Sumimasen ! Ce chapitre arrive enfin ! avec du retard certes, mais il est là ! Ce n'était vraiment pas cool de ma part de vous laisser sur une fin pareille, mais ces derniers temps, je n'ai pas eu beaucoup d'occasions afin de me poser pour écrire… ou de me poser tout court ^^'. C'est encore un gros chapitre, mais j'espère qu'il vous plaira. Le titre du chapitre fait référence à la magnifique chanson Lemon de Kenshi Yonezu, donc n'hésitez pas à l'écouter et à lire la traduction si le cœur vous en dit.
Correction : Shinory
Bonne lecture !
CHAPITRE 5 : Un parfum amer de citron
Les lèvres de Nami étaient scellées à celles de Sanji.
Le visage angélique de celle-ci, incliné en arrière, imbriqué sur celui anguleux du blond, alors qu'elle se dressait sur ses pointes de pieds pour forcer cette rencontre intimiste. Les deux protagonistes fermaient les yeux étroitement, à n'en pas douter, immergé dans leur petite bulle de sensation électrisante. L'espace entre leurs deux corps était inexistant, la rouquine avait les mains posées sur le torse du cuisinier et tenaient dans une poigne ferme, le revers de sa veste pour se presser contre lui.
Sa bouche baveuse qui dégobillait des niaiseries à longueur de temps et s'éternisait en babilleries inutiles, était en train d'effacer le souvenir des baisers précédents que Zoro avait partagés avec elle. Sanji goûtait les lèvres délicates que le bretteur lui-même avait savourées tant de fois, et qui aujourd'hui, lui paraissaient finalement avoir trop peu fait.
Le temps était comme figé et Zoro fut incapable du moindre mouvement. L'univers se jouait de lui une fois de plus et l'obligeait à contempler pendant ce qui lui sembla être une éternité, la fatalité de sa décision qui se retournait contre lui. Après tout, il ne croyait pas au hasard mais au destin et à la chance, et clairement, cette dernière l'avait abandonné de ce côté-là. Quant au destin, Nami n'en faisait apparemment pas partie comme il aurait pu l'espérer. Celui-ci s'acharnait à bien lui faire comprendre en essayant d'imprimer sur sa rétine, l'image des deux tourtereaux en train de se bécoter.
Nami avait tourné la page. Tout ce qu'elle avait pu lui dire, tout ce qu'elle avait prétexté en affirmant n'avoir aucun sentiment pour l'autre abruti (autre que de l'amitié) … Tout cela n'était que mensonges. Et le pire, c'est qu'il n'en fut même pas surpris. Au fond de lui, il l'avait senti, et même si ça le tuait de se l'avouer, ces deux-là allaient mieux ensemble. Cela était logique, c'était même du bon sens. Ils avaient plus de points communs, ils étaient beaucoup plus proches… bien plus que Nami et lui ne le seraient jamais. Et puis, ce qu'ils avaient vécu sur Whole Cake avait sûrement dû les rapprocher encore plus.
Lentement, il referma la bouche, qu'il avait gardé bêtement ouverte, et resserra sa prise sur la poignée de Wado. Il fit un pas en arrière, puis un autre, avant de se retourner et de repartir silencieusement dans la direction qu'il avait suivi depuis le début. Cependant, son humeur fut bien moins légère que précédemment, et toutes les fêtes du monde, n'y changeraient rien.
L'effervescence de la foule le gagna dès sa sortie de l'ombre et l'enveloppa tel une bulle suffocante. Les exclamations de joie, la musique, le brouhaha constant des discussions… tout cela lui assaillait les oreilles et faisait vriller ses tympans. Pourtant, il s'agissait de la même ambiance qu'il avait quittée un peu plus tôt, mais désormais, elle lui paraissait difficilement supportable.
Zoro se fraya un chemin à travers la plèbe, usant de temps à autres de son fameux regard noir pour en dissuader quelques-uns qui tentaient de l'attirer dans une accolade ou pour l'inviter à danser et chanter (très peu pour lui). Les gens étaient ivres de bonheur, cela se comprenait, mais pour beaucoup, ils étaient ivres tout court. L'inconvénient dans ce genre de situation, c'était qu'au moindre écart ou moindre geste un peu brusque, les plus fébriles trébuchaient et vous bousculaient au passage. Malgré tout, Zoro prit sur lui pour ne pas s'énerver à chaque coup d'épaule, à chaque coup de coude dans les côtes, ou encore aux divers écrasages d'orteils. Ces gens avaient le droit de faire la fête, quitte à se mettre la tête à l'envers. Il ne les blâmerait pas pour son humeur massacrante. Si seulement il pouvait juste se trouver ailleurs…
Soudain, au milieu de cet attroupement déchaîné, une stature imposante aux couleurs flashy remuait vaillamment au rythme endiablé de la musique. Sa banane bleu clair s'agitait au gré de ses mouvements alors que Franky renouvelait les poses « SUUUPEEER », aussitôt imité par des fans conquis. Ce fut grâce au charpentier et à l'invitation qu'il lança à travers la foule en tendant le bras, que Zoro repéra la jeune femme brune non loin de là. Cela fut peine perdue pour le cyborg, car Robin ne parut pas intéressée pour le rejoindre sur la piste de danse improvisée, mais elle lui adressa en revanche, un sourire d'excuse. Ce dernier se dissipa à la seconde où ses deux mirettes bleues tombèrent sur le visage fermé du bretteur. L'archéologue était d'une perspicacité et d'une vivacité d'esprit qui dépassaient l'entendement. Et c'était bien là qu'était son problème. Sans cela, Robin n'aurait jamais eu l'intuition de les suivre dans la forêt, elle ne les aurait jamais espionnés, elle n'aurait jamais appris pour leur relation, elle n'aurait rien su de la rupture, de la bague… rien de tout ce merdier ne serait arrivé si elle n'avait pas tenté de résoudre quelque chose voué à l'échec !
Zoro fendit le groupe de danseur, ignora l'appel enjoué de Franky qui réitérait son invitation avec lui, pour marcher d'un pas déterminé vers la jeune femme.
- Zoro ? Quelque chose ne va p…
- La prochaine fois que tu voudras te mêler d'un truc qui me concerne et qui ne te regarde pas, abstiens-toi, gronda-t-il froidement.
L'acidité dans sa voix suintait à chacun de ses mots et la laissa sous le choc.
-N'essaie plus de t'immiscer dans ma vie sentimentale ou de prétendre savoir ce que je ressens. C'est clair ?
- Je… que s'est-il pass…, bredouilla-t-elle désarçonnée avant de se faire couper la parole.
- Je ne le répéterais qu'une seule fois. Ne. Te. Mêle. Plus. De. Mes. Histoires.
Pour accentuer l'avertissement, sa voix était descendue d'un ton, résonnant plus comme un grognement hargneux. Zoro ne lui laissa pas le temps de répondre, jugeant s'être bien fait comprendre, puis tourna les talons et s'enfonça dans le cœur de la fête pour s'y noyer. Il entendit vaguement à travers toutes cette cacophonie, la voix de Franky qui interrogeait l'archéologue sur ce qu'il venait de se passer, mais il n'entendit jamais la réponse. Mais il la connaissait. Rien.
Rien ne s'était passé et plus rien ne se produirait.
…
Royaume d'Abondance :
Après ça, Zoro s'était toujours figuré que la navigatrice et le cuisinier avaient fini par former un couple, sans pour autant s'afficher au grand jour (un peu comme ce qu'ils avaient partagé). Il avait accepté la chose, après tout, ils faisaient ce qu'ils voulaient, mais le bretteur ne leur prêtait plus autant d'attention qu'avant. De temps à autre, il avait surpris une œillade mauvaise de la part du Sourcil-en-vrille à son encontre, et Zoro devait admettre que leurs altercations habituelles s'étaient faites un peu plus virulentes, mais uniquement parce que le blond se montrait agressif. Peut-être que Nami lui avait finalement avoué qu'ils avaient eu une liaison… En tout cas, le cuistot n'en avait jamais fait mention ni même sous-entendu, et ça lui allait très bien comme ça. Tout ce qu'il souhaitait à l'époque, c'était mettre tout ça de côté pour se concentrer sur son objectif premier, sans avoir à être témoin de leur batifolage.
