Chapitre 05 : ca 650 BC Awakening

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Quelque part entre l'an 700 et 600 av. J.-C.

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Il y a fort longtemps, avant même que son nom ne devienne légende et bien avant qu'on ne se rappelle de lui comme d'un vieil homme sage au terrible sens de l'humour, le plus grand sorcier de son temps, Moridunon Ambreys - qu'on appela plus tard « Merlin » - n'était qu'un simple vagabond.

Lorsqu'il était jeune, à peine suffisamment âgé pour quitter le nid, l'homme aux cheveux de jais était parti explorer le monde. Une année après l'autre, il l'avait parcouru de part en part, sans garder de contact ni avec sa famille ni avec ses amis.

Mais comme toutes choses, l'envie de voyager et de voir de nouvelles choses s'était doucement évanouie avec le temps.

En fin de compte, Moridunon aux yeux d'or était retourné aux Îles qu'il avait considérées comme son chez lui durant ses plus jeunes années.

Il était arrivé par le nord sur l'île de Clas Moridun'n, et de là, il avait pris la direction du sud vers Kaerlud - un village qui ferait partie de la ville connue sous le nom de Londinium plusieurs centaines d'années plus tard.

Épuisé par son errance, Moridunon s'était installé dans une petite clairière pour la nuit. Ce fut celle où tout changea pour lui.

L'homme qui n'avait pas l'air d'avoir plus d'une trentaine d'années - il était en vérité bien plus âgé, mais tel était le destin des enfants comme lui - venait tout juste de se restaurer et s'apprêtait à s'endormir. Sa longue chevelure noire était bien nouée par un court lacet de cuir et ses yeux dorés étaient déjà à moitié clos lorsque la sainte Destinée sembla décider que sa vie n'était pas suffisamment palpitante.

Aussi, au lieu de laisser Moridunon profiter d'un repos bien mérité, la Destinée le réveilla avant même qu'il n'ait pu rencontrer Morphée à l'aide d'une lumière blanche éblouissante et d'un bruit sourd.

L'espace d'un instant, toute la clairière fut illuminée, aussi claire qu'un millier de soleils, puis, une silhouette apparue au milieu du chaos et tout redevint pénombre.

La silhouette face contre terre en question était petite en comparaison de celle de l'homme, et c'est ce qui mena Moridunon à envisager durant quelques secondes qu'il puisse s'agir d'une femme. Puis, l'étranger grogna et Moridunon revint sur sa première observation.

Un garçon.

L'étranger était un garçon.

De quatorze ou quinze ans tout au plus.

Moridunon le dévisagea.

Oh, il savait que si le garçon en face de lui avait été un Sans-Magie, il serait déjà considéré comme un homme. Néanmoins, celui-ci était magiquement actif - ce qui le rendait mineur et en besoin d'un tuteur.

Les enfants dotés de pouvoirs devaient s'appuyer sur leurs parents jusqu'à avoir atteint la vingtaine, peut-être même jusqu'à vingt-trois ans, car avant cela, la magie de l'enfant n'avait pas suffisamment mûri pour le protéger sans l'assistance de ses parents. Se retrouver seul avant de les avoir atteints était non seulement dangereux pour l'enfant, mais aussi pour tous ceux qui entraient en contact avec la magie brute de l'enfant en question.

Il y avait quelques exceptions : des enfants ayant suivi un entraînement et qui l'avaient achevé avec un peu d'avance. Une fois complété, cet exercice assurait que les enfants puissent stabiliser leur magie et donc, qu'ils puissent vivre en l'absence d'un tuteur.

Mais de tels enfants ne passaient pas inaperçus chez les druides - une magie formée était toujours plus contenue que lorsqu'elle ne l'était pas - et cet enfant avait l'air d'être loin d'avoir terminé son éducation en la matière.

Sachant à présent que le garçon était novice et qu'il n'avait pas l'âge requis pour se retrouver seul, Moridunon l'examina de plus près. Ses cheveux étaient noirs d'encre et coupés court, mais d'une étrange manière. Quant à ses vêtements, il n'avait jamais rien vu de plus étrange. C'était bien la première fois qu'il voyait une coupe pareille. Sa tunique était bien trop courte et son dessous était… eh bien, sa couleur bleue et sa matière était de celle qu'il n'avait jamais vue ni à Clas Moridun'n ni dans toutes les régions qu'il avait pu visiter… La manière dont le tissu était coupé lui était également inconnue et le tout semblait tenir sans ceinture aucune.

En y regardant de plus près, il constata que ses habits ne paraissaient pas du tout ajustés à sa taille : ils flottaient littéralement autour de son corps. La tunique était d'une couleur criarde comme Moridunon n'en avait jamais vu auparavant et le garçon ne portait sur lui ni peau ni fourrure comme Moridunon avait l'habitude d'en voir.

Il aurait pu croire le jeune garçon un fils de hauts dignitaires si ses habits avaient été à sa taille et moins troués. Présentement, le tout ne ressemblait à rien de plus qu'à des chiffons. Et pour un garçon tel que celui qui se trouvait devant lui…

Non, quelque chose ne tourne pas rond.

Quelque chose dans sa manière de se vêtir.

Quelque chose chez ce garçon.

Un simple détail dans toute cette affaire.

– Un jeune druide, devina Moridunon en fronçant les sourcils sous l'inquiétude qui le gagnait. Il ne doit pas être d'un âge assez avancé pour que sa magie soit arrivée à complète maturité. Un éclat de magie accidentelle doit l'avoir amené ici.

Pourtant, les druides étaient vénérés - tant les plus jeunes que leurs aînés - et peu importe comment Moridunon analysait la situation présente, les habits dont il se couvrait n'avaient rien d'approprié compte tenu du rang qu'il lui présumait.

Toutefois, cela ne l'empêcha en rien d'hésiter l'espace de quelques secondes.

Peu importait combien le garçon avait l'air innocent, tous les druides n'avaient pas bien tourné et il savait certains capables de faire perdre la tête aux plus jeunes jusqu'à ce qu'ils deviennent aussi malveillants qu'eux-mêmes l'étaient.

Moridunon en avait déjà croisé.

Moridunon en avait déjà combattu et il frissonnait encore de dégoût aux souvenirs de ces rencontres.

Pourtant, quelles qu'eussent pu être ces précédentes expériences en la matière, son désir d'aider son prochain le poussa à s'approcher du plus jeune pour l'examiner. Quoiqu'il en fut, ce n'était pas une raison pour oublier son bâton.

Le garçon était inconscient.

Du sang recouvrait tout une partie de son visage - une coupure qui avait fort saigné, certainement - et une fois Moridunon se fut accroupi à ses côtés, il le palpa pour rendre compte de son état général. Il soigna une légère commotion qui guérirait complètement d'ici un ou deux jours.

Comme s'il avait s'agit de la raison pour laquelle il était resté inconscient tout ce temps, le garçon poussa un léger grognement une fois qu'il l'eût guéri.

Ses paupières papillonnèrent.

– Réveillé, petit ? dit Moridunon et pour toute réponse, il reçut un nouveau grognement.

Lorsque les paupières du garçon s'ouvrirent pleinement, elles révélèrent une émeraude stupéfiante qui le foudroya sur place.

Vert.

Moridunon ne connaissait personne - de descendance magique ou ordinaire - possédant des yeux aussi verts que ceux du garçon… personne à une exception…

Malheureusement, cette exception rendait pire encore la situation de solitude dans laquelle se trouvait le garçon. Les enfants de cette famille étaient jalousement gardés - qu'un enfant leur manque devrait être impossible.

Durant quelques secondes, le regard de Moridunon et celui du plus jeune se croisèrent. Ce dernier se releva difficilement, ses yeux quittant ceux dorés de Moridunon pour explorer la clairière du regard.

L'enfant fronça les sourcils, de toute évidence peu habitué à se réveiller loin de l'endroit où il s'était endormi.

Et loin, cela devait l'être, car Moridunon ne voyait chez lui aucune reconnaissance de son environnement, seulement de la confusion et une légère curiosité, comme s'il n'avait jamais vu avant une forêt comme celle à l'entour.

Moridunon se demanda s'il n'y en avait pas là où il vivait - ou si elles avaient l'air très différentes de l'étendue sauvage d'épais taillis et de bois divers de cette contrée.

