Vous allez le voir, ce chapitre est un peu plus long que les autres. Il y a un passage décrivant une fin hypothétique de l'arc Wano Kuni, mais pas de « spoil » à proprement parler sur ce qui se passe actuellement dans les scans (vu que je ne les lis pas)… en tout cas, j'ai essayé de faire quelque chose de « passe-partout », même si je dois avouer qu'écrire sans savoir la fin, c'est assez frustrant ! Alors encore désolé pour les incohérences si vous suivez les chapitres du manga à leur sortie.
Beta-reader : Shinory
CHAPITRE 4 : Le début d'une fin
Royaume d'Abondance, Présent :
L'avant-bras appuyé sur sa cuisse, sa main reposait, ballante, entre ses genoux. Au bout de celle-ci, la feuille s'agitait au gré de la légère brise au souffle chaud, retenue uniquement par la faible pression qu'exerçaient son pouce et son index. Son regard était immanquablement attiré par l'écriture sombre qui maculait la missive. Elle le narguait comme une sorte de mauvaise blague, une mesquinerie visant à lui rappeler l'inéluctable.
Nami allait devenir définitivement inaccessible.
C'était un fait, dont il avait parfaitement conscience, depuis un bon moment ceci-dit, et Zoro l'avait plus ou moins accepté. C'était juste une constatation, un cas général. Plus aucun homme ne pourrait prétendre à la courtiser dans l'espoir d'obtenir sa main une fois qu'elle aurait dit oui. Nami allait devenir la femme de quelqu'un.
Cela sonnait presque faux.
L'envie le démangeait d'écarter ne serait-ce qu'un tout petit peu les doigts, d'enlever un peu de pression, pour que ces caractères gras disparaissent de sa vue, pour que cette fine feuille de papier de soie s'envole et virevolte follement dans les airs, qu'elle découvre le sens du mot « liberté » (aussi futile et éphémère cette dernière eusse-t-elle été).
Elle allait épouser un crétin, dont la seule qualité qu'il possédait par chance (ou droit de filiation), c'était d'être riche. Si on considérait ça comme de la chance.
Les choses auraient peut-être pu être différentes si… « Si quoi ? Si tu lui avais offert ta stupide bague ?! Tu crois franchement qu'elle t'aurait dit oui en te sautant au cou ?! ». La petite voix perfide mais non moins lucide dans son esprit, avait sans doute raison. Cela ne l'empêcha pas pour autant d'aller fouiller, de son autre main qui était libre, l'intérieur de son kimono, quelque part sous son haramaki. Il trouva rapidement ce qu'il cherchait et l'extirpa doucement. Il reprit la même position et observa les deux objets diamétralement opposés qui se faisaient face entre ses genoux, comme si tout le poids du monde pesait sur ses épaules.
D'un côté le faire-part de mariage et de l'autre, la petite boîte noire en velours qui, à elle seule, symbolisait l'échec de sa relation avec Nami. Pendant un long moment, il épingla l'écrin de son œil solitaire, froid et acéré, teinté d'une certaine animosité. Son pouce brossa de haut en bas la surface duveteuse du velours, dansant au-dessus de cette ligne qui le scindait en deux avant de s'arrêter sur celle-ci. Zoro hésita. Une question persistait à chaque fois que son regard tombait dessus. Pourquoi est-ce qu'il gardait ça depuis tout ce temps ? Après tout, ce n'était pas comme s'il allait en avoir une quelconque utilité…
Puis il se souvint que cette boîte était comme les cicatrices qu'il portait, indélébiles, un rappel constant des blessures du passé. Et celle-ci était de loin la plus amère.
Son regard embrassa l'étendue vallonnée des vergers aux couleurs chatoyantes. En contre-bas de la colline où il se trouvait, un petit point sombre avançait doucement sur le long ruban blanc que formait le chemin. Cela ressemblait à une carriole, tractée par l'une de ces étranges créatures qui peuplaient cette contrée. Il la suivit distraitement du regard avant que celui-ci ne se perde dans le vague, bercé par le fantôme de ses souvenirs, d'un temps où la possibilité d'améliorer sa relation avec Nami était encore envisageable.
…
Wano Kuni, 3 ans plus tôt :
Malgré le calme de cette nuit sans nuage, où la lune, ronde et fière, les inondait de sa lueur blafarde, il flottait dans l'air, une tension presque palpable. Curieux mélange d'excitation, d'impatience, et d'anxiété. Même le chant des animaux nocturnes semblait différent ce soir-là, comme s'ils étaient de connivence avec le plan mis en place par les samouraïs. Ou bien était-ce juste une impression.
Le combat tant attendu était pour bientôt. Dans quelques minutes, le raid sur Onigashima allait démarrer. La machine serait lancée et leur sort mis en jeu dans cette roulette infernale. Mais qu'importe, l'équipage au Chapeau de Paille était enfin réuni ! Après tout ce temps… Cela lui avait paru presque aussi long que les deux années passées à s'entraîner. Désormais, les choses sérieuses allaient pouvoir commencer.
Sur la petite plage de Kuri, le feu de camp improvisé crépitait joyeusement, accompagné par le doux chant du ressac. Tout respirait la tranquillité, alors qu'il n'en n'était rien. Le calme avant la tempête. Cette expression n'aurait pas pu mieux s'illustrer qu'en ce moment.
Étendu dans le sable, un peu retrait, les bras croisés derrière la tête, Zoro patientait sagement pendant qu'il digérait la petite collation que leur avait préparé le cuistot. Il ne lui avouerait jamais, mais sa bouffe lui avait manqué. En plus, il avait préparé les plats préférés de chacun. Tout ce qu'il manquait, c'était de l'alcool, mais ce détail serait réglé plus tard. Pour l'heure, il savourait ce moment paisible, qui était peut-être le dernier avant un bon bout de temps. Du coin de l'œil, le bretteur observa discrètement ses nakamas (bien qu'il manquât encore leur nouvelle recrue), notant avec un sentiment de réconfort, leurs petites mimiques habituelles.
L'imposante forme de la silhouette de Franky près du feu, occupé à bricoler un truc dans une retouche de dernière minute. Juché sur une de ses grosses épaules arrondies, Chopper était en admiration total devant leur artilleur. Ce dernier avait un pied appuyé sur un morceau de bois flotté et prenait une de ses fameuses postures bravades, bombant le torse avec le nez fièrement pointé vers les cieux. Ussop déblatérait sans relâche sur des faits d'armes sortis droit de son imaginaire déluré, que le petit docteur avec sa naïveté enfantine, gobait sans le moindre questionnement. Sur le même morceau de bois flotté, Brook se tenait assis et fixait le brasier de ses orbites creuses avec, ce qu'il supposa être, un air pensif. Un peu loin, revenant de l'obscurité pour entrer dans le cercle de lumière prodiguée par le feu, le cuistot rabaissait ses manches de chemise et lissait son nouveau costume après avoir débarrassé les plats vides. Comme l'éternel accro à la nicotine qu'il était, Sourcil-en-vrille sortit une cigarette de son paquet qu'il avait pris dans la poche passepoilée de sa veste, puis la porta à ses lèvres pour finalement l'embraser de son fidèle briquet. Même l'odeur âcre de la fumée de tabac ramenait un sentiment de familiarité qui lui avait presque manqué.
Son regard glissa vers la silhouette longiligne qui faisait face à l'océan. La lumière argentée de l'astre lunaire n'altérait en rien l'incandescence de sa crinière. Celle-ci ondulait sauvagement dans son dos, animée par les légers courants d'air qui venaient s'emmêler dans ses mèches cuivrées. Nami n'était jamais plus belle que quand ses longs cheveux dansaient librement au gré du vent. Cela accentuait son tempérament impétueux en lui donnant cet air sauvage. La connaissant un peu, Nami devait être en train de scruter le ciel et la mer pour surveiller le moindre changement climatique. Zoro savait aussi qu'il s'agissait là d'un moyen de s'occuper l'esprit pour ne pas céder à l'angoisse étant donné son penchant pour la couardise.
Le vague souvenir de ses cauchemars hantait encore, par moment, son esprit. Des moments comme celui-ci où il revoyait son corps taché de sang, sa peau ternie et parsemée de lésions, son regard vide et éteint. Pendant longtemps, il avait redouté le moment où ils seraient amenés à se revoir, car peu certain de sa réaction, après tout ce qui lui était arrivé, et ce, même si les cauchemars avaient cessé. Cependant, quand il l'avait aperçu à la capitale, lors de l'exécution de Yasuie, son esprit était dans un tel état de rage envers ce rat d'Orochi, que la présence de la jeune femme ne l'avait même pas alerté. Ce n'est que quand ils s'étaient tous retrouvés au camp sur ce bord de falaise, que Zoro avait réalisé qu'elle allait bien. Très bien même, et Nami n'avait pas paru plus émue que ça de le retrouver. C'était comme avant. Comme quand ils étaient simplement amis, et au final, il s'était senti rassuré, mais il préférait rester distant.
Pourtant, il arrivait que par moment comme maintenant, les images horribles reviennent, et qu'il devait se forcer à chasser ses pensées et à admettre qu'elle allait bien, tout en priant secrètement ne jamais à voir sa vision se réaliser. De toute façon, aucun des membres de l'équipage ne laisserait une telle chose se produire. Le blondinet serait le premier à réagir, et puis il y avait Luffy aussi.