Alors, en suivant cette logique, c'était Sanji qu'elle aurait dû épouser aujourd'hui. Bordel ! Il n'aurait même pas été contre ! Bien qu'il soit extrêmement chiant, et hautement exaspérant, Sourcil-en-vrille était un homme honorable et Zoro le respectait malgré tout ce qu'il avait pu lui envoyer dans la figure au fil des ans.
C'est pourquoi, quand ils avaient rencontré ce Victor, jamais Zoro ne se serait douté qu'un jour comme celui-ci arriverait. Lorsqu'elle avait accepté de sortir avec ce guignol, tout l'équipage avait été surpris, mais l'épéiste encore plus. En fait, il n'avait pas compris, bien que ce ne soit plus ses affaires, et tant que ça ne perturbait pas l'équilibre de l'équipage, il n'avait rien à y redire. Si Sanji s'était à son tour retrouvé sur le bas-côté, c'était son problème, en tout cas, il avait eu la décence de rester fidèle à son personnage. Il avait fait son scandale habituel comme à chaque fois qu'un homme s'approchait un peu trop près des filles, puis une fois acté, tout était revenu à la normale. Lui aussi avait dû mettre la cohésion de l'équipage plus importante que le reste. Peut-être n'était-il pas aussi bête qu'il le pensait.
Un couinement aigu le ramena dans l'instant présent. La complainte stridente d'un roulement usé se répétait de façon passablement désagréable et s'amplifiait à mesure que les secondes s'écoulaient. Zoro dressa l'oreille et nota que le petit point sombre qu'il avait vu un peu plus tôt, s'était transformer en cariole d'une taille tout à fait normale au fur et à mesure qu'elle s'approchait de lui. Pour qu'elle soit si proche et vu son allure, son esprit avait dû dériver dans les méandres de ses souvenirs bien plus longtemps qu'il ne l'aurait cru, prolongeant sa pause plus que de nécessaire. Il allait vraiment rater le mariage à cette vitesse…
Peut-être était-il temps de ravaler un peu sa fierté et d'oser demander son chemin à cette personne, si cela lui permettait de ne pas abandonner ? Après tout, tant que les cloches n'avaient pas sonnées la fin de la cérémonie, il restait encore une chance.
Une bestiole, aussi étrange que grotesque, tirait la charrette et progressait doucement d'un pas lourd, peu gracieux. La carrure massive de l'animal lui fit tout d'abord penser à un bison, mais à la différence que celui-ci possédait de grandes oreilles qui lui retombaient mollement devant les yeux et deux longues cornes émergeaient du haut de son crâne pour descendre de part et d'autre de sa tête, vers le sol avant de rebiquer vers le haut. Ce qui différait également, c'était ses pattes. Courtes et trapues, elles finissaient non pas en sabots mais avec trois gros doigts. Au premier coup d'œil, on devinait aisément que la vitesse n'était pas son point fort.
Jamais au cours de son périple, le bretteur n'avait vu pareille créature. Le bison-bizarre ? (trouver des noms aux nouvelles choses qu'ils rencontraient était plutôt l'affaire de Luffy) renifla bruyamment et soudain, une grosse langue bleue sortie de sa bouche pour venir laper son large museau luisant et dégoulinant. Charmant.
Dans un bref souci d'anonymat, Zoro rabattit sa capuche sur son crâne afin de couvrir en partie son visage avant l'arrivée du convoi. Il n'avait spécialement envie d'être reconnu pour perdre du temps à cause d'un gus qui aurait eu l'envie soudaine de l'affronter pour remettre son titre en jeu, et il ne souhaitait pas non plus que sa venue soit annoncée par du bouche-à-oreille.
C'était assez ironique quand on y réfléchissait… lui qui avait passé presque toute sa vie à se faire un nom avec l'ambition de devenir le meilleur épéiste du monde. Et maintenant que son objectif était atteint, que le monde entier tremblait à l'entente du nom de Roronoa Zoro, que son visage était aussi célèbre et unique que son style à trois sabres, celui-ci préférait louvoyer comme une ombre dans ce pays baigné par la lumière du soleil.
Cela pouvait paraitre étrange, mais il y avait une raison derrière toute cette discrétion. Personne n'était au courant qu'il avait posé un pied sur cette île et sa présence n'était pas non plus attendue, que ce soit du côté des mariés comme celui des invités. Sa petite visite était faite sur le ton de l'improviste, étant donné qu'il n'avait pas perdu de temps pour renvoyer sa réponse, négative bien évidement, quelques mois plus tôt. Zoro n'avait souhaité, en aucun cas, y mettre les pieds. D'une : parce qu'il s'agissait d'une grosse fumisterie, et de deux : bien qu'elle lui ait fait parvenir cette invitation, il savait que Nami ne voulait pas réellement de lui à la cérémonie.
Leur relation s'était passablement dégradée après leur départ de Wano Kuni, sans pour autant réellement nuire à l'équipage. C'était juste qu'ils ne s'adressaient plus la parole lorsqu'ils étaient seuls, d'ailleurs ils avaient évité d'être seuls l'un avec l'autre autant que possible. Les rares fois où elle avait dû s'adresser à lui, et parce qu'elle n'avait pas d'autre choix, Nami l'avait fait avec désinvolture. Pendant un an et demi, jamais Zoro n'avait semblé si éloigné de sa nakama alors qu'ils étaient sur le même bateau. Si les autres avaient remarqué quoique ce soit, personne n'avait rien dit, car l'ambiance générale était restée la même.
Voilà pourquoi, il ne s'était pas senti légitime d'assister à ce mariage. Mais apparemment le destin en avait décidé autrement.
Un destin avec l'apparence d'un homme au chapeau de paille…
Le couinement suraigu de la charrette mêlé au ronflement rauque du bison-bizarre se firent plus intenses alors que le convoi s'approchait. Derrière l'animal, l'attelage dépassait en hauteur, formant un arrondi avec la toile qui protégeait son contenu. Lorsqu'elle passa enfin lentement devant lui, la grosse bestiole ne lui témoigna aucune attention. Pas sûr qu'elle l'ait vu, ceci étant dit. Une forte odeur animale lui agressa les narines et d'une légère tension sur les rênes qui le dirigeait, la bestiole s'arrêta avant de s'ébrouer, dégageant une envolée de mouches de sa cuirasse écailleuse. L'avant du bison-bizarre était couvert de cette épaisse peau carapacée tandis qu'elle disparaissait au niveau de son postérieur au profit d'une fourrure peu fournie.
Cependant, Zoro en resta là de son observation car son attention fut attirée vers la personne qui commandait l'animal. A l'avant de la cariole, une vieille dame à l'allure fébrile, était assise en hauteur. Voutée en avant et légèrement bossue, la mamie tourna sa face flétrie dans sa direction au-dessus de laquelle surmontait un chignon gris bien rond, tiré à quatre épingles. Bien qu'il ne discernât pas ses yeux, cachés sous de nombreux plis, il sentit qu'elle le fixait intensément, puis elle fronça ses sourcils dégarnis.
- Hum ? marmonna la vieille. Qu'avons-nous là, Pupuce ? S'enquit-elle d'une voix trainante, érodée par les années.
Pupuce ? Sérieux ? A qui est-ce qu'elle s'adressait ? Un ronflement provenant de la bête répondit à sa question. Oh. Zoro se racla la gorge pour signaler sa présence, se doutant que la mamie n'avait pas une vision exceptionnelle. Qu'est-ce qu'ils disaient déjà pour se dire bonjour ? ça avait toujours un lien avec le soleil et les récoltes…
- Euh… que votre journée soit… euh… éclatante et fructueuse ? Proposa-t-il maladroitement comme salutation.
A la moue dubitative que fit la grand-mère, ainsi qu'au silence qui se prolongea, ce ne devait pas être ça. Non vraiment, il n'arrivait pas à se familiariser avec ces formules de salutation.
- Etrange…, commença la vieille d'un ton soupçonneux. D'habitude, cet arbre ne parle pas…
Une goutte perla le long de sa tempe alors que le bretteur se crispait d'agacement. C'était quoi cette blague ?
- Je ne suis pas un arbre ! S'énerva Zoro. Mettez des lunettes !
- Hihihihi je vous charrie.
Cette fois, une veine enfla sur son front, à côté de la goutte de sueur. Cette vieille se foutait de lui. Manquait plus que ça.
- Je savais bien que cet arbre avait une forme inhabituelle ! S'amusa-t-elle de sa blague avant de le saluer proprement, tout en jovialité. Que votre journée soit douce et ensoleillée, étranger !
