Hello minna ! Tout d'abord un énorme MERCI pour vos reviews ! ça me fait vraiment plaisir de voir que cette histoire est suivie et que vous attendez la suite avec impatience ! En tout cas, ça me boost pour écrire, c'est génial ! ^^
C'est encore un gros chapitre, le plus gros je crois pour l'instant, donc préparez bien vos mirettes. Petit avertissement tout de même pour une scène au contenu quelque peu explicit.
Beta-reader : Shinory
Bonne lecture !
CHAPITRE 6 : Seul le cœur connait la vérité, encore faut-il l'accepter
C'était désormais certain, il détestait les repas diplomatiques.
Faire des sourires polis, des courbettes solennelles, s'engoncer dans des gestes protocolaires, et flatter l'égo des invités pour qu'ils se sentent importants… non franchement, ce n'était pas pour lui. Et tout l'alcool du monde ne pourrait rien changer cela.
Cependant, pour ne pas faire honte à Hiyori, pour qui ce dîner avait une très grande importance, Zoro faisait au moins l'effort de se tenir correctement, bien que l'envie d'attraper la bouteille qui défilait sur le plateau des servantes, afin de boire directement au goulot comme un poivrot, le démangeait fortement. Mais qu'on ne vienne pas lui demander de faire la conversation ! Jamais il ne s'abaisserait à faire des ronds de jambes et encore moins lécher les bottes d'un soi-disant… c'était quoi déjà son titre bien ronflant à celui-là ? Pff… c'était tellement important, qu'il avait oublié… Se montrer aimable était déjà une épreuve en soi.
Surtout quand cet invité, un homme gros et flasque, aussi chauve qu'un œuf, lui faisant penser fortement à un bouddha, agissait de façon aussi pédante. Rien chez lui n'inspirait l'honneur et la bravoure. Tout ce que cet homme lui évoquait, c'était l'avarice et la luxure. Et pour cause :
- Seigneur Momonosuke, Princesse Hiyori, permettez-moi de vous complimenter pour ce séjour dans votre si belle capitale. Votre culture et vos traditions sont admirables. J'ai passé un moment des plus exquis dans cet endroit que vous appelez « quartiers de plaisirs ». Vous pourrez, à l'occasion, complimenter Madame Tanako pour la qualité des prestations qu'offre sa maison.
Gros porc ! songea Zoro avec tout le mépris dont il était capable tandis que ses dents s'enfonçaient avec force dans le morceau de viande qu'il tenait entre ses baguettes. Il observa l'homme lorgner sur les geishas, qui évoluaient autour d'eux, en toute élégance dans le plus grand des silences. Elles avaient été employées spécialement pour l'occasion afin de les servir et de les divertir au cours du repas. Il lança un coup d'œil pour jauger les réactions des divers représentants de Wano, à commencer par sa compagne à sa droite, et tous affichèrent des sourires polis.
- L'établissement de Madame Tanako est réputé pour être le meilleur de la capitale, d'ailleurs, certaines de ses filles sont parmi nous ce soir. Mais nous ne manquerons pas de lui faire part de vos éloges, commenta Momonosuke.
- Nous sommes également ravis que ce bref séjour vous ait été aussi agréable, Chancelier Balchir, ajouta Hiyori en s'inclinant respectueusement.
Ah oui voilà ! Chancelier, c'était ça son titre ! Tss… aussi pompeux que le personnage…
Apparemment, il n'y avait que Zoro que ça dérangeait. Cependant, rien d'étonnant à cela, car Hiyori elle-même avait longtemps fait partie de ce milieu. Et si lui désapprouvait ce principe, les habitants de Wano étaient très fiers de leur culture, et de cette institution qu'était le quartier des plaisirs. D'ailleurs, depuis l'ouverture des frontières et l'afflux de visiteurs que cela avait entrainé, les Okiya s'étaient développées de façon exponentielle. Si tant est que le quartier des plaisirs de la Capitale des fleurs était devenu l'un des lieux les plus touristiques du pays.
Une petite geisha passa discrètement derrière lui, une carafe de saké à la main, et en profita pour le resservir. Zoro avait arrêté de compter le nombre de verres qu'il avait pu engloutir depuis le début du repas. Pas la moindre sensation d'ébriété ne pointait à l'horizon, qui aurait pu l'aider à apprécier un tantinet cette soirée. Il éprouva de la compassion pour cette jeune femme ainsi qu'une pointe de remord pour ce qu'il lui faisait subir, bien qu'elle ne fît que son travail. Le bretteur lui aurait bien proposé de laisser un tonneau à sa disposition, mais cela aurait jurer avec l'ambiance très formelle du dîner, et Hiyori ne lui aurait sûrement pas pardonné.
Son attention n'était qu'à moitié focalisée sur les échanges qu'entretenaient les hôtes et leurs convives, mais quand le gros chancelier se mit à vanter la beauté de l'héritière des Kozuki, Zoro préféra se concentrer entièrement sur la nourriture devant lui. Par le passé, il avait longtemps été témoin de ce genre de comportement, avec Du-Sourcil, et même si la majeure partie du temps, il trouvait cela juste affligeant, les quelques fois où cela venait à l'agacer, il ne se privait pas pour se lancer dans une de leurs joutes habituelles. Là, cependant, il ne pouvait pas se lever et dégainer son sabre pour ouvrir le ventre de ce bouddha lubrique sous les yeux de ses conseillers qui l'accompagnaient. Hiyori l'avait bien briefé à ce sujet avant le repas. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était ronger son frein en silence, et se couper momentanément de la conversation.
De leur côté, les fourreaux rouges semblaient en pleines discussions avec les conseillers, pendant que Momonosuke et sa sœur débattaient avec le chancelier. Assise à côté d'Hiyori, O-Toko écoutait attentivement ce qui se passait autour d'elle, et venait échanger quelques paroles avec O-Tama, assise aux côtés de Momo. Il n'y avait que lui qui se murait dans le silence, se gavant de nourriture et d'alcool. C'était bien là, la meilleure partie du repas. Au moins, la bouffe n'était vraiment pas mauvaise.
Le nez penché au-dessus de son verre, il darda un regard en coin à sa compagne. Cette dernière était désormais en grande conversation avec l'un des conseillers, et semblait animée par une sorte d'exaltation qui démontrait son affection pour ce genre de situation. Zoro ne savait pas de quoi ils parlaient, mais cela semblait la passionner. Au bout d'un moment, Hiyori dû sentir son regard posé sur elle, car elle tourna légèrement la tête vers lui et lui lança un petit sourire d'excuse, pendant que son interlocuteur débitait un monologue aussi long qu'ennuyeux. Toutefois, elle reporta rapidement son attention vers celui-ci et Zoro replongea le nez dans son assiette.
Il mâchouilla distraitement le morceau de viande qu'il venait d'enfourner dans sa bouche, formant ainsi une protubérance comique au niveau de sa joue gauche. Son esprit songeur voguait à travers les souvenirs datant d'une période de sa vie bien plus animée. Il n'avait jamais été du genre à regarder en arrière, mais il ne pouvait pas nier que la vie trépidante de pirate lui manquait. Si ce n'était pas pour la jeune femme assise à ses côtés, il y a longtemps qu'il aurait repris la mer.
Zoro tendit le bras vers le centre de la table, les baguettes pointées en direction plat qui contenait des sushis, dans la ferme intention de se resservir, lorsqu'il sentit quelque chose d'étrange. Il se figea en se rendant compte que le bourdonnement des conversations ambiantes avait cessé et qu'un silence de plomb venait de tomber sur la table. Le bretteur releva la tête et constata que tous les regards convergeaient vers lui. Une grosse goutte caricaturale perla le long de sa tempe alors qu'il cacha sa gêne derrière un masque impassible. Les questions fusèrent dans son esprit, cherchant désespérément à comprendre pourquoi diable ils s'étaient tous arrêtés de parler pour l'observer en train de s'empiffrer ?
Était-ce qu'il venait de commettre une erreur protocolaire ?
Soudain, l'irritation le gagna. Si maintenant il ne pouvait plus se servir comme il voulait alors qu'on lui mettait de la nourriture à volonté devant son nez, à quoi bon rester assis à les écouter blablater ! Cependant son intuition lui indiqua que le conseiller, assis à deux sièges en face de lui, venait de lui poser une question. Il lui sembla que le mot « pirate » eut été prononcé, mais il ne pouvait en être sûr. Par réflexe, il fut tenté de lancer un « quoi ? » agacé à l'assemblée, mais se ravisa au dernier moment.
Zoro se redressa et reposa les baguettes devant lui avant de croiser les bras sur son torse, soutenant fermement le regard des inquisiteurs.
- Zoro ? l'appela Hiyori quelque peu gênée.
Son œil valide dévia vers elle sans pour autant bouger le moindre muscle ni se départir de son expression renfrognée. Il vit son sourire forcé et ses yeux qui l'interrogeaient désespérément. A l'autre bout de la table, Momonosuke, ainsi que les fourreaux rouges et les deux enfants l'observaient avec expectation. Zoro ferma sa paupière et força les traits de son visage à prendre une expression plus avenante avant de reporter son attention sur l'homme qui venait de parler. Montre-toi aimable !
- Je n'ai pas entendu votre question, vous disiez ?
- Oh. Je disais que cela fait longtemps que nous n'avons plus entendu parler du Roi des Pirates. En tant que meilleur épéiste du monde et ancien membre des Chapeaux de Paille, vous devez sûrement savoir ce qu'il devient ?
Une veine menaça de pulser le long de sa tempe et il aurait voulu lui renvoyer une réplique acerbe mais Momo prit la parole avant que cela n'arrive.
- C'est vrai Zorojuro ? Tu as des nouvelles de Luffytaro, ou des autres ? demanda naïvement le jeune garçon plein d'espoir.
- Est-ce que Grand-frère va bien ? ajouta la petite kunoichi.
Le regard de O-Tama s'illumina également et l'attention de la jeune fille fut totalement centrée sur lui. Pas seulement elle, mais toute l'assemblée le dévisagea avec intérêt, comme s'ils attendaient tous une grande nouvelle.
- Euh… Non. Pas depuis un moment.
Il y eut un autre silence, tout aussi gênant, où tous attendirent que l'ancien pirate développe un peu plus, mais il resta désespérément muet. Momo baissa la tête, clairement déçu.
- Vraiment ? C'est pourtant étonnant de la part de l'ancien vice-capitaine, et bras-droit du légendaire Roi des Pirates, Monkey D Luffy, rajouta le bouddha.