Le bretteur délaissa la navigatrice pour porter son attention sur leur capitaine. Lui aussi sondait l'horizon, un peu à l'écart du groupe, tout en mâchouillant son morceau de viande. La longue cape noire, juste posée sur ses épaules, se soulevait par intermittence, portée par le vent. Zoro n'avait jamais douté du charisme de son capitaine, il en avait tout à fait l'étoffe, mais en cet instant Luffy dégageait une prestance digne du titre auquel il aspirait.
A leur façon, chacun des membres de l'équipage gérait l'attente du top départ avec plus ou moins de nervosité, mais la tension était bien là. Le sérieux de la situation n'échappait à personne pas plus que l'importance des évènements à venir. Lui-même, derrière cette attitude décontractée, son esprit se tenait en alerte, mais l'agitation ne l'avait pas encore gagné.
Un bruissement à sa droite attira son attention. Son œil dévia dans la direction de la soudaine perturbation pour constater que quelque chose était en train d'éclore à côté de lui. Une bouche sans visage apparut comme par magie au beau milieu du sable fin. Et dire qu'il fut un temps où il aurait bondi sur ses pieds et dégainé ses sabres en un battement de cil à la vue d'un truc pareil, maintenant, c'était quelque chose de tout à fait banal.
- Zoro ? peux-tu me rejoindre, là-bas derrière ? s'enquit la voix de Robin.
Maintenant qu'il y pensait, c'est vrai qu'il ne l'avait passée en revue. Juste à côté de la paire de lèvres, un avant-bras poussa du sol et la main pointa en direction de la forêt derrière lui. Zoro leva un sourcil inquisiteur et esquissa une grimace ennuyée, bien qu'il ne fût pas sûr que l'archéologue puisse le voir.
- S'il te plait, je dois te parler… c'est important.
En revanche, elle le connaissait bien. Ce qui ne l'empêcha pas d'être incommodé par sa requête.
- Ah ? grommela-t-il.
Toutefois, avant qu'il ne puisse lui demander plus amples explications, la bouche ainsi que la main, disparurent dans une envolée de pétales roses. Qu'est-ce qui pouvait bien être important à ce point pour qu'il soit obligé d'aller à l'écart des autres ? Est-ce que ça avait un lien avec ce qu'elle avait voulu lui dire lorsqu'ils étaient arrivés à la Capitale des fleurs ? Franchement, elle avait sérieusement l'impression que c'était le moment pour une discussion ?! Ils avaient d'autres choses à penser.
Pestant contre la jeune femme brune, Zoro se releva et réajusta machinalement ses sabres à sa ceinture. Un peu plus loin, il repéra une autre main qui dépassait du sol et qui lui faisait signe. Après un petit « humph » dubitatif, le bretteur entreprit de suivre les indications de sa nakama.
- Oh ! Marimo ! le héla la voix de Sanji dans son dos.
Le froncement de ses sourcils s'intensifia alors que ses lèvres se tordirent dans une moue agacée. Le bretteur s'arrêta pour se retourner et gratifier le cuistot de son air le plus affable.
- Quoi ?
- J'peux savoir où tu comptes aller comme ça ? Demanda le blond en éloignant la cigarette de sa bouche après en avoir tiré une taffe.
- En quoi ça t'concerne, cuistot d'merde ?
- Ça m'concerne si tu te perds encore une fois, tronche de gazon ! On n'a pas besoin de perdre du temps à te chercher !
De sa main gantée, il reporta le petit stick incandescent à ses lèvres dans un geste désinvolte et le bout rougeoya vivement dans la semi-pénombre qui les entourait. Sourcil-en-vrille ne se donna même pas la peine de le regarder alors qu'il venait de s'adresser à lui avec dédain. L'envie de lui en décocher une fit fourmiller ses mains, et ses doigts agrippèrent la poignée de son sabre nouvellement acquis, Enma. Cependant, il se rappela, non sans une certaine lassitude, que Robin l'attendait secrètement, et qu'il devait se débarrasser de l'autre emmerdeur. C'était bien dommage, car il mourrait d'envie de le remettre à sa place. Alors Zoro se força à prendre une attitude blasée avant d'ajouter :
- J'vais juste pisser, alors fous-moi la paix ! A moins que tu ne veuilles venir pour me la tenir ? Lança-t-il avec un mauvais sourire.
La cigarette qui pendait à ses lèvres manqua de tomber au sol avec sa mâchoire béante. Le visage à moitié couvert par ses stupides cheveux blonds se contorsionna furieusement et prit une teinte écarlate. En fait, le voir comme ça, c'était tout aussi amusant que de se battre contre lui.
- NON MAIS CA VA PAS DE DIRE DES TRUCS PAREILS ?! s'insurgea le cuisinier outré. JAMAIS DE LA VIE ! JE PRÉFÈRE AUTANT ME COUPER LES MAINS QUE TE TOUCHER LA…LA… HEURK !
Le bretteur résista à l'envie de pouffer de rire à l'entente du petit cri de profond dégoût de la part du blond. S'il avait su que lui faire une telle proposition le mettrait dans des états pareils, il aurait commencé plus tôt.
- Oh et puis merde ! va t'pommer dans coin ! pour ce que j'en ai à foutre…
Sanji tourna les talons et s'éloigna en fourrant ses mains dans ses poches, tout en piétinant lourdement. Fier de sa répartie, Zoro reprit la direction que lui avait indiquée Robin et sa soudaine bonne humeur flancha quelque peu lorsqu'il se rappela l'intonation grave de la brunette. Il eut une désagréable sensation de déjà-vu. Par expérience, il savait que ce genre de discussion, faite dans le feutré, à l'écart des oreilles et des yeux indiscrets, n'appelaient à rien de bon. Mais il n'était pas le genre d'homme à se débiner, alors il poursuivit son chemin.
A l'orée du bois, l'obscurité se fit plus importante et lorsqu'il passa la première rangée d'arbres, elle l'absorba sans difficulté, tout en silence. Après avoir estimé qu'il était assez loin du reste de l'équipage, Zoro balaya du regard son environnement, à la recherche d'une présence familière.
Après quelques secondes à fouiller les différentes ombres qui se fondaient les unes dans les autres, un craquement des brindilles au sol qui provenait de derrière lui, l'alerta. La main toujours posée sur ses sabres, le bretteur se retourna à temps pour voir l'archéologue émerger de la pénombre. Elle s'avança doucement vers lui, pour finalement s'arrêter à la limite du puits de lumière lunaire qui perçait au travers d'un éclairci dans le feuillage. Malgré l'obscurité, il discerna sans mal le visage fermé de sa nakama, qui ne fit que confirmer son mauvais pressentiment pour la suite.
- Pourquoi tu m'as traîné jusqu'ici ? demanda sombrement le bretteur.
Robin resta étrangement silencieuse, tout en le fixant de ses grands yeux, comme s'ils cherchaient à sonder son âme. Ces quelques secondes de flottement suffirent pour faire croître son agacement.
- On n'a pas toute la nuit, alors si t'as quelque chose à me dire, fais-le et vite.
Son intonation était dure et il n'avait même pas pris la peine de dissimuler son irritation d'avoir été attiré ici. Agir secrètement au détriment de l'équipage n'était pas quelque chose qu'il appréciait faire, loin de là, lui qui était d'un naturel plutôt franc.
- Je suis désolée de t'avoir entraîné à l'écart, mais il m'a semblée que c'était le plus approprié pour ce que j'ai à te dire, et je pense que tu seras d'accord avec moi.
Ce fut au tour de Zoro de rester silencieux.
- J'ai voulu le faire plus tôt, mais les circonstances n'ont pas été propices jusque-là… et j'ai longuement hésité à t'en faire part aujourd'hui… mais si je tarde trop, j'ai l'impression que ce sera pire. Alors je te demanderais de m'écouter sérieusement et de ne pas m'interrompre, Zoro.
Instinctivement, il bomba légèrement le torse et carra les épaules. Si elle lui disait cela, c'était que la nouvelle allait être dure à encaisser, alors l'ancien chasseur de pirate se prépara aussi bien mentalement que physiquement. Une fois fait, il hocha la tête pour lui faire signe qu'elle pouvait y aller.
Dans la pénombre, sa peau d'albâtre paraissait presque fantomatique mais elle lui permit de suivre le mouvement de sa main qui remonta au niveau de sa poitrine.
- Si je t'ai fait venir ici, c'est pour te remettre ceci…
La main blanche disparut quelques secondes dans la fente de l'encolure de son kimono puis ressortit, fermée sur elle-même. Robin fit un pas dans sa direction et la pâleur de la clarté lunaire inonda sa silhouette progressivement. Son visage parut encore plus blafard qu'il ne l'était déjà et ses yeux immensément bleus, paraissaient même encore plus persans. Elle tendit le bras avec le poing fermé, comme si elle voulait « checker » avec lui. Cette idée était en complet décalage avec la personnalité de l'archéologue, et surtout absurde en cet instant.
