Nouvelle version, 2021
Ransa no Moribito
Gardien des Lanciers
Chapitre 7
Forgeron
Je me réveillai presqu'en même temps que Maman. J'avais vraiment mal dormi avec le bruit incessant que faisait le moulin à eau. Maman était en train de s'habiller. Je bougeai assez pour attirer son attention. Elle me sourit.
« Bien dormis ? me demanda-t-elle.
- Non, jetai-je à brûle-pourpoint.
- Tu vas t'y habituer.
- Tu vas t'entrainer ?
- Comme habituellement. Tu veux venir ?
- Oui ! Je peux tenir ta lance ?
- Je vais y réfléchir. Pour le moment, fais ton lis, habilles-toi et lave-toi le visage. »
J'obéis et fis mon lit de mon mieux possible. Pour une des rares fois où je pouvais avoir ma Maman pour moi seulement, j'en profiterai certainement ! Après m'être lavée le visage, elle me peigna et nous sortîmes dehors alors que je pris bien soin de prendre mon bâton en bambou.
« Maman ?
- Quoi ?
- Si je tiens pas de lance, je vais pas pouvoir m'habituer à son poids. »
Elle réfléchit un instant, soupira avant de sourire et vint derrière moi.
« Tiens, on va voir si tu es assez agile pour manier ma lance.
- Youpi !
- "La lance n'est pas forgée pour correspondre à son porteur. Tu dois grandir pour correspondre à la lance" – c'est ce que Jiguro m'a dit, quand j'avais presque ton âge. »
Elle positionna mes mains et lâcha d'un coup. Je me penchai légèrement en avant et réussis à la redresser pour la tenir debout.
« Sur le coup, c'est lourd, mais tu finis par t'habituer au poids. Tu veux me faire quelques parades ?
- Oui ! »
Je reculai et me positionnai afin de porter une attaque directe avec toute la force que je pouvais déployer. Ça faisait bizarre, mais au fond de moi, j'étais fière de pouvoir manier la lance de Maman. J'arrivai à faire mes quelques parades habituelles et tentai de faire un moulinet. Or, le poids était encore un léger problème. Je fis échouer la lame de la lance sur le sol. Je fis une moue désolée, car l'arme de Maman avait besoin d'être réparée. Maman sourit et je lui redonnai.
« Pas mal, tu t'es pratiquée ces deux derniers mois, ça parait.
- Je me pratiquais tout le temps ! Désolée...
- Pourquoi ?
- J'ai échappé ta lance et elle est fragile.
- Ne t'inquiète, je vais la faire réparer très bientôt.
- Comment j'étais avec ta lance, Maman ?
- Je trouve que tu te débrouillais très bien. Peut-être que finalement tu seras bientôt prête à avoir une lance comme moi.
- C'est vrai ?! jubilai-je.
- Oui.
- Avant mes sept ans ?
- Peut-être pas. Veux-tu aller réveiller Chagum ?
- Encore ?! lançai-je, exaspérée.
- S'il te plait.
- S'il te plait... quoi ? jouai-je.
- S'il te plait, mon trésor ?
- ... Bon, d'accord. »
Je rentrai de nouveau à l'intérieur, montai sur l'échelle et observai le prince dormir. La première fois, je lui avais sauté dessus, alors que pouvais-je bien faire qui soit nouveau ? Je souris et me rendis silencieusement au bout de son lit. Je pris sa couverture et la tirai lentement vers moi pour que la couette descende à son ventre, en passant ses cuisses et ses genoux. Il ne bougea même pas. Je décidai de ramper proche de lui. Je ne savais pas si je devais plaquer mon visage à deux doigts du sien et attendre qu'il ouvre les yeux ou le chatouiller.
Je choisi donc la seconde option. Voyant qu'il ne réagissait presque pas, je plaçai mes mains sous ses aisselles.
« Guili-guili-ii..., dis-je d'une voix amusée.
- HYAAHHH ! sursauta-t-il.
- Debout, Chagum !
- Alika...
- On va bientôt manger le petit déjeuner. »
Je descendis au rez-de-chaussée alors que Maman faisait cuire le riz et le poisson. Je pris les bols et les baguettes afin de les disposer autour du feu.
« Après le petit-déjeuner, il y a un endroit où nous devons aller aujourd'hui, annonça Maman alors qu'on mangeait.
- Quoi ? s'étonna Chagum.
- Il faut que tu apprennes comment est la vie en ville. Je vais faire examiner ma lance, alors viens avec moi au Bas-Ougi.