Zoro soupira. Il sentait que ça allait être long… mais avait-il vraiment le choix en cet instant ?
- Est-ce que vous sauriez m'indiquer où je suis sur cette carte ?
Il déploya la face arrière du faire-part qu'il tenait toujours dans sa main et tendit le bras pour l'exposer à la vue de la vieille. Toutefois, il ne saurait dire si cela était bien utile, car elle devait avoir une aussi bonne vue qu'une taupe. Les mains cagneuses de la grand-mère quittèrent les brides de l'animal et elle chercha à tâtons quelque chose à côté de son siège. Les gestes étaient lents et assez chaotiques, ce qui paraissaient normal pour son âge, mais qui en cet instant où le temps devenait un luxe, s'avéraient exaspérants. Finalement, une de ses mains se stoppa et Zoro découvrit deux cercles en verre de grosse épaisseur. Les doigts noueux s'enroulèrent comme des racines autour des branches de la monture, puis dans un geste tremblant dû à son âge avancé, elle les posa sur son nez. Les deux cercles transparents s'encastrèrent entre les nombreux plis et dévoilèrent deux gros yeux ronds, globuleux, qui lui donnait un air presque comique.
Elle étudia longuement la carte, très longuement, sans dire le moindre mot, et l'épéiste commença à s'impatienter.
- Hum… je crois que vous la tenez à l'envers.
Il y eut un moment de blanc.
- Hein ?!
Alerté par cette remarque, Zoro replia le bras et tourna la feuille pour observer le plan, chose qu'il avait fait à plusieurs reprises depuis qu'il était arrivé. Qu'est-ce qu'elle racontait cette vieille chouette ? C'était ses lunettes qui étaient à l'envers ! Il allait s'énerver quand il remarqua que la rose des vents pointait le nord, mais vers le bas, alors qu'elle était censée pointer vers le haut de la feuille. Quel boulet… Non ! C'était cette maudite carte qui était mal faite ! Bon d'accord, c'était de la vraie mauvaise foi, car Nami avait dû la réaliser.
- Oh ! Vous vous rendez au mariage de notre bon Prince ? s'enquit soudainement la femme.
Zoro leva le nez de la feuille et constata que la vieille avait remarqué le sceau qui ornait le verso avec l'invitation.
- Euh… oui, je cherche à m'y rendre, dit-il en se grattant la tête.
- Quelle chance vous avez là, étranger ! Il se trouve que je m'y rends également ! Je peux vous emmener si vous le souhaitez ?
Dans le concept, cela sonnait effectivement comme de la chance… mais lorsqu'il avisa la grosse bestiole répondant au doux nom de Pupuce, lever sa patte avec autant de vivacité que sa maitresse, cela ressemblait plus à une mauvaise blague du destin. Encore.
- Je voudrais arriver avant la fin de la cérémonie, si possible…
- Ne vous en faites pas ! Le château n'est pas très loin.
A cette mention, il eut envie d'hurler. Pas loin. Ça faisait des heures qu'il cherchait se maudit château de merde et il n'était pas loin ?!
- Pourquoi pas, soupira-t-il las.
Un large sourire fendit soudainement son visage ratatiné lorsque ses deux mirettes globuleuses se posèrent sur lui. Par habitude, Zoro porta la main à ses katanas sous sa cape, bien qu'il ne décelât aucune malveillance de la part de la vieille femme. Toutefois, il ne s'attendit pas à la réaction suivante de la part d'une personne aussi âgée. Cette dernière sauta de son siège avec une rapidité complètement décalée avec l'image qu'elle renvoyait, pour venir atterrir tout en souplesse juste à côté de lui. En forme la vieille ! Est-ce qu'il se serait trompé dans son jugement ? Peut-être y avait-il de l'espoir finalement.
La mamie, qui n'était pas plus haute que trois pommes à genoux (elle ne lui arrivait même pas à la taille !) débordait d'énergie, contrairement à quelques secondes plus tôt. Elle l'invita à le suivre d'un geste de la main alors qu'elle longeait son chariot dans l'ombre pour se diriger vers l'arrière. Même ses gestes étaient plus assurés et les tremblements ne semblaient avoir jamais existé ! constata-il avec effarement. Malgré sa petite taille, la vieille femme sauta pour défaire la porte et celle-ci retomba devant eux.
- Vous pouvez monter. Il y a un peu de place entre les caisses, vous pourrez vous assoir tranquillement. Ce n'est pas du trois étoiles, mais c'est là tout ce que je peux vous offrir.
- Ça ira, merci.
Zoro sauta dans le chariot. Dans l'ombre, abrité du soleil et des regards importuns, son couvre-chef n'avait plus lieu d'être, d'autant plus qu'il faisait chaud là-dessus, et puis ce n'était cette petite vieille qui allait lui faire du tort. Une fois la capuche tombée, ses doigts parcoururent ses mèches verdoyantes pour les décoller de son crâne et laisser la brise rafraichir son cuir chevelu moite. Il se dirigea vers le fond, quand son nez capta un effluve familier et le força à se figer. Il ne l'avait pas remarqué en montant, mais désormais, l'odeur capiteuse était présente partout, et embaumait l'intérieur du chariot. Son œil se posa sur les caisses en bois qui l'entouraient et au travers des rainures, Zoro distingua des dizaines et des dizaines de formes rondes à la couleur orange.
- Tenez ! S'exclama la vieille dame dans son dos. Prenez un peu de jus d'orange pour vous désaltérer. Il est fait maison avec les meilleures oranges de la région ! Les nôtres ! D'ailleurs celles-ci ont été spécialement commandées par le prince en personne !
Sa présence lui était totalement sortie de l'esprit, tant celui-ci venait d'être accaparé par une multitude de souvenirs, tous liés à une femme à la chevelure rousse, mais aussi à une vie qui lui parut aujourd'hui, bien lointaine. Cette fragrance, il ne l'avait pas senti depuis qu'il avait quitté le Sunny, et elle ramenait avec elle, une certaine nostalgie. S'il avait été un sensible, Zoro aurait pu dire que cette odeur lui avait manqué. Effectivement, le destin avait un bien curieux sens de l'humour.
- Dans ma famille, nous sommes producteurs d'oranges depuis sept générations ! Et aujourd'hui, c'est mon petit-fils William qui dirige l'orangeraie.
- Merci… mais je ne raffole pas de tout ce qui est sucré, refusa-t-il poliment en se tournant vers la mamie.
La déception fut clairement visible sur le visage de cette dernière, mais le bretteur passa outre.
- C'est bien dommage. Enfin ce n'est pas grave, vous savez, il parait que la future épouse du prince raffole de nos oranges et de leur jus. C'est pour elle que notre bon prince Victor a chargé de faire livrer ces délicieuses oranges au château pour la cérémonie.
La vieille continua de déblatérer sur ses oranges sans voir qu'il avait cessé d'écouter à l'instant où elle avait mentionné Nami. Depuis quand est-ce qu'elle aimait les oranges ? La mamie devait faire erreur, ou bien était-ce crétin qui s'était trompé, car Nami détestait ces fruits. Il se souvenait encore du jour où il avait eu le malheur de dire que les mandarines et les oranges étaient la même chose.
Ça s'était produit peu de temps après qu'elle ait officiellement rejoint l'équipage. La navigatrice lui avait fait tout un laïus sur le fait que ça n'avait strictement rien à voir. Il avait bien tenté d'exposer son point de vue plutôt rationnel, en argumentant qu'elles avaient la même forme, la même couleur et sensiblement le même goût. Ce à quoi elle avait répondu « Les mandarines sont plus petites et ont un goût bien plus subtil et plus délicat que les oranges ! C'est ce qui les rend bien meilleures ». La voix furax de Nami résonnait encore dans ses oreilles, et pour bien imprimer cela, elle lui avait octroyé un énorme gnon sur le crâne, avec en prime, l'info qu'elle détestait les oranges. D'ailleurs elle s'était assurée d'en faire part à Sanji, pour qu'il ne s'y méprenne pas lui aussi, mais ce couillon libidineux avait immédiatement abondé dans son sens en se moquant de l'ignorance de l'épéiste, pour ensuite le traiter de barbare.
Le pire, c'était qu'avec le temps, Zoro aussi avait fini par admettre qu'il y avait effectivement une réelle différence entre ces deux fruits. Et il en était venu à préférer les mandarines.
