A la croisée des chemins
Disclaimer : les personnages du monde d'Harry Potter appartiennent à JK Rowling.
Avertissement : slash HPSS ; à part ça, aucune excentricité particulière…
Notes : plusieurs d'entre vous m'avaient demandé une suite à « Ce que j'aurais fait » mais ce n'était pas prévu car j'avais déjà en tête cette histoire-ci, où figure le procès de Snape ; et je n'avais pas envie d'écrire cette scène deux fois. J'espère que vous ne serez pas déçues par cette fic…
Chapitre 1
Le Ministère de la Magie abritait, dans un sous-sol, quelques cellules ; des pièces minuscules, sans confort ni lumière. Ce n'était pas une prison, à proprement parler. La prison des sorciers était la tristement célèbre Azkaban, hantée par les Détraqueurs. Ces cellules à elle étaient pleines : la fin de la deuxième guerre contre Voldemort avait été marquée par une multitude d'arrestations. Les sinistres cachots du Ministère servaient seulement à héberger ceux dont le procès était en cours. Une fois la sentence prononcée, ils repartaient sur-le-champ pour Azkaban. Il n'y avait pas d'acquittements. C'étaient des criminels, des partisans du Seigneur des Ténèbres, et ils ne méritaient aucune indulgence.
Severus Snape était l'un des plus dangereux : à la fois Mangemort, homme de confiance de Voldemort, assassin d'Albus Dumbledore. Son procès s'ouvrait demain et l'issue ne faisait aucun doute. Il aurait droit au baiser des Détraqueurs. La prison à vie paraissait encore trop douce à un traître de son espèce.
Plus que quiconque, Harry Potter pouvait s'en réjouir. Il avait vaincu Voldemort pour de bon et il était un héros aux yeux du monde. Il serait aussi le principal témoin à charge lors du procès : il avait assisté au meurtre de Dumbledore. Ceux qui l'avaient côtoyé les mois suivants savaient à quel point cela l'avait affecté. Il était à la fois déprimé par la perte de son mentor, et fou de rage contre Snape. Il voulait sa vengeance, et sa détermination avait permis d'anéantir les forces démoniaques qui menaçaient le pays. Alors qu'il prenait un repos bien mérité chez les Weasley, Kingsley Shacklebolt lui avait appris la capture de Snape. Les yeux émeraude lancèrent un éclair, les lèvres frémirent, puis Harry dit calmement : « C'est bien. » Les Weasley, eux, n'avaient pas caché leur joie. Mais Harry ne s'y était pas associé.
A la veille du procès, Tonks était apparue au Terrier. « Snape demande à te voir », dit-elle à Harry. Et celui-ci avait paru à la fois soulagé et contrarié, comme s'il espérait cette requête, tout en sachant qu'il n'entendrait que des choses déplaisantes.
Harry était entré au Ministère aisément ; ensuite les formalités s'étaient corsées. On n'accédait pas comme ça à l'étage des cellules. Heureusement, sa cicatrice valait tous les laissez-passer. L'Auror responsable, cependant, avait l'air plus inquiet qu'honoré de la présence du Survivant dans ses murs.
« Voir Snape, hein ? Drôle d'idée. Bon, on va le sortir de sa cellule et l'amener au parloir. Il sera dans une bulle anti-magie, mais faudra quand même faire gaffe. Ne vous approchez pas, n'essayez pas de le toucher, même si vous avez envie de lui flanquer votre poing dans la figure. »
Harry acquiesça. Il ne pouvait pas exclure que cette rencontre soit un piège. Il serait sur ses gardes.
Il fut conduit au parloir, une pièce à peine plus grande et plus lumineuse que les cellules des prisonniers. Snape se tenait devant lui. Il avait l'air parfaitement libre de ses mouvements, mais un œil attentif pouvait remarquer la paroi transparente qui l'isolait de son environnement. Dans cette bulle, il ne pouvait pas exercer ses pouvoirs, pas même la Légilimancie. Harry s'était renseigné.
Il regardait son ancien professeur avec des sentiments confus. Il ne l'avait pas revu depuis la mort de Dumbledore. Il avait espéré le retrouver et l'arrêter lui-même, mais ça ne s'était pas produit. L'homme gardait son air arrogant. La proximité d'une condamnation à mort n'altérait pas son attitude. Il considérait Harry avec une expression étrangement concentrée, où se lisait un peu de surprise.
« Vous vouliez me voir ? » demanda sèchement Harry, qui commençait à se sentir mal à l'aise.