Zoro ne savait pas à quoi s'attendre et il dût mettre un peu trop de temps à réagir car Robin fit un petit geste de la main pour l'inciter à bouger, sans le lâcher du regard. Il examina la détermination briller dans ses prunelles azure, puis son œil glissa vers la petite main fine, repliée autour de quelque chose. Le bretteur pressentait que l'archéologue garderait la bouche péniblement close tant qu'il ne saisirait pas ce maudit truc qu'elle voulait lui refourguer. Soit ! Après tout, ils n'avaient pas toute la nuit non plus.
Sa main gauche lâcha ses sabres et vint à la rencontre de son homologue féminine, paume à plat et ouverte vers le ciel. Presque aussitôt, il sentit une chose légère et douce être déposée sur cette dernière. La visibilité sur cet objet lui échappait encore car la petite main de la brune lui déniait cette possibilité, comme si l'hésitation avait rattrapé cette dernière. Pendant une seconde de trop, Robin garda sa main au-dessus de la sienne, avant de la retirer doucement, presque à regret. L'épéiste fronça les sourcils et étudia attentivement le visage de sa nakama pour tenter de déterminer ce qui se tramait dans son esprit. Tentative relativement futile vu qu'elle gardait celui-ci fermé dans une expression grave mais il eut un peu plus de chance avec ses mirettes. Elles restaient braquées sur ce qu'il avait désormais dans la main et semblaient le fuir, ou du moins, retarder le moment où il croiserait enfin le sien.
Intrigué et vaguement soucieux par tant de mystère, Zoro décida d'affronter cette chose qui semblait la tourmenter. Au début, il fut dubitatif. Ne voyant qu'un petit cube noir logé au creux de sa main, sans comprendre réellement ce que cela signifiait. Puis la familiarité de l'objet en question devint de plus en plus prononcée, amenant avec elle un tourbillon d'émotions dont il pensait s'être débarrassé.
Non… il l'avait jeté… ce n'était pas ça. Elle était au fond de l'océan…
Ses doigts se refermèrent d'eux-mêmes autour de la boîte. Son pouce pressa sans attendre la partie haute et le clapet ne résista que très brièvement avant de se relever pour enfin dévoiler ce qu'elle cachait en son sein. L'œil du pirate s'écarquilla et sa prise sur l'écrin se resserra avec un léger tremblement.
Non…
Le scintillement de l'or, éclairé par la lueur argentée de la lune, le nargua depuis le petit coussin moelleux sur lequel reposait soigneusement la bague. Cette bague.
Comment ? Comment Robin pouvait-elle être en possession de cette chose maudite ?
La stupeur l'enferma à son tour dans le mutisme, même quand la douleur dans sa poitrine se manifesta, comme une sensation d'écrasement. Les questions affluèrent dans son esprit perdu alors que l'anneau le dévisageait depuis son écrin. Étonnement, tristesse, confusion, nostalgie, surprise, désolation, amertume, souffrance… Zoro passa par plein d'émotions similaires et contradictoires à la fois, un tourbillon de folie qui n'eut que pour seule synthèse, une colère sourde. Ses doigts enserrèrent avec force le petit cube qui menaça de craquer sous la pression. Il arracha son regard de ce truc qui ne lui avait apporté que malheur et déshonneur, pour le braquer de façon accusatrice sur l'archéologue.
Tel un flash, une petite étincelle d'inquiétude traversa les orbes céruléens de cette dernière alors qu'il irradiait de rage. Zoro fit un pas vers elle avec cette même attitude menaçante, et releva la main d'un geste sec pour porter l'écrin à hauteur d'yeux.
- Qu'est-ce que tu fiches avec ça ? siffla le bretteur dont la voix était descendue d'une octave.
Le silence brisé parut redonner contenance à la jeune femme dont le regard se raffermit pour soutenir celui assassin de l'épéiste.
- Je vais te le dire, à condition que tu m'écoutes calmement jusqu'au bout, argua la brune d'une voix posée mais inflexible.
Le bretteur serra les dents et après une courte délibération interne, son bras retomba à ses côtés. Suite à son hochement de tête pour lui faire comprendre qu'il acceptait les termes, elle ferma les yeux une seconde et prit une profonde inspiration avant d'ancrer son regard dans le sien.
- J'ai surpris votre conversation, à Nami et toi, lorsque nous étions sur Zo…
Une sueur froide partit de sa nuque à la pointe de ses pieds et fit frissonner sa peau. Son œil encore valide s'écarquilla et sa mâchoire manqua de se décrocher, sous l'effet de la surprise. Cependant, la colère reprit très vite le pas sur sa stupeur.
- Tu nous as espionnés ?! cracha-t-il avec véhémence.
- La tension entre vous deux était palpable à ce moment-là, et l'attitude de Nami m'a interpelée. Alors quand elle t'a demandé de la suivre, j'ai effectivement prêté une oreille à ce que vous disiez…
Sa main libre se referma en un poing étroitement serré et son corps se mit à trembler de colère. Comment avait-elle osé les espionner ?! Au-delà du simple fait de déterrer un souvenir qu'il cherchait désespérément à enfouir, Robin venait de susciter un sentiment puissant de trahison, en plus de celui qu'il avait ressenti ce jour-là.
- Je sais que ça ne me regardait pas…
- Effectivement, trancha-t-il froidement.
L'archéologue accusa le coup mais poursuivit son explication.
- Je l'ai fait sans mauvaises intentions… mais uniquement parce que je m'inquiétais pour vous deux. Et à raison…
- Je me fous des raisons qui t'ont poussée à le faire ! T'avais pas à t'immiscer dans cette histoire !
Pendant tout ce temps où Nami et lui avait fait en sorte que ce qu'il se passait entre eux reste définitivement entre eux, tout ce temps passé à dissimuler les gestes d'affections, les caresses, les étreintes charnelles, mais aussi la rupture et la douleur… pour que rien ne vienne perturber la cohésion au sein de l'équipage… tout cela pour rien. Ils avaient échoué… Zoro avait échoué, il n'avait réussi à paraître aussi naturel qu'il le croyait, ou du moins pas assez pour échapper au sens de l'observation hyper développé chez leur archéologue. C'était un échec qu'il prenait personnellement à charge, car cela les menait à la situation présente, et ça, c'était le comble de l'humiliation. Et ce, même si Robin avait toutes les meilleures intentions du monde.
La peine se lut sans difficulté sur le visage pâle de Robin, après qu'il l'ait rabroué aussi sèchement. Encore un effet collatéral de ses choix sentimentaux désastreux. Cela lui rappela aussitôt les premiers jours de son arrivé dans ce pays, de cette femme à l'identité inconnue, que son esprit pernicieux avait fait passer pour Nami. Elle avait eu ce même regard attristé, vexé, dont il était le seul responsable après s'être montré faible. Comme pour ce soir-là, Zoro sentit le besoin de s'éloigner, de battre en retraite, pour échapper à ses frasques qui semblaient le poursuivre. Il fit un pas en arrière et se détourna pour partir tout en priant pour que son intonation tranchante ait suffi à stopper Robin dans cette folie.
Malheureusement, rien ni personne ne dût l'entendre ou ne souhaita l'écouter car une main douce s'enroula autour de son poignet pour le retenir. Par réflexe, son corps se raidit et il demeura immobile, dos tourné vers la brune.
- Tu étais d'accord pour m'écouter jusqu'au bout, fit-elle remarquer.
Cette fois-ci, sa voix n'avait plus rien de cette douce intonation presque caressante, elle était froide… impérieuse. Ce qui était rare dans la bouche de la jeune femme, et assez inhabituel pour que le bretteur considère de l'écouter.
- J'ai vu ton regard à ce moment-là. Je sais aussi que tu ne pensais pas ce que tu as dit. Tu peux crier, hurler, me dire que je mens ou ce que tu veux, je sais ce que j'ai vu passer sur ton visage. Le simple fait que tu détenais cette bague ne fait que confirmer cela… J'ai reconnu la gemme et je connais sa signification ainsi que la légende liée à celle-ci.
Figé comme une statue de marbre, le visage dans l'ombre, Zoro écoutait sa nakama. Ou plutôt, subissait chacune de ses paroles à la façon dont il subissait des coups de poings. L'œil irrémédiablement vissé sur le sol, à creuser mentalement un trou, il n'arrivait pas à trouver la force de se retourner pour la regarder. Tout ce qu'il désirait, c'était qu'elle se taise, qu'elle cesse de remuer le couteau dans cette plaie suintante.
- Je comprends ta réaction, ajouta-t-elle plus doucement. Mais je peux te certifier que Nami n'en pensait pas moins non plus. Tu n'as pas pu la voir car elle te tournait le dos, mais cette décision lui a coûtée tout autant qu'elle t'a coûtée. Je ne connais pas les réelles raisons qui l'ont poussée à faire cela, mais aux vues de sa réaction, je pense qu'à ses yeux, votre relation allait bien au-delà d'une simple histoire de sexe.
Ce dernier mot le fit se crisper un peu plus, surtout provenant de la bouche d'une tierce personne. Comme toujours, Robin n'avait pas peur des mots et ne se gênait pour dire les choses, que la plupart bredouillerait maladroitement. C'était une qualité qu'il avait toujours appréciée chez elle, mais en cet instant, il aurait aimé ne pas être la cible de sa franchise.