Alors qu'on lui annonce aujourd'hui que son fiancé avait expressément commandé des oranges pour elle ! Zoro avait de quoi tiquer. Mais finalement pourquoi pas, les goûts pouvaient évoluer. Surtout si, comme le martelait la petite grand-mère, ses fruits étaient succulents.
Cette dernière était toujours en train de parler, à croire qu'une fois la machine lancée, impossible de l'arrêter. Puis, soudain, ses énormes yeux croisèrent le sien, son expression changea en un éclair et le flot de paroles s'interrompit.
- Rrrouhhhh !
Zoro haussa un sourcil face à cette espèce de roucoulement alors que la vieille le dévisageait avec intérêt. Merde ! elle l'avait reconnu. Une drôle d'étincelle illumina son regard et le bretteur fut pris d'un frisson.
- Quel beau jeune homme que voilà ! s'extasia-t-elle. Vous ne voulez pas plutôt vous assoir à côté de moi, à l'avant ?
HEIN ?! Pris de court face à cette franchise surprenante, le « beau jeune homme » ne sut quoi répondre.
- Où sont mes manières ! Se fustigea la grand-mère en se repomponnant rapidement. Je ne me suis même pas présentée. Je m'appelle Arancia !
Gêné par ce rentre-dedans peu subtil, Zoro butta sur ses mots alors qu'il avait la désagréable sensation d'être pris au piège.
- Eu… Zo-Zo-ro… Hum-hum. Je m'appelle Zoro, répondit-il maladroitement. Et ça ira, je préfère rester un peu à l'ombre.
- Oh ! Bien sûr.
Cela aurait pu être suffisant et mettre un terme à une situation gênante, mais Arancia resta plantée dans l'encadrure, à le détailler comme on lorgne sur une pâtisserie alléchante derrière une vitrine.
- Euh… je croyais qu'on devait se rendre au château ?
La petite vieille sursauta, rappelée à ses obligations, toutefois, ses mains crochues restèrent enracinées sur le bord du plancher de la charrette.
- Et rapidement, ajouta-t-il avec fermeté.
- Oui ! Oui ! Nous partons immédiatement !
Finalement, elle s'arracha à la contemplation de son passager si séduisant et referma la ridelle avant de disparaitre à une vitesse peu commune pour une personne de son âge. La charrette s'ébranla, accompagnée d'un long râle de la part de Pupuce, puis le couinement aigu reprit sa petite ritournelle exaspérante.
A l'intérieur, comme l'avait souligné Arancia, le confort n'était pas au rendez-vous. Le moindre chaos sur le chemin faisait trembler toute la structure ainsi que la cargaison d'orange. Zoro aurait pu se trouver au beau milieu d'un séisme que cela aurait eu le même effet. Enfin, il avait connu pire. Il s'assit, adossé à la superposition de caisses branlantes et plaça ses sabres en travers sur ses jambes. Les vibrations de son transport de fortune commencèrent à le bercer tout doucement. Au travers du demi-cercle que formait l'arrière de la charrette, le paysage défilait progressivement à reculons dans une clarté éblouissante.
- Dites-moi ? Entendit-il à travers la toile.
La voix de la petite mamie qui provenait de derrière lui, vint perturber le calme reposant dans lequel il voulait se plonger.
- Y-a-t-il une madame Zoro, par hasard ?
Cette vieille n'y allait pas par quatre chemins ! Ce n'était peut-être pas une bonne idée qu'il s'endorme ici, qui sait ce qu'elle serait capable de lui faire ? Le voyage allait être long. Toutefois, sa question importune lui renvoya à la figure sa piètre vie sentimentale. L'image d'une magnifique jeune femme aux longs cheveux sarcelle et au sourire tendre, dansa au travers de la fenêtre lumineuse en face de lui.
- Non. Je suis seul, répondit-il sombrement.
Son humeur se rembrunit un peu plus.
- Rrroouhhh ! Roucoula-t-elle une nouvelle fois. Vous savez, il se trouve que j'ai une petite fille…
Oh non…
- Clémentine. Elle vient d'avoir dix-neuf ans, et je peux vous assurer qu'elle est un très bon parti ! C'est une jeune fille magnifique, très gentille et très volontaire ! Elle me fait beaucoup penser à moi quand j'étais jeune…
Un frisson le secoua malgré la chaleur suffocante. Un instant, Zoro hésita à sauter par l'arrière et à se débrouiller seul pour trouver le château. Cependant, le manque de temps et (il fallait le reconnaitre) son piètre sens de l'orientation, le contraignit à subir cette horrible tentative de rencontre arrangée.
- Beaucoup d'hommes se sont pressés sur le pas de notre porte pour faire leur demande mais aucun n'était assez bien. Par contre, je suis sûre que vous, vous avez toutes vos chances !
Zoro ferma l'œil et laissa la mamie pérorer seule sur sa petite fille, dont soyons clair, il n'avait pas grand-chose à faire. Il résista à l'envie de lui dire que les femmes étaient la raison pour laquelle il se retrouvait dans cette charrette. Non, il avait suffisamment donné avec les femmes. Arancia ne paraissait pas le moins du monde, dérangée par son mutisme, et poursuivait allégrement son monologue où elle allait à grand renfort d'éloges pour tenter de vendre sa chère petite-fille. Heureusement pour lui, il avait la capacité salvatrice de s'endormir n'importe quand, n'importe où et dans n'importe quelles conditions. Pour cela, il lui suffisait d'occulter mentalement ce qui l'entourait. Cela commençait à fonctionner mais une phrase que la vieille femme avait dit un peu plus tôt lui trotta dans la tête.
Une madame Zoro…
Flash-Back
3 mois plus tôt :
- Alors, messire Zorojuro, quand allez-vous épouser la douce Hiyori-sama ? S'enquit Rayzo.
La coupe de saké venait juste de toucher ses lèvres et la première gorgée glissait à peine dans sa gorge, que celle-ci fit instantanément une fausse route, pour repartir à toute vitesse en sens inverse. La seconde suivante, un geyser d'alcool sortit de sa bouche et vint inonder la table ainsi que le pauvre Raizo, qui se trouvait en face. Zoro toussa à en cracher ses poumons, renversant au passage une bonne partie de son saké qui restait dans sa coupe, alors que la main de Kin'emon venait lui taper amicalement le dos. D'où sortait cette question ?! Alors que quelques instants plus tôt, les fourreaux rouges (minus Inuarashi et Nekomamushi, qui étaient retournés sur l'île de Zo) et lui-même sirotaient tranquillement leur coupelle d'alcool autour d'une table dans une taverne de la Capitale des fleurs. Le jeune Shogun, Momonosuke les accompagnait également, profitant de son statut pour commander de l'alcool alors qu'il aurait certainement dû se contenter de jus de fruit aux vues de la rougeur qui entachait ses joues et de la surbrillance qui faisait miroiter ses yeux.
Une fois sa quinte de toux calmée, le ronin constata que toutes les paires d'yeux convergeaient vers lui avec expectation.
- Oui, on se pose tous la même question, maintenant que cela fait plusieurs mois que vous êtes ensemble, ajouta Kawamatsu.
- C'est vrai ! En tout cas, cela faisait bien longtemps que je n'avais pas vu Hiyori-sama aussi heureuse et tout cela grâce à vous, renchérit Denjiro.
- Vous imaginez quel évènement ce serait ! Le pays tout entier serait en fête ! lança O-Kiku avec enthousiasme.
- Oui ! et peut-être aurions-nous la chance de voir un nouvel héritier naitre de cette belle union ! Compléta Izo rêveur.
Une goutte roula sur son front tandis qu'il ouvrait la bouche mais il se retrouvait incapable de produire une réponse, car instantanément coupé par les samouraïs. La discussion lui échappait totalement ! Tous étaient en train de partir dans des délires et bientôt ils ignorèrent sa présence pour argumenter sur comment le futur potentiel héritier allait vivre et qui lui enseignerait quoi. Des altercations commencèrent à voir le jour suite à des avis divergents sur le sujet.
- Mes amis ! temporisa Momonosuke d'une voix légèrement trainante. Je suis sûre que Zorojuro a prévu de faire sa demande, mais laissons-lui le choix du moment. Plus qu'aucun autre, je serais heureux d'accueillir officiellement Zorojuro dans notre famille, mais nul besoin d'empressement. Le bonheur de ma sœur me suffit.
Le soutient de Momo était plus que bienvenu et il lui ôta une épine incommensurable du pied.
