Chapitre 10
Harry avait gardé des relations privilégiées avec la famille Weasley, malgré la disparition de Ginny. Il était toujours heureux de les voir. Ils représentaient bien plus que la famille de son ancienne épouse : ils étaient tous des amis très proches.
A l'exception notable de Percival, évidemment…
Certes, Percy s'était réconcilié avec sa famille depuis belle lurette. L'indéniable retour de Voldemort et la disgrâce de son protecteur Cornelius Fudge avaient ébranlé ses certitudes ; il avait présenté un mea culpa dans les règles à son père, qui lui avait ouvert aussitôt les bras. Percy restait cependant égal à lui-même et Harry appréciait toujours aussi peu de le rencontrer.
En l'occurrence, il n'avait pas le choix. Percy lui avait demandé un rendez-vous, et cela sonnait désagréablement comme un ordre. Harry lui aurait volontiers répondu d'aller voir à Azkaban s'il y était, mais il avait la responsabilité de vingt-deux orphelins ; le moment était mal choisi pour énerver quelqu'un qui avait ses entrées au ministère.
Percy se tenait droit comme un balai et son sourire semblait forcé.
« Comment vas-tu, Harry ? »
« A merveille, pour l'instant, répondit le jeune homme avec un peu d'ironie dans la voix. Dis-moi, Percy, est-ce une entrevue entre deux anciens camarades de Poudlard ou représentes-tu officiellement le ministère ? »
Le sourire de Percy disparut et son expression pincée parut tout de suite plus naturelle à Harry.
« Effectivement, je suis ici dans l'exercice de mes fonctions. »
« Allons droit au but dans ce cas. Quel est le problème, aujourd'hui ? »
Harry s'était débattu pendant des semaines avec les tracasseries administratives que provoquait la création de l'orphelinat. Il avait pourtant cru en avoir terminé. Apparemment, il avait eu tort de sous-estimer Rufus Scrimgeour – réélu triomphalement l'année précédente.
« Nous voulons être sûrs que le manoir où vivent les enfants est correctement protégé, dit Percy. Est-ce que les barrières magiques sont réglementaires, suivant la norme CE ? »
CE, autrement dit «Contre Ennemis ». Harry laissa paraître sa lassitude.
« Nous sommes parfaitement en règle, et même mieux que ça. Les barrières ne sont pas celles de la norme CE mais de la circulaire NF. »
Le château de Poudlard était lui-même équipé de barrières « Non Fureter » : le niveau de sécurité était au maximum. Quand Harry s'était lancé dans cette aventure, il n'avait pas la moindre idée du labyrinthe où il s'engageait. Il y a quelques semaines, il ignorait jusqu'à l'existence des termes CE et NF. Les connaissances juridiques de Hermione avaient été d'un grand secours ; sa patience aussi, car la position d'attrapeur de Quidditch n'avait en rien préparé Harry à ses œuvres sociales…
« Je suis ravi que le ministère se préoccupe tant du bien-être de ces enfants ! railla Harry. Lui qui les laissait crever à petit feu ! »
Percy eut l'air scandalisé.
« Nous ne traitons personne de cette façon ! Pas même cette mauvaise graine ! »
« Mauvaise graine ? Tu te rappelles à qui tu parles ? Pendant des années, mon oncle m'a considéré comme un dégénéré parce que mes parents étaient des sorciers ! Tu ne sais pas ce que ça fait, toi, d'être jugé injustement à cause de sa famille ! »
Le troisième fils Weasley pâlit, ce qui fit ressortir peu gracieusement ses tâches de rousseur.