Le visage rond, presque poupin du Chancelier, aurait pu inspirer la sympathie si derrière les deux petites fentes étriquées où se situaient les yeux, il n'y avait pas eu une lueur sournoise qui dansait dans ses orbes noirs. Tout comme le léger relèvement du coin de ses lèvres, dans une mimique raillarde perpétuelle.
- Si certains m'ont considéré comme tel, c'est eux que ça regarde, mais je n'ai jamais eu la prétention d'arborer ce titre. Nous étions tous égaux sous les ordres de notre capitaine, déclara froidement Zoro. Et aussi surprenant que cela puisse être, nous n'avons pas gardé contact depuis la séparation de notre équipage.
- Oh je vois.
Ce type l'énervait de plus en plus, et il avait besoin d'être remis à sa place, quoi qu'aient pu en penser les autres.
- Excusez-moi, je n'ai pas retenu votre nom, Chancelier… ? demanda Zoro de la manière la plus polie qu'il soit alors que son intonation abritait une certaine insolence.
- Zoro ! s'offusqua Hiyori.
- Ce n'est rien ma chère, le coupa subitement l'homme à la toge. Permettez-moi…
Les convives et leurs hôtes se dandinèrent sur leur siège, mal à l'aise à cause de la soudaine tension. L'homme qui l'avait interpellé se redressa sur son coussin, posa une main sur sa poitrine et s'éclaircit la gorge avant d'annoncer d'une voix cérémonieuse emprunte de suffisance :
- Je suis le Grand Chancelier Balchir. Je représente le royaume d'Abondance au nom du Roi Anatoré, de la Reine Darianne ainsi que de leur fils, le Prince Victor.
Zoro lutta contre l'irrépressible envie de lever les yeux au ciel face à tant de condescendance. Abondance… pourquoi ce nom lui évoquait-il quelque chose ? Le nom de Victor lui était également familier, mais impossible de remettre le doigt dessus. Laissant ce détail de côté, Zoro serra les dents pour étouffer le grognement désabusé qui menaçait de lui échapper. Il allait rétorquer avec une réplique cinglante lorsqu'il sentit sur lui le regard réprobateur d'Hiyori. Il eut la désagréable sensation d'être un gamin dont les parents désapprouvaient son attitude et le forçait à agir contre son bon-vouloir. Prenant une profonde inspiration, le bretteur se fit violence et inclina légèrement la tête en guise de révérence.
- Enchanté Chancelier Balchir, maugréa Zoro entre ses dents serrées.
- Pardonnez son manque de tact, Chancelier, s'excusa Hiyori. Zoro est un noble samouraï, mais il n'est pas encore bien accoutumé aux arts de la diplomatie et de la bienséance.
Dans son coin, ledit samouraï supporta la remarque silencieusement au prix d'un gros effort.
- Ce n'est rien. Je n'en attendais pas moins de la part de quelqu'un tel que lui, déclara l'homme d'une manière dédaigneuse et peu impressionnée.
Mais il ne fallait pas pousser non plus…
- Qu'est-ce que vous entendez par là ? s'enquit l'épéiste la voix chargée de menaces.
- Loin de moi l'idée de manquer de respect à un homme de votre envergure, mais malgré l'apparence noble et vos efforts, votre désinvolture et votre manque de raffinement ne me surprennent guère. Après tout, même après avoir été anobli, un pirate reste un pirate…
Une lueur dangereuse s'alluma dans le regard de l'ancien pirate. Son sang bouillait face à l'insulte à peine dissimulée de ce gros bourgeois. Il déplaça instinctivement et de façon discrète, sa main droite à la recherche de ses katanas, couchés le long de sa cuisse, entre Hiyori et lui. Il sentait la malédiction de sa lame irradier d'une soif de sang alors que ses doigts s'approchaient doucement. Toutefois, son geste fut stoppé lorsqu'une main délicate se glissa dans la sienne et la serra par à-coup. Il n'eut pas besoin de croiser son regard pour comprendre qu'il s'agissait d'Hiyori et qu'elle l'implorait silencieusement de ne pas faire d'esclandre.
- Sachez Chancelier Balchir que, Zorojuro n'a usurpé aucun de ses privilèges et qu'il mérite tout à fait son titre ainsi que sa place parmi nous, déclara solennellement Momonosuke pour défendre l'honneur de son ami mais aussi beau-frère.
- Pardonnez-moi si je vous ai offensé, ce n'était point mon intention. Je ne me permettrai pas de discuter les choix d'un souverain tel que vous, Seigneur Momonosuke. Mais si je puis m'expliquer, je trouve surprenant qu'un ancien pirate, membre du célèbre équipage du Roi des Pirates, ait pu, lui aussi, accédé à un rang aussi élevé. Voyez-vous, nous avons également quelqu'un de votre équipage à la cour royale.
La réaction fut unanime chez les membres du clan Kozuki. Les yeux s'élargirent de stupéfaction et les mâchoires s'affaissèrent. Bien que surpris, Zoro n'en resta pas moins méfiant. Un autre membre des Chapeaux de Paille ?
- Mais je manque à mes obligations ! s'exclama soudainement le Chancelier. Cela me rappelle que je dois vous remettre en main propre ceci, annonça Balchir en sortant deux enveloppes de son kimono.
Le Chancelier en tendit une à Momonosuke et l'autre à Zoro. Ce dernier zieuta le bout de papier d'un œil mauvais comme s'il allait le mordre alors que Momo attrapait le sien avec retenue. Le bretteur sentit un coup de coude léger dans les côtes signifiant qu'il tardait un peu trop à réagir. Il serra les dents de mécontentement et saisit l'enveloppe des mains du Chancelier sans le lâcher du regard, ce qui contribua à faire sourire ce dernier.
Les deux jeunes hommes étudièrent le rectangle en papier avec leur nom respectif inscrit à l'encre noire. Quel ancien membre de l'équipage avait bien puput leur adresser une lettre ? Pour sûr, l'écriture lui était familière. Zoro glissa son pouce sous le rabat et craqua le cachet en cire rouge sur lequel avait été appliqué le sceau en forme de corne d'abondance, symbole du royaume. Il sortit la lettre et la déplia lentement.
Tout à coup, le monde autour de lui disparu, et c'était comme si la terre venait de s'ouvrir sous ses fesses. Il eut la sensation que toute la nourriture qu'il venait d'ingurgiter, s'était subitement changée en pierre, et retombait dans le fond de son estomac. Son œil eut beau lire et relire les mêmes phrases en boucle, leur sens lui échappait. La voix lointaine de Momo perça soudainement et lui parvint comme à travers un épais brouillard. Zoro l'écouta sans réellement y prêter attention, trop imprégné par cet état de transe qui avait subitement pris le contrôle de son corps.
- C'est O-Nami ! s'exclama-t-il à l'attention de tout le monde. On est invité au mariage de O-Nami ! précisa avec un réel enthousiasme le jeune Shogun.
- Oh ? QUOI ! s'écria Kin'emon sous le choc. Mais comment ?
- Elle va épouser le Prince Victor d'Abondance !
Momo lut à voix haute ce que contenait la lettre, anéantissant tout espoir que cela soit une mauvaise blague à l'encontre du bretteur. Victor d'Abondance. Voilà pourquoi ce nom lui disait quelque chose. L'image d'un jeune homme propre sur lui, à la chevelure améthyste, et au phrasé impeccable s'imposa à son esprit. L'équipage avait fait sa connaissance lorsqu'ils avaient refait le tour du globe, quelques mois après avoir atteint Laugh Tale. Il se rappela vaguement avoir vu le freluquet tourner autour de leur navigatrice qui n'avait pas cherché à le repousser, bien au contraire. Passé la surprise de découvrir que Sanji n'était plus de la partie, Zoro avait cru à une autre amourette de passage, comme le cuistot et lui l'avaient été pour elle. Apparemment il se trompait lourdement.
- Quelque chose ne va pas Seigneur Momonosuke ? Demanda Kiku.
- Momonosuke-sama ? S'enquit Kin'emon soucieux.
L'attention des convives se porta sur leur hôte qui, tout à coup, avait perdu toute bonne humeur et un voile sombre masquait ses yeux.
- Le Prince Victor est un homme très chanceux, lâcha finalement le jeune Kozuki clairement envieux.
Kin'emon croisa les bras et hocha la tête vivement pour manifester qu'il partageait le même avis. Rien d'étonnant à cela, vu que du temps où ils avaient vogué avec l'équipage au Chapeau de paille, ces deux vicelards n'avaient cessé de reluquer leur navigatrice. Le souvenir du jeune Momonosuke, accroché à la jeune femme comme un koala à son arbre, la tête logée entre ses seins avec un peu trop d'insistance pour que ce soit innocent, raviva chez le bretteur, un profond sentiment d'agacement. Zoro avait secrètement haï ce comportement fourbe et libidineux (il avait assez à gérer avec le débile de cuisinier), que Nami acceptait sans broncher comme si elle s'en rendait même pas compte, sous prétexte qu'il ne s'agissait que d'un enfant. Pff…
En revanche, bien qu'il ait quelque peu mûri, et qu'il soit devenu souverain de toute une nation, Momo ne loupait pas une occasion de zieuter le décolleté de toutes les femmes aux courbes généreuses qu'il croisait. Par chance, du fait de leur filiation, Hiyori échappait à ce traitement.
- Certes, acquiesça Balchir. Mademoiselle Nami s'avère être une très belle femme et elle est très appréciée de la cour. Le Prince est effectivement chanceux, et il est surtout très amoureux.
- C'est une bonne chose que O-Nami ait trouvé l'amour, conclut Raizo.
- Oui c'est une bonne nouvelle, n'est-ce pas Zorojuro ? lança naïvement Momo.
La bulle dans laquelle se trouvait Zoro éclata brusquement le ramenant sans ménagement à la réalité. L'implication de la lettre commençait à se diffuser dans son esprit. Nami allait se marier. Aussi incongru et absurde que cela lui paraissait, elle allait épouser un prince… le Prince Victor qui plus est. Le bretteur aurait volontiers éclaté de rire s'il n'était pas aussi abasourdi. Il sentit les regards converger vers lui. Apparemment, il tardait encore à répondre, mais les mots semblaient piégés dans sa gorge. La petite main d'Hiyori vint soudainement se poser sur la sienne qui tenait encore la missive en l'air.
- Zoro ? l'appela-t-elle doucement sentant que quelque chose n'allait pas.
L'interpellé cligna de l'œil et chercha quelque chose de banal à formuler pour feindre l'indifférence.
- Oui. C'est une bonne nouvelle, déclara-t-il d'une voix monocorde.
- A vous entendre, cela à l'air de vous surprendre, renchérit le Chancelier
- Effectivement je le suis…. Il y a de quoi. Après tout, nous n'avons pas gardé contact. Mais… je… je… Je suis content pour elle.