En plus de cela, il ne put empêcher son esprit de s'accrocher à cette dernière phrase pour en décortiquer le sens. Qu'est-ce qu'elle cherchait à lui faire comprendre exactement ? Que Nami avait menti ? Si elle ne considérait pas leur histoire comme un passe-temps, alors qu'est-ce que cela avait signifié pour elle ? Devait-il envisager que la navigatrice avait eu ou avait des sentiments pour lui ?
Comment Robin pouvait-elle lui suggérer de telles choses ?! Qui plus est, juste avant une importante bataille ! Ce mois passé seul avait été assez éprouvant mentalement comme cela, et juste au moment où il pensait être enfin en accord avec ce qu'il éprouvait, il fallait qu'elle lui balance tout cela à la figure !
Après quelques instants de silence, uniquement perturber par le cri-cri strident des criquets, sa main se desserra d'autour son poignet et le libéra doucement, comme quand on libérait un animal sauvage en s'attendant à ce qu'il fuit aussitôt sa liberté retrouvée. Pour être franc, Zoro était trop assommé par cette nouvelle info pour envisager de s'éloigner, ou même ne serait-ce que bouger.
- Je m'excuse de te dire tout ça à un moment peu approprié… mais je reste convaincue qu'il fallait que je t'apporte une nouvelle vision de ce qu'il s'est passé ce jour-là, car je sais que vous tenez l'un à l'autre, bien plus que ce que vous ne laissez paraître. Alors, si jamais il venait à arriver quelque chose pendant cet affrontement, ce que je ne souhaite pas…
- Il n'arrivera rien, coupa brusquement le bretteur qui venait de retrouver l'usage de la parole.
Son assurance était revenue elle aussi et il trouva enfin le courage de se retourner pour faire face à Robin.
- On va surmonter cette épreuve, comme toutes les autres avant celle-ci, et on s'en sortira ensemble, asséna-t-il durement.
La brune le détailla silencieusement avant d'esquisser un faible sourire et de hocher la tête.
- Oui.
Le chant monocorde et répétitif des criquets se fit plus intense à mesure que le silence s'éternisait. Une bourrasque s'engouffra dans le feuillage au-dessus de leurs têtes, et fit danser les branches des arbres dans une douce cacophonie de bruissements.
- A propos de la bague…, reprit la jeune femme. Il s'est produit quelque chose d'étrange lorsque nous étions en mission d'infiltration…
Un froncement méfiant amena les deux sourcils du sabreur à se rejoindre dans un nœud soucieux au-dessus de l'arête de son nez.
- La pierre s'est mise à chauffer de plus en plus fortement, sans aucune raison, mais le plus étonnant, c'est qu'elle brillait ! On aurait dit qu'une lueur palpitait à l'intérieur de la gemme, comme… un cœur. Le rythme des palpitations n'était pas vraiment régulier, il était rapide au début, puis il a ralenti petit à petit, tout comme l'intensité de la lumière qui se dégageait du cœur. Elle a fini par s'éteindre, et les couleurs de la pierre ont disparu…
Le nœud de ses sourcils fila vers le haut de son front. Voilà qui était curieux. Est-ce que ça aurait un lien avec son expérience mystique lors de sa séance de méditation ? Sa curiosité piquée au vif, Zoro remonta sa main qui tenait encore le boîtier, pour exposer la bague à la lueur de l'astre nocturne.
Effectivement, il n'avait pas remarqué lorsqu'il l'avait ouvert, et puis parce que la surprise et la colère l'avaient distrait, mais à présent, il voyait bien une différence. Le petit caillou, censé rutiler sur ce cercle d'or, était terne, d'un noir sans reflet comme une obsidienne brute.
- Tu as une idée d'où cela a-t-il pu provenir ?
Son regard était toujours braqué sur la bague mais son esprit s'était plongé dans le dédale de sa mémoire à la recherche des brides d'une conversation chimérique tenue dans un rêve datant de plusieurs semaines. Pas évident lorsque le temps avait fait son œuvre et franchement, qui se souvenait de tous ses rêves ?
« Ne laisse pas la fierté et l'orgueil te priver du bonheur que tu mérites ».
Sortie de nulle part, comme un diable sorti de sa boite, le souvenir de cette phrase résonna plus clairement que tout le reste dans son esprit.
Clap*
Le chant perpétuel des criquets s'interrompit avec ce bruit sec et soudain, avant de reprendre de plus bel. Le clapet venait de recouvrir le bijou pour l'enfermer dans l'obscurité pour un temps indéfini.
- Non.
C'était partiellement vrai. Il n'avait aucune preuve que cela avait un lien avec ce qu'il lui était arrivé, mais pour sûr, Zoro n'avait pas envie de s'épancher sur le sujet. Sachant ça, Robin aurait sûrement tenu à creuser plus profondément pour en savoir plus et ça, il en était hors de question. De toute façon, le temps leur manquait.
- Est-ce que les autres sont au courant de quelque chose ? Demanda sombrement le bretteur.
- Non, je ne crois pas qu'ils aient remarqué quoique ce soit.
- Et Nami ? Tu lui as parlé de tout ceci ?
- Non. Comme je te l'ai dit, je voulais d'abord te remettre ça.
Zoro hocha la tête. D'une part, cela le rassurait que Robin soit venue directement lui en parler, mais d'un autre côté, il aurait préféré se passer de son intervention.
- Pour le moment, évite de lui faire savoir que tu es au courant.
- Bien sûr. Je ne te dirais pas quoi faire, Zoro, mais pense au moins à ce que je t'ai dit. Les choses ne sont pas toujours ce qu'elles semblent être.
…
Quelques minutes plus tard, il était revenu dans la même position qu'avant son départ, allongé sur le sable avec les bras croisés derrière la tête. La plupart des membres de l'équipage ne paraissaient pas avoir remarqué leur absence. Ussop et Franky discutaient d'une façon animée, le premier s'extasiant sur sa nouvelle tenue alors que le charpentier hésitait encore sur quel couvre-chef porter. La solution fut apportée par leur capitaine, qui céda généreusement son casque au profit de la cape qu'il portait. Il nota que Robin avait rejoint leur navigatrice, agenouillée, en train d'étudier la carte du pays et occupée à planifier leur route. Brook proférait encore ses fameuses skull jokes, quant au cuistot, lui aussi était allongé contre une caisse en bois, à fumer machinalement sa clope. Lorsque le bretteur était revenu, il lui avait juste lancé une œillade dédaigneuse avant de retourner à sa sieste.
Tout était calme. Tout… à l'exception d'une chose.
Suite aux révélations de Robin, l'esprit du bretteur était un peu désorienté et Zoro devait le refréné pour éviter qu'il s'emballe sur de fausses idées.
Si effectivement, Nami avait menti et qu'il ne s'agissait pas une histoire de sexe, alors pourquoi avoir voulu rompre ? Qu'est-ce qui avait motivé la jeune femme à le faire ? Pourquoi avait-elle prise cette décision lorsqu'ils étaient à quelques centaines de lieux d'écart ? Est-ce qu'il avait fait quelque chose ? ou dit quelque chose en particulier ?
Argh… il allait avoir une torsion du cerveau à réfléchir autant !
Mais le plus difficile c'était de savoir s'il devait la confronter sur le sujet ou s'il devait tout enfouir, et laisser cette histoire derrière eux. Zoro soupira de lassitude et d'un balancement de jambe, il se releva d'un bond. Un peu d'exercice avec sa nouvelle lame ne lui ferait pas de mal et le forcerait à se concentrer uniquement sur celle-ci. Peut-être qu'après ça, il aurait la réponse à sa question. Le bretteur passa à côté du cuisinier somnolant, son katana à la main et l'esprit focalisé sur son entraînement.
- Encore parti ? Où tu vas comme ça ?
Pourquoi fallait-il qu'il soit toujours sur son dos ? C'était lassant à la fin. A croire que cette petite provocation de tout à l'heure ne lui avait pas suffi. Mais les tergiversations le privaient de toute envie de titiller le cuistot, au lieu de quoi, il opta pour une réponse plus honnête :
- Exercer ma nouvelle lame vite fait.
Zoro observa l'éclat d'Enma et sentit se léger fourmillement dans sa main. Le sabre était avide de se délecter de son haki.
- Va pas te perdre, lui conseilla le blond sans réelle antipathie. C'est le grand jour, demain.
Par-là, il devait entendre « N'en fait pas trop. Je sais que tu es impatient comme nous tous, mais économise-toi pour la bataille qui arrive, tu en as tout autant besoin que les autres ». Maudit cuistot et son grand cœur, toujours à se croire supérieur en se souciant inutilement des autres. Il n'avait pas besoin d'être materné !
BOUM !
Une grosse explosion enflamma le ciel étoilé et sembla provenir de la crique où le Sunny mouillait. Les ennuis commençaient plus tôt que prévue. Ce qui signifiait que Zoro allait devoir mettre toutes ses questions en pause. Mais au moins, cela lui apportait la distraction dont il avait grandement besoin.