« J'ai des choses à dire. Et je ne crois pas que l'on me laissera parler devant la Cour, demain. »
Quant à cela, il avait raison, pensa Harry. Le déroulement du procès était écrit à l'avance.
« Dire quoi ? Que pourriez-vous dire sur votre ex-patron qui soit utile, maintenant qu'il est réduit en cendres ? »
« Pas sur le Seigneur des Ténèbres. Sur la mort d'Albus Dumbledore. »
Harry sursauta. Les souvenirs revenaient au galop et ils n'étaient pas agréables.
« J'étais là, dit Harry d'une voix étranglée. J'ai tout vu. Il n'y a rien à ajouter. »
« Vous ne comprenez rien, comme c'est votre habitude. Vous ne voyez que ce qui renforce vos préjugés. »
Harry, suffoqué, se croisa les bras. Il n'était plus un petit garçon que l'adulte pouvait critiquer à sa convenance. Il avait vingt ans, il était le vainqueur de Voldemort, il ne se laisserait pas intimider par un de ses laquais.
« Changez de ton avec moi. Je ne suis plus votre élève. Je ne suis même pas obligé d'être ici. Alors, dites ce que vous avez à dire et épargnez-moi vos commentaires ! »
Snape resta impassible, mais une lueur filtra entre ses cils.
« Sachez ceci : tout au long de votre sixième année à Poudlard, Albus Dumbledore était mourant. Il vous a parlé de sa blessure, il vous a dit que j'avais arrêté les effets du poison. Mais je ne pouvais que le ralentir, pas le guérir complètement. Albus était en proie à une lente agonie, d'autant plus terrible qu'il ignorait quel temps lui était encore imparti. C'est pour cette raison qu'il a passé tous ces moments avec vous. Il voulait désespérément vous transmettre tout ce qu'il savait de Tom Jedusor. »
Harry hocha la tête. Il se souvenait et il comprenait mieux. Snape avait le regard dans le vide, comme s'il revivait cette période ; ses derniers mois de professeur à Poudlard, les derniers mois où il avait été un homme respecté et considéré.
Snape poursuivit :
« Il était au courant de la promesse inviolable que j'avais faite à Narcissa Malefoy. J'avais fait le serment d'aider Drago à accomplir la mission que lui avait confiée le Seigneur des Ténèbres. C'est-à-dire à mettre le Directeur hors d'état de nuire. En dernier recours, je devais agir à sa place. »
« Je sais, dit Harry. J'ai entendu une conversation… Laissez-moi vous dire que je trouve votre promesse très imprudente. »
« Je n'ai pas eu le choix. Protéger ma place d'espion était le plus important. »
Harry faillit lui rire au nez.
« Bien sûr ! Votre rôle d'espion ! Et vous allez me dire que c'était uniquement pour aider l'Ordre du Phénix que vous avez assassiné Dumbledore. Vous allez me dire que vous étiez de notre côté tout ce temps ! »
Snape lui adressa un regard presque douloureux.
« Je n'essaie pas de vous convaincre, Potter. Ce serait peine perdue. J'essaie de vous expliquer. »
Harry s'assit en tailleur sur le sol.
« Vous me connaissez, ça risque d'être long. Continuez. »
Snape eut l'air surpris mais obtempéra.
« Je ne vous ferai pas croire qu'Albus m'avait formellement demandé d'abréger ses jours. Ce serait un mensonge. J'imagine que, jusqu'au bout, il a espéré trouver une issue de secours. Mais nous savions tous les deux que la fin était proche. Albus ne voulait pas que sa mort soit inutile. Il était le plus grand sorcier de son époque, il avait vaincu Grindelwald, il avait mené la première guerre contre le Seigneur des Ténèbres. »
« Et vous croyez que mourir de votre main pouvait le consoler ? » ironisa Harry, pour combattre la tristesse et la compassion qui gagnaient son cœur.
« Non. »
Snape semblait ne plus trouver ses mots. Les mâchoires serrées, il baissait les yeux.
« Ce qu'Albus espérait par-dessus tout, c'était renforcer ma position de confiance auprès du Seigneur des Ténèbres. Il s'agissait de notre seul espoir de prévoir ses actions. La seule chance de le détruire. »
« Et que s'est-il passé, ce jour-là ? Le jour où Albus est mort ? »
« C'était un piège. Pour lui, pour vous, pour Drago aussi, d'une certaine manière. »
« Ne me parlez pas de ce petit merdeux. »
« Vous perdez votre temps à le haïr. Il est mort. »
Harry retint une exclamation. Il l'ignorait ; mais il n'avait pas envie de demander comment, pas maintenant en tout cas. Il fit un geste impérieux.