- Euh… merci Momo, grommela le principal concerné.
Tout à coup, un coup de coude s'enfonça dans ses côtes et rapidement, Kin'emon se pencha vers lui. Son haleine chaude et chargée d'alcool vint lui caresser le visage sans délicatesse alors qu'un sourire de connivence, un poil vicelard, fendait son visage oblong.
- Quel petit veinard, tout de même ! Avoir une femme aussi belle qu'Hiyori-sama pour vous tout seul…
- Kin-san ! Dois-je te rappeler que tu es marié ! Argua Denjiro.
Rapidement une dispute éclata entre ses deux-là puis ce fut au tour des autres de s'en mêler et la taverne fut emplie d'un capharnaüm ingérable.
…
Un peu plus tard dans l'après-midi, Zoro arpentait les abords du canal qui s'engouffrait au cœur de la Capitale, bordé par les cerisiers en fleurs. Au plus fort de la tempête, dans cette petite taverne, il avait réussi à s'extirper de ce coup-fourré sans se faire remarquer. Non pas qu'il n'appréciait pas les samouraïs, bien au contraire, mais des moments comme celui-ci le ramenait automatiquement à ses années passées sur le Sunny. Et ce temps était révolu. Parfois, il avait encore du mal à se faire à l'idée que Luffy avait dissous l'équipage, un peu plus d'un an de cela. La décision assez soudaine les avait tous surpris, voire même choqués pour certains, notamment Chopper, Ussop et Nami, qui avaient eu beaucoup de mal à l'accepter. En ce qui concernait Nami, il aurait même pu dire qu'elle en avait voulu à Luffy pour sa décision, et à tout l'équipage pour l'avoir accepté. Pour sa part, on ne pouvait pas dire que Zoro avait été ravi, mais si leur capitaine jugeait qu'il était temps pour chacun d'explorer leur propre voie de leur côté, et que l'équipage du Roi des Pirates avait fait son temps, il n'allait pas le contredire. Luffy avait toujours fait ce qui était mieux pour eux, et maintenant qu'ils avaient tous atteint leurs objectifs, puis fait le tour du globe, explorant tout ce qu'il y avait à explorer, plus rien ne les retenait ensemble.
Suite à cela, tour à tour, chacun avait commencé à planifier dans son coin, cette nouvelle vie qui les attendait loin des Chapeaux de Paille. Dire qu'il avait retenu ce que tous ses camarades avaient finalement prévu, serait mentir. Non, une seule chose avait marqué son esprit. La fois où Nami avait annoncé haut et fort, devant tout le monde, vouloir rejoindre le crétin qu'elle venait de rencontrer quelques mois plus tôt, un certain Victor. Zoro se souvenait parfaitement de la fermeté dans sa voix, il se souvenait du regard qu'elle avait adressé à tous sauf à lui, comme si sa réaction ne comptait pas, comme s'il n'existait plus à ses yeux. Par cette mise en scène, cela ne faisait que confirmer qu'il était définitivement sorti de sa vie, bien qu'il s'en doutait depuis un certain temps déjà. Il avait accueilli la nouvelle comme tout le reste, avec un simple haussement d'épaule et une expression neutre. Après tout, il avait bien dit qu'il respecterait ses choix. Si Nami ne se souciait plus de lui, et bien soit ! De toute façon il s'en fichait…
Voilà pourquoi il évitait désormais tout ce qui pouvait lui rappeler de près comme de loin, les moments passés sur le Sunny. Ses derniers temps en tant que Chapeau de Paille n'avaient rien de mémorables. Pour sa part, Zoro avait mis du temps à savoir ce qu'il comptait faire, et cela s'était traduit par des mois d'itinérance solitaire à la recherche d'adversaires solides. La course pour arriver au sommet était trépidante, mais une fois atteint, il s'avérait que l'ennui vous gagnait très vite. Le meilleur épéiste du monde en était rendu à un point où il devenait difficile de rencontrer une personne capable de lui infliger autre chose que de petites égratignures et de titiller sa combativité avec un peu de challenge.
Après s'être laissé porter au gré du vent et des vagues, ses pieds l'avaient finalement ramené sur Wano Kuni, sans qu'il ne s'en rende compte. Au début, cela ne devait être qu'une étape dans son périple d'errance, mais ce pays résonnait étrangement avec lui. Il s'y sentait attaché par des liens invisibles, comme si une part de lui en faisait partie. Surement était-ce à cause son histoire, et celle étroitement liée avec les Shimotsuki. Tout cela n'aurait cependant dû être qu'un facteur visant à retarder l'inéluctable… mais il y avait eu Hiyori.
A force de patience et de gentillesse, la jeune femme avait su apprivoiser le loup grognon et solitaire qu'il était devenu. Depuis les évènements de Wano Kuni survenu trois ans plus tôt, Zoro s'était refermé sur lui-même, afin de se concentrer uniquement sur sa réussite. Il avait perdu confiance en les femmes… non, il avait perdu confiance en l'être humain. Tisser des liens affectifs avec d'autres personnes était devenu une hérésie.
Tout ce qui importait pour lui à l'époque, c'était le combat, l'affrontement, le challenge, le dépassement de soi, mais surtout la solitude. Il n'en était pas fier, mais au départ, Zoro s'était montré glacial, et presque agressif avec l'héritière des Kozuki. Il ne souhaitait qu'une chose, la repousser le plus loin possible de lui. Cependant, par sa ténacité mais surtout par sa douceur, Hiyori avait réussi, petit à petit, à percer sa carapace et à lui faire entrevoir un monde moins dur, moins froid, et moins solitaire. Sans qu'il ne s'en rende vraiment compte, elle lui avait rendu son humanité.
- Ohé ! Messire-Samouraï ! le héla soudainement une petite voix dans son dos.
L'interpelé ralentit le pas pour se retourner et voir une jeune fille aux cheveux roses courir vers lui en riant.
- Ahahaha ! Tu es encore perdu, c'est ça ? ahahaha
- N'importe quoi ! J'étais juste en train de me promener tranquillement et de profiter du calme de ce bel après-midi. Et toi, qu'est-ce que tu fiches là, Toko ?
La petite, qui avait pris une bonne tête ou deux depuis la première fois qu'il l'avait rencontrée, s'arrêta à son niveau puis se mis à danser joyeusement. Elle lui fit penser à un de ses petits oiseaux qui voletaient autour de personnes âgées qui leur lançaient du pain pour s'occuper.
- Grande-sœur m'a demandé d'aller chercher ceci à la boutique de M. Hiyajima.
O-Toko sortit de la manche de son kimono, un paquet enveloppé dans du papier attaché avec une corde en chanvre, et le montra fièrement à Zoro. Ce dernier se contenta d'hocher subtilement la tête, peu intéressé par les affaires que commandait sa compagne. Pendant qu'ils marchaient côte à côte, la petite observa avec un certain intérêt, le colis entre ses mains.
- Je me demande bien ce que cela peut être, marmonna-t-elle. Et toi, tu sais ?
Une lueur d'espoir brilla dans son regard innocent alors qu'elle affichait un grand sourire en tournant la tête vers lui. Il put y lire toute la curiosité enfantine qui animait n'importe quel gamin à l'approche d'un paquet surprise. Malheureusement pour elle, le bretteur n'en savait guère plus.
- Non, et je m'en fiche, maugréa-t-il avec son flegme habituel.
- Ahahaha tu es trop drôle, Messire-samouraï ! Ahahaha.
- Je t'ai déjà dit que tu pouvais m'appeler Zoro, ronchonna le bretteur pour la forme.
Les gens d'ici avaient pris pour habitude de continuer à l'appeler Zorojuro, malgré qu'il ait expliqué cent fois s'appeler Roronoa Zoro. Peut-être que cela faisait plus « local », alors il avait fini par laisser tomber, mais quand O-Toko s'entêtait à s'adresser à lui par le titre de « Messire-samouraï », il ne pouvait s'empêcher de se sentir mal à l'aise et de la rectifier.
- D'accord, Grand-frère !
