Je me suis aperçue que « la croisée des chemins » est le titre d'un chapitre du tome 4 "La coupe de feu"! C'est un hommage involontaire, mais du coup je suis contente d'avoir choisi ce titre. J'ai hésité, je trouvais que ça faisait « bibliothèque de Suzette, édition 1920 », mais je ne regrette plus!
Chapitre 3
Harry se leva et vint se placer devant les membres du Magenmagot. Tous le regardèrent avec bienveillance, mais seul le sourire de monsieur Weasley était totalement sincère. A la demande du ministre, il déclina son identité (était-ce bien la peine ?) et il fut autorisé à s'asseoir.
« Dans cette audience du 15 novembre 2000, vous êtes présent en tant que témoin du meurtre du sorcier Albus Dumbledore par l'accusé Severus Snape, dit Cassandra Willibad. Nous vous écoutons. »
Harry fit le récit des événements auxquels il avait assisté. C'était un souvenir toujours douloureux. Pendant quatre ans, il n'avait cessé de penser qu'il aurait pu faire quelque chose pour empêcher ça. A présent, il se disait que, si Snape ne lui avait pas menti, ce qu'il avait vu était le résultat d'un plan mûrement réfléchi par Dumbledore, Snape et McGonagall.
Il fit sa déposition sobrement, citant les faits sans les commenter. Mais il avait conscience que son témoignage était dévastateur ; il racontait un meurtre de sang-froid. S'il s'en tenait là, le sort de Snape était scellé.
Il se rappelait le regard de colère que Snape avait jeté à Dumbledore avant de lancer Avada Kedavra. S'il s'était réjoui de le tuer, il aurait dû le manifester, non? Un ricanement, une insulte, quelque chose! En réalité, il avait agi à contre-coeur, c'était clair à présent. Harry se serait donné des gifles pour avoir raté tous les indices qui se trouvaient devant lui...
Un choix s'offrait à lui : il pouvait garder pour lui les révélations de son professeur, ou au contraire en faire part aux juges. Après tout, Snape lui-même ne s'attendait pas à ce qu'il le défende. Leurs relations avaient toujours été violemment conflictuelles. Ce serait si simple de se débarrasser de Snape pour toujours. Il n'y avait même rien à faire ; il suffisait de se taire.
C'était à son tour de faire un choix.
Lorsque Harry eut achevé son récit, le ministre tourna le regard vers Snape.
« Qu'avez-vous à dire pour votre défense ? »
« Rien. »
Le silence qui suivit renforça encore l'horreur que l'accusé inspirait. Harry n'était pas surpris par l'absence de réaction de Snape. L'homme avait espéré que le témoignage posthume de Dumbledore l'innocenterait. Ce témoignage étant désormais impossible, il s'était résigné à son sort. Au sein de l'Ordre, personne ne lui avait jamais vraiment fait confiance. Il était fatigué de lutter.
« Moi j'ai quelque chose à ajouter », dit Harry.
Les juges lui firent signe de continuer.
« Malgré les apparences, la mort de Dumbledore n'était pas un meurtre, mais un sacrifice. Snape n'a fait qu'obéir à ses ordres. »
Le ministre, qui avait le regard plongé dans les papiers devant lui, sursauta et regarda Harry comme s'il avait brutalement perdu la raison. Le jeune homme poursuivit, d'un ton catégorique :
« Albus Dumbledore était condamné. Le poison le rongeait lentement depuis qu'il s'était exposé en cherchant les Horcruxes. Il a décidé que, le moment venu, le professeur Snape devrait l'achever devant témoins. Voldemort a cru ainsi que le professeur était un partisan fidèle et il lui a confié des informations qui ont aidé l'Ordre du Phénix à le prendre à son propre piège. »
Alors que les cinq juges se regardaient avec surprise, Harry leva haut le menton et proclama avec assurance :
« Severus Snape n'est pas le traître que vous croyez. C'est un héros. Sans lui nous n'aurions jamais gagné, et c'est vous qui comparaîtriez devant Voldemort, à l'heure qu'il est. »
Kingsley Shacklebolt, en bon Auror, exprima aussitôt sa méfiance :
« Il déraisonne. Quelqu'un lui a jeté un sortilège Imperium ! Vous permettez, monsieur Potter ? »
Avant que Harry n'ait pu lui dire que c'était inutile, il avait pointé sa baguette et lancé Finite Incantatem. Harry soupira.