Moridunon chercha dans ses souvenirs de la Perse les différents paysages qu'il y avait observés et il se demanda si ceux-là auraient été plus familiers au garçon.

La clairière dans laquelle ils se trouvaient était garnie d'arbres vieux et imposants. Deux d'entre eux avaient servi à étendre un taud de cuir pour la nuit - juste au cas où une averse s'annoncerait. La clairière était cernée d'arbustes, de framboisiers, de quelques groseilliers et même d'un myrtillier.

Plus loin se trouvait une source d'eau, qui fournirait à Moridunon suffisamment d'eau claire pour la nuit à venir.

Le jeune homme observa les alentours et son expression se durcit davantage, ses yeux émeraudes pleins de confusion quant à la situation dans laquelle il se trouvait présentement.

Il était clair qu'il n'avait aucune connaissance de l'endroit dans lequel il était et dans lequel il s'était réveillé.

Un éclat de magie accidentelle et voilà qu'il se retrouve en terre inconnue, songea Moridunon en examinant de plus près le garçon. Il n'est pas assez âgé pour que ses parents l'aient laissé seul et sa magie n'a pas assez mûri pour qu'il en ait parfaitement le contrôle.

Bien qu'il existe des différences avérées d'un druide à l'autre, l'arrivée à maturation de la magie chez l'enfant était presque toujours la même. Le premier niveau était dépassé à l'âge de dix, onze ans. C'était à peu près le moment où un enfant démarrait son apprentissage, puisque tout entraînement avant cela était tout bonnement inutile. L'enfant ne disposait en effet d'aucun contrôle sur sa magie avant d'avoir atteint l'âge en question.

Le suivant arrivait lorsque l'enfant atteignait ses dix-sept, dix-huit ans. La magie commençait finalement à se stabiliser et toute forme de magie accidentelle était dès lors impossible. Enfin, le dernier stade était acquis vers vingt-deux, vingt-trois ans. Alors, l'enfant serait doté de la puissance et des pouvoirs qu'il était né pour détenir. À partir de là, la magie serait parfaitement stable et sous le contrôle parfait d'un druide entraîné.

En revanche, si un enfant n'était pas entraîné, alors il commencerait à dépérir lorsqu'il aurait atteint une maturation complète. La plupart des druides non formés périssaient avant cela - notamment lorsqu'ils essayaient de réprimer leur propre magie. Les plus puissants ne faisaient pas exception, même s'ils réussissaient à atteindre un tel âge.

L'enfant qui se trouvait devant lui paraissait trop jeune pour avoir expérimenté plus que sa première maturité, aussi le voir apparaître du néant dans un éclat de magie accidentelle ne le surprenait pas plus que cela. Il avait vu des choses plus étranges arriver à des enfants de cet âge, pour tout ce qu'il en savait.

Pourtant, peu importait combien ce type d'accident pouvait être commun, cela n'expliquait pas pourquoi le garçon était apparu à proximité de lui. De manière générale, les éclats magiques de cette sorte se déclenchaient pour mettre un enfant à l'abri du danger. En envoyer un, vers un étranger à des milles de chez lui était loin d'être sûr pour un enfant…

Sachant cela, Moridunon ne comprenait pas comment il avait pu se trouver dans cette situation.

Il fronça les sourcils devant son incompréhension.

Ses yeux glissèrent sur les vêtements que portait l'enfant.

Ceux-ci, bien qu'étrangers, n'étaient rien de plus que des chiffons.

Ces souliers… Moridunon n'arrivait pas à déterminer de quelle matière ils étaient faits, mais ils n'avaient pas le moins du monde l'air d'être en cuir. Ils étaient abîmés, bien que correctement entretenus, mais il était certainement temps d'en changer.

Les habits mêmes étaient bien trop grands pour l'enfant et celui-ci…

Les pensées de Moridunon prirent un chemin plus sombre lorsqu'il prit conscience de la maigreur anormale du plus jeune.

Sa famille avait-elle des soucis ?

Souffraient-ils de la famine ?

Ce ne serait pas inhabituel en soi… mais le seul fait d'imaginer qu'un enfant de druide puisse souffrir de la faim était inquiétant. Il était normal pour les parents d'un tel enfant de laisser le plus gros des ressources aux plus jeunes étant donné la vulnérabilité dont ils souffraient jusqu'à leur deuxième maturité.

À ce moment-là, les yeux d'un vert vif du garçon se plantèrent dans les siens.

Moridunon lui retourna un regard sombre.

– D'où viens-tu, jeune homme ? demanda Moridunon et celui-ci le dévisagea comme s'il était une sorte de créature étrange.

Ne parlait-il pas le cymraeg (gallois) ? En soi, ce n'était pas si surprenant. Le cymraeg n'était que l'un des six dialectes parlés par le peuple de Clas Moridun'n. Aux yeux des étrangers, les six parlés en question devaient se confondre en une seule langue, mais au moins la moitié d'entre eux comportaient bien trop de différence pour qu'une communication fluide s'effectue entre les natifs.

Deux cents ans plus tard, la plupart des populations limitrophes seraient convaincues qu'une seule langue était adoptée sur les Îles. Ils l'appelleraient le celtique insulaire.

– D'où est-ce que tu viens, jeune homme ? répéta Moridunon, cette fois en brezhoneg (breton), un dialecte qui était parlé près de Kaerlud.

Une nouvelle fois, il n'obtint aucune réaction.

Moridunon se demanda s'il devrait continuer d'essayer avec d'autres dialectes parlés à Clas Moridun'n ou s'il devrait tenter le persan immédiatement. Faire un si grand saut dans l'espace par accident impliquait le pire et il n'osait pour le moment ne serait-ce que l'envisager.

Aussi, Moridunon essaya divers autres dialectes : le kernewek (cornique), puis le gaelg (manois), le gaelige (irlandais) et le gàighlig (gaélique écossais). Sans résultat.

Il serra les dents et tenta le persan, s'attendant à une réaction immédiate.

Rien.

Divers autres essais avec une langue d'orient qu'il parlait, puis avec le vieux norrois (langue scandinave), le grec et l'égyptien. Toujours rien, et, malheureusement, s'arrêtaient là les connaissances de Moridunon.

Le jeune homme n'avait montré de reconnaissance pour aucune des langues qu'avait parlé Moridunon.

D'où est-ce que ce gamin pouvait bien venir pour ne connaître aucune de ces langues ?

Soudainement, le garçon ouvrit la bouche et déblatéra des mots inconnus. Sa langue avait des accents qui lui étaient familiers, se rapprochant des langues scandinaves, mais peu importe la force qu'il mettait à tenter de le comprendre, rien n'y faisait.

Un dialecte scandinave ? Après tout, si les Îles avaient une diversité dans leur langue, pourquoi pas les peuples scandinaves également ?

– Recommence, lui indiqua-t-il en vieux norrois, mais le garçon ne réagit toujours pas à ses paroles.

De toute évidence, il ne comprenait pas mieux Moridunon que Moridunon ne le comprenait.

Ce dernier soupira.

Peut-être n'était-ce pas un dialecte dans ce cas ?

Peut-être venait-ce d'un autre pays dont la langue tirait ses racines chez les Scandinaves ?

Peut-être un pays à la frontière des terres nordiques ?

À quelle distance cela pouvait-il être d'ici ?!

Il doit venir de l'autre bout du monde, songea Moridunon en se frottant les yeux. Sa magie doit être très puissante pour qu'il ait effectué un tel voyage. Ses parents doivent être très fiers de lui…

Et il y avait des chances qu'ils le soient encore plus lorsque Moridunon aurait trouvé un moyen de le renvoyer chez lui. Si bien sûr il y arrivait. Dans le cas contraire, ils seraient certainement désespérément inquiets pour leur garçon.

Néanmoins, sa priorité était de trouver une manière de communiquer avec lui. Réfléchissant, il scruta le jeune garçon.

Par quoi devrait-il commencer... ?

Son fil de pensée s'interrompit lorsque la réponse le faucha juste après que la question soit tombée.

Ce n'était pas grand-chose, mais au moins, le premier pas s'avérait simple…

– Moridunon Ambreys, se présenta-t-il en pointant sa poitrine du doigt. Moridunon Ambreys sā-Mons Ambres.

Le plus jeune lui jeta un regard incrédule avant que ses yeux ne s'éclaircissent sous la compréhension de ce geste.

– Harry, répondit-il. Harry Potter.