Les mots glissaient sur sa langue anesthésiée comme s'ils avaient été formulés par un autre. Il n'y avait aucune conviction dans son intonation. Zoro voulait vraiment penser ce qu'il disait, bien sûr il désirait le bonheur de Nami, mais quelque chose au fond de lui résonnait amèrement, l'empêchant de se réjouir de l'annonce des épousailles de la jeune femme. Il mit aussitôt cela sur le compte du choc d'apprendre une telle nouvelle.
- La cérémonie aura lieu dans trois mois, au palais royal du Royaume d'Abondance. Le Prince Victor compte beaucoup sur votre présence à la cérémonie Seigneur Momonosuke, ainsi que sur celle du légendaire épéiste, Roronoa Zoro. Je crois savoir également que les autres membres des Chapeaux de Paille ont été invités.
Le regard de Momo s'illumina soudainement à la perspective de pouvoir revoir ses anciens alliés et amis.
- Bien évidemment, l'invitation est valable pour vous aussi Dame Hiyori.
- Merci Chancelier, ce sera avec plaisir, remercia poliment la jeune femme en s'inclinant légèrement en avant.
- Merci mais ne comptez pas sur moi, trancha Zoro d'un ton ferme.
Hiyori se tourna vers lui, l'air choqué. Sa réponse avait été un peu abrupte, il fallait le reconnaître, mais inutile de laisser courir la rumeur quant à sa prétendue venue. Le chancelier parut également surpris, mais un léger rictus dansa sur ses lèvres le temps d'une seconde, avant qu'il ne retrouve une expression attristée. Cependant, Zoro l'avait clairement vu. Ce type était vraiment louche.
- Zorojuro ! Comment peux-tu dire ça ?! O-Nami est ta nakama ! S'indigna Momo.
- Uniquement du temps où l'on naviguait à bord du même bateau. Désormais, chacun mène sa vie comme il l'entend. Transmettez mes félicitations à Nami, mais je n'irai pas au mariage.
Le visage d'Hiyori s'assombrit alors qu'elle baissait les yeux sur leurs deux mains encore jointes. Elle la rétracta doucement sur ses genoux et reporta son attention devant elle. Zoro ignora le geste, trop focalisé sur le bouddha au regard narquois.
- Faites comme il vous sera gré, conclut le Chancelier.
- Si Zorojuro refuse d'y participer, je ne peux aller à l'encontre de son choix, mais sachez que, pour ma part, je serai honoré d'y assister, affirma le jeune Shogun.
- Trinquons à cette merveilleuse nouvelle ! s'exclama Kin'emon en levant sa coupe de saké.
Toutes les personnes autour de la table suivirent son exemple afin de trinquer à l'unisson. Bien que dernier à le faire, Zoro se sentit contraint de lever sa coupe, mais l'envie n'y était certainement pas. Il n'arrivait pas à se départir de cette sensation étrange qui venait de creuser sa poitrine, sans qu'il ne sache d'où cela pouvait provenir.
Nami allait se marier….
- Que diriez-vous d'un peu de musique pour célébrer cela ? proposa Denjiro.
- Ma foi, cela serait fort agréable ! abonda le Chancelier. D'autant plus que je me suis découvert une passion pour cet instrument que vous nommez shamisen.
- Vraiment ? s'étonna Momo. Il se trouve que ma chère sœur en joue magnifiquement bien ! N'est-ce pas, Hiyori ?
- Oui ! Son talent pour la musique est un vrai don du ciel, argumenta Kawamatsu.
Un blanc, de quelques secondes, suivit cette déclaration et força Zoro jeter un œil à sa compagne. Celle-ci semblait perdue dans ses pensées, et son visage, habituellement si souriant, était fermé dans une expression morne. A ses côtés, O-Toko l'observait avec une pointe d'inquiétude et posa sa petite main sur celle de sa grande-sœur. Le bretteur leva un sourcil inquisiteur. Hiyori se conduisait étrangement ce soir. Réveillée par ce contact, la gaieté réapparut sur son joli visage aussi soudainement qu'elle avait disparu, illuminant ses traits alors qu'une petite teinte rosée colorait ses joues.
- Vous me flattez, rougit la jeune femme.
- Accepterais-tu d'en faire une démonstration pour notre invité ? Insista son frère.
- Bien sûr, acquiesça-t-elle poliment.
Toutefois, quelque chose dans le timbre de sa voix sonnait faux, et alerta Zoro. Est-ce que son attitude avait contrarié Hiyori ? Si tel était le cas, elle aurait pourtant dû s'y attendre. Ce type le cherchait avec son air hautain et ses piques destinées à le rabaisser ! De son point de vue, il se trouvait plutôt cordial, car il aurait pu faire largement pire !
La jeune femme aux cheveux sarcelle se leva sans lui adresser une œillade, et se dirigea dans le fond de la pièce, où une courtisane venait lui apporter l'instrument et une autre, un coussin pour qu'elle puisse s'assoir.
Dans un silence cérémonial, Hiyori s'installa, positionnant le shamisen sur ses genoux alors qu'avec sa main gauche, elle faisait tourner très légèrement la cheville en donnant de petits coups sur les cordes afin d'accorder l'instrument. Le son un peu aigrelet, si caractéristique, emplit rapidement la salle de réception. Le silence revint pour quelques secondes, signe que l'échauffement était terminé.
Tous les proches connaissaient le répertoire musical de la jeune femme. Elle égayait souvent leur soirée par des rythmes soutenus et entraînants. D'ailleurs, il y en avait une qui revenait fréquemment car elle l'appréciait particulièrement, et Zoro s'attendait à ce qu'elle leur joue. Elle leva la main qui tenait son plectre pour s'apprêter à frapper les cordes avec vivacité, mais étrangement, Hiyori marqua une pause, comme si elle hésitait. Lorsque la mélodie retentit enfin, ils eurent tous la surprise d'entendre une composition inédite. Un morceau lent et mélancolique, plein d'émotions.
Ses doigts dansaient agilement le long du manche en bois et une douce mélodie entrainante les subjugua. Kawamatsu avait raison, Hiyori avait un vrai don pour jouer du shamisen.
Les dernières notes résonnèrent dans la salle et furent accompagnées par un silence admiratif (et quelques reniflements de la part de certains samouraïs) avant que celui-ci ne soit brisé par le claquement de main sans gêne du Chancelier.
- Bravo ! s'exclama-t-il en faisant rouler le « r » exagérément. Magnifico ! Quelle transcendance !
Les joues fardées de la musicienne s'empourprèrent et celle-ci baissa les yeux humblement avant de s'incliner pour remercier de telles acclamations. De son côté, Zoro resta immobile, les bras croisés sur sa poitrine alors qu'il bougonnait silencieusement à l'encontre de leur invité de marque. Son esprit était encore focalisé sur la nouvelle et le samouraï se découvrit une sévère aversion pour le Royaume d'Abondance en plus de son représentant. Cela l'avait même empêché d'apprécier à sa juste valeur, la prestation de sa compagne. Lui qui pourtant, se laissait facilement emporter par la musique, était en cet instant, complètement hermétique.
La lettre entre ses doigts, le démangeait et il n'avait qu'une envie, c'était de la placer au-dessus de la flamme la plus proche afin de voir les lettres délicatement calligraphiées à la plume, se consumer, comme si elles n'avaient jamais existé.
Comment Nami pouvait-elle épouser ce type ?!
Ses tergiversations furent interrompues lorsqu'il sentit le poids d'un regard sur lui. Il détourna la tête pour comprendre qu'il s'agissait du Chancelier. Ce dernier le fixait avec un petit sourire mesquin et empreint de fausse bonhomie. Comme s'il s'amusait d'une blague que lui-seul pouvait comprendre. Là encore, ses doigts le démangèrent d'attraper un sabre et de se faire un malin plaisir de lui retirer cet air satisfait.
- Vous devez être très fier d'avoir une femme aussi belle et talentueuse que Dame Hiyori, pour compagne. Beaucoup d'hommes doivent vous envier, minauda-t-il en le fixant droit dans les yeux.
Ce n'était pas la première fois qu'on lui faisait la remarque, et à chaque fois, le même malaise s'installait. Il détestait ce genre de commentaire, mais dans celui-là, il sentit qu'il y avait un sens caché à ses paroles, dont il ne saisissait pas le sens. Où est-ce qu'il voulait en venir ?! Il cherchait à le provoquer sciemment ? Si tel était le cas, Zoro ne serait pas le dernier à réagir.
Tout en pensant cela, il décroisa les bras et soutint fermement le regard du bouddha, pendant que sa main se dirigeait vers Wado Ichimonji. Ses doigts s'enroulèrent avec une certaine satisfaction autour de la soie blanche et la soif de sang se fit plus intense. Une étincelle s'alluma dans le regard porcin du Chancelier, comme s'il avait deviné ses intentions et ce qui se tramait sous la table.
Au diable l'incident diplomatique !
Son pouce poussa la garde, et ses poils se hérissèrent lorsque la légère résistance qui maintenait son sabre dans son fourreau, céda. Ses sens s'aiguisèrent et sa respiration ralentit alors que l'adrénaline commençait à se diffuser dans ses veines. Sans savoir d'où elle venait, une rage bestiale gronda au fond de lui et tout ce qu'il désirait en cet instant, c'était la tête de ce gros porc lubrique.
- Ahah ! Je lui ai fait exactement la même remarque pas plus tard que cet après-midi ! lança joyeusement Kin'emon.
Son intervention dissipa sa soudaine envie meurtrière et fit retomber la tension entre les deux hommes, que l'ensemble des convives ne semblaient pas avoir remarqué. Zoro hésita, puis referma son katana avec un air sombre. Ce bon vieux Kin-san venait d'éviter, sans le savoir, la mort d'un haut-représentant d'un pays avec lequel ils tentaient d'établir de bons rapports commerciaux.
Du coin de l'œil, le bretteur vit Hiyori s'approcher lentement en le fixant avec une lueur d'intérêt et d'espoir dans le regard.
Il faisait ça pour elle…, se rappela-t-il. Hiyori méritait qu'il fasse un effort après tout ce qu'elle faisait pour lui.
- Vous avez raison. Je suppose que je le suis, avoua-t-il à demi-mot.
Même si au fond, cela le tuait de s'aplatir devant cet immonde tas de vices. Il fut un temps, où Zoro n'aurait écouté que son instinct, et où il n'aurait sacrifié son honneur pour rien au monde, mais désormais il appartenait à un clan. Il ne s'agissait plus de lui uniquement, mais c'était le bien du clan qui préposait, et il allait devoir s'y faire. Momonosuke n'avait rien à voir avec Luffy, toutefois, s'il comptait faire sa vie avec Hiyori, il devait accepter de dépendre de ce nouveau suzerain. Les trois petites boucles d'oreilles que lui avait offerte la jeune femme en étaient la preuve. Il n'était plus un pirate.