La petite lui offrit un large sourire espiègle avant de se concentrer sur la route devant elle. Zoro grommela dans sa barbe car ce n'était absolument pas ce qu'il venait de dire. Mais au final, cela lui était égal, et c'était toujours mieux que « Messire-samouraï ». Subitement, il fit le parallèle entre l'enfant qui avait perdu son père il y a trois ans et la jeune fille de maintenant. Bien que Toko ait un sourire éternellement encré sur le visage, celui d'aujourd'hui inspirait le bonheur et la sérénité. Le traumatisme était encore là, quelque part en elle, mais la gamine avait su surmonter avec courage cette épreuve, pour devenir une enfant épanouie. Mais tout ceci était aussi en partie dû à Hiyori, qui n'avait cessé de l'épauler, la couvant sous son aile dans les moments nécessaires comme une grande sœur.
Tout à coup, Zoro sentit quelque chose se glisser dans sa main droite, et en détournant la tête, il constata que Toko venait de la saisir dans la sienne. Sa main était ridiculement petite dans sa grosse pogne, mais la gamine s'accrochait fermement à lui. Malgré son air ronchon, le geste lui réchauffa le cœur.
- Grande sœur m'a aussi chargée de te retrouver. Elle se doutait que tu ne resterais pas tout le temps avec les fourreaux rouges…
La légère irritation que provoqua son aveu, le fit grincer des dents. Il n'avait pas besoin d'être baby-sitté, et encore moins par une enfant ! Comment faisait-elle pour le connaitre aussi bien en si peu de temps ? C'en était frustrant !
- On doit retourner au palais avant la fin d'après-midi parce qu'il y des invités au diner de ce soir.
Oh… c'est vrai qu'il y avait ça. Encore du gratin venu d'un pays lointain pour commercer avec eux. Depuis qu'ils avaient respecté la volonté d'Oden, en ouvrant les frontières, beaucoup de pays avaient émis le souhait de faire des échanges commerciaux avec Wano Kuni. Même après trois ans, des délégations étrangères venaient de temps à autres pour tisser des liens ou bien ne serait-ce que maintenir leurs relations en bon termes. Ce soir ne faisait pas exception, et on ne pouvait pas dire que cela ne l'enchantait guère. La perspective d'un long repas, où un protocole serait évidemment de rigueur, et où toutes les discussions seraient plus barbantes les unes que les autres, le fit soupirer. La diplomatie et la politique étaient très importantes aux yeux d'Hiyori, qui voulait absolument participer au développement de son pays. Quoi de plus normal en tant que sœur du Shogun ?
- Est-ce que tu veux qu'on passe les voir ? Suggéra Zoro au bout d'un moment d'un ton évasif.
Le visage souriant devint soudainement sérieux le temps d'une seconde. Toko savait parfaitement de quoi il retournait. Du coin de l'œil, il la vit hocher la tête doucement et Zoro serra sa petite main. Il la laissa les guider à travers les nombreuses rues de la capitale, vers ce lieu devenu tristement célèbre.
Après quelques minutes de marches, deux stèles en pierre se dressèrent devant eux, sous le regard impassible des maisons environnantes. Les habitants allaient et venaient tranquillement autour, tout en respectant une large distance avec les deux piliers gravés en mémoire de deux héros. Le samouraï et l'enfant traversèrent le flot de personnes pour entrer dans le cercle désertique. Toko ralentit le pas à l'approche de la haute stèle commémorative. Ils marquèrent un temps d'arrêt, les souvenirs affluant automatiquement comme à chaque fois qu'ils revenaient ici. Zoro revoyait parfaitement la haute croix à laquelle était suspendu Yasuie, tout sourire malgré les blessures infligées pendant sa détention. Le son des tirs de fusils résonnait encore dans ses oreilles alors que le corps de l'ancien Daimyo était agité dans tous les sens sous le coup des impacts.
Son visage s'assombrit aux souvenirs des pleurs entrecoupés de rires hystériques de la petite fille aux cheveux roses qui tentait vainement de soigner les blessures mortelles de son père.
Une légère pression dans sa main le ramena à l'instant présent et son regard se posa immédiatement sur Toko. Elle tourna la tête vers lui et le sourire qu'elle lui adressa était véritable, non pas une conséquence du Smile, mais bien un vrai qui signifiait que tout allait bien. Sans un mot, la petite fit le premier pas vers les stèles, puis Zoro la suivit sans pour autant la lâcher. C'était elle qui lui tenait la main, et il acceptait volontiers le geste si c'était ce dont elle avait besoin.
« Shimotsuki Yasuie » était inscrit sur l'une des pierres en forme d'obélisque, en caractères idéographiques dans le sens de la hauteur. À son pied, des bouquets de fleurs, des biscuits, une gourde de saké, ainsi qu'un pot d'encens y avaient été installés. Certains bâtons fumaient encore quand ils arrivèrent, signe que des gens avaient adressé une prière au défunt. La main de Toko glissa doucement de la sienne et il l'observa sortir un petit sac de son kimono qu'elle posa au milieu des autres offrandes. Zoro en profita pour prendre la pierre à feu afin de la faire craquer et d'incendier le bout de deux nouveaux bâtonnets. Il en plaça un aux pieds de chaque stèle avant de se mettre légèrement en retrait derrière Toko.
- Je t'ai amené des dango. C'est moi qui les ais faits, annonça-t-elle doucement mais avec fierté. Régale-toi bien, papa.
D'un geste simultané, l'un comme l'autre, ils joignirent les mains devant eux en fermant les yeux et s'inclinèrent face à la stèle. Une fois sa prière terminée, le bretteur jeta un coup d'œil à l'autre stèle située juste à côté. Sur celle-ci était inscrit « Kozuki Oden » et instinctivement, sa main se plaça d'elle-même sur Enma. Deux grands hommes, morts au même endroit, et qui s'étaient sacrifiés pour le bien de leur pays. Il n'avait pas connu Oden, mais d'après les témoignages qui lui avaient été relatés, Zoro aurait lui aussi été sans nul doute, un fervent admirateur de ce personnage haut en couleur. D'une certaine manière, c'était grâce à lui qu'il en était là, à porter fièrement le titre de meilleur épéiste du monde.
De son côté, O-Toko ouvrit finalement les yeux, puis laissa ses mains retomber le long de son corps, indiquant de ce fait, que son moment de recueillement était terminé.
- Rentrons, déclara calmement Zoro.
L'enfant hocha la tête et sans préavis, s'empara à nouveau de sa main pour l'entrainer à travers la capitale.
…
Le shoji s'ouvrit brusquement, tapant avec force dans le chambranle, dû à l'enthousiasme un peu trop marqué de Toko qui se précipita dans la chambre sans l'attendre. Dès qu'ils avaient tourné à l'angle du couloir qui menait à la suite qu'il partageait avec Hiyori, la gamine s'était empressée de le lâcher pour foncer droit vers la porte. C'est pourquoi, lorsqu'il pénétra dans la chambre, Toko était déjà accroché au cou de sa compagne, assise devant sa coiffeuse. Aillant l'habitude de ce genre de démonstration, Zoro fit comme chez lui, et pris ses aises en commençant par détacher ses katanas de sa ceinture afin de les poser sur leur support qui se trouvait sur la commode.
- Tu as ce que je t'avais demandé ? S'enquit l'ancienne Oiran avec une douceur maternelle.
- Oui ! Tiens, Grande-sœur. J'ai même ramené Grand-frère comme tu me l'avais dit. Et tu avais raison, il s'était bien perdu ! Ahahaha !
Dans son coin, où il leur tournait le dos, Zoro pesta entre ses dents alors que les deux se mirent à glousser. Tout en les ignorant, il alla s'installer sur le futon, afin de piquer un petit roupillon avant les festivités de ce soir. Il ferma l'œil après avoir croiser les bras derrière sa tête, et écouta d'une oreille les babilleries entre filles.
- Dis Grande-sœur, tu veux bien me dire ce que tu as commandé ?
Sa curiosité était à peine dissimulée, et Hiyori eut bien du mal à lui refuser pareille requête. De toute façon, elle lui refusait rarement quelque chose. Elles déballèrent ensemble le paquet et une fois fait, les remarques admiratives se firent entendre.
- Wouah ! Qu'est-ce qu'elles sont jolies ! s'émerveilla la gamine.
Pousser par une certaine curiosité, qu'il n'admettrait jamais, Zoro entrouvrit sa paupière afin de voir de quoi elle parlait. Entre ses petites mains, reposaient deux Kanzashi agrémentés de sakura et de perles. Il discerna également la forme emblématique d'un oiseau aux ailes déployées, avec en son centre un soleil, symbole de la famille royale du pays.
- N'est-ce pas ? Je les ai faites faire pour ce soir, pour afficher ma fierté d'appartenir à mon pays et honorer ma famille, expliqua la jeune femme aux cheveux sarcelles toute contente.
