Notes: merci beaucoup pour vos reviews! Je suis très touchée par vos compliments. Et merci également à ceux qui me lisent.

Je réponds toujours aux reviews (soit par le système Reply, soit par mail), alors j'aimerais bien que les anonymes me laissent un moyen de les remercier personnellement.


Chapitre 9

Severus se leva tôt, comme d'ordinaire, et constata une fois de plus qu'il avait peu dormi. Certes la guerre était terminée, ainsi que son rôle d'espion; mais il ne pouvait totalement se défaire de ses insomnies. Elles reflétaient ses angoisses, son sentiment permanent d'insécurité. Elles ne le lâcheraient pas tant qu'il ne serait pas en paix avec lui-même.

Autant dire que ça n'arriverait jamais.

Même si la justice avait levé les charges pesant contre lui, il ne se pardonnait pas d'avoir tué Albus. Ce n'était pas un meurtre, au sens propre. Mais il l'avait bel et bien tué. Rien ne pourrait effacer ça.

Pourtant, Harry Potter avait choisi de croire en sa parole, au point de prendre sa défense devant le Magenmagot; au point de mentir sous Veritaserum, ce qui exigeait beaucoup de détermination.

Dire que cet acte avait profondément remué Severus était un euphémisme. C'était tout son monde qui basculait. Contre toute attente, le Sauveur, le héros, l'incarnation du Bien, lui avait donné sa confiance.

Ce jour-là, si Harry Potter lui avait demandé de tuer pour lui, il l'aurait fait. Si Harry Potter lui avait demandé de mourir pour lui, il l'aurait fait.

Ce jour-là, il avait aussi compris... Il avait su...

Mais Harry avait épousé Ginny Weasley. Severus était resté incrédule. Il était néanmoins sûr de ne pas se tromper. Son instinct, très fiable depuis toujours, le lui criait. Finalement, il ne savait pas qui se vautrait dans le déni, de Potter ou de lui-même.

Il avait su aller de l'avant, comme Harry l'avait reconnu. Il était satisfait de son petit commerce. Il fabriquait sur demande des remèdes compliqués, qui ne lui rapportaient pas grand chose, et des lotions pour la peau qui lui assuraient une vie confortable. Et toujours aussi solitaire.

Ce qu'il ressentait n'était pas de l'ennui. Il ressentait... un vide absolu, une absence totale de sentiments. Il vivait par habitude. Il n'avait plus ni buts, ni désirs.

Jusqu'à la date du 2 août 2003.

Tout abandonner pour se lancer à la poursuite de Lucius Malefoy lui avait paru naturel. Evidemment, il devait beaucoup à Potter, mais comme il le lui avait dit, ce n'était pas la raison principale.

Personne n'avait le droit de faire souffrir Harry.

Après la guerre, il s'était pourtant réjoui que Lucius ait échappé aux Aurors. C'était son ami, autrefois, et le dernier vestige de l'empire Malefoy. Il espérait que Lucius aurait la sagesse de disparaître définitivement et de se faire oublier. Il avait sous-estimé l'esprit malade de cet homme. Lucius ne vivait que pour tuer. Pauvre fou! Severus n'aurait rien trouvé à redire si Harry s'était vengé par un Avada Kedavra. Mais non, bien sûr. Le jeune homme restait noble jusqu'au bout.

Harry avait changé en trois ans. Sa physionomie n'avait plus rien d'enfantin. Il avait beaucoup mûri. Il n'en était que plus attirant. Severus avait ressenti le danger comme un vertige...

Severus avait vraiment eu l'intention de partir après lui avoir livré Lucius. Les circonstances en avaient décidé autrement. Et Severus avait été faible. Il n'avait pas pu réprimer ce qui le poussait vers Harry. Cela s'était achevé en désastre.

Un moment de plaisir physique, aussi intense que fugace.

Ensuite Harry lui avait dit...