« Aucun Imperium à l'horizon, monsieur Shacklebolt. Personne ne me manipule, croyez-moi. »
Les sorciers du Magenmagot restèrent silencieux. Scrimgeour se pencha en avant, les sourcils froncés.
« Vous nous répéteriez ça sous Veritaserum, monsieur Potter ? »
Harry accepta tout de suite. Il tendit la main vers le flacon qu'on lui tendait et déposa lui-même trois gouttes sur sa langue. Il n'osait pas se retourner vers Snape pour voir comment celui-ci réagissait à cette tournure inattendue des événements. Mais il sentait le poids de son regard sur sa nuque. Après avoir été son élève six ans à Poudlard, il savait immanquablement quand Snape le regardait.
Harry se sentit bientôt engourdi. Le Veritaserum faisait son effet.
Le ministre se pencha en avant avec un air sceptique.
« Reprenons, monsieur Potter. Quels liens a le professeur Snape avec l'Ordre du Phénix ? »
« Il en fait partie. Il est agent double, il espionnait Voldemort pour le compte de l'Ordre. »
« Avez-vous des preuves de sa loyauté envers l'Ordre ? »
Tout était effectivement une question d'interprétation, se dit Harry. Il avait finalement choisi d'interpréter les actes de Snape comme ceux d'un homme loyal, à défaut d'être un homme gentil. La gentillesse était merveilleuse mais ne permettait pas de gagner les guerres.
« Il m'a sauvé la vie plusieurs fois. Il a empêché Quirrell de me supprimer alors que je n'avais que onze ans. Il a envoyé les secours au ministère de la magie quand Voldemort nous a tendu un piège, à mes amis et moi. Il m'a poussé à maîtriser l'Occlumencie, et c'est ce qui m'a permis de vaincre Voldemort. »
Harry savait qu'il n'exagérait pas. En lui disant de fermer son esprit, Snape lui avait donné la clé ; Harry avait pris Voldemort par surprise en lui arrachant sa baguette, et les sortilèges d'Avada Kedavra (lancés en même temps par Ron, Hermione, Remus, Tonks et Harry) avaient eu raison du sorcier qui n'avait plus rien d'humain.
Harry prit une profonde inspiration pour combattre les effets du Veritaserum. Il voulait garder sa lucidité et ne pas ressembler à un junkie en transe. Il lança :
« Par-dessus tout, je sais que Snape nous est resté fidèle parce que Voldemort lui-même me l'a confirmé. »
« Comment cela ? » demanda Amelia Bones.
« Lorsque je me suis retrouvé face à lui pour la dernière fois, il m'a dit qu'il savait que Snape était un traître ; qu'il lui réglerait son compte après m'avoir tué ; et qu'il jetterait nos deux cadavres devant la porte du ministère. »
« Quelqu'un pourrait attester la véracité de vos dires, monsieur Potter ? » demanda Schacklebolt.
Le fier Auror semblait ennuyé de voir s'éloigner la condamnation à mort prévue.
« Les seuls au courant des vraies activités de Snape étaient Albus Dumbledore, Minerva McGonagall et moi. Navré d'être le seul survivant. »
« Vous n'avez donc aucune preuve matérielle à fournir, ni même de témoignage concordant ? » précisa Cassandra Willibad.
Harry n'aimait pas son air condescendant et il contre-attaqua tout de suite.