Le reste du repas se poursuivit tranquillement, amenant d'autres sujets de conversation ainsi qu'une ambiance un peu moins pesante. Cependant, Zoro resta en retrait, se concentrant uniquement sur son objectif qui était de mettre à sec tous les tonneaux de saké du pays. Les rares fois où une question avait le malheur de lui être posée, il répondait de manière évasive, ne dépassant rarement les deux mots par réponse. Puis arriva le moment tant attendu par Zoro, où les convives quittèrent enfin la table afin que chacun retrouve ses quartiers.
…
Hiyori était assise devant sa coiffeuse, les mains au-dessus de la tête, à enlever en silence, les kanzashis de ses longues mèches bleutées. Le samouraï senti qu'elle l'observait à travers le miroir qui se trouvait en face d'elle. Aucun mot n'avait été échangé depuis qu'ils avaient quitté la table et un lourd silence s'était installé entre eux. Il savait que son attitude au repas n'avait pas été des plus exemplaire, et que sa réaction face à la nouvelle n'était pas non plus passée inaperçue auprès de sa compagne.
Cependant il ne sentait pas d'humeur à s'expliquer et encore moins à s'excuser. La soirée avait été suffisamment désagréable comme cela et Zoro ne souhaitait qu'une seule chose : dormir. Il détacha le cordon rouge qui maintenait ses katanas à sa taille et les posa sur leur promontoire. Le kimono noir qu'il portait rejoignit le sol, le laissant uniquement en sous-vêtement. L'épéiste se glissa dans les draps et savoura enfin le moment qu'il attendait le plus depuis le début de soirée. Il avait rabattu son bras sur ses yeux pour les protéger de la lumière mais dans un faible interstice, il vit Hiyori délasser ses longs cheveux bleus avant de se relever pour se changer.
Sans lui adresser le moindre regard, elle se déshabilla dos à lui, et enfila une robe fluide en soie d'un rose très pâle. L'ancien pirate essaya de déchiffrer le langage du corps de sa compagne, pour savoir à quoi s'attendre. Ses gestes étaient toujours aussi souples que d'habitude, il n'y avait pas de précipitation, pas de tension non plus dans ses muscles, et son visage n'exprimait rien si ce n'est de la concentration dans ce qu'elle faisait. Elle ne laissait rien paraître et se conduisait comme à son habitude. Cependant, quelque chose sonnait faux.
Zoro voulu lâcher un grognement de frustration mais préféra s'abstenir, après tout, il y avait peut-être une chance pour que la jeune femme ne le relance pas sur la soirée. Elle le rejoignit sur le futon, éteignant au passage les lampes à huile qui éclairaient leur chambre d'une lumière tamisée. Dans l'obscurité, l'épéiste la sentit se glisser sous les draps et attendit le moment fatidique où les questions et les reproches allaient pleuvoir. Toutefois, après plusieurs minutes de silence incommodant, il en vint à penser qu'il n'y aurait finalement peut-être aucune discussion et qu'il allait pouvoir s'endormir. Cette soirée merdique allait enfin pouvoir être derrière lui.
La respiration d'Hiyori était calme et posée si bien qu'il crut qu'elle s'était endormie. Une partie de lui en fut soulagée, alors qu'une autre était moins à l'aise, avait l'impression de fuir un affrontement. Non ! il ne fuyait pas ! disons plutôt qu'il procrastinait. Zoro remua légèrement afin de s'installer confortablement et petit à petit le sommeil commença à le gagner.
Son esprit était en proie aux griffes de morphée lorsque ses sens aiguisés l'alertèrent d'un mouvement à ses côtés. Rien d'assez dangereux pour le tirer complètement de sa torpeur mais il resta tout de même aux aguets. Soudain, un corps chaud se colla à lui. Il sentit le tissu soyeux effleurer sa peau nue et quelques mèches de cheveux venir lui chatouiller le visage. Son état somnolent lui fit penser que sa compagne devait avoir froid et il écarta son bras pour l'inciter à venir se réchauffer. Cependant, la réaction de la jeune femme ne fut pas exactement celle escomptée. Elle souleva les draps qui le tenait au chaud et passa une jambe par-dessus sa taille pour se retrouver à califourchon sur lui.
L'air frais le tira complètement de sa léthargie et au moment où il allait protester pour avoir été dérangé, des lèvres se scellèrent aux siennes brutalement. Deux mains lui agrippèrent désespérément le visage afin de le maintenir immobile pendant que leurs bouches restaient collées l'une à l'autre. Pendant un instant, Zoro fut complètement largué. C'était bien la dernière chose à laquelle il s'attendait ce soir. Mais ce qu'il ne comprenait pas, c'était l'empressement soudain de la jeune femme et il voulut s'écarter de quelques centimètres pour lui poser la question. Cependant, Hiyori ne lui en laissa pas l'occasion et captura à nouveau la bouche de son amant, forçant le barrage de ses lèvres légèrement entrouvertes pour y glisser sa langue. Le baiser qu'elle lui donna n'avait rien de tendre. Il était insistant et agressif, désespéré même, et n'avait rien de commun avec ceux qu'ils avaient l'habitude d'échanger. C'est pourquoi il y répondit de manière quelque peu hésitante alors qu'il posait ses deux mains sur les hanches de son amante, caressant fébrilement de ses pouces le tissu léger.
Ses mains douces parcoururent son torse avidement, et dans une frénésie surprenante, Hiyori alla même jusqu'à mordre la lèvre inférieure de son amant. Bien que très appréciateur de ce nouveau traitement, Zoro fut quelque peu décontenancé. Cela ne ressemblait pas du tout à la jeune femme de se montrer brusque.
Par expérience, il avait appris qu'Hiyori n'aimait pas lorsqu'il agissait trop brutalement ou qu'il se conduisait de façon un peu trop bestiale et il savait également qu'elle redoutait son côté sombre. Alors, il faisait en sorte que leurs ébats soient toujours doux et passionnés. C'était important pour elle que ce ne soit pas un acte purement charnel mais bien une façon de montrer leur affection commune et de renforcer les liens qui les unissaient. Zoro avait mis cela sur le compte des années passées à jouer le rôle de courtisane, à fréquenter des hommes qui n'avaient pas toujours le sens de la retenue, et il comprenait tout à fait qu'elle veuille être désormais traitée avec douceur. Même si au début, ce n'était pas spécialement dans ses habitudes de se montrer affectueux et tendre, Hiyori avait su lui apprendre comment faire, et il avait fini par s'y habituer.
Voilà pourquoi, aujourd'hui, il ne comprenait pas ce changement de comportement.
En revanche son corps, lui, se posait moins de question et réagissait très bien aux avances impétueuses de sa compagne. Le fait qu'elle le griffe, le morde, lui masse le crâne de ses ongles et lui tire les mèches de cheveux, tout cela commençait à l'exciter de plus en plus. Les questions se turent petit à petit tandis qu'elle se frottait de façon obscène contre lui. Sa raison céda lorsqu'elle s'écarta, le souffle court, pour s'empresser de se défaire de sa robe de nuit en la faisant remonter le long de son corps et la passer par-dessus sa tête. Voir les contours de sa silhouette nue sur lui, avec ce regard noir, luisant de fièvre, malgré l'obscurité ambiante, eurent raison de lui.
La bête, contrainte à rester tapis dans l'ombre pendant tout ce temps, venait de se réveiller. Il l'attrapa par la nuque sans délicatesse, pour la plaquer contre lui et plongea sa langue avec force dans la bouche de son amante. Hiyori poussa un gémissement qu'il dévora aussitôt pendant que ses mains agrippaient ses formes sans retenue, enfonçant ses doigts dans sa chair tendre. Elle essayait de suivre le rythme avec autant de passion et de férocité que lui, mais cela ne semblait pas suffisant. Toute la tension de la soirée, de ce repas infernal, où il avait dû enfouir sa colère, ressortait à présent dans ses gestes sans qu'il n'en ait réellement conscience. Hiyori avait déverrouillé le loquet de sa cage, et l'animal féroce qui sommeillait à l'intérieur jusqu'à présent, venait de se réveiller.
Zoro gronda de façon bestiale contre ses lèvres, avant de s'attaquer à son cou afin de dévorer sa chair. Les griffures sur ses bras et ses omoplates l'encourageaient dans sa folie et les plaintes de son amante le poussait à se montrer de moins en moins tendre. Sa tête bourdonnait alors que le désir le submergeait.
D'un mouvement leste et empreint de dextérité, le jeune homme les fit pivoter et, en un clin d'œil, Hiyori se retrouva sous lui. Il ne perdit pas de temps et s'empara de ses poignets pour les plaquer sans délicatesse de chaque côté de la tête de la jeune femme. Sa bouche continuait de parcourir sa peau tendre au niveau de sa poitrine, même si ses dents faisaient le plus gros du travail. Dessous-lui, le corps frêle tremblotait et son buste aux formes généreuses se soulevait et s'abaissait rapidement. Pris dans sa frénésie, Zoro planta ses dents dans la chair sur son épaule tandis qu'il dévalait le sentier de sa gorge gracile, et extirpa un cri plus fort de la bouche de son amante qui lui fit bourdonner un peu plus la tête. Hiyori remua plus vivement, frottant par à-coup contre son entrejambe, ce qui le fit grogner de frustration, et pesa un peu plus de son poids sur elle pour la piéger tandis que sa prise sur ses poignets se resserrait. Cependant, elle s'agita encore plus comme pour lutter contre lui, et cela excita sa nature prédatrice, de même que ses petits gémissements plaintifs.
Il remonta pour être à hauteur de son visage et lui susurrer de vilaines choses, mais soudain quelque chose l'interpella. Peu importe l'obscurité qui régnait, la brillance qui noyait ses grands yeux bleus était immanquable, alors qu'elle évitait soigneusement son regard. La bête en lui, tira sur ses chaînes et se mit à rugir face à cet arrêt soudain, mais son instinct lui signala que quelque chose n'allait. Elle se mordait les lèvres mais celles-ci tremblaient et son souffle était bien trop rapide, même pour quelqu'un qui expérimentait un plaisir intense.
Le bourdonnement dans ses oreilles et son esprit se dissipa rapidement. C'est là qu'il se rendit compte de la force qu'il exerçait sur les poignets délicats d'Hiyori, prêt à les casser si jamais il serrait un peu plus. Il prit conscience de sa position, qu'il écrasait le corps de la jeune femme, du fait qu'il l'avait mordu, et soudain, il réalisa son erreur.