Severus se força à arrêter là ses réminiscences. Il descendit l'escalier qui menait de son appartement à sa boutique. Par chance, ses clients ne s'étaient pas formalisés de son absence de quatre mois. Ils étaient toujours aussi nombreux à se presser derrière le comptoir. Severus n'avait révélé à personne la raison de sa disparition. Il avait formellement interdit à Harry de parler de son rôle dans la capture de Malefoy. Moins on parlerait de lui, mieux cela vaudrait.

Pendant un moment, Severus avait espéré que Harry se manifesterait. Qu'un jour, il passerait la porte et lui dirait qu'il regrettait.

Mais les semaines avaient succédé aux semaines, et Harry n'était pas venu.

Severus devait tourner la page, une fois de plus. Et se sortir Harry Potter de la tête définitivement!

« Belle résolution, murmura sa petite voix intérieure. Tu avais pris la même, après le mariage de Harry: te le sortir de la tête. Trois ans plus tard, il a suffi que Harry soit malheureux pour que tu te précipites à son secours... »

Cela n'arriverait plus. C'était terminé.

Severus jeta un coup d'oeil circulaire sur sa boutique. Cela, c'était quelque chose de tangible, qu'il ne devait qu'à lui-même. Il devait s'y raccrocher, de toutes ses forces.

Il y eut un bruit dehors. Comme si on toquait à la fenêtre.

Severus ouvrit le volet avec précaution. Il fut très surpris par ce qu'il vit.

HPHPHPHP

Severus avança vers la porte du manoir Locksley et frappa deux coups avec le heurtoir de bronze. Immédiatement, la porte s'ouvrit. Severus entra dans le hall et jeta un coup d'oeil intrigué autour de lui. Le manoir, à l'abandon pendant de nombreuses années, avait été admirablement restauré. Les peintures avaient retrouvé leur éclat, le dallage marbré miroitait sous les pas et pas un grain de poussière n'était décelable.

Un jeune homme, trapu et d'allure balourde, s'approcha du visiteur.

« Professeur Snape? »

Severus le reconnut alors.

« Vincent Crabbe! Que diable faites-vous ici? »

« Je travaille. Depuis trois semaines déjà. C'est moi qui reçois les visiteurs et qui les renseigne. »

Crabbe se redressa, visiblement fier de sa fonction.

« Vous travaillez pour Harry Potter. Surprenant... »

« Il me fait confiance. Et c'est un bon patron », dit Crabbe sévèrement.

Personne ne critiquerait Harry Potter devant lui!

Severus esquissa un sourire, devinant que Crabbe avait donné sa loyauté à Harry, comme auparavant à Drago Malefoy.

« Il vous attend, professeur Snape. Il est dans l'aile ouest, au premier étage. »

Severus prit l'escalier. Le premier étage était décoré moins richement que le hall, mais il respirait le confort et la propreté. Severus entra dans la première pièce et fut assailli par son pire cauchemar – des cris d'enfant.

Une bonne vingtaine de marmots s'ébattait avec enthousiasme dans ce qui était leur salle de jeux. Des jouets en pagaille jonchaient le sol. Un trampoline près de la fenêtre avait beaucoup de succès et plusieurs enfants se le disputaient avec grand bruit. D'autres se pourchassaient joyeusement à travers la pièce, flanquant tout par terre sur leur passage. Un peu à l'écart de ce remue-ménage était assis Harry, une fillette sur les genoux. Il lui parlait gentiment et elle le dévorait des yeux. Puis elle lui tendit sa poupée, qu'il embrassa avec un grand sérieux. Souriante, elle partit en serrant sa poupée contre son coeur. Harry, levant les yeux, aperçut Severus et quitta sa chaise pour venir à sa rencontre. Il souriait. Severus laissa ses yeux s'attarder sur cette bouche délicate.

« Je suis heureux que tu aies pu venir. »

« J'ai été surpris de recevoir ton hibou. J'aimerais savoir pourquoi tu m'as fait venir... (Il promena son regard sur la pièce)... dans cette antichambre de l'enfer. »

Harry se mit à rire, un peu nerveusement.