Harry.

Myrddin plissa le nez de dégoût. Peut-être dans son pays d'origine était-ce un nom tout à fait commun, mais ici, à Clas Moridun'n, on lui adresserait des regards de travers si Moridunon osait s'en servir en compagnie d'autrui.

Aux oreilles du peuple des Îles, le nom du jeune homme sonnait comme les gazouillements agaçants d'un bambin ; un surnom qu'un parent donnerait à son enfant en signe d'affection. Rien qu'un garçon comme celui qui se trouvait devant lui devrait utiliser aussi aisément.

Le visage de Moridunon s'aggrava.

De mémoire, il avait déjà entendu quelques surnoms chez des enfants en bas âge qui sonnait comme « Harry » ; Haraldr, Harastrix, Hadrian - pourtant le plus jeune s'était simplement nommé « Harry »

Jamais Myrddin n'oserait l'appeler ainsi en public de peur que la plèbe le prenne pour un détraqué de confondre un bambin avec un garçon d'au moins quinze hivers…

Moridunon poussa un soupir et retourna inconsciemment dans la langue de sa génitrice alors qu'il tentait de se décider sur la manière de procéder.

Il ne pouvait pas véritablement roucouler son nom au garçon, aussi une seule solution s'imposait...

– Je vais devoir m'occuper de ce nom, marmonna-t-il entre ses dents, sa voix glissant sur les voyelles telles un serpent le ferait.

– Comment ça ? Qu'est-ce qui ne va pas avec mon nom ?

Le visage de Moridunon se releva en entendant l'autre produire des mots qu'il comprenait enfin. Il resta sans voix quelques secondes, le temps que la compréhension le frappe à son tour.

– Un Parselan, saisit Myrddin, complètement hébété. Je n'avais pas pensé à utiliser cette langue...

– Un Parselan ? s'enquit le jeune garçon. Qu'est-ce qu'un Parselan ?

– C'est une personne qui peut parler aux serpents, lui répondit Myrddin sans réfléchir tandis qu'il acceptait lentement l'idée que le jeune homme parlait de toute évidence cette langue. Il trouvait ça d'autant plus étrange de discuter dans la langue des serpents avec une autre personne que sa génitrice, mais elle semblait être la seule qu'ils avaient en commun.

– Un Parselan est un Fourchelang ? voulut éclaircir le garçon.

– Un Fourchelang ?

C'était un mot que Moridunon n'avait jamais ouï par le passé.

Quelle étrangeté…

Moridunon s'interrogea sur les différences qui existaient certainement entre le parlé de Moridunon et celui du garçon.

Y'avait-il plusieurs dialectes ?

Des variations qu'on ne pouvait entendre qu'au pays natal du garçon ?

Autre chose ?

Moridunon secoua la tête.

Ça n'avait que très peu d'importance.

Ils avaient enfin trouvé une langue suffisamment similaire pour leur permettre de communiquer. Un mot inconnu ici ou là était parfaitement explicable - et c'était un piètre prix à payer pour une compréhension mutuelle.

– Si être un Fourchelang veut dire avoir la capacité de parler aux serpents alors, oui, cela me semble être la même chose, résuma finalement Myrrdin.

Le garçon l'observa minutieusement pendant quelques secondes avant d'opiner.

– Oui, dans ce cas je suis… un Parselan, déclara-t-il puis, soudain, il plongea de nouveau son regard dans celui de Myrddin, l'air confus. Est-ce qu'on parle fourchelang là ?

– Tu n'arrives pas à faire la différence ?

Le garçon secoua la tête en signe de négation.

– Je n'ai jamais réussi, ça sonne comme l'anglais pour moi, répondit-il.

Le mot lui était étranger. Langlais… peu importait la langue à laquelle cela appartenait, ça ne devait pas se traduire dans la langue des serpents, aussi cela ne fit aucun écho dans l'esprit de Moridunon. Non pas qu'il en fut surpris. S'il s'agissait du nom d'une langue humaine ; on pouvait rarement en traduire le nom dans la sienne.

– De lan-glais ? Est-ce la langue dans laquelle tu parlais ?

Le garçon - Harry - acquiesça.

– Quel est le nom des terres d'où tu viens, garçon ?

– La Grande-Bretagne, répondit-il et Myrddin haussa un unique sourcil. Le mot lui était familier.

Si les habitants des Îles avaient pour habitude de les appeler « Clas Moridun'n », ceux vivant près de Kaerlud préféraient une autre désignation à cette première.

Cela ne prit à Moridunon qu'un instant pour qu'il lui revienne.

Britannia. Ils les appelaient Britannia… ce qui se rapprochait étrangement du mot que le plus jeune avait utilisé…

– Par Grande-Bretagne, tu parles de Britannia ?

– Britannia ? fit le garçon, s'arrêtant quelques secondes pour réfléchir. Je… je pense, mais je n'ai jamais entendu quelqu'un appeler la Grande-Bretagne « Britannia » auparavant…

– Tu ne parles aucune des langues de Britannia, fit remarquer Myrddin.

« Dialectes » serait plus exact, mais ce mot semblait appartenir aux « intraduisibles », ce qui rendit Moridunon légèrement perplexe, car il semblait étrange qu'une langue dispose de plusieurs mots pour définir une seule et même chose, mais qu'elle n'ait aucun concept de « dialectes »...

Le jeune homme cligna des yeux, un peu désorientés.

– Bien sûr que si ! insista-t-il. Je parle l'anglais, comme tout le monde en Grande-Bretagne !

– Garçon… Ici nous parlons cymraeg, kernewek, gaelg, gaelige, brezhoneg, gàighlig, personne ne parle « langlais ».

– C… cymraeg ?! souligna le garçon, totalement incrédule. Gaelige ?! Mais c'est quoi tout ça ! Je n'en ai jamais entendu parler !

Moridunon eut l'air amusé.

– Ce serait le cas, si tu venais d'ici, clarifia-t-il.

Le garçon jeta un regard autour de lui, le visage grave.

– J'en doute, dit-il en observant les arbres ceignant la clairière. Cet endroit m'est parfaitement inconnu et j'ai du mal à croire que je sois encore en Grande-Bretagne. Mais si Britannia est un autre nom pour la désigner, alors ça devrait l'être ! Du moins, en théorie.

Cela eut l'avantage d'attirer de nouveau l'attention de Moridunon.

Le garçon paraissait certain que Britannia n'était qu'un autre nom pour son pays d'origine.

Il parlait un langage familier et pourtant étranger…

Cela signifiait-il que Britannia n'avait rien à voir avec la Grande-Bretagne ?

Où cela voulait-il dire qu'une pièce lui manquait dans les informations que lui avait fournies le garçon jusqu'alors ?

Peut-être y avait-il une similarité dans les noms des deux pays ?

Peut-être était-ce autre chose… ?

Moridunon écarta cette dernière pensée. Il ne servait à rien de s'interroger sur l'inconnu avant qu'il n'ait éliminé toutes les possibilités qui expliqueraient un tant soit peu la situation étrange dans laquelle se trouvait le jeune homme…

Pourtant, il ne parvenait pas à s'en empêcher.

Secouant la tête, Moridunon décida qu'il ne servait à rien de continuer à tergiverser sur le sujet et qu'il devrait plutôt s'assurer qu'il n'y ait effectivement aucune d'explication cohérente qu'il aurait pu manquer…

La plus évidente semblait être la plus logique à creuser à l'aide de quelques questions.

Il avait passé les quinze dernières années à vagabonder en travers de toute la Perse, d'une petite partie de l'Asie, de la Grèce, de l'Égypte et des terres nordiques, là où les tribus germaniques vivaient - aussi, demander au plus jeune s'il reconnaissait l'un des endroits qu'il avait pu visiter pourrait fonctionner.

– Dis-moi, as-tu déjà entendu parler de Lacédémone, finit par demander Moridunon, tentant sa chance avec la ville qui ne cessait de gagner en importance ces dernières années. Ou peut-être de Massalia ?

Massalia était l'un des ports de commerce les plus importants que Moridunon connaissait.

– Lacédémone ? répéta le jeune homme, perplexe. Massalia ?

Moridunon fronça les sourcils, mais resta patient.

– Lacédémone est le peuplement le plus important de Sparte, expliqua Moridunon en décidant de se concentrer sur la première question. N'as-tu jamais entendu parler de Sparte ?