« Continuez. »
« Drago devait tuer Dumbledore. Il n'a pas pu. Les deux imbéciles de Mangemorts qui étaient sur les lieux n'en auraient pas eu le cran non plus. »
« Mais vous, vous l'aviez. »
« Ne me regardez pas comme ça, Potter. L'enjeu des événements vous dépassait, comme il me dépassait moi. Albus m'a regardé, il m'a supplié et il m'a dit… »
« Il ne vous a rien dit d'autre ! »
« Il y a d'autres moyens que la parole pour communiquer. Albus Dumbledore était le meilleur Légilimens de Grande-Bretagne. Il m'a demandé de vous protéger, à tout prix. Je savais ce que ça signifiait. J'ai fait le choix qui s'imposait. »
Harry secouait la tête. Malgré lui, ses yeux se remplissaient de larmes et il luttait pour les contenir. Il asséna avec une colère froide :
« Et ça en valait la peine ? Voldemort vous a accueilli avec les honneurs ? Qu'est-ce que vous avez fait ensuite pour aider l'Ordre qui valait la mort de Dumbledore ? »
« A votre avis, qui a indiqué à Minerva les plans d'attaque des Mangemorts ? »
Harry en resta muet de stupéfaction. Il ne s'était jamais vraiment demandé d'où elle tirait les précieuses informations qu'elle livrait à l'Ordre. Mais Minerva ne parlerait pas en faveur de Snape. Elle faisait partie des nombreuses victimes de la guerre.
« Je sais qu'Albus avait laissé sa pensine et des documents importants dans sa résidence à Bath. Il m'avait promis de m'innocenter en laissant les souvenirs des conversations que nous avions eu, en écrivant le compte-rendu de mes actions contre Voldemort. Tout cela doit être encore chez lui. »
Il y avait une note d'espoir dans sa voix. Harry se dit que, s'il jouait la comédie, sa prestation mériterait un Oscar. Il répliqua avec brusquerie:
« Il n'y avait rien chez Albus, pour la bonne raison que sa maison de Bath n'existe plus. Elle a brûlé, et on n'a jamais su qui avait fait le coup. Vous ne saviez pas? »
Snape devint livide.
« Elle n'a pas été fouillée avant? »
« Pas par nous, en tout cas. »
« Minerva m'avait dit qu'elle ferait exécuter le portrait d'Albus, pour qu'il confirme que je n'ai pas trahi l'Ordre. »
Harry secoua la tête.
« Désolé, pas de portrait. Pas encore. »
Le temps qu'il soit peint, Snape serait mort depuis longtemps. Celui-ci parvint à la même conclusion car il sembla se voûter. Mais ses yeux gardaient leur éclat combatif.
« Je prendrais du Véritaserum si ça peut vous convaincre, Potter. »
Harry rétorqua:
« On peut résister au Véritaserum par la volonté, comme pour l'Imperium. Et je suis persuadé que vous ne manquez pas de volonté! »
Cette fois, Snape laissa échapper un soupir.
« Très bien. Allez-vous en. Vous ne m'êtes plus d'aucune utilité. »
Il semblait que Snape avait révélé tout ce qu'il voulait. Harry, toujours assis sur le sol, se mordait la lèvre inférieure.
« Qu'est-ce qui pourrait prouver que vous m'avez dit la vérité ? »
« Rien. »
Harry apprécia cette franchise. Au fond de lui, il devait admettre que Snape ne lui avait jamais menti par le passé. C'était même l'être le plus honnête qu'il avait croisé dans sa vie, qui ne masquait pas ses sentiments, même lorsqu'il s'agissait de mépris ou de colère. Harry se remémorait l'affreuse journée qui avait vu mourir Dumbledore, et il revoyait le visage presque inhumain de Snape, déformé par la douleur.
S'il disait la vérité, cela avait du être un tel calvaire… Harry esquissa un geste vers son ancien professeur, mais se ravisa.
« Qu'est-ce que vous attendez de moi ? »
Snape haussa les épaules.
« Rien. Je devais parler, au moins une fois. Que vous me croyiez ou non, ce n'est pas en mon pouvoir. »
Harry se leva d'un mouvement souple, sans l'aide de ses mains. Les yeux de Snape s'écarquillèrent un peu devant la grâce féline de ce geste.
« Je serai demain au procès, dit Harry. Et après cela, j'espère ne plus jamais vous revoir. »
Il quitta le parloir sans se retourner.
(à suivre)
