Nouvelle version, 2021
Ransa no Moribito
Gardien des Lanciers
Chapitre 10
Le festival du solstice d'été
Après avoir soupé et que Chagum faisait la vaisselle, que Maman s'occupait de sa lance et que j'étais occupée à faire mes choses, le prince fit part du tournoi à Maman.
« Hé, Balsa ?
- Oui ?
- Tu es déjà allée à Rota ?
- Oui, plusieurs fois. Pourquoi ?
- J'ai rencontré un garçon qui venait de Rota aujourd'hui. Il était grand et agressif, raconta-t-il.
- Ils sont comme ça à Rota, pour la plupart. Malgré leur carrure, ils sont plutôt bagarreurs. Rota est la patrie de nombreuses ethnies différentes et il y a un grand fossé entre les riches et les pauvres. C'est pour cela qu'il y a là-bas beaucoup de personnes avec une personnalité acerbe. En comparaison, les gens Yogoese sont faciles à vivre, ce qui rend les gens de Rota encore plus irritables.
- Je vois. »
Il fit une pause.
« En fait... j'ai fini par organiser un duel de Rucha avec le garçon de Rota. Mais il connait cet art martial appelé Porak et il est vraiment bon.
- Oh ?
- Y a-t-il un moyen de le battre ?
- Le Porak est un style qui dérive du combat au corps à corps sur le champ de bataille. À l'opposé, le Rucha est une occupation de fermiers qui chahutent, donc ce n'est pas vraiment équitable. »
Maman leva sa lance pour observer son travail de polissage après l'avoir nettoyé.
« Mais si tout ce que tu as à faire est de le sortir du cercle, alors tu as une chance de le vaincre.
- Vraiment ?
- Néanmoins, tu auras besoin de beaucoup de courage et d'un peu de talent. Alors ? C'est quand ce tournoi ?
- Pendant le Festival du Solstice d'Été. »
Maman arrêta son geste, déposa sa lance et se retourna lentement, un air navré au visage.
« Ce n'est pas de chance. Ce sera pour une autre fois. Nous ne pouvons pas aller au festival.
- Pourquoi pas ?
- Beaucoup de gens se rassemblent durant les festivals. Il y aura des marchands de nuit et des colporteurs. Ça signifie que de nombreuses personnes de l'ombre qui ne peuvent normalement pas travailler au grand jour vont venir de tous les pays. Nous ne sommes pas censés être ici. Ce n'est pas un problème de vivre normalement comme nous le faisons en ce moment, mais nous ne savons pas qui pourrait nous voir à un festival. Nous devons donc rester à la maison et faire profil bas pendant le festival. »
Il sembla déçut. Le jour du festival, je me réveillai en même temps que Maman. Je me nettoyai le visage et failli plonger la tête première dans le bac, encore fatiguée de ma nuit. Maman me retint de justesse.
« Doucement Alika.
- Pardon Maman... c'est juste le matin.
- Tu m'as fait peur.
- Maman ?
- Oui ?
- Pourquoi on peut pas aller au festival ? Je sais les raisons, mais pourquoi ? »
Elle soupira. Comme si elle n'avait pas assez de travail à expliquer à Niisan la raison de notre annulation au festival, elle devait aussi me gérer.
« Comment dire... avec mon travail, je me suis fait quelques... ennemis. Ces gens-là pensent que je suis seulement une femme solitaire, sans famille, qui ne travaille que dans l'unique but d'avoir de l'argent. Ils veulent avoir leur revanche avec moi parfois. Ça peut être dangereux. »
Mon visage devint pâle. Elle me prit dans ses bras et me fit un câlin réconfortant.
« Du calme, ma chérie. Maman est plus forte et prudente que ça et tu le sais.
- Ouf...
- Ce qu'ils ne savent pas, c'est que je suis Maman. J'ai une famille moi aussi et une enfant née de ma propre chair et de mon propre sang. En ce moment tu es avec moi, sous ma protection. S'ils viennent à apprendre que j'ai une famille, ils pourraient très bien t'utiliser comme otage. Tu comprends ?