– Si, répondit le garçon.

– Bien, soupira Moridunon. À présent, dis-moi. Où se trouve Sparte par rapport à là où tu vis ? Est-ce à l'ouest ? Au nord ? Au sud ? Ou à l'est ?

Le plus jeune parut d'autant plus confus par sa question.

– Ce n'est pas nulle part, je pense, répondit-il finalement. Je ne sais pas si Sparte existe encore, en fait. Tout ce que je sais, c'est que les spartiates ont disparu depuis longtemps.

– Comment ?

La réponse qu'il reçut fut de l'ordre des choses que Moridunon n'aurait jamais souhaité entendre, mais qu'il avait pourtant suspecté.

Le garçon hocha la tête.

– Leur royaume n'en est plus un depuis… je ne sais pas… peut-être… plusieurs siècles ?

Ce qui ne laissait à Moridunon qu'une seule conclusion plausible - bien qu'il ait écarté cette théorie depuis le début de leur conversation.

– De combien d'hivers futurs nous viens-tu ?! s'exclama Moridunon, son invraisemblable théorie le laissant toujours aussi pantois.

Au même moment, le plus jeune s'écria :

– Par Merlin, dans quelle année ai-je atterri ?!

Ces derniers mots ne firent que renforcer Moridunon dans l'idée que son hypothèse puisse être crédible.

Le garçon ne venait pas de cette époque-ci.

Il a effectué un voyage temporel…, songea Moridunon, légèrement surpris que quelque chose de pareil puisse être possible. Il a vraiment voyagé à travers le temps.

Cela paraissait douteux, pourtant c'était la seule théorie qui expliquait parfaitement la situation.

Moridunon doutait qu'il puisse répondre à la question du garçon. Il avait parcouru le monde et découvert diverses cultures et peuples. Ses voyages ne se comptaient pas en années, mais en plusieurs siècles. Il avait vu les civilisations se transformer et avait appris que rien n'était durable, aussi il peinerait à lui donner un point temporel exact… surtout en sachant qu'il existait plusieurs centaines de façons différentes de compter les années et de mesurer le temps.

Le seul apte à compter les années entre ici et l'époque d'où le plus jeune venait était le garçon en question.

– As-tu la moindre idée de combien d'années tu as perdu ? tenta Moridunon

Le visage du garçon s'aggrava et Modinunon poussa un soupir défait.

Le fait qu'il ait vraisemblablement voyagé à travers le temps était loin d'être leur seul problème ; en effet, il y avait de fortes chances pour que le garçon n'ait pas de famille aux alentours, or un jeune druide se retrouvant sans famille et sans encadrement était…

Moridunon soupira de nouveau et envisagea l'idée de le conduire en Perse jusqu'à sa famille.

Il l'écarta.

La famille en question ne pouvait pas savoir que le garçon avait fait un bond dans le temps et Moridunon avait la forte impression que s'il en parlait à qui que ce soit, les conséquences pour le plus jeune seraient fort désagréables.

Quelqu'un possédant des connaissances sur ce que leur réservait le futur était d'une valeur inestimable et alors, jamais il ne serait apte à vivre une vie normale.

Moridunon ne lui souhaitait pas pour tout l'or du monde un tel destin… mais quelles possibilités lui restait-il ?

À ce moment-ci, le plus jeune se décida à parler.

– Je… Je ne sais pas trop, dit-il. Je n'ai jamais été doué en Histoire… enfin, il faut dire que c'est loin d'être une matière fascinante… et Binns n'est pas d'une grande aide sur le sujet…

Le plus jeune perdit quelques secondes en réflexion.

– Il doit y avoir un bon nombre de choses qui se sont déroulées entre l'histoire du Sparte que je connais et mon époque… Hermione en saurait davantage, mais…

Le garçon haussa les épaules.

– Ça doit faire un petit bout de temps. Au moins quelques centaines d'années, je dirais.

– Quelques centaines d'années.

Eh bien, voilà qui expliquait les étranges vêtements qu'il portait et la langue inconnue qu'il parlait.

– Si je comprends bien, langlais sera donc la langue du nouveau seigneur des terres de Britannia, tenta de clarifier Moridunon en se demandant qui d'autre que les Celtes avait décidé de faire de Britannia leur terre.

Bien sûr, le garçon ne saurait certainement pas répondre à sa question, mais il n'y avait rien de mal à essayer de gagner une seconde théorie.

– Euh…

Le jeune homme parut incertain.

– Langlais ? tenta-t-il, essayant de clarifier le problème qui restait dans cette langue étrangère.

– Euh…, commença le garçon, la parole incertaine. Je crois que l'anglais c'est… euh… ce sera le nom que portera l'une des langues du pays… ou quelque chose comme ça… je n'en sais rien en fait. Mais je pense aussi que si c'est l'une des langues que vous parlerez ici… ce… les mots changeront certainement avec le temps… je pense…

– Certainement, accepta Moridunon.

Il avait vécu suffisamment longtemps pour savoir que le temps avait un fort impact sur les langues ; nom d'une tempête et d'un brasier ! Même la langue des Serpents semblait ne pas faire exception compte tenu les différences qu'il avait pu remarquer dans la façon de parler du garçon - et ce, même s'il s'agissait d'une langue qui changeait bien moins rapidement que les langues humaines.

– Le temps fait son effet sur les langues. C'est un fait.

Le garçon pencha la tête et fronça les sourcils d'incompréhension devant l'assurance de Moridunon sur ce point en particulier et ce dernier lui rendit un regard amusé.

– Tu es encore jeune, lui dit-il. Tu apprendras.

Le visage du plus jeune s'assombrit.

– Comment… ?

– Exactement comme chaque homme de ton âge, répondit Moridunon. Tu vieilliras.

L'espace de quelques instants, il parut sur le point d'objecter, puis il cligna des yeux et fronça de nouveau les sourcils.

– Mon professeur… il est plus vieux que la moyenne… est-ce normal ?

Le garçon était de toute évidence comme la plupart des enfants de son âge, vivant avec leur famille et quelques sorciers à l'entour : il était décidément peu habitué à une vie marquée de plus qu'un petit cercle de druides… aussi, n'était-il pas trop étrange qu'il n'eût pas rencontré plus de quelques druides vieillissant, s'il en croisait même un !

Bien sûr, au-delà du fait qu'il y ait différentes espérances de vie chez les druides - notamment en fonction de leur héritage -, il y avait de bonnes chances pour que le garçon n'ait pas grandi avec le gros de sa famille en Perse… si bien entendu ils y vivaient encore et n'avaient pas tous décider de venir habiter à Clas Moridun'n dans le futur…

– Il est normal pour les êtres dotés de magie de vivre plus longtemps qu'une personne en étant dépourvu, finit par dire Moridunon.

– Oh, fit le jeune homme avant d'hésiter quelques secondes. Dites, Mori… Mordi…

Moridunon éclata d'un rire léger.

– Moridunon Ambreys, le corrigea-t-il. C'est Moridunon Ambreys.

Le garçon poussa un soupir.

– Ne puis-je pas m'en tenir à « Mori » ? demanda-t-il, perplexe. Mori… Mordidu...

Après quelques instants, il s'avoua vaincu, l'expression défaite.

– Moridunon Ambreys, se corrigea-t-il lentement. Ce nom est bien trop long !

– C'est tant un nom qu'un titre, expliqua Moridunon.

Le garçon afficha un air surpris.

– Un titre ?

– Ambreys, répéta le plus âgé. Ce nom implique mon obligation. Je suis responsable de Mons Ambres, aussi, mon nom explicite ma responsabilité.

– Si j'ai bien compris, ça ne fait ni partie de votre nom, ni de votre nom de famille ?

– Mon nom de famille ? demanda Moridunon, confus.

– Votre patronyme, se corrigea le garçon et Moridunon eut enfin une idée de ce dont il parlait.

– Il s'agit d'une obligation, répéta-t-il. Tout comme ton patronyme a rapport avec l'obligation des tiens. S'il arrive que j'aie un enfant, ils seront « Ambreys » comme je le suis. Cela deviendra un nom de famille à l'avenir.

– Le nom Potter provient d'une obligation ? s'interrogea le garçon et Moridunon exhala.

– Je parle de ton patronyme et non de leur occupation [1], nuança Moridunon.