Avec les idées à nouveau claires, les remords se mirent à l'envahir. Zoro ignora le hurlement de rage de la bête pour s'empresser de l'enfermer à double tour dans l'ombre où elle résidait. Il avait largement dépassé les bornes, croyant de manière illusoire que c'était ce qu'Hiyori souhaitait de lui. Malheureusement, la lueur de panique qui dilatait ses pupilles était suffisamment parlante, et même si elle avait donné le ton de leur échange dès le début, elle n'était clairement pas à l'aise.
Tout doucement, Zoro libéra ses poignets et une de ses mains vint se poser sur la joue de la jeune femme. Hiyori ferma les paupières comme par crainte et le geste lui fit l'effet d'un coup de poing dans le ventre. D'une légère pression de son pouce au niveau de son menton, il lui intima de tourner la tête pour qu'elle le regarde. Il entrouvrit la bouche pour l'appeler mais son nom mourut sur ses lèvres lorsque les yeux de cette dernière s'ouvrirent enfin et se plongèrent dans le sien.
Son estomac se contracta. Ces deux grands orbes étaient comme une fenêtre donnant directement sur les sentiments de la jeune femme, complètement mis à nu. La crainte et la tristesse étaient prédominantes et Zoro détesta en être la cause, mais il y avait autre chose. Quelque chose de plus profond, un attachement véritable et sincère. De l'amour. Et là il comprit. Hiyori s'était forcée à aller à l'encontre de ce qu'elle voulait pour lui faire plaisir à lui, mais sa véritable nature avait surpassé ses attentes. Zoro voulut s'excuser pour s'être emporté mais une petite main vint couvrir ses lèvres. Le bretteur fronça les sourcils mais Hiyori lui sourit faiblement tout en caressant sa pommette où se terminait sa cicatrice.
A cet instant, Zoro aurait voulu pouvoir lui dire ce qu'il ressentait pour elle, il aurait aimé lui dire « je t'aime » pour la rassurer. Ça paraissait tellement simple, mais ces deux petits mots restèrent coincés au fond de sa gorge. A plusieurs reprises, l'occasion de lui dire c'était présentée, à chaque fois il sentait qu'il devait le faire, mais, comme à cet instant, cette petite phrase semblait peser une tonne sur sa langue, l'empêchant de se délier comme il le souhaiterait. Alors, le bretteur fit ce qu'il faisait toujours lorsqu'il n'arrivait pas à s'exprimer par la parole, il le démontrait par les gestes.
Il retira gentiment la main qui le tenait muet, laissant au passage un baiser papillon sur le bout de ses doigts qu'il enlaça avec les siens. Il plongea lentement sur la bouche de sa compagne et l'embrassa avec toute la tendresse dont il pouvait faire preuve. S'il ne pouvait s'excuser verbalement, il se ferait pardonner avec des gestes, pour lui témoigner toute l'affection qu'il éprouvait à son égard.
Cette nuit-là, ils firent l'amour, lentement et longuement, pour que chaque caresse, chaque ondulation, chaque étreinte, chaque baiser, chaque soupir, soient le reflet de ce qu'ils ressentaient l'un pour l'autre. Ils firent l'amour, et Zoro eut l'étrange impression qu'il s'agissait de la dernière fois que leur corps se mélangeaient.
…
Les gouttes de pluie ruisselaient sur lui. Elles se jetaient de leur hauteur pour venir le frapper par centaine et s'éclataient à la rencontre de son corps solide comme du roc. Elles s'insinuaient partout. Que ce soit dans ses cheveux qu'elles détrempaient, collant les mèches vertes à son crâne, ou bien le long de sa nuque, sur son torse dénudé, pour se faufiler insidieusement sous le tissu de son kimono serré à sa ceinture. Pas une parcelle de son corps n'était pas trempée, mais il devait passer outre.
Une gouttelette s'était même accrochée à ses cils et dansait dans son champ de vision pendant qu'il se concentrait sur son katana. Un pied en avant, les bras tendus devant lui et Enma tenue étroitement entre ses mains, Zoro se tenait droit, le regard rivé sur l'horizon. Il leva son arme au-dessus sa tête et effectua un enchaînement de katas avant de revenir en position. Il se figea à nouveau, inspira, puis expira, avant de recommencer la même succession de mouvements. A chaque geste net et précis, les trois boucles d'oreilles tintaient faiblement en se heurtant mais leur son cristallin perçait à peine avec les trépidations de l'averse.
La pluie battait son corps sans discontinuer mais il n'en n'avait que faire. Au mieux, cela l'aidait à garder un esprit clair et calme. Depuis combien de temps, il se trouvait là, à s'entraîner sur le bord de cette falaise ? Un bon moment pour sûr.
Le reste d'un tronc d'arbre, tranché en son milieu, subsistait seul, contre vents et marées, alors que ses racines pendaient nues, dans le vide, en bordure d'une falaise dont la forme n'avait rien de naturel. Ce lieu était un vestige du passé. L'endroit où Zoro avait tenu pour la première fois, Enma et où il avait senti sa puissance ainsi que sa dangerosité. Lors d'une de ses escapades hors de la Capitale, il était retombé par hasard sur ce coin, et le samouraï avait découvert le potentiel apaisant de ce lieu. Depuis, il y était revenu quelques fois pour méditer, ou s'entraîner lorsqu'il souhaitait être tranquille, ce qui s'avérait compliqué à la Capitale.
Deux jours s'étaient écoulés depuis ce dîner qu'il qualifiait « d'infernal ». On aurait pu croire à de l'histoire ancienne, mais point du tout. Des réminiscences de cette soirée le poursuivaient encore et toujours dès qu'il mettait le nez dehors où lorsqu'il croisait quelqu'un. La nouvelle du mariage de Nami avait vite fait le tour la ville, ainsi que de ses abords, et la jeune femme était une personne très appréciée de la population depuis les évènements d'il y a trois ans. De ce fait, beaucoup de gens s'étaient empressés de témoigner leur joie en venant l'accoster afin de lui en faire part. Comme s'il représentait encore un lien avec elle. Mais dans l'esprit de la plupart des gens, cela était bien le cas, Zoro et Nami étaient des nakamas, indissociables des membres des Chapeaux de Paille. En revanche, ce que beaucoup ignoraient, c'était qu'à chaque fois qu'il entendait : « félicitations pour Nami ! », « Cela doit vous ravir ! », « Vous devez être très heureux pour elle ! », « Quel chanceux ce Prince ! », « Vous allez assister au mariage ? », « Est-ce que Luffytaro sera présent ? » …, son sang se mettait à bouillir et la sensation d'étouffer lui comprimait la poitrine. A chaque fois, il luttait pour ne pas s'emporter et renvoyer paître la personne complètement inconsciente de la réalité. Dans ces moments-là, Zoro ravalait son cynisme et se murait dans le silence.
La célébrité et le renom, voilà ce qu'il avait cherché pendant des années, mais sans se douter de la part de vice qu'il y avait derrière cela. Et aujourd'hui, il aurait donné cher pour qu'on l'oublie et qu'on ne fasse plus le lien entre la navigatrice et lui. La sorcière allait épouser un crétin… et alors ? La belle affaire !
La lame siffla, fendant l'air d'une vivacité quasi surnaturelle et d'une précision létale.
Nami allait se marier…
Swif*
Qu'est-ce qu'il en avait à foutre, franchement ?! Et s'il ne voulait pas y assister, c'était bien son droit, non ?! Pourquoi Momo et les fourreaux rouge continuaient à l'emmerder avec ça ?! Presque un par un, ils avaient tenté de savoir les raisons de son refus de participer à la cérémonie pour se heurter à un mur, et chacun avait essayé de le convaincre de changer d'avis. Sans succès. Puis Zoro s'était très vite lassé de leur intérêt compatissant et avait finalement décidé de battre en retraite en quittant la Capitale pour son coin de tranquillité.
Swif* swif*
Son corps effectuait les katas avec une rapidité et une fluidité instinctive, faisant chanter l'acier de sa lame alors qu'elle fendait l'air et scindait en deux les malheureuses gouttes d'eau qui avaient la malchance de tomber à ce moment-là. La présence de Wado Ichimonji entre ses mains avait quelque chose d'apaisant, la seule chose qui ait été constante dans sa vie et qui ne l'avait jamais laissé tomber ou bien trahi. Zoro avait honoré sa promesse, faite bien des années de cela, envers Kuina. Il s'était fait un nom à travers le monde entier et désormais, toute personne qui le mentionnait, l'associait immédiatement à son titre de meilleur épéiste. Cependant, avec l'accomplissement de son objectif, il aurait pu rendre la lame à sa propriétaire, mais Wado continuait de l'accompagner, où qu'il aille et quoi qu'il fasse. C'était sa constance.
Swach*
L'eau ruisselait sur la lame d'un noir d'encre, pour venir s'écraser contre la garde à la soie blanche. A force de pratique, le haki avait fini par s'infuser complètement dans l'acier pour la teinter définitivement, comme ses deux autres sabres, et Shusui avant eux. Zoro était fier du travail accompli, ses armes avaient progressé avec lui et grâce à lui.
Clop-clop
Un rythme étranger vint perturber le chant cadencé de la pluie martelant les feuilles et le sol, et lui fit dresser l'oreille. Quelqu'un, ou quelque chose s'approchait dans son dos, et c'était gros. Ses sens se mirent en alerte tandis qu'il poursuivait son entraînement calmement. Toutefois, au fur et à mesure que ça approchait, Zoro ne détecta aucune menace ni agressivité. Mais même sans cela, il sentit l'agacement poindre.
Était-ce trop demandé que de le laisser tranquille juste une demi-journée ?
Comme s'il avait perçu sa remarque silencieuse, l'animal s'arrêta à bonne distance, juste à l'orée du bois, mais celui-ci n'était pas seul, et la personne qui l'accompagnait descendit de son dos. Des pas plus légers s'approchèrent et au son des clip-clop, Zoro reconnut instantanément l'identité de cette personne et son exaspération s'évapora. Enfin presque.
Le clip-clop humide se stoppa soudainement à deux mètres de lui et le chant rythmé de l'eau reprit ses droits. Sa lame continua de siffler sous l'impulsion de ses bras. Ses muscles se tendaient et les veines ressortaient, gonflées à l'extrême sous sa peau pour fournir le maximum de sang dont son corps avait besoin. Il avait conscience de son regard posé sur lui, il pouvait le sentir aussi bien que s'il creusait la chair de son dos, et il éprouva une très légère pointe de culpabilité à l'idée de la faire poireauter sous une trombe d'eau. En même temps, il ne lui avait pas demandé de venir. La rigueur était la base de son art, et exécuter son entraînement dans son entièreté était l'illustration de sa dévotion.
