Chapitre 6
« Je l'ai envoyé au ministère », expliqua Harry, comme si c'était nécessaire.
Snape poussa un soupir.
« On pouvait espérer que l'expérience vous avait appris quelque chose. Vous avez laissé vivre Pettigrow et il vous a livré au Mage Noir. Qui vous dit que Malefoy ne trouvera pas une échappatoire? Vous devriez saisir toutes les occasions de vous venger. Malefoy n'a pas hésité, lui. »
« Si j'utilise les mêmes méthodes, je ne vaux pas mieux que lui. »
Harry baissa soudain la tête, brûlant de honte.
« Mon Dieu, je l'ai torturé... »
« Remettez-vous. Ce n'est pas un grand mal pour l'espère humaine. »
Harry esquissa un sourire et regarda attentivement son ancien professeur. Il fut frappé par sa grande pâleur et son immobilité.
« Vous n'avez pas l'air bien. »
« Traîner Malefoy jusqu'ici n'a pas été une promenade de santé. Il n'était guère coopératif. »
« Vous voulez un remontant? »
« Non. Je vais repartir. Je n'oublie pas que vous m'avez dit ne plus jamais vouloir me revoir, il y a trois ans. »
Harry sentit ses joues s'enflammer malgré lui.
« Ce n'est pas ce que... Je vous suis très reconnaissant... »
Snape l'interrompit en se redressant de toute sa taille. Il tituba un peu puis reprit l'équilibre. Harry esquissa un geste pour l'aider mais, connaissant l'homme, se ravisa.
Snape marcha vers la porte et la franchit sans se retourner.
« Adieu, Potter. »
Harry, abasourdi, tourna les talons et alla se servir un verre d'alcool qu'il vida d'un trait. Les événements de la soirée avaient remué en lui de profondes émotions, le laissant épuisé. Il jeta un coup d'oeil par la fenêtre.
Snape gisait dans l'allée. Son corps était à peine visible dans la nuit.
Harry se précipita dehors.
HPHPHPHP
Snape ouvrit les yeux. Il reposait dans un lit, vêtu d'une chemise de nuit qui ne lui appartenait pas. Il n'eut pas à se demander où il était. Assis à son chevet, Harry Potter versait de l'eau dans un verre et le lui tendit. Snape but plusieurs gorgées.
Harry croisa les bras.
« J'ai utilisé les charmes guérisseurs que madame Pomfresh nous avait appris. Plusieurs plaies, deux côtes cassées, les effets secondaires d'un sortilège Doloris et le début d'une belle grippe. J'espère n'avoir rien manqué. »
« Vous ne vous étonnerez pas si je vous dis qu'en sortant d'ici j'irais voir un professionnel? »
Harry sourit légèrement.
« Je vous le recommande. Bon sang, Snape, vous auriez pu dire quelque chose au lieu de fuir comme ça! »
« Je peux vous assurer que je ne fuyais pas. »
Harry fit une moue dubitative et se leva.
« Vous avez faim? »
« Oui », concéda Snape comme s'il admettait une faute grave.
« Je reviens. Ne bougez pas de ce lit. »
Pendant qu'il préparait un plateau, Harry repensait à la soirée de la veille avec un curieux sentiment d'irréalité. Il avait peine à croire que c'était vraiment arrivé, et non un rêve bizarre. Pourtant c'était bien réel. La présence de Snape l'attestait, de même que le message qu'il avait reçu de Shacklebolt, lui annonçant le transfert de Malefoy à Azkaban. Harry lévita le plateau jusqu'à son destinataire. Puis il indiqua la porte derrière lui.
« Dans la salle de bains, vous trouverez vos vêtements, secs et propres. »
Snape leva un sourcil.
« Pousseriez-vous l'obligeance jusqu'à me faire couler un bain, Potter?'
« Certainement. Profitez-en, c'est mon jour de bonté. Ensuite je vous jetterai dehors. »
Snape sourit. Harry fut fasciné par le nouveau visage qu'il voyait. Sourire sincèrement, sans malveillance, transfigurait son ancien professeur. Cela lui allait bien.
Harry fit couler l'eau dans la baignoire et vérifia que les serviettes étaient propres avant de quitter la chambre. Laissant un peu d'intimité à son ancien professeur, il regagna la cuisine.
C'était curieux d'avoir Snape ici, sous son propre toit. C'était encore plus curieux de constater qu'ils s'entendaient bien. Certes, il n'en était pas encore à l'inviter pour les vacances de Noël, mais tous les deux parvenaient à discuter sans en venir aux mains; ils parvenaient même à plaisanter.
Depuis combien de temps Harry n'avait-il pas souri et plaisanté?
La présence de Snape lui faisait du bien.
Une heure plus tard, Harry frappa à la porte de son hôte. Il n'y eut pas de réponse. Inquiet, il entra. Le lit était vide. La porte de la salle de bains s'ouvrit alors et Snape parut, une serviette nouée autour des hanches, ses vêtements à la main.
« Désolé, dit Harry. Je venais récupérer le plateau. »
La gorge sèche, il ne pouvait quitter l'homme du regard. La longue robe noire avait caché, toutes ces années, un corps magnifique. Elancé, fin, pas trop musclé, imberbe. Une statue d'Hermès.
Harry prit le plateau et battit en retraite.
HPHPHPHP
Plus tard dans la journée, Snape rejoignit Harry dans la bibliothèque. Il promena son regard sur les étagères couvertes de volumes.