…
Toute la ville… non… le pays entier était en effervescence. Des campagnes reculées de Kuri, en passant par les plaines désertiques de Kibi, le village d'Ebisu, jusqu'au nord de Ringo, ainsi que dans la contré d'Hakumai. Tout le pays battait au rythme endiablé de la Capitale des fleurs après cette victoire tant espérée de tous. Le son vibrant des shamisens, accompagné par le doux air des shakuhachi, encensaient la cité qui palpitait au grondement des taiko. La ville était emplie de musique, de chants et de cris de joie. Le festival du feu n'était rien comparé à cette révolution. Le pays respirait et aspirait à grand poumon l'air de sa liberté fraîchement retrouvée. Plus aucune chaîne ne lui étreignait la gorge, plus d'usines, plus de liquides pollués qui se déversaient dans les rivières, plus de restrictions de nourriture. Tous les habitants pouvaient manger et boire ce qu'ils leur faisaient envie, sans crainte de se voir sanctionné ou pire, tué.
Les noms de leurs sauveurs étaient scandés à travers tout Wano Kuni, dans un hymne national reconnaissant. Mais une clameur encore plus grande se réjouissait de pouvoir enfin crier haut et fort le nom de leur souverain légitime : KOZUKI MOMONOSUKE. Les citoyens de la capitale avaient afflué en masse pour tenter d'apercevoir leurs libérateurs, ainsi que leur nouveau shogun.
C'est dans cette ambiance électrique et agitée que l'équipage au chapeau de paille festoyait depuis deux jours, pour célébrer leur victoire commune avec les samouraïs, les Minks, ainsi que l'équipage du heart. Celui de Kidd, sur ordre de leur capitaine, avait préféré se retirer des festivités pour reprendre la mer. On ne pouvait pas dire que le gars était d'une nature très sociable… mais qu'importe.
De grandes tables avaient été installées un peu partout au centre de la capitale, sur lesquelles avaient été disposé de la nourriture à foisons, pour que tous les citoyens de Wano Kuni qui le souhaitaient puissent en profiter. Lever l'embargo et la restriction sur les vivres avaient été une des priorités de cette bataille. Alors, aujourd'hui, c'était un réel plaisir de voir tous les habitants se sustenter à leur convenance dans la joie et la bonne humeur.
Une paire de baguettes dans une main, et l'anse d'une chope pleine, fermement serrée dans l'autre, Zoro piochait aléatoirement dans l'assortiment de nourriture exposé sous son nez. Même après deux jours de ripaille, il avait encore faim. Faut dire que les combats avaient été éreintants, et il avait plus besoin que jamais de reprendre des forces. Toutefois, il était bien loin derrière Luffy et son appétit gargantuesque. D'ailleurs, le désormais très célèbre et très populaire Chapeau de Paille, était sur le point de rouler tellement il était gavé comme une oie. Avec un mawashi autour de la taille, il aurait sans problème pu passer pour un des sumos du pays.
Juste à côté de lui, se tenait O-Tama, qui n'avait d'yeux que pour lui. Celle qui s'entraînait durement à être une kunoichi mangeait pour la première fois à sa faim depuis très longtemps. Elle goûtait des saveurs, somme toute communes pour un quelconque étranger, mais qui s'avéraient être de vraies révélations pour la jeune fille. Le bonheur irradiait de son visage enfantin, alors que ses joues pleines mastiquaient de nouvelles choses qui lui étaient jusqu'à lors, inconnues. C'était un vrai plaisir que de la voir ainsi, et pas seulement elle, mais tous les habitants d'Ebisu également.
Tous arboraient de larges sourires, qui n'étaient nullement induits par l'ingestion d'un smile, mais par le pur bonheur de manger enfin à leur faim. Les yeux brillaient, les larmes coulaient pour laisser s'échapper les souffrances du passé, mais les sourires demeuraient.
Son regard parcourut la grande tablée, où chacun de ses camarades était accaparé par des natifs. Il voyait Franky, emporté par une discussion animée avec un groupe d'hommes dont un petit bonhomme avec deux clous qui lui sortaient des narines. A un autre endroit, Brook s'amusait à faire peur à ceux qui l'entouraient en dissociant son âme de son corps squelettique, puis à demander aux femmes présentes de lui montrer leurs culottes. Un peu plus loin, Ussop se tenait debout sur un des bancs et posait un pied sur la table, tout en pointant le pouce sur son torse bombé. Comme à son habitude, il narrait ses faits d'armes, grandement enjoliver en sa faveur, mais que son auditoire semblait ravi d'écouter.
Au milieu d'une foule, Zoro distingua le petit renne qui se dandinait de façon gênée mais clairement heureux alors qu'on le félicitait pour ses grandes qualités de médecin. Avec sa carrure imposante et sa couleur bleu, Jinbe se démarquait dans cette agitation. Il riait joyeusement avec un groupe de samouraï qui avaient participé au raid, accompagné de Marco. Au-delà, entourée uniquement de donzelles qui l'inondaient de flagorneries, Sanji ne savait plus où donner de la tête et arborait une expression que Zoro qualifiait en générale de « niaise », ou « pitoyable ».
En parlant de pervers, il remarqua Momo en compagnie de leur nouvelle alliée, Yamato, ou Oden comme il souhaitait être reconnu. Hormis d'être le fils de Kaido, rien d'autre ne le rattachait à celui-ci, de toute façon, dans l'équipage on n'avait que faire des liens de parenté, seuls les actes comptaient. Et Yamato avait grandement fait ses preuves. Il était un élément précieux, auquel Zoro ne s'opposerait pas si jamais il voulait rejoindre l'équipage.
Un éclat de rire enfantin à deux enjambées de lui, attira son attention. O-Toko dansait et riait joyeusement aux côtés de Robin, qui semblait l'avoir définitivement prise en affection. Le bretteur l'observa quelques secondes. C'était un réel soulagement que de la voir ainsi, capable de s'amuser et de profiter de la joie que la vie pouvait avoir à offrir, et ce malgré les épreuves douloureuses. Le souvenir de Yasuie et de sa personnalité excessivement joviale se superposa à la réalité. Un collage fantaisiste pour combler un manque injustement créer par l'ignominie d'un être affable, et lui rappeler que la guerre faisait fatalement des victimes. La mort de l'ancien Daimyo avait galvanisé l'esprit de révolte parmi les samouraïs, mais au détriment d'une petite fille, devenue orpheline. Bien évidemment, elle n'était pas la seule à s'être retrouvée dans cette situation, mais Zoro jugeait qu'aucun enfant ne devrait être témoin de la mort d'un parent. L'inverse était tout aussi inacceptable, ceci étant dit.
Cette pensée l'amena à poser son regard sur la jeune femme au centre de l'attention de plusieurs hommes. Nami souriait et rayonnait par sa beauté, que même ce bandeau blanc qui ceinturait son front n'arrivait à atténuer. Stigmates évident de son combat contre l'un des Tobi Roppo, qui avait bien failli lui coûter la vie. Heureusement, la rouquine était plus coriace qu'elle n'y paraissait. Contrairement à ce que déblatérait le cuistot quant à ces « infâmes blessures qui dénaturaient la beauté transcendante de sa Nami-Chéri et sa Robin-d'amour » et de son incapacité à les protéger de cela, le bretteur, lui y voyait une preuve de leur valeur. Peu importe que l'on soit homme ou femme, les blessures étaient un témoignage d'une épreuve difficile, surmontée avec succès. Et face à des ennemis aussi redoutables, il n'y avait pas à en avoir honte.
Une ombre passa sur le visage de l'épéiste. Elle avait failli mourir. Lui aussi d'ailleurs. Cette constatation fit écho à ce que lui avait fait remarquer Robin. « Si jamais il venait à arriver quelque chose pendant cet affrontement… ». A un cheveu près, la fin de cette bataille aurait pu être dramatiquement différente. La voir étendue, inconsciente, pâle comme un linge, avait éveillé une anxiété latente qui persistait plus fortement depuis qu'il avait fait ces cauchemars. Alors quand, à son tour, il s'était retrouvé dans un état semi-comateux suite à son combat contre King, aux prises avec sa conscience houleuse, il n'avait eu d'autre choix que de faire face à son trouble personnel.
Tout ce qui avait eu trait de près ou de loin avec la jolie rousse, évènement, rencontre, échanges… tout avait défilé dans son esprit, et la seule chose qu'il avait pu faire, c'était d'assister en simple spectateur au visionnage de son propre film. La première fois où il avait posé les yeux sur la jeune femme, leurs accrochages, ses coups de poings, ses pleurs, sa rage, son désespoir, ses sautes d'humeurs, sa couardise, mais aussi son rire, ses moments de cupidité, sa fourberie, son talent incroyable pour la navigation, la météorologie, sa volonté, son amour pour les mandarines… Il avait également revu leurs moments de franche camaraderie, comme ceux plus intimes, où il avait appris à connaître une autre version de Nami. Puis, dans cette suite d'évènements chronologiques, leur rupture lui était apparue, avant d'être succédée par ses visions à son arrivée, ses cauchemars, sa discussion avec l'entité appelée Calypso, leur réunion, les conseils de Robin…
Un micmac de souvenirs qu'il avait été contraint de revivre, sans pourtant éprouver le moindre sentiment, hormis un détachement lointain. En y repensant, cela ressemblait à une expérience de mort imminente, où l'on voyait sa vie défiler devant ses yeux, mais Zoro n'arrivait pas à comprendre pourquoi, au lieu de voir toute sa vie, son esprit n'avait retenu que les passages concernant Nami.