- Compris. Alors, où doit-on aller pour faire examiner une lance ?
- Chez un forgeron. »
Après le petit déjeuner, nous prîmes la direction du Bas-Ougi. Il faisait décidemment plus chaud dans le chemin principal des forges à Kosenkyo.
« Ça sent le fer brûlé, murmurai-je.
- C'est normal, sourit Maman, ce sont les forges. Tu n'aimes pas l'odeur, Alika ?
- Non. C'est juste que... c'est la première fois.
- Tiens, tu me rappelles quand j'avais ton âge. J'ai également commencé à voir des forges à six ans.
- Maman ! m'exclamai-je en pointant du doigt.
- Alika, on ne pointe pas du doigt, se fâcha-t-elle en baissant ma main tranquillement.
- Pardon Maman...
- Que se passe-t-il ?
- Je pense comprendre, m'appuya le prince en faisant un signe du coin de l'œil. »
En effet, il y avait des forgerons qui portaient des habits en forme de V avec des petits tabliers autour de la taille. Maman jeta un coup d'œil avant de sourire.
« Oh, je vois. Il fait très chaud dans les forges. Alors vaut mieux ne pas s'habiller trop chaudement, vous risquez d'avoir trop chaud.
- Je n'aurais jamais pensé qu'il y avait autant de forges à Kosenkyo, remarqua-t-il.
- À Rota, Sangal et même Kanbal, ma terre natale, Yogo est réputé pour son travail du fer. Tu ne savais même pas ça ?
- On m'a appris que le travail du fer à Yogo est une partie très importante du commerce, mais on m'a aussi dit que la fonte et la forge du fer ne me concernaient pas.
- Maintenant que j'y pense, parmi les aristocrates de Yogo, il y a une croyance disant qu'un guerrier qui verrait un forgeron au travail ne pourrait pas devenir fort. Si c'est le cas, puisque tu vas voir un forgeron au travail aujourd'hui, tu ne pourras jamais devenir fort..., le prévint Maman avec un air amusé, ce que Chagum ne vit pas.
- Et toi alors, Balsa ? se reprit-il soudainement. Tu n'as jamais vu une épée en train d'être forgée ?
- Comme dit à Alika plutôt, depuis toute petite, j'ai toujours adoré voir le rougeoiement du fer brûlant et les étincelles qui s'éparpillent. J'ai vu cela de nombreuses fois. »
Il soupira.
« Bien entendu, je ne suis ni de Yogo, ni une aristocrate, alors peut-être que cela ne s'avère pas vrai pour moi, termina-t-elle, amusée.
- Quoi ?! s'exclama Chagum. »
Nous sortîmes du chemin principal des forges et je me sentais un peu mieux. Je n'étais plus étouffée par la chaleur. Au loin, je vis un petit bâtiment à l'écart des autres forges.
« Tu n'es pas encore capable de t'exprimer comme un gamin des rues, alors une fois à l'intérieur, regarde et tais-toi, ordonna Maman à Chagum.
- Compris. »
Elle ouvrit la porte sur un vieil homme. Il l'observa avec une expression quelque peu sévère et réservé, mais à la vue de son aura, il était très intelligent. Cependant, l'énergie qu'il dégageait me mettait un peu mal à l'aise. Maman ne fit qu'un signe de tête et entra.
« Balsa..., dit le forgeron. »
Nous prîmes place sur des bancs et j'écoutai silencieusement Maman.
« J'ai été absente de Yogo pendant longtemps. Comme toujours, j'évolue sur un terrain glissant, mais j'ai réussi à survivre jusqu'à présent, peut-être grâce à la chance, ou à ma famille.
- Je vois. »
Le forgeron m'observa avant de poser son regard sur Chagum.
« Désolée d'aller droit au but, l'interrompit Maman. Mais pourriez-vous jeter un coup d'œil à ceci ? »
Elle se leva et lui déposa sa lance enveloppée dans un tissu protecteur. Il retira le fourreau en tissus et observa la lame minutieusement en la tournant.
« Je vais devoir forger une nouvelle lame, déclara-t-il.
- Je vois. Alors je souhaiterais en avoir une forgée le plus tôt possible. »
Il lui redonna sa lance.
« Avant de faire cela, je dois te poser une question, l'arrêta-t-il, s'adressant à Maman de façon informelle.
- Allez-y.
- Tu as entendu les rumeurs qui courent en ville, je suppose ?
- Pour la plupart, oui.