Son enchaînement terminé, Zoro remit soigneusement Wado dans son fourreau pour enfin se retourner vers la personne qui l'attendait patiemment. Il ne vit pas son regard, caché par le bord du parapluie qu'elle tenait entre ses mains blanches, presque translucide à cause du froid. Mais elle ne tremblait pas. Le bas de son kimono rose était souillé de boue tout comme l'étaient ses getas. Dessous le parapluie, il pouvait quand même discerner ses longs cheveux azur ainsi que le bas de son visage et ses lèvres carmin.
Un ange passa entre eux, puis elle fit un pas vers lui et tendit le parapluie pour le monter au-dessus de sa tête. Le tambourinement de l'eau sur son crâne cessa aussitôt et il put enfin être témoin de l'expression soucieuse, quoiqu'un peu distante, de sa douce.
- Tu vas prendre froid, déclara-t-elle faiblement du bout des lèvres, sans conviction.
C'était une excuse pour briser le silence, pour justifier sa présence par ce temps exécrable, et même s'il savait qu'Hiyori se souciait de son bien-être, elle avait parfaitement conscience que ce n'était pas cette petite bruine qui le mettrait K.O. Alors il devait y avoir une autre raison pour qu'elle ait fait le déplacement depuis le palais jusqu'ici, sur le dos de Komachiyo. Ce dernier n'avait pas bougé et restait assis à la lisière du bois, les oreilles basses et la tête rentrée dans les épaules. On dirait que le chien-lion ne supportait pas très bien la pluie ou d'avoir la fourrure imbibée. Pour une fois, O-Tama ne l'accompagnait pas. Étrange.
Zoro s'empara du manche du parapluie et déposséda sa compagne de celui-ci pour les abriter tous les deux. Hiyori baissa aussitôt les yeux et serra l'encolure de son kimono entre ses mains tremblantes.
- Nous devrions rentrer, tu es tout trempé.
Quoiqu'il advienne, la jeune femme veillait toujours sur lui, et prenait son rôle très au sérieux. Comme une bonne épouse. Enfin c'est ce qu'il imagina, et cette pensée le fit culpabiliser un peu plus. Tout le monde attendait impatiemment l'annonce de leurs fiançailles, qu'il fasse sa demande à la belle souveraine de ce pays, alors il n'osait imaginer ce que la principale concernée devait ressentir à ce sujet. Surtout après l'annonce du mariage de son ancienne nakama mais aussi après la réaction qu'il avait eue.
Il ne devait pas négliger les efforts d'Hiyori. C'est pourquoi, Zoro la suivit silencieusement vers Komachiyo, décidant que son caprice avait assez duré, qu'il était temps de faire face à la réalité et de se comporter en homme. Le retour vers la Capitale des fleurs fut aussi silencieux que malaisant. Hiyori ne lui adressa pas même une œillade, comme perdue dans ses pensées, et bien qu'il trouvât cela étrange, il préféra se murer dans le mutisme car incapable de trouver les mots adéquats. De toute façon, il avait toute la route jusqu'au palais pour y réfléchir.
…
La douceur molletonnée enveloppa son visage et le tissu absorba l'excès d'eau dans ses cheveux. Encore plongé dans l'obscurité éphémère que lui prodiguait sa serviette, Zoro poussa le battant du shoji qui séparait la salle de bain du couloir et s'engagea dans celui-ci avec l'objectif de regagner ses quartiers. Même s'il ne craignait pas le froid, après tout ce temps passé sous la pluie, un bon bain chaud s'était avéré agréable. Il déambulait avec juste une serviette blanche nouée autour de la taille, et une autre sur l'épaule. C'était une habitude qu'il avait prise sur le Sunny, mais qui avait tendance à revenir quelques fois, et le mettait par moment dans des situations délicates. Le palais grouillait de personnes au service du Shogun, et il n'était pas rare de croiser des samouraïs, des conseillers, des hommes d'affaires… mais aussi des femmes. Plus d'une fois, Zoro avait été témoin de leur gêne, les joues rouges, se cachant les yeux de leur éventail ou bien de leurs mains, et s'était même vu affublé du titre « pervers » (inutile de préciser que ça l'avait grandement mis en rogne).
Or aujourd'hui, les couloirs étaient déserts. Outre que ce fait lui paraissait une nouvelle fois étrange, il n'allait certainement pas s'en plaindre !
Après un nombre incalculable de détours, à arpenter longuement le dédale que formait les coursives du palais, Zoro arriva enfin devant la porte de la chambre qu'il partageait avec Hiyori. La main sur le montant de la porte, le ronin marqua un temps d'hésitation. Rien de probant n'était sorti de son esprit simpliste, et en cet instant, il se sentait plutôt démuni.
De toute façon, planifier ce n'était pas son fort, il préférait l'improvisation.
Le shoji s'ouvrit doucement, glissant sans bruit sur les glissières en bois, et laissa entrevoir une pièce vide. Tiens ? Pourtant Zoro sentait la présence d'Hiyori non loin. Il s'avança vers la penderie, adressa un coup d'œil à ses trois sabres qui reposaient superposés sur leur promontoire (tout allait bien, ils n'avaient pas bougé), puis un son lui fit dresser l'oreille. Le chuintement de la pluie se faisait plus intense que d'habitude et un léger courant d'air frais s'engouffra dans la chambre. Le bretteur suivit l'origine de ce bruit et découvrit que la porte qui donnait sur une pièce voisine était entrouverte. Il s'habilla rapidement, revêtant une nouvelle fois le symbole de la famille Kozuki qui drapait presque chacun de ses kimonos, et s'aventura dans la pièce à côté. Celle-ci avait la particularité de donner directement sur le jardin intérieur. Par expérience, il avait appris qu'Hiyori appréciait de jouer du shamisen en le contemplant depuis le perron, avec O-Toko à ses côtés.
Toutefois, lorsque Zoro la repéra dans l'encadrement, assise les jambes repliées sous elle, il constata qu'elle était seule, et que son instrument était rangé à sa place. La jeune femme était de dos, immobile, et il nota avec un certain étonnement, les chaussettes encore souillées de boue, tout comme le bas de son kimono. Ce n'était pas le genre de l'ancienne courtisane de faire preuve de négligence. Alors quand il fit un pas vers elle, le ronin sut que quelque chose clochait. Hiyori ne bougea pas d'un poil, renforçant son mauvais pressentiment.
La fraîcheur avait envahi la pièce alors que les deux grands shoji étaient rabattus à leur maximum, comme lors des jours ensoleillés. La pluie continuait de tomber, drue, sur le jardin où les quelques érables aux feuilles épanouies, qui pliaient sous les multiples impacts. Zoro s'avança à sa hauteur et s'assit à côté d'elle, dans la même position, genoux pliés et les talons sous les fesses. Son regard embrassa la cour intérieure, travaillée avec une telle précision que l'on aurait dit une œuvre d'art à part entière, afin que se dégage une sensation apaisante dès le premier coup d'œil. Une parfaite harmonie entre les formes et les couleurs, entre la verdure, le ton gris froid de la roche, et la clarté de l'eau. Et au centre, se dressait une glycine, probablement centenaire, dont les longues grappes florales qui pendaient de ses ramifications, donnaient l'illusion d'une pluie violine figée dans le temps.
- Je me souviens, quand j'étais enfant, il y avait une allée entière de glycines pour accéder au jardin du château. J'adorais me promener et courir dessous. J'avais l'impression de passer dans un autre monde, un monde féerique.
La voix douce, chargée de mélancolie, conjura le silence, mais il percevait un faible sourire au travers de ce souvenir heureux.
- Ma mère aimait beaucoup se balader dans le jardin. Il n'était certes pas aussi grand que celui-ci, mais il avait un charme réconfortant, et on pouvait passer des heures à jouer dehors, mon frère et moi, en attendant le retour de notre père.
Son timbre s'était assombri à l'évocation de son paternel, et un long silence lourd de nostalgie succéda sa déclaration. Hiyori avait fait le deuil de ses parents depuis plus longtemps que son frère, mais elle partageait rarement les quelques souvenirs qu'il lui restait. En tout cas, depuis qu'ils étaient ensemble, elle ne lui en avait jamais parlé.
- Par moment, on s'asseyait au pied de l'arbre, je posais ma tête sur ses genoux et elle me caressait délicatement les cheveux.
Zoro tourna la tête pour l'observer. Ses grands yeux bleus miroitaient comme la surface de l'océan et un fin sourire flottait sur ses lèvres tandis qu'elle fixait le jardin devant eux, mais il pouvait dire sans mal que son regard était parti plus loin, sur un paysage perdu dans le passé avec des personnes qu'il n'avait jamais rencontrées.
- Un jour, elle m'a raconté comment mon père et elle s'étaient rencontrés… Elle se faisait agresser par des pirates sur une plage, quand un être difforme, gonflé comme un fugu, est sorti de l'océan, et les a mis en déroute avant de s'écrouler au sol. Ma mère était terrifiée par cette chose, mais lorsqu'il s'est mis à parler, elle a compris qu'il s'agissait d'un homme et que celui-ci s'était interposé pour la secourir. Malgré son physique peu conventionnel, elle a tout de suite été impressionnée par lui, et elle l'a aidé à se rétablir, le temps que son équipage le retrouve, et qu'il retrouve une forme normale. Elle m'a avoué qu'à cet instant, où leurs yeux se sont croisés, elle a ressenti quelque chose de très fort, comme si son destin était lié à cet homme dont elle ignorait tout. C'est pour cela qu'elle a tenu à l'accompagner dans son périple. Je me souviendrais toujours de ce qu'elle me disait : « c'est à ce moment-là que mon cœur à su qu'il était l'homme de ma vie ». Un amour né au premier regard…
Hiyori marqua une pause alors que la tristesse nappait ses derniers mots. Dans son récit, Zoro y vit une certaine familiarité avec leur rencontre. Lui aussi s'était interposé pour la sauver d'un tordu qui voulait attenter à sa vie. Tordu qui finalement, s'était avéré être le second de l'équipage de Kidd avec lequel il avait formé une alliance temporaire.
