Nouvelle version, 2021

Ransa no Moribito

Gardien des Lanciers


Chapitre 8

Apprentissage de la vie roturière

Après avoir donné la lance de Maman au forgeron, dans les jours qui suivirent, Maman nous donna plus d'attention et prit plus soin de nous. Non pas qu'elle ne s'occupait pas bien de nous, mais elle n'avait plus à surveiller constamment les environs pour notre sécurité. Puisque j'avais proposé la natation, et que nous possédions avait un lac à proximité, Maman offrit des cours à Chagum. Elle lui avait acheté un maillot de bain, à savoir, des shorts bermudas en coton. Dès que Maman et moi revînmes changées en maillot de bain avec des serviettes, elle entra doucement dans l'eau. Je décidai de la suivre.

« L'eau est bonne, annonçai-je. Viens Chagum !

- Je ne sais pas... »

J'allai dans sa direction et le tirai vers nous. Il n'était pas très difficile à convaincre. Au lieu de entrer graduellement dans l'eau, il glissa sur le sol et tomba, assit, dans l'eau. Maman rit.

« Pas mal, mais il faudra t'habituer.

- Je ne veux pas trop aller dans le fond, j'ai vraiment peur de me noyer, avoua-t-il.

- Ça s'apprend nager, ne t'inquiète pas. C'est pour ça que je t'ai emmené ça. »

Elle montra une planche en bois qui avait été sculpté et sablée, recourbée par le haut qui comprenait deux poignées découpées à même dans la planche et avec un creux à l'autre extrémité.

« À quoi cela servira-t-il ? demanda le prince.

- À t'aider pour les exercices et éviter que tu ne coules. Ne t'en fais pas, je suis là, on n'ira pas très loin.

- Promis ?

- Promis. »

Maman l'aida à se positionner correctement sur la planche et lui montra comment faire. Les jambes molles, que les cuisses qui font de petits mouvements et le restant de ses jambes suivront. Il devait également respirer sur le côté et non par en avant. Ses débuts ne furent pas faciles et au bout de quelques minutes, il était déjà essoufflé et avait mal à ses jambes.

« Je ne pensais pas que c'était aussi difficile que ça...

- C'est vrai que l'eau joue avec la pesanteur, commenta Maman. Pour le moment, ce sont de bons débuts. Tu as le droit de prendre des pauses.

- Je vais faire ça de ce pas.

- Je vais nager un peu, l'informa-t-elle.

- Je peux monter sur ton dos, Maman ? demandai-je.

- Pourquoi pas, viens, ma chérie. »

Je nageai jusqu'à elle et montai sur son dos avant de m'agripper.

« Prête ?

- Oui ! »

Elle plongea tête première dans l'eau avant d'en ressortir. J'enroulai les pieds autour de son bassin en riant.

« Encore une autre plongée ?

- Oui encore !

- C'est parti ! »

Elle replongea, fit une pirouette par en avant dans l'eau avant de revenir à la surface. Maman me demanda de m'accrocher à sa taille ou d'enrouler mes bras au-dessus de sa poitrine pour qu'elle puisse nager confortablement sans être gênée pour avoir les bras libres. Je me collai contre elle. Elle m'avait beaucoup manquée et j'adorais sentir sa présence proche de moi. Elle fit dix longueurs, moi sur son dos, avant que je ne décide de descendre pour aller rejoindre Chagum. Je vis son visage triste et allai m'asseoir sur le banc à ses côtés.

« Qu'est-ce qu'y a, Chagum ?

- Rien.

- Hum...je te crois pas, tu as quelque chose. Ta maman te manque ?

- Comment tu le sais ?

- Ton énergie.

- Ne t'en fais pas. C'est juste ma mère qui me manque.