- Tu vas être très belle.
Hiyori lui sourit tendrement.
- Mais je ne vais être la seule, ajouta-t-elle avec un sourire mystérieux.
Cela parut piquer au vif la curiosité, déjà exacerbée, de Toko. L'ancienne oiran piocha dans le paquet et en sortit une deuxième paire, mais au lieu d'arborer des sakura, les épingles étaient surmontées de petites feuilles d'érable aux tonalités automnales. Les yeux de la gamine se mirent à étinceler alors que sa grande-sœur lui tendait les kanzashi.
- C'est pour moi ?!
Elle hocha la tête et l'enfant se mit à rire avant de se jeter à son cou. Les minutes qui suivirent, elles les passèrent à papoter de trucs de filles et durant ce laps de temps, Zoro retourna à sa sieste.
Lorsqu'il réouvrit l'œil, O-Toko avait disparu, seule demeurait sa compagne, toujours installée devant sa coiffeuse. Elle piqua la dernière épingle dans ses cheveux soigneusement coiffés de manière traditionnelle et admira son reflet. Hiyori était d'une élégance irréfutable. A l'époque, elle n'avait nullement usurpé son statut d'Oiran, mais à la voir ainsi, effectuer chaque mouvement avec grâce, Zoro ne pouvait qu'admettre la beauté de celle dont il partageait la vie. Il comprenait également les remarques envieuses qu'il recevait, sans pour autant les apprécier, car ce n'était pas pour son physique qu'il avait choisi Hiyori. Il l'appréciait avant tout pour sa gentillesse, sa force de caractère et parce qu'ils partageaient les mêmes valeurs.
Perdu dans sa contemplation, il mit du temps à remarquer les deux mirettes azur braquées sur lui au travers du miroir, avec ce léger petit sourire moqueur sur ses lèvres pleines. Zoro se renfrogna à la réalisation qu'il venait de se faire prendre en plein délit de « mâtage ». Allez savoir pourquoi, c'était une chose qu'il détestait, peut-être parce que cela lui rappelait le comportement d'un imbécile aux cheveux blond ? En tout cas, il n'avait pas envie qu'on le considère comme un obsédé. Rester de marbre face à une femme aussi magnifique soit-elle, était une preuve de respect et non d'indifférence. Cependant, par moment, son instinct de mâle le poussait à retomber dans ces travers, communs à tous les hommes, et par fierté, il n'appréciait guère se faire surprendre dans ce genre de comportements.
Et Hiyori le savait pertinemment, voilà pourquoi elle s'en amusait. Boudant comme un enfant, Zoro grogna pour lui-même et referma l'œil afin de retourner dormir, mais le doux rire de la jeune lui chatouilla les oreilles.
- Je t'ai fait préparer un bain ainsi qu'une nouvelle tenue pour ce soir, annonça-t-elle tout en appliquant son maquillage.
La lassitude le gagna aussitôt. Comme si la perspective de cette soirée ennuyeuse n'était pas assez pénible, il allait devoir en plus se pomponner. Et il DETESTAIT se pomponner, encore plus pour les autres ! D'ailleurs, le grognement sourd fut un indicateur parlant de son enchantement.
- Je te dirais bien de t'en passer mais les effluves de la taverne te suivent jusqu'ici.
Par reflex, Zoro tourna la tête et colla son nez près de son aisselle pour sentir son odeur corporelle. Il n'y trouva rien de choquant ou inhabituel, mais les femmes avaient un odorat plus délicat que le sien. Apparemment, il n'avait pas le choix. Alors, bien à contre-cœur, le bretteur se releva afin d'exécuter l'ordre qu'on lui avait donné. L'idée de prendre un bain ne l'emballait vraiment pas…
A moins que…
Tout doucement, il s'approcha d'Hiyori, concentrée sur l'application de son eyeliner, dos à lui. Il attendit qu'elle termine son travail de précision pour poser ses mains sur ses épaules frêles couvertes de soies. La jeune femme l'ignora volontairement tout en rangeant ses affaires de façon méthodique, afin de le faire languir. Ses pouces commencèrent à tracer de petits cercles pour délasser ses muscles, avant d'effectuer de légères pressions. Il n'était pas le meilleur des masseurs, mais il s'améliorait avec le temps et cela ne devait pas être désagréable car elle ferma les yeux et appuya l'arrière de sa tête contre son ventre. Zoro poursuivit sa manœuvre tactique en faisant glisser ses mains sur ses bras avant de remonter pour venir masser sa nuque. Les lèvres roses entrouvertes, Hiyori poussa un soupir d'aise, tandis que Zoro observait au travers du miroir, son visage angélique se détendre au fur et à mesure.
- Je sais ce que tu essayes de faire, souffla-t-elle.
Cependant, malgré qu'elle eût conscience de son plan, son intonation laissait suggérer que sa volonté était mise à rude épreuve, ce qui l'encouragea à être un peu plus offensif. Il se pencha de façon à ce que ses lèvres frôlent son oreille et déposa un baiser juste derrière celle-ci.
- Mais ça ne fonctionnera pas, Zoro, argua faiblement la jeune femme.
Comme s'il allait battre en retraite face à cette pauvre affirmation. Il pouvait se montrer plus convaincant. Sa bouche s'attaqua à son cou, déposant une série successive de baisers mouillés, pendant qu'une de ses mains prenait son indépendance et se faufilait dans l'encolure du kimono. Sa peau était délicieusement douce et chaude sous ses doigts grossiers, et il sentit Hiyori frémir. Pour l'heure, Zoro se contenta de caresser la zone plane en-dessous sa clavicule, laissant toutefois par moment, le bout de ses doigts dériver dangereusement vers l'arrondi de sa poitrine. Le souffle de la jeune femme s'accéléra et sa respiration se fit plus lourde. Dans le creux de son cou, Zoro ne put retenir le petit rictus triomphal d'étirer la commissure de ses lèvres.
- Zoro…, soupira-t-elle. On n'a pas le tem…humpf
Il étouffa sa tentative de résistance en capturant ses lèvres entre les siennes et l'enrôla dans un baiser dévorant. L'angle était un peu étrange, le visage d'Hiyori était incliné vers le haut alors que le sien penchait vers le bas, et il devait se courber en avant car il était debout et elle toujours assise, les jambes repliées sous elle. Mais rien que sa volonté ne pouvait surpasser.
Tout en l'embrassant, ses doigts caressèrent délicatement sa gorge gracile, exposée, tandis que l'autre main suivait effrontément la vallée qui se creusait entre ses seins. Il effleura d'un geste timide, la rondeur de l'un d'eux, et sentit Hiyori se presser un peu plus contre lui. Elle étreignit son bras qui se faufilait sous le kimono, plantant ses ongles au travers du tissu.
La sentant finalement à point, Zoro rompit le baiser pour s'écarter légèrement.
- Viens avec moi dans le bain, susurra-t-il d'une manière tentatrice.
Pour appuyer sa demande, il embrassa le coin de sa bouche avant de parsemer son visage de baisers papillons. Les lèvres de la jolie héritière étaient gonflées et d'une teinte un peu plus écarlate qu'à l'accoutumée, mais qui s'accordait parfaitement avec ses joues rougies par l'émoi. Elle entrouvrit ses grands yeux, devenus presque noirs et luisants, pour plonger son regard dans celui de son amant. Zoro prit cela pour une victoire et se redressa en incitant la jeune femme à faire de même. Hiyori se laissa faire mais une fois debout, elle le retint par la manche.
- C'est très tentant, mais j'ai déjà pris le mien… et puis je me suis déjà préparée.
Le bretteur saisit son visage entre ses grandes paumes et l'embrassa tendrement. Il ne s'avouerait pas encore vaincu.
- Dis-leur que tu ne te sens pas bien. Comme ça, on pourrait passer le reste de la soirée, rien que toi et moi. Je suis sûr que Momo peut parfaitement se débrouiller sans toi, et il ne sera pas seul, les fourreaux rouges seront avec lui.
- Zoro…
Puis une idée lumineuse éclaira son esprit.