« Ne nous disputons pas, Harry. Je suis là avant tout pour te conseiller la prudence. Tu sais qu'il y a toujours des mangemorts en fuite. Tu restes une cible, même si la guerre est finie depuis des années. Et monsieur le ministre ne pense pas que tu sois à l'abri de représailles, simplement parce que tu te charges des enfants de ces criminels. »
Harry considéra Percy, songeur. Sa petite tirade était fort instructive, à bien des égards. Le Survivant ne s'était jamais flatté de l'espoir que les mangemorts abandonnent toute idée de vengeance à son encontre. Lorsqu'il s'était intéressé aux enfants délaissés, ce calcul sordide ne lui avait pas traversé l'esprit. Ce n'était apparemment pas le cas de tout le monde…
« Si je sais lire entre les lignes, « môssieur le ministre » pense que j'espère utiliser les enfants comme bouclier, et il est persuadé que je me fourre le doigt dans l'œil. Avec un peu de chance, si ces fainéants de mangemorts se décident à attaquer, il sera débarrassé des mioches, de Snape et de moi dans la foulée ! »
« Tu exagères ! » protesta faiblement Percy, avant de demeurer coi, embarrassé.
Puis, pour la première fois, il se départit de son air solennel pour avouer :
« Ce n'est pas ce je pense, moi. Je sais bien que ce n'est pas ainsi que tu raisonnes. »
« Merci. »
« Il faut aussi que je t'avertisse… »
Percy avait baissé les yeux, et Harry se dit que le ministère devait battre des records de mesquinerie pour embarrasser à ce point leur zélé représentant.
« … Le département de l'Instruction a décidé de ne pas accepter les enfants de mangemorts à Poudlard. Le secrétaire te préviendra officiellement bientôt. »
« Quoi ? rugit Harry. Il n'a pas le droit ! Les sorciers sont inscrits automatiquement sur le registre ! »
« Oui mais le conseil d'administration peut les rayer. Il y a eu des pressions d'en haut. De très haut. »
« Quel salopard ! Priver ces enfants de leurs droits, c'est la pire erreur qui soit ! Il aura de la chance si ça ne provoque pas l'éclosion d'un autre Tom Jedusor ! »
« Inutile de crier. Je suis bien de ton avis. Mais Scrimgeour ne m'écoutera pas, ni toi, ni moi, ni personne. »
Percy se leva.
« J'ai terminé. Je suis sincèrement désolé, Harry. Non seulement personne ne t'aidera, mais on te mettra des bâtons dans les roues. Tu t'es encore donné une mission impossible. »
Harry pensa fugacement à Tom Cruise et sourit, désabusé.
« Je ne suis pas l'Elu pour rien. »
Il tendit la main et son ex beau-frère la serra.
« Merci de tes avertissements. »
Percy secoua ses cheveux roux.
« Tu ne voudrais pas t'occuper des orphelins des héros de guerre, plutôt ? Ce serait tellement plus simple ! »
« Je suis sûr qu'ils reçoivent toute l'affection qu'ils réclament. Ils n'ont pas besoin de moi. »
HPHPHPHP
Après avoir raccompagné Percy jusqu'à la sortie, Harry prit l'escalier. Il voulait parler à Severus, partager avec lui le poids de ces mauvaises nouvelles, et il était sûr de le trouver dans son laboratoire à cette heure-ci.
Harry s'habituait doucement à vivre sous le même toit que son ancien professeur et à le croiser plusieurs fois par jour. Il aimerait d'ailleurs faire plus que le croiser et réussir à avoir avec lui une longue conversation à coeur ouvert. Mais Severus abrégeait leurs tête-à-tête et s'éloignait toujours avant d'avoir à répondre à une queston un tant soit peu personnelle.
Severus, progressivement, prenait ses marques. Il ferait un excellent directeur dès que les enfants cesseraient d'être effrayés par son allure. Bientôt, ils lui seraient aussi attachés que les Serpentards à leur directeur de maison.
Harry était quasiment sûr que Severus avait accepté le poste pour être près de lui. Il n'y voyait aucun inconvénient. Il espérait mieux le connaître; mais pour cela, il devait abattre les barrières que l'homme avait dressées autour de lui, consciemment ou non.