Le plus jeune fronça les sourcils et ouvrit la bouche pour poser davantage de questions, cependant Moridunon l'interrompit avant qu'il ne puisse continuer.

– Mais si tu trouves mon nom si inconvenant, ajouta-t-il, amusé, alors sache que la plupart des gens de cette époque m'appellent Myrddin. Myrddin Emrys.

Confus, le garçon finit par acquiescer doucement.

– Myrddin, répéta-t-il. Dois-je vous appeler comme ça ?

Moridunon soupira, plus amusé qu'embêté par le manque de respect d'un enfant envers son aîné.

– Tu le peux, dit-il et il prit le temps d'inspecter le plus jeune de la tête au pied.

Ses habits étaient coupés d'une manière qui lui était parfaitement étrangère.

Ses souliers étaient des plus étonnants.

Sa langue n'était même pas compréhensible.

– Connais-tu bien les constellations ? lui demanda-t-il, changeant de sujets avant que le garçon ne puisse trouver de plus étranges manières de transformer son nom.

Le plus jeune fronça les sourcils.

– Je… J'en connais quelques-unes… mais…

Il leva les yeux et sa figure s'aggrava davantage.

– Mais ce n'est pas assez, conclut Moridunon, désarçonné. Pas suffisamment pour définir les différences qu'il existe entre le ciel de cette époque et la tienne, s'il y en a. Il est toujours possible que tu ne viennes que de quelques centaines d'années dans le futur après tout.

Le garçon hocha la tête, affligé.

– Je suis désolé.

Moridunon écarta d'un geste de la main ses excuses.

– Ne le sois pas. Tu es encore jeune. Ton apprentissage est loin d'être terminé.

Peut-être que si ce n'était que quelques centaines d'années, le garçon serait capable de revoir sa famille un jour ou l'autre, même s'il n'arrivait pas à revenir de manière plus directe chez lui.

Les yeux de Moridunon s'étrécirent.

Un voyage temporel.

Moridunon n'avait aucune expérience sur le sujet, mais il connaissait bien les lois ancestrales et ils doutaient qu'elles aient changé lorsque le voyage dans le temps était devenu possible… ce qui pouvait certainement signifier que le jeune homme avait quelques problèmes là d'où il venait.

Il soupira intérieurement et écarta cette pensée.

Il aurait le temps de l'approfondir plus tard. Un retour aux présentes priorités s'imposait.

– Myrddin, appela le garçon. Est-ce que vous connaissez un moyen de me ramener ? Chez moi, je veux dire.

Moridunon se pinça les lèvres.

– Dans le futur ? demanda-t-il de manière rhétorique avant de se rembrunir. Un voyage temporel…

Moridunon laissa ses mots s'effacer et secoua la tête.

– La magie accidentelle n'est pas irraisonnée, expliqua-t-il au plus jeune. Donc, que tu aies atterri ici tire ses racines d'une raison précise.

Le garçon s'apprêtait à parler - certainement pour nier quelque chose, mais en décida finalement autrement et fronça les sourcils. Moridunon l'observa attentivement.

– Il est possible que tu trouves un moyen de retourner de là d'où tu viens en faisant quelques recherches, mais en attendant, tu ne pourras que t'accommoder de cette époque.

Le garçon parut troublé.

– Comment ça « des recherches » ?

Moridunon poussa un soupir.

– Je suis un maître de mon art propre, mais celui-ci n'a jamais touché au temps, révéla-t-il. Il te faudra en apprendre davantage auprès de quelqu'un d'autre.

Défait, le plus jeune hocha la tête.

La question suffit à rappeler à Moridunon la situation délicate dans laquelle ils se trouvaient.

Le garçon était loin de son époque, de sa famille et sans le moindre proches à proximité - sans le moindre guide dans son apprentissage magique. Évidemment, il n'était pas sans liens familiaux, aussi distants soient-ils, mais Moridunon craignait pour lui s'il s'avérait qu'il le leur confie.

Sa famille persique s'occuperait très certainement de lui, Moridunon n'en doutait pas une seule seconde. Mais, il savait également qu'elle se servirait éhontément de son savoir et Moridunon n'avait aucun désir d'assurer au plus jeune un tel emprisonnement, même si tout cela partait de bonnes intentions.

Pourtant, le plus jeune avait besoin d'être entraîné… et sans la moindre famille, il n'y avait que lui pour s'en charger.

Moridunon exhala lentement puis fit signe au plus jeune de le suivre jusqu'au campement.

Une fois arrivé, il l'invita à s'asseoir et sortir les restes de son dîner qu'il avait prévu de manger lors du petit-déjeuner.

– Il est tard, dit-il. Et tu te trouves en terres inconnues. Tu vas rester avec moi pour le moment.

Le garçon se renfrogna.

– Vous voulez dire, jusqu'à ce que je trouve quelqu'un qui puisse m'aider à revenir chez moi ? demanda-t-il et Moridunon secoua la tête.

– Non, nia-t-il. Tu resteras à mes côtés jusqu'à ce que tu sois suffisamment âgé et entraîné pour t'en sortir par tes propres moyens. Alors, et seulement à ce moment-là, tu pourras chercher une façon de retourner d'où tu viens.

Son objection se fit aussitôt connaître, mais Moridunon lui imposa le silence d'un seul regard.

– N'en dis rien, l'interrompit-il avant qu'il ne puisse émettre le moindre son. Tu manques d'entraînement et tu as besoin de quelqu'un qui puisse t'enseigner ce qu'il te faut savoir ou tu risques de ne jamais avoir le niveau pour t'essayer à une magie aussi complexe que celle qui doit être rattachée aux voyages temporels.

Le garçon ne parut pas le moins du monde ravi par ce qu'il entendait, mais il prit le temps d'avaler chaque mot et poussa un soupir abattu.

– Vous devez avoir raison, finit-il par dire à contrecœur.

Les lèvres de Moridunon eurent un sursaut amusé.

Peu importe combien il avait du mal à l'accepter, le garçon n'était encore qu'un enfant.

– Il te faudra te munir de ton bâton si tu souhaites poursuivre ton apprentissage, continua-t-il, observant le plus jeune et s'attendant à ce qu'il sorte ledit bâton pour vérifier les dommages qui auraient pu lui avoir été causés.

Au lieu de ça, le garçon afficha un air perplexe.

– Mon bâton ? répéta-t-il.

– Ce dont tu te sers pour manipuler la magie, expliqua Moridunon en montrant le sien qu'il tenait encore en main.

N'avaient-ils pas de bâton magique dans le futur ?

Le plus jeune cligna des yeux, laissé pantois l'espace de quelques secondes, et lorsqu'il eut confirmé qu'il n'avait rien sur lui, il retourna en courant à l'endroit où il s'était réveillé pour examiner les environs.

– Où est ma baguette ? C'est… c'est vous qui l'avez ? le questionna-t-il finalement, les yeux faisant toujours des allers-retours.

Ce fut au tour de Moridunon d'afficher sa confusion.

– Ta baguette ? répéta-t-il et il se demanda s'il s'agissait d'un des mots qui avaient changé avec le temps dans la langue des Serpents. Est-ce l'outil qui te permet de canaliser ta magie ?

Le jeune homme jeta un œil au bâton de Moridunon, hésita, puis acquiesça.

– Quelque chose comme ça, oui, confirma-t-il, hésitant. Mais une baguette est plus petite. Je doute qu'à mon époque nous ayons encore ce genre de grands... bâtons…

Cela lui semblait logique, étant donné que lui-même rapetissait son bâton pour le transporter. S'ils avaient trouvé un moyen de le garder à une faible taille tout en réussissant à intégrer tous les ingrédients habituels, ça prenait tout son sens.

– Peut-être l'as-tu perdu avant d'arriver ici, proposa Myrddin.

Le gamin fixa un point dans le vide, se rappelant certainement ce qui s'était passé quelques minutes auparavant.

– C'est possible, confirma-t-il finalement. Je… quand j'étais là-bas… j'avais de sérieux ennuis. Il y avait ces Détraqueurs qui essayaient d'aspirer mon âme en dehors de mon corps… je n'arrivais plus à me concentrer et… j'ai dû la laisser tomber…

Myrddin ne savait presque rien des créatures qu'il nommait « Détraqueurs ». Il savait bien qu'elles descendaient des Fir Bolg - des créatures immortelles d'origine magique - mais il n'en avait jamais croisé. Elles vivaient dans des pays encore plus éloignés que l'Égypte.