- Je sais ce que tu ressens. Avec le travail de Maman, elle part très souvent pour un mois, parfois deux... une fois, j'ai attendu six mois. »

Je lui offris un câlin. Maman ressortit de l'eau, nous observa et se sécha à son tour. Nous mangeâmes un bon souper et en soirée, je demandai à Maman si je pouvais prendre un bain façon Yogoese avec elle dans la pièce du moulin qui avait été fabriqué à cet effet. Chagum nous laissa entre mère et fille. Dans l'eau chaude, je posai une question particulière à Maman.

« Maman ?

- Oui ?

- Quand est-ce que j'ai un petit frère ou une petite sœur ? »

Elle immobilisa ses mouvements et tourna son regard sur moi.

« Tu veux un petit frère ou une petite sœur ? s'amusa-t-elle.

- Oui !

- Oh, mon poussin, ce ne sera pas pour toute de suite.

- Pourquoi ? Tu peux pas planter des graines de choux pour que le Nahji puisse passer ?

- L'histoire du Nahji, hein ? Tu ne préfèreras pas avoir un grand frère ?

- Un grand frère... tu veux dire, Chagum-Niisan ?

- Oui, c'est cela.

- Hum... est-ce que tu vas l'adopter ?

- Je l'ignore encore. Il a déjà une famille, je ne peux pas le kidnapper.

- Mais pourquoi tu t'occupes de lui alors que tu as moi ? me renfrognai-je.

- Parce que c'est mon rôle de garde-du-corps. Je protège les adultes comme les enfants. Et sa maman m'a demandée de prendre soin de lui jusqu'à la fin de mes jours.

- Alors tu vas être sa Maman ?!

- En quelque sorte.

- Tu ne vas plus être ma Maman ?!

- Non Alika, je serai toujours ta Maman. Mais je serai également la Maman de Chagum désormais que sa mère est loin de lui. »

Je fis une moue et me collai contre elle.

« Je ne veux pas d'un grand frère, je veux un petit frère !

- Allons, ma puce. Comme je te dis que je ne te remplacerai pas !... Ne serait-ce pas un peu de jalousie ?

- Pas du tout.

- Ah, tu es sûre ?

- Certaine ! »

Elle resserra son emprise contre moi.

« Je sais que nous n'avons pas passé beaucoup de temps ensembles, ces derniers mois. Mais je t'aimerai toujours. La nuit comme le jour, et tant que je vivrai, tu seras mon bébé.

- Mais Chagum...

- Ça ne veut pas dire que je n'ai pas le droit de l'aimer parce que je t'aime aussi. Je vous aime tous les deux.

- Hmm...

- Tu n'es pas d'accord ?

- Je sais pas... »

Elle me donna un bisou sur le front.

« Veux-tu que je te parle de Kanbal ?

- Oh oui !

- Alors tu peux me poser toutes les questions que tu veux.

- Hum... c'est quoi la nourriture là-bas ? C'est pareil qu'ici ?

- Contrairement à Yogo, Kanbal a peu de terre fertile. Les gens y cultivent ce qui peut pousser. Il y a des pommes de terre, des "Gashas", qui peuvent pousser même sur ces terres pauvres et beaucoup de chèvres. Grâce à elle, il y a beaucoup de viandes, et des produits fait à base de lait de chèvres. Il y a des lossos, qui sont une combinaison de pommes de terres mélangées à beaucoup de beurre et fourrés de divers ingrédients.

- J'ai faim !

- On mangera une petite collation avant le coucher. »

Je sortis de l'eau, me laissa sécher par Maman et mis ma petite robe de nuit. Après avoir mangé ma collation comme promis, Maman vint nous border, Chagum et moi avant de nous souhaiter bonne nuit et de redescendre au rez-de-chaussée. Je me tournai vers Chagum.

« Tu ne dors pas encore ? demandai-je.

- Non, je mets du temps à m'endormir. »

Je repensai à ce que Maman m'avait dit sur le fait que Chagum serait désormais comme le grand frère dans notre famille. Je n'étais pas encore certaine si je voulais vraiment ça et il me fallait l'apprivoiser un peu. Je vis mon commandant esprit s'étendre à mes côtés, ayant senti mon angoisse.