En prenant le couloir de l'aile sud, Harry comprit qu'il s'était trompé en croyant Severus réfugié dans son antre au milieu des chaudrons. Le directeur assumait son rôle: il était en grande conversation avec le fils de Marcus Flint, ancien élève de Serpentard et Mangemort emprisonné. Il avait même poussé l'obligeance jusqu'à poser un genou à terre, pour être à la hauteur du gamin de six ans.
Bien que sa conscience le lui reprochât énergiquement, Harry tendit l'oreille.
« ... Je conçois que tu sois en colère », disait Severus.
« C'est sa faute, tout ça! » lança le jeune Tom Flint, les dents si serrées qu'il était à peine audible.
« Tout ça? »
« Tout ça. Ici. Les autres. »
« Tu n'es pas bien, ici? »
« Si! C'est mieux que la maison d'avant! Mais c'est moins bien qu'avant encore: avec papa et maman. »
Harry sentit que son coeur tombait au fond de sa poitrine.
« Et si c'est plus comme ça, reprit Flint avec animation, c'est la faute de papa! Il a fait des choses pas bien, il est en prison, maman est au ciel. Et moi je suis tout seul. »
« Ton père te manque? » s'enquit doucement Severus.
« Non. Il était pas gentil... Je dois pas dire ça. C'était mon papa. »
« Un père n'est pas parfait. Parfois les pères crient sur les enfants, les frappent, ou frappent la mère. Tu as le droit de le dire. Tu as aussi le droit de penser que tu es mieux sans ton père et qu'il t'a privé de la vie normale que tu voulais. Cela ne fait pas de toi quelqu'un de méchant. »
Le garçon hocha la tête tout en gardant les yeux baissés.
« Je peux aller jouer? » demanda-t-il brusquement.
« Bien sûr. »
Il fila comme l'éclair, et faillit percuter Harry. Severus s'aperçut alors de sa présence.
« On écoute aux portes, monsieur l'intendant? »
« Il n'y a techniquement pas de portes au milieu du couloir, monsieur le directeur. »
Harry lui adressa un large sourire. Il rayonnait intérieurement de voir Severus si attentif et si psychologue avec un des orphelins.
« Tu as dit exactement ce qu'il fallait. »
« Crois-tu? Je n'ai guère de mérite. J'ai été responsable des Serpentards suffisamment longtemps pour être familier de ce genre de culpabilité. »
« Je pense surtout que tu parles d'expérience, avec le père que tu as eu... »
Le visage de Severus se ferma. Cela désola Harry. Une fois de plus, l'homme battait en retraite devant ses efforts pour percer la carapace.
Peut-être qu'évoquer Tobias Snape, le triste sire, n'était pas la manoeuvre la plus intelligente. Harry se maudit pour son peu de finesse psychologique.
« Severus... »
« Tu me cherchais? » coupa le directeur et sa voix impatiente convainquit Harry de ne pas insister.
« Je viens de parler à Percy Weasley. Pour résumer, le ministère accepte que nous serons attaqués et achevés par les mangemorts, à grand renfort d'hémoglobine. Et si par malheur il y avait des survivants, ils ne pourront pas intégrer Poudlard. « On » vient de rayer des listes tous les enfants qui vivent sous ce toit! »
Severus ne fit aucun commentaire, mais Harry reconnut sans peine les signes d'une fureur contenue. Le rictus mauvais et la rougeur sur le front avaient souvent été provoqués par lui-même dans le passé.
« Je ne sais pas quoi faire, dit Harry. Franchement, ça m'écoeure! Je voudrais croire que si je proteste, ça arrangera les choses, mais je ne me fais pas d'illusions. J'ai l'impression que ma réputation n'est plus ce qu'elle était... »
S'il espérait obtenir des mots de réconfort, il en fut pour ses frais. Severus le planta là, désertant le corridor dans une majestueuse envolée de robe. Ce n'était pas son jour...