Migreraient-elles vers Britannia dans le futur ?

– Tu ne peux rien y changer de toute manière, donc il ne sert à rien de t'interroger davantage, se morigéna Moridunon à voix haute.

– Si je résume correctement, il faut que l'on te trouve un bâton et un précepteur qui voudra bien te prendre sous sa charge jusqu'à ce que tu trouves un moyen de rentrer chez toi. J'endosserais ce rôle pour toi, mais il te faudra prendre en main ta quête par toi-même une fois ton apprentissage achevé. D'ici là, je ne t'empêcherai pas de faire quelques recherches, mais je doute que tu trouves quoi que ce soit de consistant, sauf si la chance le veut. En attendant, je t'enseignerai tout ce que je sais, mais nous devrons tout d'abord marcher vers Kaerlud pour aller te chercher un bâton. Il te servira à apprendre à concentrer ta magie.

Il examina le plus jeune de bas en haut.

Il ne lui restait qu'une question à poser pour en savoir plus sur le type d'enseignements qu'il devrait lui prodiguer :

– Combien d'hivers as-tu vu passer, mon garçon ? lui demanda-t-il.

– Euh… quinze, depuis peu.

Son hypothèse était donc correcte. Le jeune homme avait seulement complété sa première maturité. Cela signifiait également qu'ils leur restaient quelques années avant la prochaine - ce, même si ses soupçons s'avéraient corrects.

Il poussa un énième soupir et indiqua au garçon de revenir au camp pour la nuit.

– Restons ici pour le moment. Demain, nous prendrons la route de Kaerlud, décida-t-il. Sur la route, j'évaluerai tes connaissances en matière de magie et je commencerai à t'enseigner les langues parlées à Clas Moridun'n.

Incertain, le plus jeune finit par acquiescer.

Pour la nuit, Moridunon s'assura que le garçon dorme bien du côté le plus sûr du camp - près des arbres et loin de la clairière - tandis qu'il s'installait sur celui qui était le plus sujet aux attaques d'animaux sauvages.

Et même si des boucliers pouvaient être levés pour les protéger cette nuit-là, ils étaient tous bien trop complexes et chronophages à son goût, aussi préféra-t-il faire les choses à l'ancienne pour cette fois.

.

Le matin suivant, ils prirent la route avant le lever du soleil.

– Nous y allons à pied ? s'exclama le garçon alors qu'il emboîtait le pas à Moridunon. Pourquoi pas en balais ?

– En balais ?

Le plus jeune haussa les épaules.

– Eh bien, oui. Je me doute qu'il n'est pas question de voyager par poudre de cheminette, mais qu'en est-il des portoloins et des balais ?

Désarçonné, Moridunon répondit :

– J'ai peur de ne pas savoir ce que peut être un « portoloin ». Et j'ai du mal à imaginer comment un balai peut bien nous aider à voyager.

Le jeune homme entreprit alors de lui donner une vague explication qui ne contenait que peu d'informations sur la manière de créer les choses dont il parlait. Moridunon en conclut que des sorciers plus âgés de son époque en sauraient bien davantage que lui, qui n'avait définitivement pas été mis au courant des aspects théoriques.

– Ce genre de choses n'existe pas ici, admit-il lorsque le plus jeune en eut terminé. J'ai bien peur qu'il nous faille marcher.

Pour toute réponse, il reçut un soupir, suivi d'un hochement de tête abattu.

Moridunon décida de distraire le plus jeune en lui posant des questions sur l'étendue de ses connaissances en termes de magie.

Il fut loin d'être impressionné par les réponses que le garçon put lui fournir.

Le plus jeune ne connaissait rien des rituels, des runes ou de leur équivalent dans le futur et n'avait pas la moindre idée de la manière dont on pouvait se servir des calculs arithmétiques pour exercer la magie. Il avait une connaissance très basique des plantes et des herbes, et il ne servait strictement à rien de revenir sur les potions. Son savoir concernant l'art de la lecture des étoiles était basée sur des notions dont Moridunon n'avait jamais entendu parlé - ou peut-être les connaissait-il sous d'autres noms…

En fin de compte, Moridunon décida de reprendre depuis les bases.

– Tes parents t'ont-ils appris à contrôler ton flux de magie ? demanda-t-il.

Sa réponse était fondamentale pour qu'il sache par où commencer son enseignement.

– Euh… non.

Ça, c'était une réponse qu'il n'avait pas anticipée.

– Non ?! Tes parents ne t'ont donc rien appris ?!

– Je… Mes parents sont morts, monsieur.

– Mais tes proches ont bien dû y remédier, n'est-ce pas ? s'inquiéta-t-il.

C'était pourtant le rôle des plus âgés d'entraîner leurs cadets, aussi le jeune homme devait avoir reçu un minimum d'enseignement…

– Euh… Ma tante n'est pas une sorcière, répondit-il. Mais j'ai été à Poudlard.

Sa réponse était directe, comme s'il s'attendait à ce que Moridunon sache immédiatement de quoi il parlait - comme si l'endroit en question était bien connu des habitants des Îles à son époque.

Il se sentit décontenancé à l'idée de décevoir le garçon, mais Moridunon n'était pas prompt à mentir pour quelque chose d'aussi insignifiant qu'une fameuse institution. Tout apprentissage était basé sur la confiance, aussi la vérité était la meilleure manière de la gagner.

– Poudlard ? Je ne pense pas en avoir déjà entendu parler. Est-ce là le nom de l'endroit où vivait ton précédent précepteur ?

Dès qu'il eut énoncé sa question, il sut qu'il avait dit quelque chose qui ne présageait rien de bon. Les traits du gamin s'affaissèrent et une expression de pure horreur se peignit sur visage.

– Apprenti ? Est-ce que tout va bien ? demanda-t-il, encore plus inquiet.

– Je… non ! Non ! Non ! Non ! NON ! cria le garçon à s'en déchirer les cordes vocales. S'il vous plaît… s'il vous plaît, dites-moi que vous connaissez Poudlard !

Moridunon fronça les sourcils.

Il s'agissait d'un endroit, de toute évidence.

D'une simple institution ou quelque chose de similaire.

Le garçon n'aurait pas dû ressentir une telle angoisse à l'idée que Moridunon ne connaisse pas ce Poudlard, même si cela avait un rapport avec le vieil homme - le professeur - qu'il avait mentionné plus tôt. Toute chose avait un commencement et peut-être que cette institution n'était pas encore établie ou pas suffisamment pour qu'elle lui soit familière à cette époque…

Ça n'aurait pas dû être si important.

Ce n'était qu'un détail, après tout - même si cela pouvait signifier que le plus jeune avait remonté plus loin dans le temps qu'ils ne l'avaient d'abord cru. Un an de plus ou de moins n'aurait pas dû être une si horrifiante révélation…

Néanmoins, les larmes coulaient à flots sur ses joues et cela suffit à le faire hésiter quelques secondes. Il s'approcha tout de même et, soupirant, il passa ses bras autour du garçon.

En général, les principes interdisaient à un étranger de toucher un enfant, car seuls les proches de celui-ci étaient autorisés à l'aborder. En soi, en faire autant relevait presque d'une tromperie conjugale. Mais le plus jeune n'avait plus personne et le seul pouvant lui apporter du réconfort n'était autre que Moridunon lui-même. Pour cette raison, ce dernier brava le tabou, ce, même si cela signifiait sceller la promesse qu'il lui avait faite pour toujours.

– Je suis désolé, dit-il. Mais ainsi vont les choses. Nous naissons, nous vivons et nous mourrons et même si nous profitons d'une certaine notoriété vers la fin, nous entamons une nouvelle aventure comme tout un chacun.

Cela manqua à faire cesser ses pleurs ; une vraie fontaine de larmes.

Moridunon le serra contre lui et le garçon se perdit dans son étreinte.

Des doigts s'enfoncèrent dans sa propre tunique et le garçon s'accrocha à lui comme si sa vie en dépendait.

Moridunon grimaça.

C'était mauvais signe.

Un très très mauvais signe.

Même s'il ne comprenait pas bien pourquoi, de ça, il ne doutait pas.

Finalement, Moridunon ne compta plus les minutes qu'il passa à consoler le garçon jusqu'à ce que celui-ci se détache enfin de lui pour essuyer les marques de sa tristesse.