En tout cas, depuis la fin de la bataille contre Kaido et son équipage aux cent bêtes, cela lui avait pas mal donné à réfléchir. Peut-être avait-il sauté sur des conclusions hâtives ? Peut-être avait-il été trop dur avec Nami ?
Une chose était sûre, aujourd'hui, lorsqu'il posait son regard sur la rouquine, il ne ressentait plus cette rancœur qui le poussait à se comporter froidement avec elle. Certes, il avait finalement décrété ne pas être amoureux d'elle, mais ces flash-backs à répétition, le poussait à envisager une issue moins abrupte à leur problème. Sans parler réellement de seconde chance, il n'était désormais plus fermé au dialogue, si tant est que cela se fasse dans la franchise et la sincérité, au sujet de ce qu'il s'était passé sur Zo. Oui, Zoro se sentait prêt à rouvrir cette blessure avec Nami, si cela pouvait permettre d'apaiser les esprits et les émotions de chacun. Oui, il pouvait faire cela, parce qu'il tenait à elle.
Le tout allait être de trouver un moment de répit et qu'elle soit seule pour qu'il puisse la prendre à partie afin de discuter tranquillement sans être dérangés. Pas facile avec tout ce monde qui ne désirait que leur présence.
- Je vous sers un peu plus de saké, messire-samouraï ?
La douce voix provenant juste à côté de lui, le tira de ses réflexions. A l'aide de ses baguettes, il venait d'enfourner dans sa bouche le début d'une portion de nouille, quand il se tourna doucement vers celle qui venait de parler, pas très sûr qu'elle s'adressait bien à lui. Les joues gonflées pour aspirer les ramens de son bol qu'il tenait sous son menton, Zoro observa la sœur de Momo tout en levant un sourcil. Celle-ci tenait une carafe à la main et le fixait, un peu trop proche à son goût, tout en souriant. Cette fille n'avait pas bien la notion d'espace privé alors qu'elle continuait de se pencher vers lui. Il avisa la carafe, puis sa chope à moitié vide, avant d'avaler ses nouilles dans un long bruit de succion. Il troqua finalement son bol pour sa chope qu'il tendit à la jeune femme, plus que ravie de le servir.
Flash back :
Qu'on se le dise, il avait uniquement accepté de la sauver parce qu'elle lui avait promis de la bouffe et du saké. Ça, et parce qu'il y avait une gamine aussi. Bon d'accord, même sans ça, il les aurait sauvées, mais parce qu'il ne supportait pas qu'on s'en prenne à des gens sans défense. Et il y avait eu une étincelle dans ce regard céruléen qui lui avait paru sincère, elles cherchaient désespérément de l'aide. Alors, il avait renoncé à poursuivre ce moine voleur, et de ce fait, également à récupérer Shusui, mais ce n'était que partie remise. Après tout, il se débarrassait vite-fait bien fait de ce rigolo hystérique puis il repartait en chasse.
Le plan semblait aussi parfait que simple, malheureusement Zoro avait sous-estimé son adversaire, et avec un sabre en moins, il n'était pas non plus au max de ses capacités.
Voilà pourquoi il se retrouvait dans cette bicoque en ruine, au milieu du cimetière de Ringo, une épaule bandée, sans Shusui, en compagnie d'une jeune femme et d'une gamine constamment hilare dont il ignorait tout. Être secouru par celles qu'il était censé secourir… pitoyable. Et il comptait affronter Kaido ? Clairement, il allait devoir se préparer un peu mieux. Mais pour cela, il lui fallait un troisième sabre.
La jeune femme aux cheveux bleus plaça ses mains au sol et s'inclina vers l'avant en signe de gratitude.
- Merci beaucoup de nous avoir sauvées un peu plus tôt.
La petite était beaucoup moins formelle dans ses remerciements mais elle semblait tout aussi sincère.
- Je ne sais vraiment pas comment je pourrais vous être redevable…, se désola-t-elle.
Un air coupable et plein de remords imprégna les traits fins de son visage et firent étinceler ses grands yeux bleus. Voilà qu'elle le plaignait pour cette blessure. L'idiote ! Zoro porta la main à son épaule couverte de gaze. Pendant le combat, il avait fait le malin. Sur le coup, cela lui avait paru être une bonne idée de se laisser embrocher volontairement pour récupérer une troisième lame… L'adrénaline avait très bien joué son rôle d'inhibiteur et la douleur s'était estompée le temps qu'il mette une raclée à l'autre tordu. Malheureusement, il n'était plus en combat, son taux d'adrénaline et d'endorphine était au plus bas… du coup il douillait sévère ! C'était sa première vraie blessure depuis qu'il était revenu de ses deux ans d'entraînement. Jusque-là, il avait été plutôt fier de sortir de ses combats sans presque aucune égratignure, au lieu de se retrouver à l'article de la mort à chaque fois qu'il faisait face à un nouvel ennemi, comme cela avait pu se produire par le passé. Cependant, cette blessure venait lui rappeler de manière douloureuse, que son chemin vers le titre de meilleur épéiste était encore long.
- J'ai été blessé parce que je ne suis pas assez fort.
Cette fille était bien sympa de l'avoir soigné, mais il avait un katana à récupérer ! Zoro récupéra ses armes et se releva pour s'apprêter à partir. C'était sans compter sur cette idiote qui venait de s'accrocher à son bras endolori pour le retenir. Le cri de douleur passa involontairement à travers ses lèvres et il eut beau arguer pour qu'elle le lâche, qu'il avait son sabre à retrouver, elle s'entêtait à s'agripper à son pauvre bras. À chaque fois qu'elle tirait dessus, la douleur le lançait terriblement et lui rappelait son incompétence.
Finalement elle avait gagné. En revanche, difficile de dire s'il avait capitulé à cause de la douleur ou de l'insistance de cette fille. En tout cas, ça faisait un mal de chien ! même allongé sur le ventre. Alors quand elle voulut le toucher pour l'aider, Zoro la rembarra sèchement. C'était ça, ou il la mordait. Bordel ! ça faisait longtemps qu'il n'avait pas eu mal comme ça ! Mais au moins, c'était une souffrance qu'il connaissait bien et à laquelle il était habitué. Il savait que ça passerait avec un peu de repos. A l'instar d'une autre blessure infligée par une personne plus proche de lui.
- Ça va aller messire-samouraï ! Car voici le baume du crapaud, un médicament fabuleux que j'ai dérobé… euh acheté…
- Tu l'as volé, grommela Zoro.
- Acheté messire ! contra la gamine avant de rire nerveusement.
Il avait une impression de déjà-vu ou déjà-entendu, dans une bouche plus vicieuse et maligne. Le samouraï gronda de lassitude pour avoir encore fait le lien avec leur célèbre chatte-voleuse.
- De toute façon je m'en cogne, bougonna-t-il.
- Le baume du crapaud peut tout guérir ! Si on l'applique sur une coupure, celle-ci s'effacera en un rien de temps !
Elle en appliqua une légère couche, tout en délicatesse, du bout de ses petits doigts. La gamine avait vraiment l'air d'y croire. Rien de moins étonnant lorsqu'on en connaissait la provenance. Ussop… non Ussohachi était un bonimenteur hors pair. Toujours est-il que le froid de la crème était le bienvenu sur ses petites coupures superficielles sur l'avant-bras. Au lieu de continuer à bougonner, le visage enfoui dans le futon de fortune, Zorojuro tourna la tête en direction de la petite, amusé par la foi qu'elle portait en ce produit miracle.
- Le baume du crapaud, hein ? Si tu me dis que ça marche, alors je veux bien te croire.
Les enfants et leur innocence…, mieux valait qu'ils la préservent le plus longtemps possible dans ce monde de plus en plus violent. La gamine le fixa avec un air étrangement sérieux mais toujours avec ce grand sourire plastronné sur sa petite figure.
- Dis messire-samouraï ? Tu restes avec nous ?
Le ton qu'elle employa était plus implorant qu'une banale requête ou qu'un simple caprice. Il perçut une sorte de terreur à l'idée de se retrouver seule. Sans doute par peur que quelqu'un d'autre ne les prenne en chasse comme l'autre type. Qu'elles auraient été leur chance de survie s'il n'avait été là ? La réponse était évidente. La gamine repartit dans un de ses fous-rires étranges, puis il entendit la jeune femme au-dessus lui, ajouter :
- S'il vous plaît, restez… au moins jusqu'à ce que vos blessures guérissent.
Zorojuro l'observa. Elle avait joué la carte de la sagesse, mais il ne s'y trompait pas, elle était tout aussi inquiète de leur sort si jamais il décidait de les abandonner. D'ailleurs, il en était conscient lui aussi. Son regard se reposa sur la petite. Les enfants, ça avait toujours été son point faible, bien qu'il ne l'avouerait jamais à voix haute. C'était plus fort que lui, quelque chose le poussait instinctivement à les protéger. Il suffisait de voir comment il se comportait avec Chopper, ou bien avec Nami lorsqu'elle était redevenue enfant suite aux effets du pouvoir d'un fruit du démon.
Le souvenir d'une petite Nami le renvoya au rêve qu'il avait fait en allant sur Zo, des deux enfants jouant à s'affronter avec de sabre en bois. Son estomac se contracta. Pourquoi est-ce que ce rêve était encore aussi vivace ? Il savait pourtant que c'était inutile de s'attacher à ce genre de détail, qui ne se produiraient jamais en plus ! Peut-être était-ce pour ça que son esprit gardait cette image, bien qu'elle n'éveille rien d'heureux en lui… Il détourna subitement la tête pour se concentrer sur autre chose. Son regard avisa la marmite sur le feu.