- Oui.
- Tu n'en parles pas un mot à Chagum.
- Pourquoi ?
- Parce que... secret.
- D'accord... secret !
- Allons préparer le petit déjeuner. »
Chagum se réveilla et vint nous retrouver dehors.
« Bon matin, salua-t-il.
- Bon matin, sourit Maman. Après que tu te sois lavé le visage, avant le petit-déjeuner, nous finirons d'empiler le bois que nous avons fendu. Nous ne pouvons pas aller au festival, mais nous pouvons au moins allumer un feu de joie.
- D'accord... Balsa, tu as bien dit que tout ce que j'avais à faire était de sortir mon adversaire du cercle et que c'était faisable, n'est-ce pas ?
- Oui.
- Que voulais-tu dire par là ?
- Tu es encore là-dessus ? soupira-t-elle.
- Hé bien... oui...
- Je peux t'apprendre si tu promets de ne pas aller au festival. »
Niisan avait encore une mine triste.
« Sais-tu ce qui fait tourner la roue à aube ? le questionna Maman.
- Hein ?
- Il y a seulement un filet d'eau, n'est-ce pas ? Pourquoi crois-tu qu'il fait tourner la roue si rapidement, en dépit du fait qu'elle soit très lourde ?
- Je ne sais pas.
- C'est parce qu'une fois que tu commences à déplacer quelque chose, même si c'est lourd, il ne faut ensuite qu'un peu de force pour que le mouvement se poursuive. Et une fois que cela a commencé à bouger, plus c'est lourd et plus l'élan est important. Il est donc facile de conserver le mouvement. L'important c'est de l'initier. »
Il observa un long moment le moulin, décryptant les dire de Maman. La journée passa très rapidement et en soirée, le chant des paysans qui étaient chargés d'allumer les feux de joies se fit entendre de plus en plus proche.
« Il aura fallu pratiquement tout le bois que nous avions fendu, observa Niisan en regardant notre feu de joie.
- C'est exacte, confirma Maman alors que je prenais appuie sur ses hanches. Les voilà. »
Ils allumèrent notre feu de joie et on les remercia. Maman reçut même de jolies compliments sur ma ressemblance avec elle et que j'étais une très jolie fille. Elle regarda Chagum.
« Puisque nous ne pouvons pas aller au festival, nous allons manger quelque chose de particulièrement bon. »
Je me penchais au-dessus du bac comprenant trois anguilles... vivantes. Pourtant, Maman ne semblait pas effrayé ni troublée. Elle prit le bac et entra à l'intérieur en demandant à Niisan de couper plus de bois pour le feu. Je décidai de suivre maman.
« Maman ?
- Hum ?
- ... Comment tu fais pour tuer une anguille ? Ça va t'électrocuter ! »
Elle se mit à rire.
« Celles-là ne sont pas électriques. La plupart des anguilles n'électrocutent pas. Qui t'a dit ça ?
- ... Mon commandant esprit, répondis-je timidement.
- Oh, je vois. Il n'y a pas de soucis. Je sais que certaines anguilles peuvent électrocuter, mais pas celles-ci, si ça peut vous réconforter tous les deux. »
Je regardai mon commandant esprit en arquant un sourcil. Il tourna le regard, décidé à changer de sujet. Maman plongea sa main droite dans le bac. L'anguille se débattit alors que Maman la déposait sur la table en la tenant fermement. Je la vis prendre un bon couteau aiguisé et regarder l'endroit idéal pour la coupe, un peu derrière la tête. Mon visage changea d'expression.
« Tu n'es pas obligée de regarder cette partie, ma belle, me sourit-elle.
- Non, je veux quand même regarder ! Je veux savoir cuisiner comme toi quand je serai grande.
- D'accord. Une fois l'anguille morte, décédée pour nos vies, nous devons la cuire de la meilleure façon qui soit. Nous coupons la peau et la retirons comme un gant. »
Elle prit l'anguille et me montra.