– Est-ce que tout va bien ? lui demanda-t-il.

L'enfant renifla et hocha la tête. Moridunon garda en tête qu'il lui faudrait enseigner au garçon les us et coutumes. Il lui semblait évident qu'elles avaient changé au fil du temps et Moridunon doutait que ce soit pour le mieux…

– Veux-tu bien m'expliquer ce qui t'a tant secoué ?

– Je… eh bien… Poudlard n'est pas n'importe quel endroit, dit-il enfin. À mon époque, c'est un… c'est un lieu… un lieu pour apprendre et, de là où je viens, Poudlard existe depuis au moins un millier d'années. Alors… quand vous dîtes que vous ne connaissez pas…

Myrddin comprit enfin d'où venait le problème. Un lieu pour apprendre fondé il y a un millier d'années ? Et lui qui n'avait aucun souvenir d'avoir déjà entendu parler d'un tel endroit…

Compte tenu de la manière dont il en parlait, l'endroit paraissait important.

Il devait y avoir au moins une cinquantaine d'élèves !

Et cela devait être un lieu fort apprécié pour recevoir son apprentissage, surtout s'il était connu de tout Clas Moridun'n.

Pas étonnant que le jeune homme s'était attendu à ce qu'il en ait entendu parler.

Pas étonnant qu'il ait été si choqué d'entendre que Moridunon ne connaissait rien ni personne de ce nom-là.

– Je présume que c'est très réputé d'où tu viens ? l'interrogea Moridunon.

Le garçon confirma d'un hochement de tête.

– Tout le monde va là-bas, l'informa-t-il. Enfin, tout le monde en Grande-Bretagne.

L'exagération du garçon en la matière ne faisait pas de doute pour Moridunon, mais il reconnut intérieurement qu'un certain nombre d'enfants devaient effectivement se rendre en tel endroit pour apprendre à maîtriser leur magie à son époque.

Il n'était pas certain que ce fut pour le mieux étant donné les lacunes du plus jeune, mais il supposait que son ignorance sur certains sujets provenait tout simplement des différences entre les deux époques…

Cependant, pour Moridunon, ça n'excusait en rien les précepteurs qui avaient participé à l'éducation du jeune homme.

Bien trop de notions fondamentales manquaient au plus jeune et il relevait à présent de Moridunon de corriger leurs erreurs.

En fin de compte, Moridunon finit par en revenir à la conclusion qu'il avait pu tirer des dernières paroles du garçon.

– Tu te trouves donc bien plus loin de ton époque que tu le pensais jusqu'alors, comprit-il en soupirant.

Le plus jeune n'avait ainsi aucun moyen de rentrer chez lui pour le moment. Et jusqu'à ce que Moridunon puisse conclure qu'il s'était trompé ou bien qu'il puisse prouver que ses conclusions étaient justes, le garçon devrait vivre dans la certitude qu'il ne reverrait plus jamais revoir sa famille et ses amis. Il ne pourrait vivre assez longtemps pour les rencontrer de nouveau - ce, même si le jeune garçon faisait partie des rares druides qui survivaient quelques centaines d'années, et ne parlons même pas des quelques élus qui vivaient plus de mille ans…

Faudrait-il déjà que son sang soit assez pur pour lui permettre de vivre si longtemps, songea-t-il. Même pour un Originel dont l'héritage était lié à une créature magique immortelle, atteindre les mille ans était presque impossible.

Moridunon en avait douloureusement conscience.

Car, si aujourd'hui ceux qui pouvaient atteindre une longévité aussi importante étaient rares, ils se feraient encore plus rares dans le futur...

– Oui…, confirma-t-il tandis qu'il tentait d'endiguer le flot de larmes qui continuait de s'écouler sur ses joues. Et si je ne trouve pas de moyen de retourner de là où je viens, plus jamais je ne reverrai mes amis, et eux ne sauront jamais ce qu'il m'est arrivé.

Moridunon ne pouvait que reconnaître la véracité de ce scénario. Le garçon avait été arraché à son temps pour découvrir ensuite qu'il y avait de bonnes chances pour qu'il n'y revienne jamais, après tout… Et pourtant, il ne servirait à rien au plus jeune de s'attarder sur le sujet plus que de besoin. Il n'y avait rien qu'il puisse faire jusqu'à ce qu'il soit suffisamment âgé pour retrouver lui-même son chemin.

– Toute question a une réponse, lui dit-il. Si tu prends le temps de la chercher, alors peut-être la trouveras-tu. Mais ta quête devra attendre, car il te faut un guide, quelqu'un pouvant t'enseigner ce que tu as besoin de savoir. Je m'acquitterai de ce rôle pour le moment. Le reste prendra son sens le moment venu.

Et sur ces mots, Moridunon changea de sujet et entreprit d'étendre les connaissances du plus jeune en propos de plantes et d'herbes.

Il lui apparut durant quelques minutes que le garçon était loin de désirer écouter ce qu'il avait à en dire, ce, jusqu'à ce qu'il exhale bruyamment et qu'il se décide enfin à se concentrer sur la leçon.

Bien entendu, ce fut loin d'être le dernier débat qu'ils purent avoir. Bien au contraire : ce fut le premier d'une longue liste.

– Pourquoi m'appelez-vous toujours « garçon » ? se plaignit le plus jeune quelques heures plus tard. J'ai un nom, vous savez !

– Un nom qui conviendrait davantage à un nourrisson, oui, se défendit Moridunon. Je n'ai aucune envie de t'appeler par un tel nom.

Le visage de l'enfant afficha sa contrariété.

– C'est un nom tout à fait normal ! rétorqua-t-il. Je suis sûr qu'il y a des dizaines de « Harry James Potter » en Grande-Bretagne !

Cela suffit à gagner l'attention de Moridunon.

– Harryjames ? répéta-t-il. Ton nom est Harryjames ?!

Le garçon fronça les sourcils.

– Oui…, fit-il lentement, ne comprenant pas ce qui pouvait intéresser tant Moridunon.

Le plus âgé poussa un soupir.

Bien sûr que le gamin ne comprenait pas.

Au contraire de « Harry », « Harryjames » était un nom très respectable ; unique, même. En temps normal, il était utilisé essentiellement par la famille Pendragon - l'une des plus anciennes lignées de Clas Moridun'n grâce au sang qu'ils partageaient avec les Dragons, et seigneurs de ces terres - mais peut-être cela avait-il changé avec le temps…

C'était loin d'être le dernier nom qui se perdait ainsi, après tout.

Et le garçon ne paraissait toujours pas comprendre ce que tout cela signifiait.

– Très bien, accepta finalement Moridunon. Ce sera Harryjames. Ainsi je te nommerai ainsi à partir de maintenant.

Le garçon prit un air perplexe.

– C'est juste Harry, affirma-t-il, mais Moridunon l'interrompit avant qu'il ne puisse aller plus loin.

– Je refuse d'utiliser un surnom, objecta-t-il. Ce sera soit « Harryjames », soit « garçon ». Fais ton choix.

Le plus jeune parut y réfléchir et finit par soupirer.

– Harry James, alors, confirma-t-il et Moridunon hocha la tête et en revint à sa leçon.

Durant les semaines qui suivirent, Moridunon introduisit lentement le garçon aux divers dialectes de Clas Moridun'n, enrichit son savoir sur les plantes et les herbes, et les différentes constellations. Ils entamèrent également les premières leçons de contrôle de son flux magique.

Evidémment, le plus jeune, étant qui il était, parvint à lui rendre la tâche difficile.

– Je ne peux pas faire de magie ! objecta-t-il lorsque Moridunon lui suggéra d'essayer de faire léviter un morceau de roche. C'était l'un des exercices les plus simples à compléter pour un enfant. Je n'ai pas de baguette !

Moridunon se massa les tempes.

– Tu n'as pas besoin de bâton pour compléter l'exercice, répliqua-t-il en cymráeg. Il s'agit d'une manipulation parfaitement réalisable, non un sort runique ! Bien entendu, nous attendrons que tu sois en possession d'un de ceux-ci pour entamer tout apprentissage des runes et des rituels. Car même si les runes peuvent être travaillées sans bâton, pour un débutant ou pour des sorts à matrice longue, il vaut mieux toujours s'en munir pour une meilleure facilité d'exécution.

Le plus jeune le foudroya du regard.

