoir passer au-dessus de son ressentiment.

Ces derniers jours, la rouquine avait hanté ses pensées plus que de raison, mais est-ce que l'on pouvait qualifier ça d'amour ? L'explication n'était-elle pas plus rationnelle que ça ? Il s'inquiétait pour elle. Après tout, en termes de puissance physique, Nami était loin derrière Luffy, Sanji et lui, et il avait toujours été plus ou moins inquiet pour elle. Voilà pourquoi il l'avait embrassé il y a deux ans. Il n'aurait jamais franchi ce cap et déclenché toute cette pagaille s'il n'avait pas été sincèrement inquiet de la perdre.

Parce qu'il l'aimait… mais de façon amicale. Et le fond du problème était là.

Ils étaient amis et ils avaient basculé dans une relation charnelle, passionnée et secrète. Il avait aimé coucher avec elle, c'était indéniable. Nami était une femme attirante et il avait aimé chacune de leurs entrevues. Alors, est-ce que ce n'était pas ça qu'il regrettait le plus dans cette rupture ? Il y avait pris du plaisir, comme il prenait du plaisir à boire du saké.

Quant à sa jalousie, eh bien c'était un sous-produit de sa fierté amochée, mais ça ne signifiait en rien qu'il était amoureux. Il avait peut-être eu l'illusion de l'être uniquement parce Nami avait été sa première relation qui avait duré plus d'un soir et parce qu'ils étaient amis. Son erreur avait été d'accepter de franchir cette ligne pour s'engager dans ce non-sens qu'était leur relation.

Il avait enfin la réponse à toutes ses questions. Calypso s'était méprise sur ses sentiments.

Non, il n'était pas amoureux.

Cette soudaine révélation lui clarifia l'esprit et l'apaisa, malgré cet arrière-goût amer et déplaisant qui subsistait tout de même. Toutefois, Zoro ne douta pas que cela s'estomperait avec le temps. Nami avait eu raison de faire ce qu'elle avait fait. Cela ne les aurait menés nulle-part, et il le comprenait très bien désormais.

Sa paupière battit de plus en plus lourdement alors que le sommeil commençait à l'envelopper.

Il n'était pas amoureux.

Voilà désormais qui allait grandement faciliter les choses, pensa-t-il avec soulagement avant de sombrer. Malgré tout, l'impression de vide dans son cœur, demeura.

A suivre…


Pour être honnête, je ne suis pas tellement satisfaite de ce chapitre, mais je sens que je n'arriverais pas à faire mieux, du coup, comme j'ai aussi envie d'avancer dans l'histoire, je le poste tel quel. Dans ma toute première version, cette partie avec Calypso n'était pas prévue, mais je voulais faire le lien avec les fictions précédentes, et je voulais développer le cheminement qu'effectuait Zoro sur ses sentiments pour en arriver à la situation dans laquelle ils sont actuellement. Pour le moment, l'histoire se concentre essentiellement sur Zoro, c'est vrai, mais pas d'inquiétude, Nami aura également sa partie. Cette fiction est de loin, la plus longue que j'ai eu à écrire. C'est un projet ambitieux que je me suis fixé, dans lequel je m'investis beaucoup... et du coup je me perds peut-être un peu en longueur. Veuillez m'en excuser.

A la prochaine pour la suite !