« Tu vois ?
- Oui.
- Ensuite, le corps est coupé de moitié sur la longueur, de façon à l'ouvrir comme un livre. Nous retirons les viscères et organes non-comestibles avant de le couper en deux parties et y insérer des bâtons de bois. Tu veux mettre les bâtons ?
- Oh oui, je veux !
- Voilà.
- Merci ! »
Je sortis indirectement ma langue pour me concentrer sur les bâtons de bois. Maman alluma le feu et prépara la sauce.
« Peux-tu dire à Chagum que c'est presque l'heure du souper ?
- D'accord. »
Je sortis dehors et vis que Chagum n'était nulle part. La hache trainait sur le support en bois.
« Maman... Niisan n'est pas là...
- Ah ? »
Elle ouvrit la porte et remarqua à son tour qu'il n'y était plus. Elle soupira et s'accota sur le cadre de porte.
« Je savais qu'il irait.
- Tu le savais ? m'étonnai-je.
- La plupart des enfants désobéissent... toi y compris.
- Hey ! me vexai-je.
- ... Je me demande ce que Jiguro aurait fait dans une telle situation. »
J'haussai les épaules.
« Alors... on mange pas ?
- J'ai acheté du fromage... Tu veux un morceau ?
- Oh oui !
- Nous allons à l'endroit du festival pour retrouver Chagum.
- Oh ! mais tu voulais pas qu'on y aille...
- Avec un peu de chance, nous passerons pour une famille normale... du moins je l'espère. Je ne veux pas que tu restes seule ici, alors tu vas m'accompagner.
- D'accord, Maman. »
Elle détacha la corde qui maintenait ses manches lors de la cuisine et éteignit le feu. Elle m'offrit un morceau de fromage et se mit en route pour aller aux festivités. Je vis Niisan sur la plateforme avec Yarsum. Le tournoi commença et d'un mouvement très simple et lent, Niisan le fit sortir du cercle.
« Chagum est le vainqueur ! annonça Kohiyoi.
- Ouais ! se réjouit Gaki.
- Chagum a gagné, répéta Nya.
- C'était quoi ça ? demanda Yarsum, fâché. C'est de la triche !
- Tu es sorti du ring. Tu as perdu, maintint Gaki.
- C'est pas pareil là ! J'ai pas perdu !
- Retire ce que tu as dit à propos de l'Empereur, ordonna Chagum.
- Pas question. T'es un tricheur ! Donc, l'Empereur aussi est un tricheur ! »
Niisan s'énerva et descendit de la plateforme avant de prendre le garçon Rotan par le collet.
« Ce n'est pas ce que tu avais promis !
- Espèce d'enfoiré !
- Chagum ! fit Gaki en essayant de les séparer. »
Alors qu'ils s'apprêtaient à se battre, le père de Yarsum intervint.
« Yarsum. Arrête. Au Rucha, tu perds si tu sors du ring. Concéder le match est la chose la plus respectable à faire pour un homme de Rota. J'ai gagné le tournoi cette année. Sois en fier. Aucun adulte dans ce village n'est plus fort que moi. »
Je regardai Maman d'un regard taquin. Aucun adulte dans ce village n'était plus fort que lui, hein ?
« ... Et tu es le plus fort des enfants. Rien ne peut changer ça.
- Tu parles.
- Allez, on y va.
- C'est faux..., murmura Chagum. »
Maman croisa ses bras, accoter contre la statue.
« Attend un instant, intervint-elle en s'avançant. Concéder le match n'est pas suffisant. Il faut que ton fils tienne sa promesse.
- Sa promesse ? À propos de quoi ? se renseigna le père en regardant son fils.
- Je... je ne sais pas, mentit Yarsum.
- Il dit qu'il ne sait pas. Ne porte pas d'accusation sans fondement.