« Ma parole devrait vous suffire. Vous ne pouvez pas croire que moi je désirerais protéger un vrai Mangemort d'un châtiment mérité. Peut-être pourrions-nous porter le débat en place publique, pour savoir ce que la population en pense. »
« Il n'est pas question de mêler la presse aux audiences du Magenmagot ! » protesta Amelia Bones, alarmée.
« Puisque vous rendez la justice au nom du peuple, il me semble logique que le peuple soit au courant… »
Le ministre s'agita, mal à l'aise.
« Nous vous remercions de votre déposition, monsieur Potter. Nous allons délibérer. »
Harry fit demi-tour. Il vit Snape, toujours entravé par les chaînes. Leurs yeux se croisèrent, et Harry aurait donné cher pour connaître les pensées de l'homme dont il venait – il l'espérait – de sauver la vie. Il se rappela que Dumbledore avait pris la défense de Snape ici-même, des années auparavant. Il se sentit fier de l'avoir imité.
Les sorciers du Magenmagot chuchotaient avec animation. Comme ils avaient oublié de jeter un sort de silence, Harry entendit Amelia Bones dire de sa voix aigüe: « Si Voldemort le croyait... » Harry esquissa un sourire. Il se doutait que cet argument porterait, plus encore que son propre témoignage. Faites confiance à ces abrutis pour douter de leurs héros, mais pas de leurs ennemis!
Les juges avaient terminé leur conciliabule. Le ministre de la magie se leva.
« En l'absence de preuves, le Conseil estime fiable le témoignage sous Veritaserum de monsieur Potter. Le Conseil lève les charges retenues contre Severus Snape. Accusé, vous êtes libre. »
Harry, au fond de la salle, poussa un soupir de soulagement. Il était surpris de voir à quel point la libération de Snape était importante pour lui. S'il sondait son cœur avec honnêteté, il était obligé de convenir qu'il avait toujours voulu croire en Snape ; que si la haine le brûlait, après la mort de Sirius et de Dumbledore, c'était parce qu'il se sentait trahi.
Mais peut-être était-il mieux, pour sa tranquillité d'esprit, de ne pas sonder son cœur trop profondément.
Il adressa un petit signe à Arthur Weasley. « A demain », articula-t-il en silence. Monsieur Weasley lui sourit de loin.
Snape fut débarrassé de ses chaînes. Un peu chancelant, il se leva avec précaution. Aussitôt, il chercha Harry des yeux, mais le jeune homme avait disparu.
Le garde qui l'avait conduit de sa cellule à la salle d'audience s'adressa à lui avec une déférence nouvelle :
« Pour récupérer votre baguette, vous pouvez vous adresser au troisième sous-sol, monsieur Snape. »
Snape fit un vague mouvement de tête. Ses yeux étaient toujours fixés sur la porte par laquelle Harry était sorti. Son garde ne fut pas découragé par son mutisme, et continua son bavardage.
« Il ne faut pas nous en vouloir si on vous a traité un peu rudement, ces jours-ci, monsieur. Tout le monde croyait que vous faisiez partie de cette vermine de Mangemort. En plus, il y en a tellement qui ont réussi à s'enfuir, comme Lucius Malefoy. Vous avez eu de la chance que Harry Potter se porte garant pour vous. Le ministre ne peut dire non à Harry Potter… »
Snape massa ses tempes du bout des doigts. Après des jours de cachot, la lumière vive des couloirs du ministère agressait ses yeux et provoquait un début de migraine. Et le garde bavard ne se décidait pas à le lâcher.
« Vous avez eu aussi de la chance que Harry Potter ait le temps de venir jusqu'ici. Il est très occupé, notre Harry. Et avec ce qui l'attend demain, il a sûrement des préparatifs de dernière minute… »
Snape s'immobilisa brusquement.
« Quoi donc ? Qu'est-ce qui l'attend demain ? »
« Il épouse Ginny Weasley. »
(à suivre)