Severus ne réapparut pas de la soirée. Il avait quitté le manoir, et Vincent Crabbe ne put renseigner Harry sur sa destination. Harry marmonna quelques mots sur les Serpentards bons à rien, et alla ruminer ses idées noires dans sa chambre. Il espérait que Severus n'était pas allé lancer quelques Impardonnables de son cru à Scrimgeour. Il avait réussi à l'arracher une fois aux Détraqueurs, mais il doutait de pouvoir récidiver. Son influence était en perte de vitesse dans le monde sorcier.
HPHPHPHP
Le lendemain matin, Harry envoya ses commandes alimentaires par hibou, avant de se rendre au réfectoire constater lui-même que Severus n'était toujours pas rentré. Cette fois, son angoisse fut vive. Et si l'ancien mangemort avait décidé de quitter cette entreprise vouée à l'échec? S'il ne voulait plus perdre son temps avec ce boulet d'Harry Potter?
Harry choisit d'aller soigner sa déprime chez Hermione. Elle était désormais avocate d'affaires, spécialisée dans la défense des minorités; ou comme elle disait, dans la defense « du pot de terre contre le pot de fer ». Harry la laissa s'épancher sur son dernier dossier: une vague histoire de droits d'auteur non versés à Dieu-sait-qui à propos de Dieu-sait-quoi...
« J'étais indignée! Tu es d'accord avec moi, n'est-ce pas, Harry? »
« Oh? Bien sûr! Il y a de quoi, il y a de quoi... »
Hermione continua d'un ton égal:
« Alors je lui ai dit que je me prostituais pour payer mon loyer, n'est-ce pas, Harry? »
« Bien sûr. »
Hermione lui donna un coup de coude.
« Pris en flagrant délit! Tu n'écoutes pas un traître mot de ce que je dis. Je pourrais t'annoncer que j'attends un enfant de Sibylle Trelawney, tu ferais juste « bien sûr », avec ton air ahuri! »
Harry prit un air penaud.
« Navré. C'est juste que... »
Hermione attendait, le menton posé sur la main. Elle dégageait plus de sagesse et de sérénité que toutes ses autres connaissances, et sa seule présence avait le don d'être apaisante. Harry sentait que tout pouvait encore s'arranger.
Il bégaya un peu:
« Comme d'habitude. Mon oeuvre de charité a des problèmes de démarrage... »
« Pourquoi ai-je l'impression qu'il n'y a pas que ça? »
« Parce que tu as trop d'imagination? »
Hermione sourit, avec l'air de celle « à qui on ne la fait pas ».
« Si je peux t'aider, dis-moi. »
Harry lui retourna son sourire.
« Merci. Il est possible que j'intente un procès au conseil d'administration de Poudlard. Si ma baguette n'arrive pas à les convaincre gentiment... Ce jour-là, je te fais signe. Quant au reste, il n'y a rien à dire. Je t'en parlerais, sinon. »
Les yeux bruns l'observaient minutieusement derrière la longue rangée de cils. Hermione inclina légèrement la tête de côté, d'un air pensif, mais ne dit rien, ce dont Harry lui sut gré.
La journée s'écoula agréablement, à bavarder sous le soleil printanier, à refaire le monde autour d'une bière-au-beurre. Harry n'avait pas été aussi détendu depuis une éternité. Chez Hermione, il avait l'impression d'être loin de tout, loin de l'agitation des autres.
Il apprit seulement le soir à quel point son impression était exacte.
Le hibou vint voleter autour de lui et le picota du bec avec insistance. Harry saisit le parchemin et le déroula, pendant que Hermione se dévouait pour dénicher de quoi nourrir l'animal.
« Harry,
c'est bon, tu as gagné. Les administrateurs ont convaincu le ministre de les convaincre de céder.
A présent que tu as ce que tu veux, aurais-tu l'obligeance de dire à tes amis de cesser leurs âneries? Le plus tôt sera le mieux.
Percy Weasley. »
(à suivre)