- Vous avez de quoi bouffer ?
Les deux filles s'enthousiasmèrent de sa reddition et quelques minutes plus tard, il goûtait un délicieux ragoût. Non, rectification, dévorer serait plus approprié. Il apprit enfin pourquoi est-ce qu'elles étaient poursuivies et avec un peu plus de stupéfaction, que la jeune femme se trouvait être la petite sœur de Momonosuke. Hiyori Kozuki.
Sa première pensée fut qu'elle n'avait rien en commun avec ce petit vicelard et quelque peu trouillard de Momo, mais il fut content de savoir qu'ils avaient des connaissances communes. Enfin, Hiyori était de loin la plus heureuse parmi eux, d'ailleurs la tête qu'elle fit quand elle réalisa que six des Fourreaux Rouges étaient bel et bien en vie !
Ça avait de quoi surprendre. Ses yeux paraissaient encore plus grands et plus étincelants qu'ils ne l'étaient déjà, tandis qu'elle se pinçait les lèvres comme si elle voulait se retenir de respirer. Sur l'instant, il crut qu'elle avait mal digéré un truc… Puis, finalement, Hiyori se donna de petites claques.
- Non ! je ne pleurerais pas ! Je suis la fille d'un samouraï après tout !
Alors cette mimique grotesque, qui lui donnait l'air idiote, c'était pour se retenir de pleurer ?! Zoro la scruta intensément. Une adorable idiote, souffla une petite voix. Il fut choqué par sa propre réflexion, tout à fait inappropriée à l'égard de quelqu'un qu'il venait tout juste de rencontrer.
Un bon roupillon pour se refaire une santé et se recadrer les idées ne lui ferait certainement pas de mal !
- Bien !
Il bascula en arrière en levant les bras pour les croiser derrière et s'en servir d'appui-tête.
- Nous sommes tous dans le même bateau… je devrais arrêter de m'en faire.
- C'est vrai ! Avant toute chose, je souhaite que vous alliez mieux ! Allez, reposez-vous un peu.
Cette bienveillance dans son regard et cette gentillesse à son égard le mirent mal à l'aise. Elle ne le connaissait pas mais elle faisait preuve d'une grande prévenance, et ce malgré le fait qu'elle le trouvait « effrayant » (il s'agissait de ses mots). Bon, peut-être un peu moins depuis qu'il lui avait annoncé être un allié de son frère et des samouraïs, mais même sans cela, elle semblait particulièrement attentive à son bien-être. Chose à laquelle, il n'était pas franchement habitué avec les membres de son équipage (hormis Chopper bien évidemment), mais il pensait surtout aux membres féminins. On ne pouvait pas dire que Nami ne s'était jamais souciée de son état physique, elle qui faisait toujours passer son bien-être personnel avant celui des autres, et qui n'en loupait pas une pour le frapper, même quand il avait mal. Ça faisait partie de son tempérament, qui était aussi ardent que la couleur de ses cheveux, mais il l'appréciait comme ça, et s'il ne pouvait pas encaisser ses coups, alors il n'avait rien à faire dans le Nouveau Monde. Quant à Robin, c'est vrai qu'elle était plus calme, mais elle restait toujours distante. Ça aussi, ça lui allait très bien, d'ailleurs il ne saurait pas comment gérer une Robin aussi tactile que Nami ou bien aussi prévenante qu'Hiyori… Bref, c'était bizarre.
Tout comme le fait qu'il s'était senti obligé de s'excuser pour son apparence « effrayante » auprès de la sœur de Momo. Dans la bouche d'un ennemi cela sonnait comme un compliment, et de la part des membres de son équipage, il s'en fichait, et à la limite il trouvait ça amusant. Mais allez savoir pourquoi, lorsqu'Hiyori lui avait dit cela, il s'était empressé de s'excuser et il s'était senti presque…presque… gêné ? Tss toutes ces réflexions lui donnaient mal de tête. Il n'avait qu'une envie, c'était de dormir.
- Ouais pas besoin de me le dire, ronchonna le ronin.
Il ferma l'œil et aspira à s'endormir rapidement. Toutefois, c'était sans compter sur les deux idiotes qui n'arrêtaient pas de glousser juste à côté de lui. Qu'est-ce que c'étaient pénibles les femmes ! En plus des tergiversations inutiles qu'elles provoquaient, il fallait qu'elles soient bruyantes !
Demain, il reprendrait Shusui à ce Gyukimaru et après il rejoindrait les autres ! Par la même occasion, Hiyori pourrait revoir son frère ainsi que les samouraïs. Tout est bien qui finit bien, comme on disait.
…
Etrangement, ça avait été la meilleure nuit qu'il avait passée depuis qu'ils avaient posé le pied sur cette île. Pour la première fois, il n'avait pas eu froid durant la nuit, ni même à son réveil. Il se sentait bien, et Zoro aurait bien voulu que ça perdure, mais c'était sans compter sur Brook. Encore groggy par le sommeil, la surprise de le trouver dans l'encadrure ne fut qu'un détail comparer à l'agacement d'avoir été réveillé. Qu'est-ce qu'il lui prenait de beugler des inepties comme ça dès le matin ? Et pourquoi avait-il l'air aussi choqué ?
- Brook ? Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Qu'est-ce que tu fiches ici ?
Le musicien l'observait toujours avec la mâchoire prête à se décrocher. N'y comprenant rien, le bretteur tenta de se redresser maintenant que le sommeil l'avait déserté. Cependant un poids sur son torse le restreignit dans ses mouvements et il baissa le regard pour voir ce qui n'allait pas. D'un seul coup, Zoro fut pleinement réveillé et en proie à l'embarras. Le temps d'une fraction de seconde, la question sur l'identité de cette fille aux cheveux bleus et celle de la gamine aux cheveux rose se posa, avant de se souvenir qu'il s'agissait des celles qu'il avait secouru la veille. Mais cela n'enleva en rien la gêne de sentir la sœur de Momonosuke lovée contre lui d'une façon aussi envahissante alors qu'ils ne se connaissaient que depuis peu. Sous le choc lui aussi, il n'osa pas bouger et il entendit vaguement Brook déblatérer sans lui prêter attention. Il avait d'autres problèmes plus importants à gérer en cet instant…
- Je suis désolé de vous importuner…
La phrase ne fit pas vraiment sens dans l'esprit médusé du ronin, jusqu'à ce que le musicien ne s'éclipse « discrètement ». Ses pommettes ainsi que la pointe de ses oreilles se mirent à chauffer. Maudit squelette avec les idées mal placées !
- Ohé ! C'est pas ce que tu crois ! Reviens !
Bonjour la méprise… comme si c'était son genre de fricoter avec des « inconnues ». En plus, y'avait une gamine !
…
- Tout va bien, Zorojuro-san ?
La voix d'Hiyori le ramena dans l'ambiance euphorique du présent et il nota qu'elle s'était encore rapprochée. Dans ses grands yeux couleur sarcelle, brillait d'une lueur amusée alors qu'elle posait sur lui un regard interrogateur. Devant son mutisme purement méditatif, la jeune femme en tira sa propre déduction :
- C'est le saké ?! Vous ne le trouvez pas bon ! s'offusqua-t-elle.
Cela tenait plus de l'affirmation que d'une simple question soucieuse, et son expression changea drastiquement. Elle sembla décontenancée, mais surtout embarrassée, cependant avant qu'il n'ait le temps de la contredire, Hiyori lui saisit sans tarder, la chope des mains. Zoro tâcha de ne pas trop porter d'attention au fait qu'elle avait laissé ses doigts caresser sa peau rugueuse sur le dessus de sa main, manquant l'anse de quelques centimètres. Tout comme il tâcha d'ignorer les légers fourmillements que ce geste innocent venait d'initier à l'endroit où elle l'avait touché. En revanche son brusque emballement le désarçonna, si bien qu'il se contenta de l'observer comme un idiot pendant qu'elle se confondait en excuses et blâmait sa propre incompétence. Ce ne fut que quand elle s'apprêta à se lever dans la précipitation, les joues en feu, que le bretteur sortit de son hébétude. Par réflexe, il l'attrapa par l'avant-bras et la contraint à cesser son agitation exagérée.
Le contact sembla lui faire l'effet d'un électrochoc car la jeune femme se stoppa brusquement et le regarda avec un air déconcerté, presque enfantin, tout à fait adorable. Non sans zieuter la main qui venait de la retenir, et il ne saurait dire si elle avait paru offusquée par le geste ou gênée de façon plaisante. Cependant, il ne retirerait pas sa main avant qu'elle se soit enfin assise.
- Le saké me va très bien, assura le jeune homme. Alors arrête de gesticuler dans tous les sens et rends-moi ma chope ! Et je t'ai déjà dit que tu pouvais m'appeler Zoro maintenant.
- D'accord Zorojur… oups, pardon, Zoro-san.
Un sourire radieux illumina son joli minois en une fraction de seconde, et le bretteur soupira. Ce n'était pourtant pas si compliqué de retenir son vrai prénom, si ? ça faisait la trois ou quatrième fois qu'il lui rappelait qu'elle n'avait plus à utiliser ce pseudonyme, mais rien n'y faisait.