« Pose-lui des questions, dit-il.

- Comment ? demandai-je en télépathie avec lui.

- Sur sa famille, ce qu'il aime faire. Vous devez apprendre à vous connaître. Ça ne peut pas continuer comme ça, Alika. Tu ne pourras pas avoir Maman rien que pour toi si Chagum reste avec vous. »

Je réfléchis un instant.

« Tu as des frères ou des sœurs ?

- Bien joué, me félicita mon commandant esprit.

- J'ai des sœurs, répondit Chagum. Elles sont de la troisième Impératrice et j'ai un grand frère de quinze ans. Il s'appelle Sagum.

- Il te manque ?

- Un peu. Même si nous n'étions pas du même palais, nous étions quand même assez proches. Pourquoi cette question ?

- ... Pour te connaître.

- Comme c'est mignon. »

Notre conversation se déplaça sur le pays natal de Maman, Kanbal.

« Un jour, Maman a dit qu'elle va m'y emmener.

- Ah oui ? Super !

- Les enfants ! résonna la voix de Maman. Il est temps de dormir.

- D'accord Maman/Balsa, répondîmes-nous à l'unisson.

- On s'en reparle demain, chuchotai-je. Bonne nuit Chagum.

- Bonne nuit Alika. »


Papa vint nous voir pendant la semaine où Maman n'avait pas encore sa lance. J'osai lui demander la même question que j'avais posé à Maman et sa réponse fut la même qu'elle : il ne le savait pas ! Maman reprit sa lance enfin réparée et je la regardai manier son arme avec envie. Elle était vraiment très agile. Tout doucement, elle me permit de la manier progressivement. J'étais vraiment contente de pouvoir tenir une arme de « grande personne » entre mes mains. Lors d'une belle journée, Maman me demanda l'accompagner pour aller puiser de l'eau. Alors que je remplissai mon sceau d'eau, je tombai à la renverse, sur la berge.

« Alika ! Tout va bien ? s'alarma Maman.

- Euh... je ne sais pas.

- Tu as été prise de vertige ? »

Elle m'assit tranquillement sur l'herbe de la berge.

« Non... je sais pas pourquoi, ma vision a changé et j'ai vu un autre paysage.

- Un autre paysage ?

- Un paysage coloré... avec d'étranges créatures...

- Nayug ?

- Je sais pas... je vais bien, maintenant. J'ai eu peur. »

Maman m'aida à me redresser. J'essorai ma ceinture et elle remplit les sceaux de nouveau avant de me donner le miens. Nous revînmes au moulin lorsque l'on vit quatre enfants devant notre porte d'entrée.

« Qui êtes-vous les enfants ? demanda Maman.

- Mais t'es qui toi ? s'exclama le garçon en langage pur de roturier. »

Il était plus rude et agressif. Je n'aimais pas le ton qu'il employait avec Maman.

« Est-ce que le vieil homme est parti ? Je voudrais que ce riz soit moulu.

- Je vois, comprit Maman. Alors notre moulin à eau a des clients. Bien sûre, entrer.

- D'accord ! »

Je suivis Maman et la regarda faire. Les autres enfants étaient ressorti pour jouer et Chagum les regardait.

« Allez les rejoindre, insista Maman, c'est une bonne occasion pour vous faire des amis.

- Je n'ai pas vraiment envie d'aller jouer avec des enfants..., répondit Chagum.

- Contentes-toi d'y aller, d'accord ? Alika a un charisme naturel, elle t'accompagnera. »

Elle nous jeta tous les deux dehors. Je pris le prince par la main et nous nous dirigeâmes vers les autres enfants.

« Coucou ! souris-je.

- Euh, vous faites quoi ici ? tenta Chagum.

- T'es aveugle ? On fait une course pour voir quel bateau est le plus rapide, répondit le garçon roturier.

- Des bateaux en feuilles de bambou ?