– Je ne comprends rien à ce vous dites, Myrddin ! fulmina-t-il en fourchelang au lieu de poursuivre en cymráeg comme il aurait dû. Je vous assure que sans baguette, je n'arriverai à rien !

Son manque de respect affligea quelque peu Moridunon.

– Cesse de répondre, le réprimanda-t-il, avant de poursuivre ouvertement en cymráeg. Ce n'est pas digne d'un enfant, surtout lorsque tu manques d'arguments pertinents pour te défendre et que le ton emprunté marque ton irrespect.

Le regard noir du garçon s'intensifia, mais il finit tout de même par acquiescer.

– Toutes mes excuses, maître, répondit-il en cymráeg, peinant à dissimuler sa colère.

Moridunon poussa un soupir avant de se baisser pour ramasser un caillou qu'il tendit au jeune homme.

– Essaye, lui ordonna-t-il dans la même langue.

Le garçon se pinça les lèvres, mais s'en empara de sa main gauche et se servit de sa main droite pour effectuer un étrange mouvement.

– Wingardium Leviosa ! s'exclama-t-il et Moridunon se demanda qui avait bien pu lui apprendre des sornettes pareilles.

Il soupira de nouveau et prit le caillou des mains du garçon, le faisant léviter sans l'aide de gestes ou de paroles.

Le plus jeune le regarda, bouche bée.

– Quoi ? Mais comment… ? balbutia-t-il, revenant inconsciemment au fourchelang. C'est… ça ne devrait pas être possible !

– Ce n'est qu'un simple tour, rétorqua-t-il, laissant l'écart du garçon passer pour cette fois. Bien sûr que c'est possible.

Le plus jeune resta interdit durant quelques secondes, mais lorsque Moridunon lui rendit la pierre, il s'en empara et l'examina sous toutes les coutures.

Moridunon le laissa faire, légèrement amusé par l'expression sérieuse qu'il affichait et qui lui aurait presque fait rentrer dans un arbre ou deux s'il ne l'avait pas tiré hors de leur chemin.

Le plus drôle étant qu'il n'avait même pas eu l'air de s'en rendre compte.

Cela lui prit presque trois heures avant qu'il ne parvienne à quelque chose.

Un moment, le garçon tenait toujours la pierre, le suivant, elle s'envola dans les airs comme si quelqu'un venait de la lancer très fort.

Évidemment, cela surprit tant le jeune homme qu'il perdit sa concentration et donc son contrôle.

Mais il y avait une raison pour laquelle les enfants avaient besoin d'une aide extérieure pour apprendre à maîtriser la magie.

Moridunon réagit aussitôt et érigea d'une seule rune un bouclier au-dessus de leurs têtes pour éviter que le caillou retombe sur le garçon.

Ce dernier le dévisagea.

– Est-ce que c'est moi qui ai fait ça ? demanda-t-il en fourchelang.

– Absolument, répondit Moridunon en cymráeg, amusé. Un peu moins de puissance pourrait être un bon départ pour le prochain essai, tu ne crois pas ?

L'enfant s'empourpra.

– Euh… oui, confirma-t-il, cette fois en cymráeg. Un petit peu moins.

Pourtant, Moridunon avait du mal à admettre qu'il ne s'était pas attendu au moindre résultat avant bien trois ou quatre heures de plus, aussi, il conclut que l'apprentissage du plus jeune serait un peu plus rapide que ce à quoi il s'attendait de prime abord.

Quelques heures plus tard, le garçon parvint finalement à amoindrir la portée de lévitation de la pierre en réussissant à le maintenir à environ trente centimètres de sa main. C'était toujours un peu haut, mais au moins, elle était encore visible et ne disparaissait plus derrière les nuages…

Et comme il l'avait prévu, un nouveau débat les secoua.

– Pourquoi suis-je obligé d'apprendre l'arithmancie ?

– Tu veux pouvoir apprendre à pratiquer des rituels et des sortilèges runiques, oui ou non ?

– À quoi ça pourrait bien me servir ?

– À rien si tu continues de me parler sur ce ton.

– … je suis désolé, maître. Comment ai-je besoin d'apprendre les runes et la pratique des rituels ?

– Pourquoi.

– Oui, maître. Pourquoi ai-je besoin d'apprendre les runes et la pratique des rituels ?

– Parce que tu es un druide et que je suis ton précepteur. Je ne te laisserai pas voler de tes propres ailes à moitié formées alors même que tu n'as pas à ta disposition qu'une poignée de tours pour amuser les enfants.

Le garçon fit la moue et Moridunon fronça les sourcils dans sa direction.

– Si tu n'apprends pas à te tenir, menaça-t-il, je risque d'ajouter l'art des soins et du traitement des blessures au programme actuel.

Bien entendu, la menace en question n'empêcha en rien le plus jeune de faire une énième scène quelques heures plus tard.

– Pourquoi dois-je en apprendre autant sur les plantes ? se plaignit-il de nouveau. Ce n'est pas comme si elles servaient à grand-chose à part en cuisine.

– Elles servent à te garder en vie, répliqua-t-il en jetant au plus jeune un regard réprobateur. Et utilise le cymráeg lorsque tu t'adresses à moi.

Le garçon leva les yeux au ciel.

– Je ne le parle pas encore assez bien, rétorqua-t-il en fourchelang avec obstination. Et je ne comprends pas pourquoi vous m'apprenez tout ce qu'i savoir sur la chasse et sur des plantes qui sont inutiles pour les potions, et puis…

– Si tout ça est inutile, alors je t'en prie, va nous trouver le dîner, rétorqua Moridunon, un sourcil levé.

Cela eut l'avantage d'arrêter net le plus jeune.

– Quoi ? s'exclama-t-il, confus. Mais pourquoi ? Vous avez toujours de quoi manger dans votre sac !

– Et ces réserves ne sont pas éternelles, répliqua Moridunon. Et où penses-tu que je les déniche ?

Le garçon parut considérer la chose durant une bonne minute et finalement, ses épaules s'affaissèrent, résigné.

– Dans… forêt, maître ? tenta-t-il timidement en cymráeg.

– Exactement, confirma Moridunon, un regard sérieux posé sur le plus jeune. Dans la forêt.

Après ça, il ajouta à leur emploi du temps quotidien tout ce qu'il y avait à savoir sur les soins et la guérison des blessures.

– Vous me… punissez… avec… ça, conclut le garçon, cherchant ses mots.

– Ce n'est pas inutile à savoir, contra Moridunon. Et si tu ne cesses pas d'agir comme un marginal, j'ajouterai le brezhoneg et le gaelige à ton apprentissage.

Cela permit d'assurer que le plus jeune s'en tienne au comportement que l'on attendait d'un enfant de son âge.

Bien sûr, il n'échapperait pas éternellement aux leçons promises…


[1] En anglais, le mot « Potter » signifie « potier »/ « céramiste ». Voilà pourquoi Moridunon pense qu'il s'agit du travail quotidien des parents de Harry.


Un petit mot de l'auteure :

1. Moridunon : Selon mes recherches, cette version est la plus ancienne du nom qui deviendra plus tard « Myrddin », puis « Merlin ». J'avais décidé de ne pas m'en servir lors de la première version, mais après réflexion, je me suis dit « pourquoi pas ? » et j'ai donc tenté l'expérience puisque c'est un chapitre qui est de son point de vue et non celui de Harry pour une fois ! (ce dernier continuera bien sûr d'utiliser « Myrddin »)

2. Ambreys : Il s'agit d'un nom donné à l'un des grands prêtres de Stonehenge, d'où le nom de Moridunon : Moridunon Ambreys sā-Mons Ambres (Myrddin Emrys de « Stonehenge »). Ambreys se transforme plus tard et devient « Emrys ». Je me servirai de ce dernier à partir de maintenant.

3. Clas Moridun'n : Cela devrait s'écrire « Clas Moridunon », mais je souhaitais montrer qu'il y avait d'ores et déjà une transformation vers « Myrddin/Merlin ». Il s'agit d'un très vieux nom pour la Grande-Bretagne qui signifie approximativement « L'île de la forteresse en mer ».

4. Kaerlud : Il s'agit du nom suspecté de Londres au temps des Celtes avant que les Romains n'envahissent les Îles.

5. Massalia : Ancien grec pour ce qu'on nomme aujourd'hui la ville de « Marseille ». À l'époque, c'était un port très important pour les échanges, notamment avec les Celtes.