- Je préférerais croire que ces rumeurs soient fausses. Toutefois, si elles s'avèrent vraies et que, de ce fait, tu as agi à l'encontre de la cour... alors en tant que forgeur d'épées auprès de la cour, je ne peux t'aider. Si tu as des explications à fournir sur tes actions, expose-les avant qu'on aille plus loin, s'il te plait.
- Oui, j'ai agi à l'encontre de la cour.
- Alors je me dois révéler à la cour que tu es vivante. »
Mon cœur manqua un battement.
« Ce serait la meilleure chose à faire, soutint Maman.
- Alors, que vas-tu faire ? Vas-tu m'arrêter, même si tu dois pour cela me réduire au silence ?
- Si tu t'apprêtes à me dénoncer, alors je ne peux rien y faire. Mais je vais rester ici jusqu'à ce que tu forges une lance pour moi, le défia-t-elle en déposant sa lance au sol.
- C'est plutôt ennuyeux. Je sais très bien que tu es obstinée, mais je le suis encore plus. Si tu ne me racontes pas toute l'histoire, je ne pourrai pas accéder à ta demande. »
Elle le regarda longuement dans les yeux sans sourciller ni cligner des yeux. Je fus intimidée de l'atmosphère tendue des lieux.
« Qui sont ces enfants ?
- La première est ma fille. Le second, en raison de certaines circonstances, je m'occupe de lui.
- Oh ? »
Il le regarda de haut, du moins, c'était l'impression qu'il me donnait, avant de retourner s'asseoir.
« Au fait, sais-tu comment les ragots qui circulent te décrivent, Balsa ?
- Pas du tout.
- Comme un traitre qui ferait n'importe quoi pour de l'argent. Ils répandent des histoires sur comment la femme garde-du-corps a tué Son Altesse.
- Retenez votre langue ! explosa Chagum. Balsa ne ferait jamais de telles choses—
- Ça suffit, l'arrêta Maman alors qu'intérieurement, je fronçai les sourcils. »
Le forgeron nous observa un moment. Je n'avais rien dit dans cet échange, car je savais que c'était primordial pour Maman et notre camouflage. Je vis l'homme tirer sur le souffleur qui fit rougir la braise et il commença à frapper sur le morceau de fer à l'aide d'un marteau. Il nous dit que d'autres clients allaient bientôt arriver pour récupérer leurs épées et que si on refusait de partir, on devrait au moins aller dans l'autre pièce à côté. Il voulait écouter les deux versions de l'histoire. Une fois la porte refermée derrière nous, Maman s'approcha d'un trou dans la porte pour y jeter un œil.
Son énergie devint tendue et je me crispai avant de m'agripper instinctivement à la première chose qui m'était tombée sous la main : Chagum. J'avais senti que deux nouvelles énergies venaient d'entrer. C'était les « autres clients ». Elles n'étaient pas maléfiques, mais elles n'étaient pas bienveillantes non plus. C'était un entre deux, comme une ombre. J'entendis tout leur échange.
« Vous êtes piles à l'heure, dit le forgeron.
- On dirait que nous avons interrompu votre travail, dit le premier client. »
Bien que je ne fusse pas dans la même pièce qu'eux, je pouvais clairement sentir leur énergie et la visionner dans mon esprit. Une capacité de médium que j'avais depuis toujours. Le premier client avait une énergie de chef, légèrement mélangé à une énergie paternelle. Il était très autoritaire. Le nom « Mon » me vint en tête instantanément, qui voulait dire « Un » en Yogoese. Je ne dis rien à Maman concernant ces informations que je n'étais même pas sensée connaître de base.
« Bien que vous ne prêtez aucune attention aux politesses, j'ai néanmoins pensé que je devrai être poli, répondit le forgeron.
- Ça ne me dérange pas. Veuillez poursuivre.
- Il semblerait que la récente chasse à l'homme ait été une pénible expédition, commenta le forgeron.
- Qu'est-ce qui vous fait dire cela ?
- Les épées que l'on m'a confiées ont été sérieusement endommagées.
- Je vois. Mais nous sommes des guerriers et nous servons la cour. J'ai entendu dire que la femme garde du corps avait été tuée par la milice de paysans créée à l'occasion de la chasse à l'homme. Le mauvais état des épées est dû aux combats d'entrainement.
- Je vois. À en juger par leur état, on dirait qu'il reste des guerriers talentueux que je ne connais pas encore.
- De ce fait, j'ai commandé un nouveau lot d'épées aux lames forgées en acier Tamahagane, ce qui les rend plus flexibles que la normale.
- Nous aimerons voir les épées, maintenant, dit le second client sur un ton autoritaire.