- Tu veux participer ? Tu sais comment les fabriquer, n'est-ce pas ? Essaie d'en faire un. »

Il lui mit des feuilles de bambou dans les mains et dans les miennes aussi. Je me permis de sortir mes talents artistiques relié au pliage d'origami. Je parvins à créer un bateau décent. Mais Chagum ne savait pas quoi faire.

« Ta petite sœur est douée et toi tu sais même pas comment les fabriquer ! »

Il lui donna une petite tape sur la tête. J'appris que son nom était Gaki. Son ami qui était de la même taille et plus mince s'appelait Yaze, alors le plus petit garçon au chandail rouge et blanc se nommait Kohiyoi. La petite sœur de Gaki s'appelait Nya. Nous lui suivîmes plus loin dans les rizières. Nya, qui semblait avoir deux ans de moins que moi vit une grenouille et en avertit Gaki.

« Le nom officiel de celle-ci est la grenouille de Nayuro, s'égaya Chagum.

- Tu connais les noms par cœur ? m'émerveillai-je.

- Oui, j'ai lu beaucoup de livres dessus.

- Vous tous, faites comme moi ! s'exclama Gaki. »

Les quatre se mirent à arracher des feuilles de lotus et à emprisonner les pauvres grenouilles qui sautaient sous les feuilles. Chagum s'horrifia et intervint. Je le suivis sans broncher.

« Non ! Vous ne pouvez pas faire ça ! Les grenouilles essayent d'attraper de la nourriture lorsqu'elles sautent ! Alors... vous ne pouvez pas les interrompre juste pour vous amuser ! les défendit-il.

- Quoi... ? bouda Gaki alors que Nya lâchait sa feuille, fautive. Hmmm... argghhh ! C'est plus drôle maintenant. Allons-y. »

Chagum sembla un peu déçut et sursauta lorsqu'une grenouille sauta proche de son visage pour attraper une mouche.

« Tu es drôle, ris-je. »

Nous nous amusâmes encore un peu en leur compagnie jusqu'à ce que Maman nous dise que le petit déjeuner était prêt et que le riz était enfin moulu. Après le petit-déjeuner, elle nous demanda de nettoyer les serviettes et les pyjamas. Je remplis un bac d'eau que Chagum m'aida à transporter et pris le linge ainsi que la planche à lavoir. Nous nous plaçâmes proche de la rivière et commençâmes. Comme j'aidais souvent Papa, je savais comment faire.

« Tu vas frotter pour nettoyer et je vais rincer avec la planche, d'accord ?

- D'accord. Et comment je fais ?

- Prends le savon, mouille le linge et frotte-les ensembles. Ensuite, tu me le donnes, je rince et l'étends.

- Compris. »

Il commença sa tâche alors que je plaçai la planche proche du ruisseau. Il me montra le linge au bout d'un instant.

« C'est bien lavé ?

- Pour un premier essai, c'est bien fait. Donne. »

Il me passa le linge que je rinçai en frottant sur la planche.

« Normalement, ce rôle est typiquement féminin. Mais dans ma famille, c'est différent. Maman est plus masculine et Papa est plus féminin. Je suis entre les deux.

- Comment ? Ça m'intéresse de connaître cette partie de toi, avoua Chagum, alors que je le regardai, presqu'éberluée.

- Hé bien... Je connais quelques plantes médicinales, mais pas toutes ainsi que des contes et traditions Yakue. Je sais comment me défendre, me battre et analyser les situations grâce à Maman.

- Est-ce que tu veux être comme Tanda, ou comme Balsa plus tard ?

- Je veux être comme Maman ! souris-je. Papa a essayé de m'apprendre la médecine, mais je retiens rien... en plus, je m'endors pendant ses cours...

- Oh ! »


Après la lessive, Maman et Papa nous emmena manger en ville. Maman demanda à Chagum d'aller chercher le plateau des déjeuners.

« Une solution radicale, hein ? répéta Papa, incertain en regardant Chagum. On dirait qu'il s'adapte plutôt bien.

