La bouilloire se mit à siffler. D'un geste distrait, Harry éteignit la plaque de cuisson. Il se servit un thé, brûlant comme il l'aimait, et il le but en regardant la pluie fouetter les fenêtres sans répit. Dans la maison isolée régnait un silence qu'il trouvait de plus en plus assourdissant. Mais il refusait de faire jouer de la musique ou d'acheter une télévision seulement pour le bruit d'ambiance, seulement pour se sentir moins seul. Il n'en était pas là. Pas encore.
Il était seul dans cette maison depuis quatre mois. Après deux ans de vie familiale et de compétitions sportives, la solitude avait brutalement fondu sur lui comme un oiseau de proie. Il avait quitté l'équipe de Quidditch: ce jeu lui paraissait dérisoire, à présent. Il vivait dans cette maison comme un ermite. Il avait peu de contact avec le reste du monde, hormis les Weasley et Hermione. La jeune fille n'était pas dupe: plus Harry lui disait qu'il tenait le coup, plus elle réalisait qu'il était malheureux.
S'il devait être parfaitement honnête, il reconnaissait qu'il avait hésité à se marier. Il était encore très jeune (trop?), mais Molly Weasley lui répétait sans cesse que c'était mieux, qu'elle et Arhur étaient jeunes aussi, que les propres parents de Harry n'avaient pas attendu non plus... Ginny, bien sûr, était plus que favorable à cette union. Cela faisait beaucoup rire les jumeaux, qui plaisantaient sur la rage des filles à vouloir se caser. Harry savait instinctivement qu'il aurait mieux valu attendre, qu'il n'était pas sûr. « Sûr de quoi? » avait demandé Ginny. Il n'avait pas su lui répondre. Il lui semblait qu'une silhouette sombre s'interposait et lui disait qu'il se trompait.
Des idioties, tout cela. Devant l'autel, face à Ginny et à tous leurs amis au grand complet, il avait dit oui. Il ne pouvait pas dire autre chose, c'était bien trop tard. Son regard se promenait dans l'assistance, et Ron, son témoin, lui avait demandé s'il cherchait quelqu'un. Harry avait répondupar la négative.
De toute manière, il avait apprécié sa nouvelle existence. C'était agréable de rentrer le soir et de savoir que quelqu'un l'attendait avec impatience. Un but dans la vie, une vie de famille, c'était tout ce qu'il voulait.
L'horloge magique tintait avec insistance, l'aiguille fixée sur l'inscription « Va dormir, et au trot! » Il était tard. Harry retardait l'heure de rejoindre son lit, lieu d'insomnies et de cauchemars. Une nouvelle fois, il pensa qu'il aurait dû prévoir que Lucius Malefoy s'en prendrait à ceux qu'il aimait. Il aurait dû insister auprès de Scrimgeour pour que les Mangemorts soient activement recherchés. Il aurait dû protéger Ginny. Il aurait dû...
Une sonnerie stridente retentit dans la maison, arrêtant les regrets du jeune homme. Un sorcier (ou une sorcière) tentait de pénétrer dans le périmètre sécurisé par les barrières magiques.
Harry s'enveloppa dans sa cape d'invisibilité, serra sa baguette dans sa main et se concentra pour transplaner.
Il apparut à l'extérieur. Sans prêter attention à la pluie ruisselante, il chercha des yeux l'intrus, et avisa une silhouette sombre à quelques mètres. Il s'approcha. Soudain, il eut l'impression de recevoir un coup dans la poitrine.
Il venait de reconnaître la longue chevelure de Lucius Malefoy.
Rapide comme l'éclair, il ôta sa cape et révéla sa présence, tout en pointant sa baguette sur Malefoy. Celui-ci tourna la tête pour le regarder, mais ne fit pas d'autre geste. Harry s'aperçut que du sang maculait son visage et ses cheveux. Il se tenait bizarrement, comme si une de ses jambes le faisait souffrir. Et ses mains étaient liées par une corde.
Derrière lui, à peine visible dans la nuit, se tenait Severus Snape.
Harry resta muet de saisissement. Les pensées se bousculaient dans sa tête. Qu'est-ce que cela signifiait?
Snape poussa Lucius Malefoy en avant. Celui-ci trébucha et manqua de tomber.
« Il est à vous, Potter. Vous pouvez faire de lui ce que bon vous semble. »
La voix de Snape était aussi froide et mesurée que d'habitude, comme s'il ne se passait rien d'exceptionnel. Harry reprit ses esprits. Du menton, il indiqua sa maison, au bout de l'allée.