- Elles vous attendent dans cette pièce. »
Maman se retourna vivement, ne me permettant pas d'analyser les informations sur le second client et prit lesdites épées avant d'en passer une à Chagum. Elle dégaina celle qu'elle tenait dans ses mains comme une vraie professionnelle. Bien sûre que Maman est une professionnelle de nature ! Elle savait manier toutes les armes du monde. Elle plaça la lame au niveau de la fente dans la porte et attendit. Le bâton de bois qui empêchait la porte de s'ouvrir bougea, ce qui me fit paniquer intérieurement. C'est alors que le forgeron intervint.
« Attendez. Avant de vous montrer les épées, il y a quelque chose que j'aimerais vous demander à tous les deux.
- Qu'y a-t-il ? Vous êtes si solennel. »
Maman reprit sa respiration, sans toutefois baisser sa garde. Mon don de médiumnité se réveilla de nouveau et j'analysais le second client en fermant les yeux. D'une manière que je ne pouvais décrire, je sentis qu'il avait un très lourd passé. Son énergie était vive, quoiqu'un peu impulsif par moment. Le nom « Jin » me vint en tête, ce qui voulait dire « Deux ». Cependant, il y avait une chose qui me surprenait beaucoup : je pouvais sentir qu'il avait plusieurs esprits autour de lui qui l'accompagnait. Tous n'étaient pas présents, mais je sentais qu'il y en avait trois avec lui en ce moment – comme moi et mon commandant esprit. Je distinguais deux énergies masculines : ils devaient être son grand-père et son petit frère. La troisième et dernière énergie était, à mon plus grand étonnement, féminine ! Elle était du même âge que lui, mais était morte à l'âge de quatorze ans. Pourtant, elle avait choisi, après sa mort, de continuer à grandir pour suivre la croissance de Jin. Le mot « fiancée » me vint à l'esprit.
« Ma... yu... na..., murmurai-je tout bas, trop bas pour que Chagum m'entende. Mayuna... ? »
Était-ce son nom ? Mon et Jin parlèrent des qualités des épées de Yogo. Dans d'autres pays, les épées étaient uniquement considérées comme des armes et outils pour blesser et tuer. Le forgeron enchaîna avec le sujet d'une épée ultime, qui séparerait le karma du guerrier et ne tranchait pas la vie des gens.
« Mais, combien au monde existe-t-il de guerriers qui pourraient vous inciter à forger l'épée ultime ? s'enquit Mon.
- Eh bien... au cours de ma longue vie, il n'y a eu qu'un seul guerrier qui m'aurait permis d'atteindre cet état d'esprit.
- Oh, alors il y avait un guerrier que vous considériez comme étant digne de cette épée ? s'intéressa Jin.
- Et pour lui, j'ai forgé une lame en me servant de toutes les compétences que je disposais à l'époque.
- Et quel genre d'homme était-ce ?
- En tant que guerrier, je suis curieux de le savoir, avoua Mon. Voudriez-vous nous le dire ? »
Il y eut un moment de silence.
« C'était il y a vingt-quatre ans. C'était un guerrier venant d'une lointaine contrée et qui avait traversé de nombreux pays. Jamais je n'avais vu de telles compétences à l'épée auparavant. Il avait pris un enfant sous son aile – ce n'était pourtant pas son genre – et le garda toujours à ses côtés.
- Un enfant ?
- Un de ses amis, qui était aux prises avec une intrigue politique à la cour, lui confia l'enfant. En conséquence, ce guerrier fut banni de sa terre natale. Dès son départ, de nombreux assassins furent envoyés pour le tuer. Alors il me demanda de forger une lame qui lui permettrait de battre les assassins. Au départ, j'ai refusé. J'ai dit que je ne voulais pas forger une lame pour un étranger qui ne connaissait rien aux épées de Yogo.
- Mais quelque chose vous a fait changer d'avis, comprit Mon.
- Oui. J'ai été ému par son récit, racontant comment il avait des tueurs à ses trousses.
- Les assassins étaient-ils les meilleurs combattants du pays ? voulut savoir Jin.
- Non. Ils étaient des combattants, oui, mais ils étaient aussi des amis qui avaient partagé leurs joies et leurs peines, tous ensembles. »
Je vis le regard méfiant de Maman fondre pour un regard remplit de douleur.
« Afin de protéger l'enfant, le guerrier a dû tuer un par à un ses amis proches, de ses propres mains. Les assassins avaient dû être envoyés par quelqu'un qui savait comment faire souffrir le guerrier le plus possible. Ils ne voulaient pas non plus poursuivre le guerrier. Mais leurs familles avaient été prises en otage, alors ils n'avaient d'autres choix que d'essayer de tuer le guerrier.