- Chagum n'est ni peureux ni timide. Il est juste trop intelligent. En plus de ça, il a été habitué à l'isolement, donc, il ne se plaint jamais, même s'il se sent seul, expliqua Maman. Mais nous ne pouvons pas vivre en ville s'il se comporte ainsi, pas vrai ? À moins qu'il ne se mette à penser comme un roturier, il se sentira oppressé.

- Tu crois ? Alors la vraie question est de savoir si Tohya sera un bon mentor. »

Chagum revint s'asseoir avec le plateau et nous observa. Soudain, la voix d'une personne criant "Neesan" au loin se fit entendre. Je vis Tonton Tohya arriver à la course. Désespéré, Papa soupira et se mit une main sur le front.

« Neesan ! dit-il en changeant d'expression lorsqu'il vit Chagum. Tu es vraiment vivant... c'est ce que j'avais cru comprendre, mais tu es vraiment vivant !

- Je suis désolée pour tout ça, s'excusa Balsa. Je t'ai causé pas mal d'ennuis, pardonne-moi.

- Ne dis pas ça. Ça me suffit de voir que vous allez bien tous les deux, soupira-t-il.

- Et Saya ? Est-ce qu'elle va bien ?

- Évidemment qu'elle va bien ! Elle a une bonne faculté d'adaptation, alors elle peut aller bien n'importe où ! Elle a même eu des demandes en mariage tellement elle travaille dur au village, pas vrai ? questionna Tohya à Papa »

Papa confirma le tout avec un sourire.

« Mais tu vas quand même revenir ici ? demanda Maman.

- O-oui. J'ai toujours l'argent que tu m'as donné, alors...

- Puis-je te demander quelque chose ?

- Bien sûr ! N'importe quoi ! Pour tes beaux yeux, je me jetterai au feu, pour un bécot, je me jetterai dans l'eau !

- Ce Tohya, quel poète ! sortit Maman, légèrement embarrassée. Ça marche. Je veux que tu lui apprennes comment devenir un coursier. »

Elle posa sa main sur l'épaule de Chagum.

« Quoi ?

- Qu'en penses-tu ?

- Ça me va, mais, eh bien...

- Ne t'inquiète pas. Je ne serai pas loin avec ma fille.

- Je pense que ça ira, alors... »

Maman me donna mon plat avec un sourire accompagné de baguettes. Alors que Chagum allait faire ses apprentissages avec Tonton Tohya, j'allais encore pouvoir passer du temps seule avec Maman. Cette idée m'enthousiasmait énormément. Papa se sépara de nous encore une fois. Je pris la main de Maman et déambulâmes çà et là, un peu partout dans la ville. Nous entrâmes dans un immeuble, montâmes les escaliers et prîmes place sur un banc. Par la fenêtre, je pouvais y voir Chagum et Tohya qui jouaient à un jeu de mise.

« Tu comprendras comment se joue ce jeu quand tu seras plus vieille, ma belle. Pour le moment, observe ce qui va se passer. »

Je me rapprochai d'elle et elle me fit monter sur ses genoux. Je m'accotai sur son épaule.

« Voilà pourquoi les roturiers sont des imbéciles, annonça Chagum. Ils pensent qu'ils ont leur chance même lorsque ce n'est pas le cas. C'est ce qu'on appelle être complètement inconscient. Vous ne comprenez donc pas ? »

Maman maugréa que le prince trahissait ses origines en parlant. Je le vis pointer l'homme propriétaire de la mise avec une petite barbe grise.

« Cet homme est capable de faire apparaitre la face qu'il souhaite, expliqua-t-il avant d'observer le premier joueur. Monsieur, si vous continuez, vous serez le premier à perdre. Ensuite, ce sera votre tour, Grand-mère. Et ensuite vous, Madame. Vous n'êtes autorisés à gagner que pour le moment. Si vous allez perdre tout votre argent en un instant, c'est parce que vous n'arrivez pas à percer un secret aussi simple. Vous serez donc toujours considérés comme des imbéciles.