« C'est mon oeuvre, Severus. Je viens de créer cet orphelinat. »

Severus le regarda avec un air mi-incrédule, mi-compatissant. Harry s'expliqua:

« C'est toi qui m'y as incité, dans une certaine mesure. Tu m'as dit de sortir de mon isolement. Je voulais faire quelque chose d'utile, qui me tienne à coeur. Et rien ne me tient plus à coeur que de donner un foyer à des petits sorciers dont personne ne veut. »

Harry l'avait entraîné hors de la salle de jeux et lui fit les honneurs du manoir. Il y avait toute la place et tous les aménagements nécessaires pour prendre soin des enfants. Severus, du coin de l'oeil, notait l'enthousiasme de Harry.

« Après la guerre, beaucoup d'enfants se sont retrouvés sans famille. Leurs parents sont morts ou à Azkaban. Le ministère a trouvé des familles adoptives pour les enfants des héros et des victimes. Mais les enfants des Mangemort sont laissés pour compte. Personne n'en veut, et je les ai trouvés dans une bicoque sordide, avec seulement deux femmes pour s'en occuper... »

« Ce sont des enfants de Mangemorts? » s'exclama Severus, surpris.

« Et les enfants des partisans de Voldemort. Ils ressemblent à n'importe quel enfant, n'est-ce pas? Cependant ce n'est pas l'avis de tout le monde. Bref, peut-être que personne ne les adoptera, mais ici ils auront un foyer. »

« Et tu m'as fait venir jusqu'ici pour avoir mon approbation? »

Harry secoua la tête. Il leva vers Severus des yeux pétillant de malice.

« Du tout. Le poste de directeur est libre. J'ai pensé à toi. »

Severus le regarda comme s'il avait subitement perdu le peu de raison qui lui restait.

« Tu plaisantes, du moins j'ose le croire. Tu ne peux pas sérieusement suggérer que moi je m'occupe d'enfants braillards, pleurnicheurs, insupportables -»

« J'ai compris le message. Pour m'occuper des enfants, j'ai engagé une cohorte de nourrices, infirmières, médicomages, etc. Ce que j'attends du directeur, c'est qu'il défende l'orphelinat contre les ingérences du ministère, qu'il arrache des donations aux familles les plus respectables, qu'il empêche les Aurors de se mêler de nos affaires. »

Trois jours auparavant, deux Aurors avaient fait irruption, avec l'intention de faire subir un interrogatoire à l'un des orphelins, Aurelio Bannon, dont le père Mangemort était porté disparu. Harry avait eu le plus grand mal à les mettre dehors.

Harry regardait Severus avec espoir.

« Franchement, je n'imagine personne d'autre que toi dans cette fonction. Je veille à l'intendance; rien que ça me prend tout mon temps. J'ai besoin d'un homme à poigne à la tête de cette maison. De plus, cette activité ne te prendrait que quelques heures par jour. Tu pourrais aménager un laboratoire, ce n'est pas la place qui manque, où tu ferais les expériences de ton choix. Finies les « lotions de beauté pour sorcières futiles », si je te cite correctement. »

« Un ancien Mangemort pour diriger des orphelins de Mangemorts? Cela ne manquerait pas d'ironie. »

« Il n'y a que toi qui aurais le cran nécessaire. Tu sais mieux que personne que ces enfants ne méritent pas d'être traités en parias à cause de leurs parents. »

Severus considérait le jeune sorcier avec attention, le scrutant comme s'il cherchait à mesurer sa sincérité. Le silence s'éternisa. Harry attendait une réponse, le coeur battant. Au moins, Severus n'avait plus cette expression d'incrédulité moqueuse...

« Où serait mon bureau? » dit enfin Severus.

Harry sourit largement et lui indiqua une porte acajou. Severus la poussa et examina l'élégante pièce éclairée par le soleil couchant.

« Et où est ton bureau? » demanda-t-il ensuite.

Harry montra la porte communicante.

« A côté. »

Severus le fixa intensément.

« Vous avez trouvé votre directeur, monsieur Potter. »

(à suivre)