- Pour mon père, ce fut un peu plus long. Son amour des femmes était connu de tous et avait forgé sa réputation, alors qu'il vienne au secours de ma mère n'avait rien eu d'étonnant. En plus de cela, mère était une très belle femme, et bien qu'il soit attiré physiquement par elle, ce n'est que beaucoup plus tard, après que de nombreuses épreuves les aient rapprochés, qu'il comprit qu'il était tombé amoureux d'elle. Ma mère m'a expliqué que parfois, le cœur peut tomber amoureux, mais l'esprit ne le réalise pas ou choisit de ne pas l'écouter. Cela peut prendre du temps, mais le cœur finit toujours par se faire entendre, d'une manière ou d'une autre.
Pourquoi avait-il la désagréable sensation que ce qu'elle racontait n'était pas une histoire choisie au hasard ? Ce n'était pas uniquement thérapeutique. Mais qu'est-ce qu'il devait comprendre au travers de cela ? Zoro chercha à capter son regard pour y trouver un indice, une quelconque piste, mais la jeune femme gardait les yeux obstinément rivés sur le jardin. Cependant il ne loupa pas leur éclat, cette brillance avec laquelle ils miroitaient lorsqu'elle était triste.
- J'ai ressenti cela quand je t'ai rencontré. Ce lien invisible qui lie le destin de deux personnes. J'ai eu ce « coup de foudre » pour toi. J'ai su que j'étais tombée amoureuse de toi lorsqu'on était dans cette maison à Ringo et que tu étais l'homme de ma vie. Ce sentiment n'a fait que se confirmer par la suite et lorsque vous êtes repartis. Je ne savais pas si je te reverrais, mais je n'ai cessé d'espérer. Et puis tu es finalement revenu, tu es venu à moi et tu es resté pour moi. Je ne pouvais pas être plus heureuse. Je le suis toujours…
Ses deux prunelles cobalt se plongèrent enfin dans la sienne et elle lui offrit un sourire fragile. Il y avait une vraie sincérité dans celui-ci, mais quelque chose la rongeait secrètement. Son sourire se fana et le contact visuel fut rompu.
- Cependant, il y a une question que je ne cesse de me poser… Est-ce que toi, tu es heureux ? Est-ce que je te rends heureux ?
Zoro resta interdit pendant quelques instants, le temps que la signification de ses mots infuse dans son esprit troublé. Était-il heureux ? Ça n'avait jamais réellement été une priorité pour lui et il ne s'était jamais vraiment posé la question.
Une phrase sortie de nulle part, tirée d'un vieux souvenir qui restait coincé sous les décombres de son passé, fit irruption dans son esprit : « Rien de tout ceci ne t'apportera le bonheur. »
D'où est-ce qu'elle provenait ? Il était incapable de remettre un nom sur cette voix ni dans quelle circonstance un tel avertissement avait été proféré. Cependant, il la chassa rapidement et la renvoya dans les confins de son esprit.
Zoro était un homme de peu de chose. Donnez-lui de l'alcool, à manger, de quoi dormir, et de temps en temps un bon combat, pour que cela suffise amplement. Le bonheur, c'était surfait. Et Les relations amoureuses, du superflu qui vous embrouillait l'esprit, mais il appréciait celle qu'il partageait avec Hiyori.
Cependant, était-il heureux pour autant ?
Certes sa vie aujourd'hui n'avait rien à voir avec celle beaucoup plus trépidante qu'il avait mené sur le Thousand Sunny, et il n'éprouvait pas les mêmes sensations ni les mêmes sentiments. Pour autant, il ne se considérait pas comme malheureux. Toutes ces questions l'agaçaient ! Pourquoi était-ce si compliqué ?! Il détestait se torturer l'esprit avec ce genre de futilités.
- Je suppose que oui, finit-il par répondre un peu las. Pourquoi tu me poses soudainement toutes ces questions ?
- Tu ne m'as jamais dit que tu m'aimais…, avoua Hiyori presque à regret.
Alors c'était ça. Voilà le moment fatidique qu'il redoutait le plus. Zoro savait que son manque d'élocution à ce sujet allait le pénaliser, et il ne s'était pas trompé.
- Je sais que tu tiens beaucoup à moi. Je le vois à travers les efforts que tu fais pour t'intégrer à cette vie qui est la mienne, mais…
- Mais ça ne te suffit pas, en conclut-t-il gravement. Je ne suis pas un homme de mots, mais plus d'action, et tu le sais…
- Je le sais parfaitement mais, j'ai aussi besoin de l'entendre Zoro, souffla tristement Hiyori.
L'ancien pirate des Chapeaux de Paille lutta intérieurement. Son esprit lui criait de satisfaire la jeune femme, de la rassurer en lui disant ces putains de mots dont elle avait tant besoin, mais une force invisible l'en empêchait, ce qui l'irritait au plus haut point.
- Je… J'ai essayé de te le dire à plusieurs reprises, confessa le jeune homme aux cheveux verts presque honteux de son incompétence.
- Mais tu n'y arrives pas…
Zoro tourna vivement la tête vers sa compagne. Comment faisait-elle pour savoir ce qui se tramait dans son esprit ?
- Parce que ton cœur sait que ces mots ne sont pas pour moi, expliqua-t-elle douloureusement.
- C'est ridicule ! interjeta Zoro. C'est juste que ce n'est pas mon truc de dire ce genre de choses ! J'ai l'impression de ressembler à l'autre imbécile de cuistot.
- Et le mariage ? Les enfants ?
- Comment ça ?
- Tu as déjà pensé à te marier avec moi ? à avoir des enfants ? nos enfants ?
Au mot « enfant », son cœur fit une embardée et la seule pensée qui lui traversa l'esprit c'est « je ne suis pas prêt ». Pour ce qui était du mariage, en peu de jours, ce mot était revenu (un peu trop) fréquemment dans les conversations. A croire que c'était dans l'esprit de tous comme une vieille rengaine. Et l'annonce de celui de Nami n'arrangeait rien. La pression sociale était de plus en plus grande et Hiyori devait également la ressentir, en plus d'attendre patiemment le jour où il ferait ce premier pas.
- Tu veux te marier ?
Il omit volontairement de faire mention des enfants, et il n'avait pas envie qu'Hiyori ne s'attarde trop sur le sujet, déjà que le reste était assez pénible comme cela.
- Non. Je te demande si tu y as déjà réfléchi ? Si l'idée de m'épouser t'as déjà traversé l'esprit ?
Zoro hésita. Il ne pouvait pas lui mentir, ne serait-ce que parce qu'il avait bien trop de respect pour elle, et que ce n'était pas dans sa nature de mentir. Cependant, il savait pertinemment que la réponse allait engendrer de lourdes conséquences, dont il aurait aimé se passer.
- La question m'a déjà été posée par les fourreaux rouges il y a quelques jours, alors l'idée de mariage ne m'est pas étrangère… Mais pour être honnête, non.
Un éclair de profonde déception mêlé à de la tristesse traversa ses grands yeux bleus. Hiyori baissa son regard sur ses mains qui trituraient nerveusement le tissu de son kimono.
- Non, parce que je ne vois pas ce que ça changerait. Je n'ai pas besoin d'un bout de papier ou d'une alliance au doigt pour tenir à toi et te jurer fidélité. Mais, si tu veux qu'on se marie…
- Non ! coupa-t-elle subitement. Ce n'est pas ce que je veux… enfin pas comme ça.
La jeune femme ferma les yeux et prit une profonde inspiration comme pour se donner du courage, pour atténuer les battements irréguliers de son cœur. Zoro lut sur son visage la difficulté que cela représentait pour elle de tenir cette conversation.
- Ce que je voudrais, c'est que tu en ais envie…
- Tu te poses cette question à cause de l'annonce du mariage de Nami ? Demanda Zoro.
Elle demeura silencieuse, jouant nerveusement avec le pan de son kimono.
- Cette maudite sorcière…, pesta-t-il entre ses dents. Écoute Hiyori, je tiens à toi… mais je ne veux pas avoir l'impression de précipiter les choses. J'ai peut-être besoin d'encore un peu de temps pour… pour… pour tout ça.
Il fit de son mieux pour paraître rassurant, même si c'était dit de façon un peu maladroite. Par expérience, il avait appris qu'il ne fallait pas fonder trop d'espoir au début d'une relation amoureuse, aux risques de vite déchanter. Toutefois, la jeune femme ne parut pas plus convaincue par sa déclaration, et il ne pouvait pas la blâmer.
- Mais j'y verrais sans doute plus clair quand je deviendrais officiellement un samouraï du clan Kozuki…
- Tu n'es pas un samouraï, Zoro.
Elle avait prononcé cela d'une voix à peine audible et chargée de remords. Le bretteur, interloqué, tourna vivement la tête dans sa direction. La ligne entre ses sourcils se creusa alors qu'ils se froncèrent dans une expression méfiante.
- Enfin, bien sûr que si, tu es un samouraï, et un des plus nobles, s'empressa d'ajouter Hiyori, mais… Ce n'est pas ce que tu es au fond. Tu es un pirate.
- Devenir pirate n'était qu'un moyen pour atteindre le but que je m'étais fixé, et je ne le suis plus depuis que Luffy a dissous l'équipage.
- Vraiment ? Moi je crois que c'était ancré en toi depuis le début. La vie de pirate était ce qui te convenait le mieux. Être libre de faire ce qui te plait, n'avoir de compte à rendre à personne, faire face aux éléments déchaînés pour découvrir de nouveaux horizons et affronter de nouveaux ennemis, dans une quête d'aventure perpétuelle. Ne me dis pas que cela ne te manque pas…
Le silence qui suivit, marqua implicitement son accord.
- La vie de samouraï me convient très bien comme elle est.
- Vraiment ? Rien que le fait que tu m'ais demandé de partir à l'aventure avec toi, me prouve le contraire.
Touché. C'était tout de même un coup bas de sa part, car il avait dit cela pour elle, pour eux… Il savait qu'il aurait mieux fait de la fermer. Le doux visage d'Hiyori s'assombrit soudainement.
- Pourquoi l'idée que Nami, ta nakama, se marie te dérange autant ?
Pourquoi elle revenait encore là-dessus ?! Jamais il n'avait autant maudit quelque chose que ce fichu mariage. Pourquoi ça le dérangeait ?
- Ça ne me contrarie pas. Je me fiche qu'elle se marie, cette sorcière.
- Tu as été dangereusement sur les nerfs ces deux derniers jours, et tu as fini par t'exiler près de cette falaise où je sais que tu te rends lorsque tu es soucieux. Même maintenant, tu es sur la défensive.
Il l'avait déjà dit, mais elle le connaissait beaucoup trop bien. Malheureusement il semblerait que plus elle le connaissait, et plus elle en souffrait. Et désormais, cela leur portait préjudice à tous les deux.