- Mais qui est ce morveux ? se moqua l'homme qui misait.

- Oui vraiment. Ne parle pas comme un je-sais-tout, rétorqua la grand-mère.

- Il est vexé car son frère a perdu, supposa la madame.

- Hé gamin, rentre chez toi avant que ta mère ne te tire les oreilles. En fait, ce serait plutôt moi, renchérit un spectateur.

- Tu as du cran, gamin, déclara le propriétaire. Puisque tu es si sûr de toi, tu as plutôt intérêt à prouver que ce gars peut diriger les pièces.

- Neesan..., gémit Tohya en cherchant Maman des yeux. »

Maman ramena soudainement sa lance proche d'elle. Son mouvement me fit sursauter, comme elle était arrivée rapidement proche de moi.

« Désolée, Alika.

- Ça va.

- Je me prépare, juste au cas...

- D'accord.

- Très bien, déclara Niisan, je vais le prouver. »

Chagum misa avec des hekimooms. Un bonbon sur la planche où il y avait le numéro 3, puis un autre bonbon sur le 2 et enfin trois bonbons sur le 1. Le résultat était exactement comme Niisan l'avait prédit : une pièce blanche et deux pièces noires. Il impressionna tout le monde. Étrangement, j'ignore s'il s'agissait de mon don de médiumnité, mais je savais que ça allait être ce résultat-là, également.

« J'ai gagné, n'est-ce pas ? dit Chagum.

- Eh bien, tu n'as gagné qu'une fois..., répliqua l'homme à la moustache grise qui fit un signe à son partenaire.

- Attendez, intervint un homme, celui qui avait misé avant. Je vais miser pour le gamin. Ça ne te dérange pas ? »

Chagum fit signe que non et le laissa miser pour lui. Les sous tournèrent dans l'assiette de métal. Pendant ce temps, le prince murmurait des choses à l'oreille du joueur. Il misa 3. J'eus une image en tête quelques secondes avant le résultat final : les pièces tomberaient exactement sur les trois faces blanches. Telle ne fut pas ma surprise de voir que le résultat était identique à ma vision !

« On a gagné ! s'exclama-t-il. On double la mise !

- Que se passe-t-il ? Il peut prédire le tirage ? s'étonna un spectateur. »

Mécontent, le marchand offrit le double de la mise avant de continuer.

« Je vais miser, moi aussi ! ajouta la dame du départ au kimono rose fuschia en prenant place proche de Chagum. »

Elle le regarda, intéressée. Le jeu reprit. Tout à coup, une des pièces dériva et fit tomber l'une des deux pièces en jeu sur le côté blanc.

« Il faut que je mise sur Jin ? questionna-t-il.

- Non. Ne le faites pas. Ne misez sur rien.

- Que veux-tu dire ? demanda la madame aux cheveux bruns.

- Personne ne peut gagner cette partie. »

J'eus une nouvelle vision, exactement la même prédiction que Chagum. Les trois pièces tomberaient toutes sur leur côté noir. Le résultat final se dévoila et ce fut encore exacte.

« Hey ! dit Tohya. La banque rafle la mise...

- Heureusement que nous n'avons pas misé finalement, souffla l'homme.

- Mais ce que vous avez misé au début..., s'inquiéta Chagum.

- C'n'est pas grave. Mais raconte-nous, c'est plus important. Comment arrives-tu à prédire ce qui va se passer ?

- J'aimerai le savoir aussi, insista la dame. Dis-le nous, s'il te plait.

- C'est simple, répondit le prince en pointant l'homme au kimono noir et jaune. Cet homme peut diriger les deux premières pièces avec la troisième. Vous pouvez déterminer le tirage en regardant sa main lorsqu'Il lance la troisième pièce. Quand il attrape le bord de sa ceinture avec son pouce, c'est un Mon qui tombe. Quand son pouce est sous sa ceinture, c'est un Jin. Et quand il ne tient pas sa ceinture, c'est un Zen.