- Non, je sais ! Partons tous les deux. Allons au port de Kuri, là maintenant, pour prendre le premier navire qui partira, et faisons le tour du monde. Tu verras, il y a des lieux magnifiques, que tu ne peux même pas imaginer, des créatures dont tu n'oserais même pas rêver…
Hiyori le détailla de ses grands yeux brillants, l'air sérieuse, et Zoro eut espoir. Peut-être y avait-il une chance que cela se réalise, qu'il arrive finalement à donner envie à la jeune femme de partir découvrir le monde, et pas seulement pour échapper à une soirée ennuyeuse.
- Tu verras, il existe une multitude d'îles différentes ! Il y en a une où le temps semble s'être arrêté et où vivent encore des dinosaures ! Il y en a qui sont peuplées de géants, certaines qui sont couvertes de neige, ou bien uniquement de sable, ou encore entièrement faites de sucreries. Puis il y en a aussi qui sont sous l'eau et il en existe même dans le ciel…
Cela sembla attiser sa curiosité car elle écarquilla les yeux malgré la pointe de doute qu'il pouvait lire dans ces derniers.
- Sur ces îles célestes, les animaux sont gonflés d'air, et la mer est faite de nuage où l'on peut naviguer grâce à des espèces de coquillages appelé dials…
Puis son expression changea, pour devenir attendrie, presque mélancolique.
- Tous cela me paraît bien dangereux, admit-elle à voix basse, comme à regret.
La réaction ne fut pas celle à laquelle il s'attendait, et vint refroidir quelque peu ses ardeurs.
- Je serais là pour te protéger, essaya-t-il une nouvelle fois.
Malheureusement, l'argument ne sembla pas suffisant et à la lecture de son expression, Zoro comprit que la porte vers l'avenir fait de pérégrinations avec Hiyori, qu'il avait planifié sur un coup de tête, venait de se refermer. Pour être honnête, ce n'était pas entièrement un coup de tête, la proposition était certes soudaine, mais ce n'était pas la première fois qu'il pensait à lever l'ancre et à emmener la jeune femme pour un périple à durée indéterminé. Il était pourtant certain que la vie en dehors de Wano Kuni pouvait lui plaire.
L'héritière des Kozuki attrapa avec délicatesse, les poignets de chaque côté de son visage et contraignit Zoro à la lâcher. Elle baissa les yeux sur les deux grandes mains qu'elle tenait dans les siennes bien plus frêles, avec une mine contrite.
- J'ai des devoirs envers mon pays. Je ne peux pas me permettre de les abandonner sur un coup de tête. Cela faisait tellement longtemps que nous attendions ce moment, c'était la volonté de mon père d'ouvrir nos frontières. Et pour s'assurer que le pays prospère, il nous faut désormais maintenir de bonnes relations avec nos voisins. Nous avons tant de choses à rattraper… et c'est peut-être égoïste de ma part, mais je veux faire partie de ceux qui ont aidé au développement de notre pays.
Bien sûr, il savait tout cela, c'est pourquoi il ne lutta pas contre son choix et se résigna à hocher la tête silencieusement. Au fond de lui, il s'était toujours attendu à cette réponse, mais il avait quand même voulu lui offrir une échappatoire, la possibilité d'une autre vie. Mais peut-être que ce n'était pas tellement elle qui en avait besoin.
En revanche, l'honnêteté avec laquelle Hiyori lui avait répondu parut la faire souffrir plus que lui. Sa tête était toujours basse, ses yeux miroitaient plus que de nécessaire et ses lèvres tiraient vers le bas. « Bravo Zoro ! Avec ta proposition, tu viens de blesser la femme qui t'aime le plus en ce monde » s'écria une petite voix imaginaire, et la culpabilité brouilla son esprit.
Effectivement, en acceptant de se mettre en couple avec Hiyori Kozuki, le meilleur épéiste du monde avait également accepté les choix de vie de sa compagne ainsi que ses obligations et de ce fait, de les partager avec elle. La piraterie était un temps révolu, Roronoa Zoro était désormais un samouraï de Wano Kuni, encore considéré comme un ronin, mais nul ne doutait qu'avec le temps, il ferait partie intégrante du clan Kozuki. C'était une chose inéluctable.
Aujourd'hui, lui aussi avait des devoirs, le premier étant de soutenir la jeune femme face à lui. Zoro posa un doigt sous le menton de cette dernière et releva sa tête pour la forcer à le regarder.
- Je vais aller prendre ce bain. Fini de te préparer, déclara-t-il avant de se pencher pour l'embrasser.
Au moment où il se retourna pour prendre la direction de la salle d'ablutions, Hiyori l'arrêta subitement.
- Attends ! J'ai quelque chose pour toi, également, annonça-t-elle timidement.
Zoro haussa un sourcil et celui-ci remonta un peu plus haut lorsqu'elle s'empara d'une petite boite situer dans le paquet. Elle avait commandé quelque chose pour lui ?
- Tu sais que je n'ai pas les cheveux assez longs pour mettre des kanzashi ? blagua-t-il sur un ton très sérieux.
Au moins, l'effet escompté fut une réussite, car la jeune femme gloussa tandis qu'elle lui tendait la boite.
- Ouvre et tu verras.
Voilà qui était plutôt inattendu. Qu'avait-elle pu commander à un bijoutier, pour lui ? Généralement, c'était l'inverse qui se produisait, mais on ne pouvait pas dire qu'il gardait un bon souvenir de la dernière fois où il avait mis les pieds dans une bijouterie. Soudain, au plus profond de lui, Zoro sentit une pointe de panique étreindre sa poitrine et son cœur s'emballa. Non… elle ne pouvait pas avoir acheter de bague… ça ne produisait pas comme ça… ce… ce n'était pas de cette façon que cela était censé se passer ! Elle n'allait quand même pas le demander en mariage ?!
Heureusement qu'il était passé maître dans l'art de maîtriser ses émotions et de ne rien laisser transparaître, car sans cela, il y avait fort à parier que ses doigts se seraient mis à trembler comme des feuilles alors qu'il déchiquetait le papier autour de la petite boîte.
Le moment fatidique arriva et Zoro retint son souffle, alors qu'il soulevait le couvercle.
Contrairement à ce qu'il pensait, à l'intérieur se trouvaient trois pendentifs de forme oblongue, très fins, en or. Rien que le fait que cela ne soit pas une bague le soulagea d'un poids immense, et il put relâcher son souffle pour reprendre une respiration normale. Une fois rassuré, le samouraï put analyser plus clairement les pendentifs en question. Ils ne faisaient que quelques centimètres de long et étaient surmontés du symbole du clan Kozuki, le même qui se trouvait sur les kanzashi qu'elle avait commandé. Par contre, ce qu'il ne saisissait pas, c'était à quoi étaient destinés ces machins.
Puis cela fit tilt. Des boucles d'oreilles ! Comme celles qu'il portait en permanence. A cette conclusion, Zoro ne sut quoi répondre, ni comment réagir, et de ce fait, il resta immobile, à fixer d'un air hébété, la boite dans sa main.
- Euh…
- Ça ne te plait pas, c'est ça ?! s'inquiéta Hiyori. Je savais que c'était une bêtise de les faire faire ! Je ne t'ai même pas demandé si celles que tu possédais avaient une valeur sentimentale. Quelle idiote je fais ! Rends-les-moi.
La jeune femme aux cheveux bleus voulu s'emparer de l'écrin d'un geste brusque mais Zoro fut plus rapide et écarta la boite pour la mettre en hauteur, hors de sa portée. Cependant, Hiyori s'agrippa à lui et tenta de l'attraper en sautant sur place
- Non ! Je les garde, affirma le bretteur.
Il enroula son bras libre autour de la taille de son amante et la serra contre lui pour la rassurer. Elle se calma instantanément et posa les mains à plat sur ses pectoraux ainsi que son front, pour éviter d'avoir à croiser son regard.
- C'est juste que je ne m'attendais pas à ça, expliqua-t-il un peu maladroitement.
Cependant, voyant qu'elle n'osait toujours pas lever la tête, il se sentit contraint d'ajouter :
- Si tu souhaites que je les porte ce soir… alors je le ferais.
- Vraiment ? L'interrogea presque timidement l'ancienne oiran alors qu'elle relevait enfin la tête pour le regarder dans les yeux.
Le sourire radieux, et ses grands yeux brillants d'espoir qu'elle lui adressa, eurent raison de lui. De toute façon, il n'était pas homme à mentir.
- Oui.
En observant l'oiseau aux ailes déployées, signe flagrant d'appartenance à ce clan, Zoro eut une étrange sensation, sans pouvoir définir exactement de quoi il s'agissait.
A suivre…