« Entrez, tous les deux. »
Snape donna à nouveau une vigoureuse poussée dans le dos de Malefoy. Celui-ci se mit en marche vers la maison, sans émettre un son. Il boitait fortement, et ses mains liées ne l'aidaient pas à conserver son équilibre. Il lui fallut de longues minutes pour atteindre le perron. Snape le suivait de près, comme s'il s'attendait à un geste de révolte.
Harry entra le dernier et verrouilla la porte derrière lui. Il considéra avec attention les deux sorciers devant lui, ruisselants, et l'air de rescapés d'une bataille ardente. Snape aussi avait du sang sur l'arcade sourcillère et il semblait tituber d'épuisement.
Harry pointait toujours sa baguette sur Malefoy. Même entravé et blessé, l'homme restait dangereux. Bien entendu, malgré les circonstances présentes, il gardait son attitude arrogante. Il défiait Harry du regard. Le jeune homme ne détourna pas les yeux, tout en s'adressant à Snape.
« Pourquoi êtes-vous ici? »
Snape se laissa aller contre le mur, comme s'il avait besoin d'un soutien.
« Je l'ai capturé . Je pouvais certes le livrer aux Aurors, mais j'ai pensé que vous préféreriez vous charger vous-même de son sort. »
Harry déglutit. En regardant Lucius Malefoy, une vague de rage et de haine brûlante menaçait de le submerger. Il respira et tenta de reprendre le contrôle de ses émotions. Malefoy prit soudain la parole:
« Ne criez pas encore victoire, Potter. Vous êtes peut-être le jouet de la dernière machination de Snape. »
Celui-ci lui jeta un regard féroce:
« Tu as perdu. Aie la grâce de l'admettre. »
« Traître un jour, traître pour toujours, hein Servilus? »
La baguette d'Harry vint se poser contra sa gorge.
« Changez de ton. Vous êtes chez moi, ici. »
Le rire de Malefoy était parfaitement déplaisant.
« Vous faites une belle paire, tous les deux. Le prétendu Sauveur du monde et le Mangemort repenti. Il ne vous a jamais traversé l'esprit, Potter, que votre ami avait un pied dans chaque camp pour être sûr d'être avec les vainqueurs, quels qu'ils soient ? »
Harry n'avait pas l'intention de laisser ce lâche assassin mener les débats.
« Il ne vous a jamais traversé l'esprit, Malefoy, que vous feriez mieux de fermer votre grande gueule en ma présence? »
Harry s'avança, dévisageant son adversaire avec intensité. Il se rappelait le soir où Voldemort avait pris son sang pour renaître, la présence ricanante de Malefoy auprès de son Maître; le combat épique au Ministère de la magie où Sirius avait péri; la dernière bataille contre Voldemort, qui avait son fidèle serviteur à ses côtés. Malefoy avait toujours été son ennemi, mais pourquoi s'en prendre à Ginny?
Harry réalisa qu'il avait posé la question à haute voix. Malefoy haussa les épaules.
« Si ça peut vous consoler, vous étiez ma cible ce jour-là. Je n'ai pas pu m'approcher du terrain, ni des vestiaires. Vous étiez trop bien gardé. C'est alors que j'ai vu votre femme dans les gradins. »
« Espèce d'immonde... »
Sans achever sa phrase, Harry lança « Doloris! » et eut l'amère satisfaction de voir Malefoy se tordre de douleur sur le sol. Les yeux figés, le bras tendu, il prolongea le sortilège jusqu'au bout de ses forces. Snape assistait à la scène, impassible.
Harry jeta le sortilège trois fois, jusqu'à ce que Malefoy n'ait plus de souffle pour crier. Il s'avança vers le tas de loques qui se tortillait à terre.
« Je pourrais abréger vos souffrances, là, maintenant. »
Malefoy leva vers lui un regard hagard. Il n'y avait plus d'arrogance chez le Sang-Pur fier de ses origines. Ce n'était plus qu'un être pitoyable qui suppliait pour sa vie.
« Non! Je vous en prie, ne faites pas ça! Je vous en conjure! »
Il essaya de se traîner vers Harry, tendit la main. Harry recula, rempli de dégoût, et hésita. Il ne voyait plus devant lui qu'un homme de cinquante-trois ans, vieilli prématurément, qui avait perdu sa femme et son fils, sa position sociale, sa fortune; un animal traqué par tous les Aurors du pays. Quelle fin méritait-il?
Harry prononça la formule, mais ce n'était pas celle que Malefoy attendait. L'homme se retrouva pieds et poings liés, suspendu dans les airs. Harry prit un morceau de papier et griffonna quelques mots. Il le fourra dans la poche de Malefoy, laissant dépasser l'en-tête: « Pour Kingsley Shacklebolt ». Une rotation de baguette entre ses doigts, et Lucius Malefoy disparut avec un « pop ».
(à suivre)