- Je ne comprends pas qu'on en fasse toute une histoire. Aucun de vous ne la connaît aussi bien que moi, et ce mariage à tout l'air d'être une fumisterie. Elle va épouser un abruti endimanché qu'elle connait à peine ! Il y a fort à parier que ce qui l'intéresse réellement c'est le trésor qui se trouve sous les fesses de ce prince ! Tu ne sais pas à quel point cette sorcière peut être cupide !
Oui il était sur la défensive, il était même énervé ! Mais tout cela commençait sérieusement à le gonfler. Pourquoi personne n'ouvrait les yeux ?! Face à sa soudaine véhémence, Hiyori baissa les yeux sur ses genoux avant de les relever pour se replonger dans la contemplation du jardin.
- N'as-tu pas simplement envisagé qu'ils puissent être réellement amoureux l'un de l'autre, et qu'ils officialisent cela ?
Le ruissellement incessant de l'eau sur les tuiles, et le vrombissement de la pluie se firent assourdissant.
- Mais peut-être que c'est cette possibilité qui te dérange le plus…
L'intonation de la voix de la jeune femme mourut à la fin de sa phrase, comme si elle-même, avait peur de ce qu'elle énonçait, peur que les mots prennent subitement vie.
- Ne dis pas n'importe quoi.
- Zoro… Je sais pour elle et toi.
Le glas sonna à nouveau dans son esprit. Alors celle-là, il ne l'avait pas vu venir, bien qu'il aurait probablement dû. On ne pouvait pas dire que son comportement lors du repas fut irréprochable et sans ambiguïté. Se sachant en tort, Zoro détourna le regard pour se concentrer sur le rideau de pluie. Ses mâchoires s'étaient contractées d'elles-mêmes à cette évocation.
- Personne ne me l'a dit, je l'ai juste deviné, mais j'ai quand même voulu m'accrocher à toi.
- Hiyori…, souffla-t-il en passant une main dans ses courts cheveux verts. Je ne te l'ai pas dit car pour moi, il n'y avait pas de raison. Ce n'était rien de sérieux et ça n'a duré que deux ou trois mois. C'était stupide et ça ne signifiait rien, pour elle, comme pour moi.
- Tu es sûr ? J'ai vu ton regard quand tu as lu la lettre… J'ai vu le même dans celui de Nami lorsque nous nous sommes quittés sur cette plage il y a trois ans. Je n'avais pas compris ce qu'il signifiait, jusqu'à il y a deux jours. Je me souviens quand tu es revenu, tu étais brisé. J'ai vu la souffrance et les blessures que tu cachais derrière ton agressivité et ta froideur. Au fond de moi, j'ai su qu'une femme était responsable de ceci, qu'elle t'avait fait du mal, et je l'ai détesté sans connaitre son identité. Et aujourd'hui je sais.
Il eut envie de démentir, de lui dire que c'était totalement faux, qu'il n'était pas brisé, mais l'aveu inattendu de la jeune femme le laissa coi. A aucun moment, Zoro n'avait soupçonné sa compagne d'un tel ressentiment envers sa nakama.
- J'ai bien conscience que c'est mal, car elle a fait énormément pour notre pays. Mais c'est plus fort que moi, je lui en veux terriblement. Car même après ce qu'elle t'a fait subir, elle garde une place dans ton cœur, que je ne peux combler.
- C'est… ce n'est pas…
- Je veux être la seule femme dans la vie d'un homme, Zoro. Je ne veux pas devenir un regret avec le temps. Lorsque j'étais une oiran, j'ai suffisamment vu cela pour…
- Je ne serais pas comme ça ! la coupa Zoro.
La conversation prenait un tournant qu'il n'appréciait guère.
- Tu sais parfaitement que je te jurerais fidélité et que je ferais tout pour te soutenir !
- Mais est-ce que c'est ce que tu désires au fond de toi ?
- Je… je…
La question fatidique lui cloua le bec. Il mourrait d'envie de lui répondre par l'affirmative mais la vérité était qu'il n'en savait rien, et il ne pouvait mentir délibérément. Pas à elle, pas Hiyori.
- Alors que veux-tu faire ? Demanda-t-il doucement, comme vaincu.
- Je t'aime…
Étrange. Ces mots, qui en général, étaient censés évoquer de la joie et une forme de sérénité, lui firent mal. Très mal. L'intonation avec laquelle Hiyori venait de les prononcer, y était pour beaucoup. Ils résonnaient plutôt comme une prophétie funeste, comme un regret, et il sut que la suite n'allait pas être resplendissante.
- Je ne veux pas qu'on se sépare, car je te considère toujours comme l'homme de ma vie… mais je ne veux pas non plus passer le reste de ma vie à me demander si j'étais bien celle que tu attendais… tandis que toi-même, tu ne sais pas ce que souhaite au fond.
Elle redressa la tête et prit une profonde inspiration.
- Peut-être devrais-tu repartir à l'aventure, comme tu me l'avais proposé, juste pour quelque temps… Ce serait un peu comme une pause dans notre histoire.
- Tu me demandes de partir ? Répéta-t-il surpris.
Zoro accusa le coup. Qu'est-ce que cela signifiait « faire une pause » ? Elle ne voulait pas se séparer de lui mais elle ne souhaitait pas qu'il reste non plus ?
- Oui, peut-être quelque temps, afin de voir si la distance révèle un manque, si tes sentiments pour moi s'éclaircissent…
L'explication le rendit dubitatif et l'agaça quelque peu. Ça n'avait pas de sens !
- Mais je t'attendrais ! Il faut voir cela comme une épreuve à surmonter pour que nous puissions être heureux ensemble.
Le sourire rassurant qu'elle lui adressa, était forcé, il le savait. Elle souffrait intérieurement, et c'était de sa faute à lui. Cette décision était une tentative absurde de compromis. Sans doute en avait-elle conscience, mais Hiyori luttait pour eux, parce qu'elle voulait y croire, et c'était douloureux à voir. Il ne souhaitait pas lui faire de la peine, mais il ne croyait pas une minute en cette solution. Tout ce qu'il retenait, c'était qu'elle lui avait demandé de partir car elle estimait que quelque chose n'allait pas dans leur relation. Et il refusait qu'elle l'attende indéfiniment. Depuis le début, il ne faisait que la blesser, bien que cela ne soit qu'inconsciemment. Tout ce qu'elle venait de lui avouer mettait en lumière ses piètres compétences en tant que petit-ami. Hiyori attendait depuis longtemps quelque chose qu'il n'était même pas sûr de pouvoir lui accorder un jour, et il n'était pas juste de la garder dans cette incertitude perpétuelle. Zoro en avait conscience maintenant.
- Hiyori, commença sombrement Zoro. Si je pars, je ne reviendrais pas. Tout simplement parce que je refuse que tu m'attendes.
Ses petites mains se recroquevillèrent sur ses genoux, emprisonnant le tissu du kimono dans une poigne étriquée. Il observa le cœur lourd, les grands yeux sarcels s'emplirent de larmes alors que la douleur étincelait à travers eux. Cependant, la jeune femme lutta pour ne pas s'effondrer.
- Alors reste, et dis-moi que tu m'aimes, supplia-t-elle d'une petite voix étouffée par le désespoir.
Une ombre voila le visage du samouraï. Dehors, la pluie semblait avoir redoublé d'intensité. Les dés étaient jetés.
- Je… je… Je suis sincèrement désolé Hiyori.
La jeune femme baissa la tête et ses épaules se mirent à frémir. Cette vision lui tordit les tripes et le poids de la culpabilité s'abattit sur lui. Tout cela à cause de trois petits mots de rien du tout. Ces trois petits mots qu'il n'arrivait même pas à formuler dans sa tête. Ils allaient avoir raison de sa relation avec Hiyori. Non, ce n'était pas ces mots le problème, c'était lui. Bien sûr qu'il ferait tout pour elle, bien sûr qu'il serait d'une fidélité sans faille… mais il était incapable de lui promettre qu'un jour, ces mots sortiraient de sa bouche. Alors à quoi bon la torturer ?
Zoro se leva lentement et se pencha vers elle.
- Tu mérites quelqu'un qui saura te le dire sans retenue, souffla-t-il doucement. Mais je ne suis pas sûr d'être cette personne. Alors, ne m'attends pas.
Sa voix s'érailla sur la fin de sa phrase. Ce n'était pas facile à dire, et ces mots lui donnaient l'impression de vomir, mais il devait le faire. Zoro déposa un léger baiser sur le haut du crâne d'Hiyori, avant de se détourner pour quitter la pièce. Au moment où le shoji se referma derrière lui, il entendit très clairement le bruit d'un sanglot.
…
Les trois pendentifs brillaient dans leur écrin noir laissé ouvert. Ce dernier reposait sur le kimono d'apparat, qu'il portait habituellement, plié sur le futon. Zoro avait récupéré le peu d'effets personnels qu'il possédait avant de séjourner sur Wano Kuni et qui trainaient dans un sac en toile. Dedans se trouvaient de vieux habits de vagabonds, dont une vieille cape, et enchevêtrés sous les couches de tissu, ses doigts étaient tombés sur un boîtier. C'est là qu'il se souvint que cette chose était encore en sa possession et il éprouva du remord. C'était ce qu'Hiyori désirait et espérait tant de lui, mais elle n'avait jamais été pour elle, et elle ne le serait jamais, car pour toujours liée à une autre femme. C'était sans doute cela qui l'empêchait de construire un avenir à deux. C'était son fardeau, sa malédiction, il fallait qu'il l'accepte.
Avec ses trois sabres à sa ceinture, Zoro réajusta la bandoulière de son sac sur épaule, lança un dernier regard à la chambre qu'il avait partagé avec Hiyori, ainsi que ses souvenirs, puis quitta les lieux sans se retourner alors que la pluie battait dans son dos.
A suivre…
Mon dieu ! ce chapitre est enfin fini ! J'ai cru que je n'y arriverais jamais, j'ai tellement galéré pour écrire leur rupture ! Une de plus, ouais ! *ironie* Pauvre Zoro (je sais je me répète ^^') il est tellement malmené…
Ca n'a pas été simple non plus d'écrire sur ce couple Hiyori x Zoro (c'est hors zone de confort pour moi ^^') et je ne voulais pas qu'elle ait un mauvais rôle dans cette histoire. Il fallait que sa présence soit importante, pour Zoro, mais sans prendre la place de Nami (pas facile). Et tout ça, sans le faire passer pour un salaud. Alors, j'ignore si j'ai réussi à vous le retranscrire correctement, mais ça, c'est à vous d'en juger. J'espère sincèrement que cette suite vous aura plu.
Si vous voulez être averti des prochaines publications, rdv sur ma page de profil. En attendant, je vous dis à bientôt pour le chapitre 7 !