L'héritière du clan Kozuki s'exécuta avec entrain en lui tendant son verre et ce n'est qu'à ce moment que Zoro jugea bon de retirer sa main afin de récupérer la chopine.
Hiyori avait une façon de le regarder qui avait tendance à le mettre mal à l'aise. Un peu comme… un peu comme s'il était le seul dans son champ vision. Malgré toute l'ambiance festive, malgré toutes les personnes qui lui étaient chères, présentes autour d'elle, son attention semblait être focalisée uniquement sur lui. Sans être présomptueux, Zoro mit ça sur le compte de l'admiration, le même genre d'admiration qu'une demoiselle en détresse éprouvait pour son sauveur. Ça et puis le fait que peut-être elle voyait en lui le souvenir de son père. Après tout, il portait bien Enma à sa ceinture, grâce à Hiyori de surcroît. Sans elle, l'issue de cette bataille aurait très probablement été différente, et il lui en était reconnaissant de lui avoir confié une lame aussi puissante. Peut-être ressentait-elle une forme de redevance pour avoir participé à la libération du pays, mais là encore, Zoro n'avait pas été tout seul et c'était grâce au concours de plusieurs personnes.
Non, il ne saisissait pas ce que la jeune femme ressentait pour lui, mais au final, cela ne le souciait pas plus que cela. C'était juste bizarre, voilà tout.
Tout en prenant une gorgée de son breuvage fraîchement resservi, l'épéiste éprouva une sorte de gêne, une sensation dérangeante qui venait perturber son aura. Pas de doute, il connaissait cette sensation. Quelqu'un l'épiait.
La dernière goutte d'alcool roulait encore sur sa langue pour dévaler la pente abrupte de sa gorge quand il reposa sa pinte sur la table et leva le regard sur l'assemblée de convives. Immédiatement, son œil s'accrocha à deux prunelles chocolatées, comme attiré par une force irrépressible. De l'autre côté de la table, dans sa diagonale, Nami le fixait d'un air indéchiffrable. C'était une expression à laquelle il était peu habitué de la part de la jolie rousse. Vide, son regard n'exprimait rien, et ce fut assez étrange pour intriguer le jeune homme. Ce dernier voulut hausser un sourcil interrogateur, mais soudain, la rouquine parut réaliser qu'elle venait d'être prise sur le fait et les orbes ambrés le lâchèrent aussitôt pour se reporter sur un voisin de table. Elle avait fui son regard ou bien était-ce une idée de lui ?
Les paroles sages de Robin se rappelèrent à son esprit. A la nuit tombée, il trouverait un moyen de parler à Nami. S'il fallait qu'il fasse le premier pas vers une amélioration de leur relation, alors soit. Car pour la première fois, il envisagea ne pas avoir été le seul à souffrir de cette rupture.
…
Après les fabuleux exploits du légendaire CAP'TAIIIINE USSOOOPPPP comptées par celui-là même, puis l'initiation au déhanché « très subtil » dirigées par Franky avec les deux sessions de danse qui suivirent (non pas qu'il y ait participé), puis la fameuse chanson du Saké de Binks orchestré par Brook, qu'il fallut chanter par trois fois, Zoro put enfin profiter d'un moment d'accalmie pour s'éclipser. L'équipage s'était dispersé dans le flot de population et la sœur de Momo l'avait finalement délaissé pour passer un peu de temps avec son frère ou quelqu'un d'autre qui n'était pas lui.
Du coup, il se retrouvait seul à déambuler dans les rues, sous les centaines de guirlandes illuminées de lanternes colorées. Sa tête était un peu légère à cause de tout ce qu'il avait bu, mais il n'en n'était pas au niveau de cette fameuse nuit où il s'était égaré dans une maison close et prit une courtisane pour sa coéquipière. Plus jamais ! En revanche, il se sentait bien, presque guilleret mais uniquement parce que l'ambiance générale était à la joie et à la fête et qu'elle déteignait sur son humeur.
Marcher lui fit du bien après tout ce temps passé assis à ripailler et il se sentait à nouveau en forme. Toutefois, sa petite marche n'était pas uniquement digestive. Un but plus précis guidait ses pas. Trouver une certaine personne à la chevelure rousse, mais avec toute cette agitation, pas facile de la repérer. Nami s'était dérobée avant lui, et même s'il avait vaguement repéré la direction qu'elle avait prise, avec tout ce monde, il l'avait rapidement perdu de vue.
Zoro navigua un certain temps, la foule se dissipait de plus en plus à mesure qu'il passait au détour de maisons et d'échoppes, jusqu'à ce qu'il se retrouve seul au beau milieu d'une ruelle. A cet instant, le bretteur estima s'être un peu trop éloigné de la fête et que, peut-être, ferait-il mieux de faire marche-arrière. Après tout, il y avait peu de chance qu'il trouve leur navigatrice ici. En se retournant, Zoro manqua de percuter une bande d'enfants, qui venait de débouler d'une rue adjacente comme une envolée de moineau. Ils lui passèrent de part et d'autre en riant alors qu'ils s'amusaient à faire voler des cerfs-volants en papier à l'effigie d'animaux dans leur sillage. Le bretteur bougonna pour la forme face à tant d'insouciance et du fait qu'ils l'ignorèrent. Manque de chance, le dernier, plus petit et plus jeune que le reste de la troupe, fut trop distrait par son empressement à rattraper ses copains. Résultat : il fonça droit dans ses jambes. Le choc ne fit même pas remuer l'épéiste, par contre, le gamin retomba lourdement sur son postérieur. Zoro estima l'âge du bambin autour des cinq ans, quand les autres en faisant largement trois ou quatre de plus, mais cela ne semblait pas le dissuader à faire ses preuves. Le garçonnet parut surpris d'avoir percuté quelque chose et leva les yeux vers l'homme qui le toisait sombrement. Ses yeux s'écarquillèrent de façon comique avant que le garçon ne se mette à trembler de peur.
- Pa-pa-pardon mon-monsieur le samouraï, balbutia-t-il maladroitement.
- Fais attention où tu vas, petit, réprimanda Zoro sans méchanceté. Tu pourrais te faire mal.
Le petit l'observa une seconde et lorsqu'il fut convaincu que le samouraï n'énerverait pas sur lui, il hocha la tête et se remit sur pieds en un clin d'œil. Il épousseta son séant, tenant toujours fermement dans sa petite main la ficelle qui tenait son espèce de poisson en papier et repartit comme une flèche, à la poursuite de ses copains.
- Hey ! Petit ! le héla Zoro.
L'enfant se stoppa aussitôt et se retourna vers lui.
- La fête, c'est par où ?
- Par-là, monsieur le samouraï.
Son petit bras se leva pour indiquer le chemin que les enfants avaient pris et qu'il s'apprêtait à prendre également.
- Vous pouvez me suivre, si vous êtes perdu, suggéra l'enfant bien que son timbre de voix trahissait une certaine déception de devoir abandonner sa course-poursuite au profit du devoir d'aider autrui.
Zoro sourit à cela.
- Ça va. File avant que les autres ne soient trop loin, indiqua le bretteur.
Un large sourire édenté fendit la petite bouille du garçon et il disparut dans une envolée de poussière, la carpe koi rouge flottant dans son dos. Le pirate emprunta la même voie d'un pas plus nonchalant, la main posée tranquillement sur le pommeau de ses sabres, et un léger sourire qui venait adoucir ses traits abrupts. Le chemin de traverse entre les maisons était facile pour des enfants, mais pour un adulte comme lui, c'était quelque peu étroit. Enfin, il n'allait pas se plaindre car le bruit de la fête lui parvint rapidement, signe qu'il se rapprochait.
Le jeune homme émergea dans une rue peu occupée qu'il allait devoir traverser pour reprendre le petit passage sombre entre les bâtisses, comme lui avait indiqué le gamin, quand quelque chose attira son attention par côté. A une dizaine de pas de là, un halo orangé capta son champ de vision et très vite, il réalisa qu'il venait de tomber sur celle qu'il cherchait depuis le début.
Nami était partiellement de profil et un chariot laissé sans surveillance, cachait une partie de sa silhouette. Ça tombait bien qu'elle soit là ! en plus l'endroit était calme, on ne pouvait rêver mieux. Zoro s'avança vers la jeune femme et ouvrit la bouche pour l'interpeler. Mais le son resta coincé dans sa gorge quand son champ de vision s'élargit au fur et à mesure qu'il s'approchait. Là, il découvrit qu'une autre silhouette était collée à celle de la rouquine.
Sa démarche décidée s'altéra pour finalement s'arrêter. Caché derrière le chariot, une forme longiligne vêtue d'un costume pourpre, surplombait la jeune femme, d'une tête de plus. Et pas n'importe quelle tête. Sa chevelure blonde était aussi criarde dans le paysage qu'une lanterne. Le temps de quelques secondes, son esprit eut du mal à saisir le sens de ce qu'il voyait, puis très vite la réalisation s'imposa à lui.
Les lèvres de Nami étaient scellées à celles de Sanji.
A suivre…
Ahah! je suis méchante de finir sur un truc comme ça. Pauvre Zoro...
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