« Il semblerait que votre éducation n'ait pas été une totale perte de temps. »
Harry se rengorgea intérieurement.
« J'ai beaucoup d'ouvrages de sorcellerie. Je me rends compte qu'il y a énormément de choses que j'ignore. Je voudrais m'instruire. »
Snape feuilletait un ouvrage de magie noire.
« Si vous entendez combler toutes vos lacunes avant de quitter cette pièce, je peux tout aussi bien vous enfermer et jeter la clé. »
Harry se mit à rire. Il lui semblait que Snape ne réussirait plus jamais à le vexer.
« Plaisanterie mise à part, continua Snape, vous devriez songer à rejoindre le monde des vivants. Il ne sert à rien de vous terrer dans cette bicoque comme un reclus. »
Harry se dit qu'il avait pensé trop vite. Frémissant de colère, il répliqua:
« De quoi vous mêlez-vous? Je mène ma vie comme je l'entends! »
Snape lui décocha un regard sévère.
« Je vous dis ce que vos amis Weasley devraient vous dire s'ils avaient un sou de bon sens, Potter. Vous êtes trop jeune pour vous complaire dans le chagrin et les souvenirs. Si vous n'allez pas de l'avant, vous finirez aigri, misanthrope et pathétique. »
« Comme vous? » lança Harry avant de se mordre les lèvres, trop tard pour ravaler ses paroles.
Snape resta impassible.
« Oui, comme moi. »
« Pardonnez-moi, dit Harry. Je n'aurais jamais dû dire cela. J'ai appris que vous avez ouvert votre propre entreprise. Vous avez su aller de l'avant après Poudlard. »
« Je n'avais guère le choix. J'ai besoin de travailler. Même si créer des potions pour sorcières frivoles n'est pas ce que je préfère. Pour ne rien vous cacher, je songe à tout arrêter. Si je pouvais trouver un emploi qui empoisonne la vie du ministère, je serais pleinement satisfait. »
Harry se détendit, sa colère passée. Les confidences de Snape lui permettaient de penser à autre chose qu'à ses propres souffrances. Peut-être était-ce le moment de provoquer d'autres confidences?
« C'est pour empoisonner le ministère que vous avez capturé Malefoy? Comment est-ce arrivé? Vous l'avez croisé à la réunion des Mangemorts Anonymes? »
Les yeux noirs plongèrent dans les siens et ne les lâchèrent plus.
« Il était temps que quelqu'un mette fin à ses agissements. Je connais mieux Malefoy que votre ami Kingsley, je savais qu'il rentrerait en contact avec certaines personnes. Il m'a fallu des semaines de patience, mais je l'ai débusqué. »
« Des semaines? Quand avez-vous commencé vos recherches? »
« Il y a quatre mois. »
Harry fit un rapide calcul. Cela signifiait que Snape avait entrepris sa traque juste après...
Il déglutit avec peine.
Mon Dieu.
Snape le fixait toujours comme s'il voulait l'hypnotiser. Son regard était très intense, même pour lui. Harry sentit des papillons battre des ailes dans son ventre, et c'était une étrange sensation, douce-amère.
« Merci », dit Harry, dès qu'il parvint à articuler un mot.
Snape fit un hochement de tête.
« Ce devrait être ma réplique. Votre déposition au Magenmagot m'a sauvé la vie. »
« Vous l'espériez, non? C'est bien pour ça que vous avez demandé à me voir, la veille de l'audience. »
« Je n'osais espérer que vous me croiriez sur parole. »
« Peut-être que je ne demandais qu'à vous croire », dit doucement Harry.
« Puis-je vous poser une question? dit Snape, très formel. Est-ce que Voldemort vous a vraiment dit qu'il connaissait ma trahison? »
Harry sourit, avec un air rusé qui expliquait que le Choixpeau ait voulu l'envoyer à Serpentard.
« Non. Il n'y avait pas de preuves alorsj'ai dû inventer ça. Voldemort n'a pas parlé de vous, désolé. Je vous avais dit qu'on pouvait mentir sous Veritaserum. »
Snape sembla se retenir de rire et dit:
« Merci. »
De nouveau, leurs yeux se pénétraient. Harry, comme pour échapper à un sortilège, se retourna brusquement et alla se poster près de la fenêtre. Un coup d'oeil dans son reflet pour s'assurer qu'il ne rougissait pas, une profonde inspiration pour se calmer.
« Alors, c'est pour ça que vous avez cherché Malefoy, c'est une contrepartie de mon témoignage? Encore une de ces histoires stupides de dette entre sorciers? »
« Non, ce n'est pas la raison. »
Harry sursauta. Snape se tenait juste derrière lui, et il ne l'avait même pas entendu approcher. Sans qu'il sut lequel des deux avait fait le premier mouvement, il se retrouva contre le torse de Snape. Celui-ci l'étreignit avec force. Harry réalisa qu'il avait passé les bras autour de sa taille et qu'il rendait l'étreinte. Ils restèrent un long moment dans les bras l'un de l'autre. Harry releva légèrement la tête. Leurs joues se frôlèrent.
Le jeune homme sentit une bouche chercher la sienne. Il esquissa un geste de refus, mais déjà il était pris dans le baiser. Le vertige le saisit. Il eut l'impression qu'un brasier s'allumait dans ses reins. Il se pressa avidement contre Snape et l'embrassa à son tour, avec une fougue qui le surprit lui-même.
(à suivre)