- Donc un père se permet de juger une chamaillerie entre gamins ? rit-elle jaune. Est-ce ce que font les hommes respectables de Rota ?
- Maman..., gémis-je.
- Alors réglons ça de parent à parent, défia-t-elle. Le gagnant aura raison et les affirmations de son enfant seront prises au pied de la lettre.
- C'est ridicule. Allons-y, insista le fils vit mon regard noir se poser sur lui, avant d'être repoussé par son père.
- Il n'y a pas de père dans notre famille, alors je serai ton adversaire. »
Je fis une expression intriguée. Pas de père dans notre famille ? Je ris à la remarque intérieurement.
« Hein ? s'éberlua l'homme Rotan. Les femmes ne sont pas autorisées à pratiquer le Rucha, mais je viens de Rota. Peu m'importe, mais...
- Et je viens de Kanbal. C'est décidé. Si je gagne, tu tiendras parole.
Elle alla vers Chagum. Je la suivis jusque-là.
« J'ai beaucoup de chose à te dire après ça. Attend-moi ici avec Alika. »
Tous les gens de rassemblèrent proche de la plateforme, surpris.
« Je n'esquiverai pas, annonça Maman. Alors donne tout ce que tu as. »
Ce qu'il ne savait pas c'était que Maman pratiquait les arts martiaux depuis très longtemps. Je connaissais ses habilités en tant que guerrière et je n'avais pas aucune crainte sur le fait qu'elle puisse perde. Même à moitié-morte, elle aurait continué de tenir sur ses jambes jusqu'à l'épuisement total. Il essaya de l'empoigner, mais elle bloqua chacune de ses attaques d'un calme absolue. J'analysai tout de sa prestance. Puis, à son tour, elle s'essaya. En essayant de le prendre par le bras droit, il prit sa manche et la fit reculer.
« Allez ! fais-en un nœud de cette salope ! l'encouragea Yarsum.
- La ferme, toi ! lâchai-je en défendant Maman. T'es qu'un idiot !
- Qu'est-ce que tu as dit là, gamine ?!
- Ma mère va battre ton père, sois en sûr !
- Tu dis n'importe quoi et tu partiras tête basse quand ta mère perdra !
- C'est toi qui va battre en retrait, la queue entre les jambes !
- Sale garce !
- Connard ! »
Comme je l'avais senti et prédit, Maman rentra son épaule dans son abdomen et le souleva de terre pour le passer au-dessus d'elle et l'étendre de tout son long sur le sol. La foule poussa une exclamation de surprise. Tous étaient bouche-bée. Elle descendit du cercle comme si rien ne s'était produit.
« Papa ! Tu t'es retenu parce que c'est une femme, pas vrai ? J'ai raison, n'est-ce pas ? »
Son père lui offrit une jolie claque sur la tête.
« Cette femme a quelque chose de spécial. Je ne me suis pas retenue et ce n'était pas une coïncidence. Même si nous faisions dix tournois de plus, elle gagnerait à chaque fois. Je ne sais pas ce que tu as promis, mais dépêche-toi et va t'excuser !
- Mais... »
Maman revint et Chagum baissa les yeux. Le jeune adolescent Rotan arriva et s'excusa. Sur le chemin du retour, personne ne parla. Même si j'étais aux côtés de Maman pendant la marche, Chagum traînait derrière. Maman se retourna enfin vers lui et il baissa la tête. Elle s'arrêta en soupirant.
« Si quelqu'un nous avait vus, nous aurions dû abandonner la vie que nous menons en ce moment. Tu comprends, n'est-ce pas ?
- Je suis désolé, s'excusa Niisan.
- Eh bien, c'est moi qui ai empiré les choses.
- Mais c'est moi qui n'ai pas tenu ma promesse en premier. »
Elle regarda la lune.
« Je suis sûre que tes parents auraient été fiers d'apprendre que tu les as défendu. »
Niisan la regarda et vint finalement nous rejoindre. C'était drôle de voir qu'elle n'avait pas le courage de le gronder.