- Quelle lâcheté..., pesta Jin.
- Après avoir écouté son histoire, je savais que je désirais forger l'épée ultime pour lui. Je voulais qu'il se débarrasse de son destin funeste et du fardeau qu'il portait. C'est pourquoi je lui ai forgé une lame investie de tout mon espoir.
- Et ce guerrier a-t-il réussi à se libérer de son destin ? se renseigna Mon.
- Maintenant que j'y repense, j'étais encore trop inexpérimenté dans mon art. Le guerrier a fini par tuer tous ses poursuivants... ses amis... avec la lame que j'avais forgée...
- Et où est ce guerrier maintenant ?
- Il est décédé. Il a été tourmenté jusqu'à la fin par tout ce qu'il avait fait.
- Et qu'en est-il de l'enfant ?
- Le guerrier a élevé l'enfant jusqu'à ce qu'il devienne un adulte. Il est vivant, se porte bien et a une famille. »
J'observai toujours Maman, elle avait fermé les yeux. La couleur de son aura devint bleu glace : elle était triste et nostalgique.
« Je vois. Mais pourquoi le guerrier en a-t-il fait autant pour protéger l'enfant ? dit Jin. Il aurait dû savoir dès le début que fuir sa terre d'origine avec l'enfant causerait sa perte. En plus de cela, c'était un étranger pour lui, même s'il était l'enfant d'une connaissance. Ne pouvait-il pas refuser la demande ?
- Vous avez raison. Moi aussi, je me suis toujours demandé pourquoi.
- Étrange en effet, ajouta Mon. En fait, c'est sûrement une coïncidence, mais je connais également un guerrier qui lui ressemble beaucoup. Ce guerrier s'est aussi enfui et a été poursuivi après s'être subitement vu confier l'enfant d'un parfait étranger. À un moment, l'enfant a été repris au guerrier, mais il a risqué sa vie pour le récupérer. Plus surprenant encore, le guerrier n'a tué aucun de ses poursuivants, qui eux, souhaitaient sa mort. En ce qui concerne la raison qu'il l'a poussé à s'occuper de l'enfant d'une autre personne… je n'essaye même pas de comprendre. Peut-être que le guerrier n'a pu supporter sans rien faire qu'une vie fragile soit prise. Et pour cette raison, il portait une lame suprême qui n'a tué personne.
- C'est en effet une bien curieuse histoire. Et où se trouve ce guerrier maintenant ?
- Malheureusement, ce guerrier vient tout juste de décéder. »
Ils continuèrent de parler jusqu'à ce que Maman se dépêche de reposer les sabres et de nous pousser au fin fond de la pièce pour nous couvrir. Elle avait également prit un énorme marteau juste au cas. À ma surprise, ce fut le forgeron qui entra et qui prit les deux sabres avant de ressortir. J'avais coupé mon souffle, blottis entre Chagum et Maman. La porte d'entrée se referma, le silence régna et nous pûmes enfin sortir. Je commençais justement à me sentir oppressée.
« J'ai cru un moment que ma chance avait tourné, soupira Maman.
- N'hésite surtout pas à prendre congé. J'en entendu les deux versions de l'histoire. Reviens dans sept jours, s'il te plait. »
Elle sourit, contente et nous prîmes congé de ce long entrevu.
« Maman ? sortis-je.
- Oui, mon cœur ?
- Ça te fait bizarre de plus avoir ta lance avec toi ? Tu l'avais toujours avec toi comme si c'était un doudou.
- Maintenant que tu le dis, c'est vrai que ça fait étrange de ne plus tenir quelque chose dans mes mains. J'ai cette lance depuis que je suis gamine, alors elle fait partie de moi d'une certaine manière. Mais une semaine sans ma lance va me permettre de mieux me concentrer sur vous. Encore plus qu'avant. Il y a plusieurs activités que j'aimerai que l'on fasse ensemble. Vous avez des suggestions ?
- On pourrait faire de la natation, suggérai-je.
- Ah bon ? s'étonna Chagum.
- Maman m'a appris à nager avec Papa à trois ans. Ils voulaient pas que je tombe dans l'étang du refuge et que je me noie. Et quand Papa et moi t'avons retrouvé le soir, dans l'étang... bin... tu sais pas nager. »
Je ris en voyant sa réaction et donnai un coup de pied sur un caillou avant de m'arrêter et d'attendre Maman et Chagum.