- Je vois.

- C'est malhonnête.

- À Yogo, on appelle ça de l'escroquerie, se plaignit un spectateur.

- Rendez leur argent.

- Ne vous foutez pas de nous !

- Escroc !

- Je sais que pour vous, ce n'est qu'un commerce, mais tout le monde aime ce jeu. Veuillez respecter les règles imposées par le ministère, la prochaine fois, termina Chagum en se redressant. Pas vrai, Aniki ?

- C'est juste ! »

Ils se retournèrent, prêts à partir. Je me redressai et m'étirai sur Maman.

« Attendez. »

Tonton Tohya se raidit.

« Tu veux faire un face à face ? proposa l'homme au kimono jaune et noir. Nous ne pourrons jamais plus nous montrer par ici maintenant que tu as révélé tout ça. Alors faisons un concours sans aucune tricherie. Si tu gagnes, je rendrai tout l'argent que nous avons pris aux clients aujourd'hui. Mais si je gagne, je prendrai ce collier que tu portes à ton cou.

- Non, tu ne peux pas le laisser prendre ça, couina Tohya. Ça appartient à ta mère... »

Chagum lui fit signe de la main de ne pas en dire plus.

« Je vais le faire, accepta-t-il.

- C'est parti. »

Ils s'assirent face à face. Le cœur de Maman accéléra, je l'entendais couchée contre son épaule. Tout le monde se rangea du côté de Chagum. Un blanc pour la première pièce... un noir pour la seconde... Chagum avait misé 2. Le marchand avait misé 1. Encore une fois, j'eus une vision à propos du résultat final. Un blanc ?

La troisième pièce tomba. C'était un blanc, comme prédit ! Le prince soupira et durant que tout le monde se réjouissait, il alla proche de l'eau et observa son collier en le serrant contre son cœur.

« Hé bien, s'étonna Maman, quelle surprise ! Peut-être qu'au lieu de réveiller un enfant endormi, j'ai réveillé une personne formidable. Viens Alika, il est temps de rentrer. »

Elle me prit dans ses bras alors que je tenais sa lance de mes petites mains et descendit les escaliers rejoindre Tonton Tohya et Chagum.

« Neesan ! s'écria Tohya. Tu ne devineras jamais ce qui s'est passé !

- Vous avez gagné.

- Oh ! tu étais au courant ?

- Bien sûre que oui. Quand je t'ai dit que je ne serai pas très loin, je vous avais toujours à l'œil. Comment vas-tu, Chagum ?

- J'ai eu chaud pendant un moment.

- Ton langage trahit tes origines... il va falloir que Tohya t'enseigne la langue roturière.

- Hein ? se surprit Tohya.

- Tu as bien entendu, je te fais confiance. »

Elle sourit et alla retrouver Papa, moi, toujours dans ses bras. Je lui parlai à propos de mes prédictions pendant qu'on regardait la partie de mise et de l'étrange vision qui me venait en tête, à tous les coups.

« Ça veut dire quoi ? demandai-je.

- Hum... je ne suis pas certaine, avoua-t-elle. Je ne suis pas la plus qualifiée pour y répondre, pour être sincère. Je n'ai jamais appris la magie. Grand-Mère Torogai serait la meilleure placée pour y répondre, mais elle n'est pas là en ce moment. Pourquoi ne pas essayer de demander à Papa ?

- Il va pas me croire.

- Pourquoi ne te croirait-il pas ? Tu es sa fille. »

J'haussai les épaules.

« Grand-Mère dit que j'ai des dons qui ne sont pas du commun des mortels... que je suis trop forte pour Sagu.

- Tu serais donc plus forte que Papa en magie ?

- Je crois... mais moi, je veux être comme toi ! Comme avec ta lance ! »

Maman sourit et me donna un bisou sur le front avant de me déposer au sol et de prendre ma main.